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mercredi 4 mars 2020

FAUVE DANS LA FOSSE AUX LIONS

LES ENFANTS PRENNENT BEAUCOUP de place dans la littérature québécoise. Peut-être parce que ce personnage permet de bousculer une certaine réalité et de faire table rase. Bien sûr, je pense à Bérénice Steinberg et aux héroïnes de Réjean Ducharme qui refusent le monde des adultes et s’ancrent dans l'adolescence. Monsieur Émile d’Yves Beauchemin a charmé bien des lecteurs. Claude Kérouac de Guy Lalancette, dans Les cachettes, réinvente sa réalité. Et La petite fille aux allumettes de Gaétan Soucy, après la mort du père, doit faire le grand ménage. Les fillettes sont souvent beaucoup plus fascinantes dans notre aventure romanesque que les garçons violents de Bruno Hébert, par exemple, dans C’est pas moi je le jure

Fauve fait face à une terrible réalité dans Il préférait les brûler de Rose-Aimée Automne T. Morin. Son père, atteint par le cancer, n’en a plus pour longtemps. Une vérité inacceptable pour cette enfant qui va d'un parent à l'autre. Une famille éclatée, la norme maintenant. Un homme qu’elle idolâtre, son héros qu’elle pense protéger et sauver peut-être du pire, une mère qui la suit à la trace et montre les griffes quand c’est nécessaire.

Je ne me souviens pas de l’annonce. Comme si le diagnostic de cancer s’était infiltré de lui-même chez nous. Une évidence, un nouveau membre de la famille. À cause de lui, mon père tomberait encore et, un jour, il ne se relèverait pas. Si, ce jour-là, c’est moi qui devais le trouver, s’il fallait que nous soyons seuls à la maison, je n’aurais qu’à peser sur ces trois chiffres, dans cet ordre, sur le téléphone. Quelqu’un viendrait nous aider, lui et moi. Et ce jour-là, ce sera demain. Ou alors le jour suivant. (p.18)

L’enfant a besoin de stabilité, d’amour et d’une certaine routine, dit-on. Tout le contraire ici. Le père affronte sa fin avec lucidité, sans dramatiser. La mort viendra à son heure. Inutile de sonner les cloches et de déchirer sa chemise. Ce rendez-vous fera partie du quotidien de Fauve. Rien n’est simple pourtant, même si les parents font tout pour que cette tragédie soit banale. Les questions se bousculent et perturbent la fillette.

Il ne camoufle pas ses larmes, ne cherche pas non plus à me rassurer. Du haut de mes cinq ans, la seule chose qui me vient en tête, c’est : qui va le sauver quand il va tomber ? Qui va appeler le 911 si je ne suis pas là pour réagir à la seconde même où son corps frappera le sol ? Ce n’est pas l’annonce d’une séparation, mais celle d’un arrêt de mort. (p.31)

Fauve doit faire face à la vérité, aussi cruelle soit-elle. Le père guide sa fille dans la plus belle des franchises vers le dur métier d’être femme. Plus rien n’est tabou, tout peut se dire. Les âmes s’effleurent alors dans une communication unique.
Fauve se découvre une passion pour la lecture et les livres, l’école, la sexualité pour le meilleur et le  pire. Son enfance passe par des chemins étonnants et son innocence la protège.

En fait, il faut que tu comprennes une chose tout de suite : je partirai pas tant que tu me diras pas de le faire. Je serai incapable d’en finir aussi longtemps que je sentirai que t’es pas prête à vivre sans moi. Alors, un jour, il va falloir que tu acceptes de me laisser aller, OK ? Tu vas le faire pour moi ? Promets-le.
Non. (p.60)

Le cancer se permet une sorte de sursis. Fauve a le temps de devenir adolescente, de s’équiper avant de s’aventurer dans sa vie de femme. Elle fait face malgré ses peurs, ses angoisses, ses essais et ses faux pas. Jamais facile d’être adulte, surtout quand l’avenir est tronqué.

AVENTURE

Fauve se dégourdit avec les livres, provoque la jalousie à l’école, vit l’intimidation, tente de séduire certains hommes même si son corps n’est pas encore celui de la jeune femme qu’elle deviendra.

En moi, il y a la maladie et la fuite. Elles me viennent de mon père, du cancer et de cette pulsion qui pousse à détruire tout ce qu’on aime pour mieux l’abandonner. Je ne pourrai pas y échapper, on m’a légué ça entre deux parties de cartes. Il y a aussi, dans mon ADN, la folie. Elle, elle me vient d’ici. Si Matante est cassée, j’imagine que je le suis également. Même famille, même sang. Si je ne finis pas mes jours cancéreuse à trente ans, je les terminerai institutionnalisée. (p.170)

Une mère forte et une tante qui cherche frénétiquement l’amour, un père qui croit protéger sa fille du naufrage qu’a été sa propre existence. Des drames, bien sûr, mais une façon de s’accrocher et de toujours refaire surface. Un texte vivant, plein de miracles d’écriture, de sourires et de malaises aussi. Rose-Aimée Automne T. Morin m’a plongé dans cette aventure peu banale et je l’aurais suivie encore longtemps. Un roman touchant qui transcende le drame, donne goût à la vie, même quand l’avenir se dresse devant soi comme un mur infranchissable.


AUTOMNE T.MORIN ROSE-AIMÉE ; Il préférait les brûler, Éditions STANKÉ, 232 pages, 22,95 $.

http://www.editions-stanke.com/preferait-bruler/rose-aimee-automne-t-morin/livre/9782760412699