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jeudi 6 juillet 2006

Andrée Laurier explore le monde des sables

Andrée Laurier semble apprécier les toiles impressionnistes, les fresques mystérieuses et intrigantes où le flou glisse dans le flou. Dans ses romans, les personnages sont emportés par des forces qui se frôlent et parfois se heurtent avec violence.
Dans «Horizons navigables», elle nous offre le monde fascinant du désert du Sahara où tout est sable et couleurs changenantes. Un univers où les dunes se meuvent comme des vagues pour modifier inlassablement le paysage, arrondir le pays et le réinventer à chaque heure du jour.
Les gens du Nord vivent les mêmes sensations quand la neige calfeutre l’horizon. Ils savent les danses et les mouvances du blanc qui suggèrent des perspectives, transforment les villes en toile à peine ébauchée.

Recommencement

Myriam est une solitaire qui gravite autour du monde de l’art. Elle aime la neige, les rafales pour s’abolir et se réinventer. Comme si elle pouvait mourir et ressusciter en plongeant dans une tempête,
«Quand le vent lâcha, on la vit un peu. Une femme svelte, pivotant sur ses pieds enfouis dans du talc froid. À peine bottée. Où était la galerie d’art à présent? Au-delà des tourbillons? Une dame cherchait le lieu d’une exposition. Mais c’était elle à présent qui s’exposait. Le vertige avait une odeur fraîche et vieille à la fois, celle du dessous de nuages. Quel jour était-on dans tout ce vent? Et quel était ce temps, fouetté de cristaux fous? (p.12)
En Tunisie, elle s’aventure dans le désert pour, peut-être, percevoir une autre vie. Selva et Guy, un couple un peu perdu dans ses habitudes, l’accompagnent. Aton, un Italien d’origine musulmane, est de l’excursion. Des amoureux aussi. Ce pourrait être Juliette et Roméo. Ils s’arrachent de l’adolescence. L’amour est un absolu et ils rejettent tous les diktats de leurs familles.

Les rêves

Le groupe suit les pistes des caravanes, fait halte dans les oasis. Myriam s’enfonce dans un monde où les rêves permettent d’échapper au temps. Les époques s’entrelacent, se confondent avec les dunes qui remodèlent l’espace sans jamais prendre un instant de repos. Toujours différentes et semblables ces montagnes de sable.
Les voyageurs bousculent le hasard et basculent hors du temps. Même que des ombres d’une autre époque surgissent et viennent s’abreuver aux sources la nuit. Dans le désert, le passé et le présent se confondent peut-être quand l’horizon s’ouvre et se referme.
«Le sable d’une ultime finesse: où s’aplatir et rêver sous les étoiles. Voilà le désert bleu. L’erg. Après le soleil. Aucun roc à la ronde. Le monde ondule de dunes lisses, petites et souples. Vous pouvez y appuyer le dos. La fraîcheur à peine moite du sol, un versant tout lisse sous le corps, qui vous attendait : portez la joue sur la douceur de ce sable devenu gris sombre. Et gardez chaud ce si tendre espace. C’est une peau de terre. La lune, qui n’a pas les croissants de la déesse Isis ou d’une barcane. La lune. Et son insistance. La lune et son insistance vous bordent.» (p.73)
Sensations

Les sensations tactiles s’imposent, des images miroitent et se défont selon les glissements du jour, les strates, les jeux de la lumière et de l’ombre. Et ce vent comme une obsession, comme une menace qui peut abolir les corps et mener au seuil de la vie ou de la mort. Tous les compagnons de cette traversée vivront une métamorphose.
Le flou et le précis, le mouvement et la méditation s’équilibrent dans une belle mouvance. Tout s’abolit et se reconstruit dans l’empire des sables. Nous respirons là où la lumière lape l’obscurité, où les horizons se soudent, où les tourments de l’âme s’abreuvent. L’espace s’impose et chacun des personnages vit sa traversée de l’être et se retrouve autre, différent et comme apaisé.
Un roman sensuel, de chaud et de froidures, d’amours et de fièvres, d’obsessions et de hantises, de passion et de violence. Tous les sens sont happés par les phrases ciselées d’Andrée Laurier. Une écriture suggestive, un peu figée parfois qui épouse ce paysage miroitant comme un kaléidoscope devant un voyageur assoiffé de certitude et de renouveau. Une lecture troublante et envoûtante.

«Horizons navigables» d’Andrée Laurier est publié chez XYZ Éditeur.

mercredi 5 juillet 2006

Yves Dupéré plonge dans la révolte des Patriotes

«Quand tombe le lys», le premier roman d’Yves Dupéré, nous faisait revivre les derniers moments de la Nouvelle-France. Ce citoyen de Jonquière était tout heureux de m’annoncer la parution de son second roman quand je l’ai croisé lors de l’une de mes promenades le long de la rivière aux Sables. J’ai un peu sursauté. Son premier roman est sorti fin 2004.
Cette fois, il entraîne le lecteur dans la révolte des Patriotes de 1837 dans «Les derniers insurgés». Un bon nombre de citoyens voulaient faire du Québec un pays libre et francophone. Louis Cardinal devient le coeur de cette brique de 400 pages avec son ennemi Benjamin Landry. On croirait retrouver Méo et son voisin Landry qui se heurtent tout au long de «Mistouk» de Gérard Bouchard.
Louis épouse la cause des Patriotes et Benjamin collabore avec les Loyalistes. Ils se haïssent, se défient et s’humilient à la moindre occasion. Il y a aussi Roxane, l’amie d’enfance, la fille du seigneur Archambault qui a grandi dans la meilleure société de Londres. Au retour de la famille dans la colonie, l’amour éclate même si tout la sépare de Louis. La bourgeoise et le cultivateur.
«La pauvreté lui donnait des frissons dans le dos. Elle détestait voir des êtres humains à la recherche constante de moyens pour vivre honorablement. Elle ne pouvait se faire à l’idée qu’un homme, une femme ou un enfant soit privé de repas chauds, d’un toit pour dormir et de vêtements pour passer à travers le dur hiver canadien,» (p.143)
Roxane a ramené un fiancé, un militaire qui sert dans l’armée de Colborne qui réprime le soulèvement. Le bon et le méchant, la belle et séduisante jeune fille, la guerre et l’appel de la liberté. Tous les éléments sont là pour faire un bon roman.

Période méconnue

Surtout que cette période de notre histoire est méconnue. Tout le monde connaît les Patriotes sans trop savoir les raisons de leur révolte. Dupéré présente les grands acteurs de cette période trouble. Nelson, Lorimier, Papineau qui n’a guère le beau rôle et plusieurs autres.
Toujours bien documenté, Dupéré est capable de décrire des scènes guerrières de façon saisissante. C’était la grande force de son premier ouvrage.
Encore une fois le portrait de société est fort intéressant. Les bourgeois et les seigneurs collaborent avec les Anglais et ne pensent qu’à s’enrichir. Ils méprisent les paysans qui étouffent sous les contraintes et sont souvent plus fanatiques que les Anglais.
L’historien avait un peu tendance à s’étendre dans son premier ouvrage, mais cela ne gâchait pas la lecture. On ne peut qu’exiger plus d’un second ouvrage. Après tout, le romancier a eu le temps de corriger certaines lacunes et de pousser plus loin son écriture.
S’il avait su éviter ce piège dans le premier roman, il sombre corps et âme dans «Les derniers insurgés», s’entête à vouloir tout dire, tout décrire et ne laisse aucun espace au lecteur. Et quand il s’aventure dans les scènes intimes et amoureuses, il s’enlise. «Avec un charmant sourire au visage, baissa les yeux vers le sol; durant son discours, il parlait avec éloquence, Le maquillage sur son visage; Roxane avait posé sa tête sur le torse imberbe de Matthew, Et se pencha à sa hauteur, Après une brève pause de quelques secondes.»
Il aurait fallu tailler dans cette masse brute. On sent que l’auteur a voulu gonfler son ouvrage. Les descriptions des combats et des affrontements guerriers sauvent ce roman du naufrage. Le dernier tiers surtout! Une bonne centaine de pages en trop. Dommage!
Je veux bien croire qu’il a publié trop rapidement, mais le romancier devra apprendre la sobriété à l’historien, suggérer plutôt que de s’acharner à décrire les chaises, les meubles, les vêtements, les maisons dans le moindre détail. Éviter aussi les évidences qui pullulent tout au long des chapitres.
Il ne faut pas oublier que le roman historique, malgré la matière, reste un ouvrage littéraire qui doit être porté par la qualité de l’écriture. À lire pour le contenu historique.

«Les derniers insurgés» d’Yves Dupéré a été publié aux Éditions HMH Hurtubise.