CLAUDE GAUVREAU |
Le vrai théâtre, c’est à la
télévision que je l’ai découvert. Un peu tardivement parce que nous avons été l’une
des dernières maisons du rang à avoir une antenne avec un large peigne qui ratissait les nuages les jours de pluie. Je faisais tout pour regarder Les Beaux
Dimanches de Radio-Canada. Mon père et ma mère ne comprenaient pas trop mon
engouement pour ce genre « de patentes », surtout les comédies d’un certain
monsieur Molière. C’était beaucoup plus difficile quand on devait plonger dans
un drame, mais ils se laissaient tenter par Gratien Gélinas. Pas qu’ils détestaient
la fiction, ils ne rataient jamais un épisode des Belles Histoires des pays d’en haut, de La Famille Plouffe ou encore du Survenant.
Je pense que ma mère avait un faible pour Jean Coutu déguisé en grand fanal
venu d’un horizon inconnu et qui faisait soupirer Angélina. Et peut-être aussi
qu’ils étaient complètement perdus en voyant les perruques d’un Sganarelle et
les robes extravagantes de sa femme Martine.
Certains télé-théâtres sont toujours
présents dans ma mémoire, comme si j’avais surpris ces personnages hier. Comment
oublier Des souris et des hommes de
John Steinbeck avec Hubert Loiselle ? Jacques Godin y était magnifique et
touchant en grand benêt inconscient de sa force, tuant tout ce qu’il approchait
et aimait. C’était à en verser des larmes.
CULTURE
La télévision se souciait de
culture alors et n’était pas contaminée par les rires et l’humour qui tapissent
à peu près toutes les émissions de maintenant. La direction osait présenter des
spectacles difficiles qui m’ont permis de découvrir d’autres univers. C’est devant
un écran en noir et blanc, souvent tout à fait blanc, que j’ai vu et écouté
pour la première fois un orchestre symphonique. Ça faisait bien rire mes frères
et quand j’ai acheté mon premier disque de « musique classique », ils ont cru
que j’étais sérieusement dérangé. Même que l’un deux menaçait de casser mon vinyle
de La Moldau de Smetana. Je devais
l’écouter seul et choisir des moments où il n’y avait personne dans les parages.
Avec La Pastorale de Beethoven, j’avais
eu l’impression d’entendre le vent s’amuser dans les arbres, les nuages de
l’orage s'avancer au loin et les vaches qui vaquaient à leurs occupations
de bêtes dans nos champs.
Yoland Guérard était une grande vedette
alors. Je ne sais pourquoi mon père « pognait les nerfs » chaque fois qu’il voyait
le chanteur à la télévision. Il n’avait pas assez de qualificatifs pour l’apostropher.
S’il avait eu accès aux médias sociaux de maintenant, cela aurait été une
catastrophe. Je pense qu’il n’aimait pas les grandes voix de ténor ou de basse.
Je n’avais qu’à syntoniser l’opéra du samedi à la radio pour le faire hurler.
Il consentait pourtant à écouter Tino Rossi avec un sourire, pour me montrer qu’il
pouvait être tolérant et qu’il n’était pas hostile à une certaine musique. Ma
mère aussi adorait Tino Rossi. Et que dire de Paolo Noël ?
THÉÂTRE
Le vrai théâtre, je l’ai vécu à
Saint-Félicien, à l’École secondaire Pie XII. Là, c’était quasi professionnel
avec Jean-Joseph Tremblay, un professeur de français qui prenait beaucoup de
son temps pour monter des spectacles. C’était très sérieux, en tous les cas pour
moi. On ne grimpait pas sur une scène pour faire des pitreries ou des blagues
grivoises. Nous y avons décortiqué des textes qu’il fallait apprendre d’un bout
à l’autre pour secouer le personnage qui se dissimulait derrière les mots.
Comme si nous devions nous approprier des répliques pour devenir un autre. Ça
me fascinait. Nous avons commencé par La
farce de Maître Patelin où je tenais le premier rôle et Sonnez les matines de Félix Leclerc. La
magie des maquillages, la concentration et les répétitions, l’impression de
bouger dans un monde différent, devant des gens qui écoutaient les yeux ronds,
parfois avec le sourire aux lèvres, me transformait. J’avais surtout réussi
l’exploit de convaincre ma mère à devenir costumière. Elle m’avait confectionné
une cape noire qui m’allait comme la soutane de notre
vicaire tout neuf. Je faisais un Maître Patelin impressionnant qui ne ménageait
pas ses effets de toge.
Rapidement, je suis devenu
metteur en scène et je me souviens d’avoir dirigé des garçons et des filles
dans un texte de Claude Jasmin. Une histoire qu’il avait écrite pour les
Jeunesses catholiques de l’époque. Je ne pense pas qu’il ait gardé ce titre
dans son curriculum vitae. De là à vouloir être comédien, acteur comme on
disait, il n’y avait qu’un pas. Mais comment réaliser ce rêve quand j’étais
timide au point d’avoir de la difficulté à traverser le village sans perdre
l’équilibre sur le trottoir, à avoir des sueurs dans le dos en entrant dans
l’église le dimanche ?
PREMIÈRE
C’est grâce au théâtre que j’ai écrit
un texte avec un début, un milieu et une fin. J’avais fait des essais auparavant,
mais mes romans s’écrasaient après deux ou trois pages, rarement plus. Je jonglais
avec la poésie, louchais vers une grande histoire d’aventure, mais toutes mes
tentatives semblaient imiter les bourdons qui entraient dans la cuisine d’été
et qui passaient leur journée à s’acharner contre une vitre.
Je m’essoufflais rapidement et m’égarais.
Mon premier texte soutenu est un drame théâtral d’une quarantaine de pages, avec
un titre foudroyant : Moins vingt.
J’avais dix-neuf ans. Je savais que mon temps était compté au village et que je
devrais sauter dans le train de l’exil à l’automne. J’ai fouillé et retrouvé
une version tapée sur ma petite Underwood de l’époque, une machine que mon
frère Raymond m’avait payée. Cette mécanique m’a valu de devenir le secrétaire
perpétuel de la famille et d’écrire toutes les lettres de mes proches. Je lis
la première réplique de ce texte et me demande si j’ai cessé de me poser cette
question.
— On existe !
On végète ! Vivre pour vivre, c’est notre devise. Moi, je n’en peux plus. J’étouffe. Je
meurs.
HÉSITATION
J’ai longtemps hésité entre le
Conservatoire d’art dramatique et la littérature à l’Université de Montréal.
J’ai finalement bifurqué vers les écrivains parce que ma timidité l’a emporté
une fois de plus. Je crois que j’aurais pu faire un infarctus en ouvrant la
bouche devant des garçons et des filles qui étaient de parfaits inconnus. Et je
n’étais pas certain d’avoir le talent qui m’aurait permis de briller et de
m’imposer. J’ai opté pour le rôle discret de l’étudiant qui ne parlait à
personne, qui ne posait jamais une question, qui cherchait à se confondre avec
la peinture du mur dans une grande salle. Celui qui, parfois, au lieu de
prendre des notes, se risquait sur la surface d’un poème ou d’un texte plus
soutenu. J’ai écrit le premier jet de mon roman Le Violoneux dans les
cours de grammaires comparées et de phonétique qui m’ennuyaient à mourir.
Je me privais de nouveaux livres
et sautais un repas pour avoir de quoi acheter un billet pour aller dans une
grande salle, une vraie et vivre intensément le drame qui se déroulait sur la scène.
Je me souviens Des grands soleils de
Jacques Ferron et surtout Des oranges
sont vertes de Claude Gauvreau. À la fin, quand les comédiens s’avançaient
vers les spectateurs et ouvraient le feu sur nous, j’ai été touché en plein
coeur. Claude Gauvreau m’a tué. J’avais pris plusieurs minutes avant de bouger,
de pouvoir sortir en baissant la tête, pas du tout certain du trottoir qui oscillait
sous mes pieds. J’avais eu l’occasion de croiser le poète à la Casa espagnole et il me semblait un
gentil monsieur. J’avais même partagé une bière avec lui et ris beaucoup. J’en
tremble encore rien qu’à y penser.
Mon grand rêve d’alors, celui
d’incarner Pozzo dans En attendant Godot
de Samuel Beckett ne s’est jamais concrétisé. Tout comme celui d’inventer un
vrai texte et de le voir respirer et vivre devant moi sur une scène. Mais je
suis encore tout jeune et il n’est jamais trop tard.
Pour tout dire, le théâtre a fait
de moi un écrivain. Et je me dis souvent que la littérature n’est qu’un vaste spectacle
où un auteur tente de convaincre le lecteur qui approche avec le sourire ou qui
s’éloigne en haussant les épaules.
Une version de
cette chronique est parue dans LETTRES
QUÉBÉCOISES, Numéro 175, septembre 2019.