LE FUTUR S’IMPOSE comme jamais au cœur de nos vies. La crise climatique nous pousse à modifier nos déplacements et nos habitudes. Nous sommes dos au mur. Et un virus arrête la course, nous stoppe dans notre frénésie de tout faire et de tout avoir. Nous voilà obligés de revoir nos façons de travailler et surtout de limiter nos contacts avec nos semblables. On nous répète qu’il faut réinventer notre quotidien, que l’autre peut nous contaminer. Certains poussent des cris, d’autres acceptent des mesures qui peuvent sembler excessives. Une pandémie reste difficile à faire reculer et il n’y a qu’un Donald Trump pour narguer tout le monde avec la COVID-19. Catherine Leroux se penche sur l’avenir et ses constats n’ont rien de rassurant même si l’espoir luit au bout de ce roman original.
Rares sont les écrivains et écrivaines qui proposent une société où tout va quand il est question de notre futur immédiat ou lointain. Presque toujours, la catastrophe s’impose et notre planète se meurt. Les résistants plongent dans la barbarie et se débattent dans un monde pollué et dangereux. Je pense à la terrible dystopie de Cormac McCarthy. Dans La route, les survivants retournent à l’âge de pierre. Leur environnement est détruit. Tous cherchent leur nourriture et affrontent des individus hostiles et cruels. Je n’ai pas lu souvent des histoires où les humains domptent leurs démons et vivent en paix après avoir nettoyé la planète.
Catherine Leroux fait un pas en arrière ou en avant dans son roman L’avenir, difficile à dire. Elle nous entraîne dans un monde où tout s’écroule. Ce peut tout aussi bien être dans un proche futur ou dans un passé lointain. Surtout que l’auteure ne manque pas de faire un clin d’œil à l’histoire française de l’Amérique. La ville de Détroit a été fondée en 1701 par le Français Antoine de Lamothe-Cadillac et des voyageurs canadiens qui parcouraient le continent à l’époque de la Nouvelle-France, construisant des enceintes à des endroits stratégiques pour le commerce des fourrures. La plupart de ces bourgades sont devenues de grandes villes. Le lieu portait alors le nom de Fort Détroit, une appellation que lui conserve madame Leroux dans L’avenir.
ÉTAT
Les enfants ont déserté les parents et vivent à l’état sauvage dans la forêt, se tenant loin des adultes, refusant leurs manières qui ont mené à la catastrophe. Les maisons s’écroulent ou brûlent pour une raison ou une autre. La nourriture est rare et le danger guette partout. Quelques courageux pratiquent la culture biologique et semblent vouloir régénérer leur société. Gloria s’installe dans la demeure de Judith qui a été assassinée, pour retrouver ses deux petites-filles disparues.
En rentrant, elle pense aux cendres de Judith, à l’urne enfouie dans une armoire de la cuisine en attente d’un lieu plus permanent, que Gloria n’arrive pas à déterminer. Rien n’est certain, ici, rien n’est défini, même les absents. (p.27)
Ce n’est pas un hasard, du moins j’aime le croire, que l’action se déroule à Fort Détroit. Un clin d’œil à la Nouvelle-France et aux coureurs des bois, ces « grands oubliés » qui sillonnaient le continent. Détroit, au siècle dernier, a été au cœur de la fabrication de l’automobile qui est pour une grande part responsable de la crise climatique et de la pollution. Les personnages de madame Leroux parlent un français archaïque, surtout chez les enfants qui semblent développer un dialecte marqué par une belle poésie.
– Ben pas lui. De toutes les façons, pas longtemps après le roi a tombé malade pis il est mort. Le prince a été tellement fâché que son père moure qu’il a parti à la chasse et il a tué tous les animals. (p.153)
Bien sûr, la quête de Gloria porte ce récit. Elle fait tout pour retrouver ses petites-filles. Son enquête nous permet d’aller partout dans la ville en ruines et de rencontrer des personnages fort intéressants.
VOLETS
Le roman commence par l’arrivée de Gloria à Fort Détroit, son installation dans la maison de sa fille et son adaptation à la ville et aux gens des environs. La deuxième partie nous entraîne dans la société des enfants qui vivent en autarcie. Ils ont banni les adultes de leur milieu et obéissent à une grande qui dicte les lois. Voilà une nouvelle société instinctive et animale, faite de désirs, d’amours, de frustrations et de colère. Cela m’a rappelé, Sa majesté des mouches de William Golding, où des petits se débrouillent seuls sur une île. Ils doivent survivre dans une nature hostile et surtout échapper aux manigances d’un chef violent qui impose toutes ses volontés avec son armée de garçons. Une version de l’aventure de Robinson Crusoé par une tralée de jeunes qui retournent à l’état sauvage.
Gloria finit par retrouver ses petites-filles dans le troisième volet et apprendre la vérité. Cassandra et Mathilda sont devenues terriblement farouches et craintives, surtout la plus vieille qui a compris ce que s’apprêtait à faire sa mère. Elles ont dû agir pour échapper au pire. Certains mènent une guerre contre les exploiteurs et les pollueurs, parviennent même à faire sauter une fonderie qui empoisonne les environs et tue tout ce qui est vivant. Heureusement, la forêt et les arbres protègent ces enfants qui subsistent comme des petites bêtes rusées et débrouillardes.
Maintenant calmée, Loupiote examine son ami, l’exécutant, le bras de la justice édictée par Fidji : lui aussi a le front soucieux de ceux qui vivent sous la botte d’une force imprévisible. Lui aussi porte sur son dos un fardeau que personne, pas même la reine, ne peut comprendre, celui d’être à la fois dominant et soumis, maître et esclave — la difficulté d’être pris entre un troupeau trop inconscient et une autorité trop transcendante pour comprendre ce qu’exige l’application de la loi, ce que ça coûte en joie, en insouciance. (p.169)
Un monde où le réel et l’imaginaire s’imposent, avec certains côtés fantastiques. Tout est possible quand on remodèle le quotidien. Pourquoi pas les contes et les légendes, des êtres éthérés qui veillent sur les enfants et échappent aux lois de la gravité et de l’espace.
L’avenir est un roman fascinant. Je n’ai pu décrocher après quelques pages. Catherine Leroux nous happe avec cet univers magique et cruel qui nous permet de nous donner des yeux différents. Ce qui intéresse madame Leroux, ce sont les rapports entre humains, les pulsions, la sauvagerie qui s’oppose à l’empathie et la douceur. Peut-on faire confiance aux adultes, à ceux qui ont été à l’origine du saccage avec leurs obsessions et leurs folies ? Parce que ce sont eux qui ont tout gâché dans la ville et les enfants les voient comme des ennemis. Tous pourtant veulent l’amour, un peu de tendresse, vivent la peine et le rejet.
À présent, tout le monde dort, et Baleine se rejoue les événements de la nuit avec une curieuse fierté, celle d’avoir été à la hauteur, d’avoir senti pour la première fois que son existence recluse ne l’empêchait pas d’être utile. La forêt bruit, les gouttes claquent sur les feuilles, la paix cherche un chemin, et il y a quelque chose d’insolite, dans cette beauté, quelque chose de rassurant que Baleine met un moment à s’expliquer. Les oiseaux, muets depuis l’empoisonnement de la rivière, ont recommencé à chanter. (p.260)
Roman étrange, optimiste malgré tout parce que la vie s’impose, peu importe les sévices que les humains peuvent faire subir à la planète. La nature arrive à se régénérer. Les enfants peuvent se réinventer et connaître une belle fraternité, l’entraide, résister à la dureté des adultes qui ne sont que rarement fiables, surtout avec un gouvernement lointain qui ne sait réagir que par la répression, des soldats et la force aveugle. Peut-être que si l’on confiait la direction des affaires de la ville à des jeunes, on pourrait penser une autre société et s’avancer dans une réalité bien différente. Une question qui fascine les écrivains et particulièrement Catherine Leroux. Un roman qui oscille entre le passé et le présent, nous entraîne dans un monde où il faut muter. Et aujourd’hui comme hier, la solidarité permet de s’en sortir et de mettre la main sur l’avenir.
LEROUX CATHERINE, L’avenir, ÉDITIONS ALTO, 320 pages, 28,95 $.