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mardi 27 septembre 2016

Nicolas Tremblay invente un monde en mutation

PHILIPPPE SE REMET plutôt mal de la mort de Marie. Un accident d’auto et après la solitude, la vie malgré la perte de repères. Il boit trop, continue son travail à l’usine, tente de résister aux bouleversements qui frappent l’industrie. La vente du papier est en baisse et la fermeture est imminente. Les événements étranges se multiplient. Sa femme apparaît sur l’écran du téléviseur et un ouvrier est retrouvé dans un bassin de décantation. Nous basculons alors. Le rêve et la réalité se mélangent. Revenants, professeur qui semble avoir vaincu l’espace et le temps, qui se transforme en une sorte de Méphisto qui manipule tout. Nous voici dans une histoire où tout peut arriver.  

Nicolas Tremblay nous a habitués aux histoires étranges qui demandent d’oublier nos repères, bousculent et dérangent. Encore une fois, dans La mémoire du papier, il nous entraîne dans un monde qui s’effrite peu à peu. Pourtant, tout nous dit que nous sommes à Jonquière, à la papeterie fondée par Price et les événements font référence à certains faits historiques, comme la mort de l’homme d’affaires qui est survenue lors d’un glissement de terrain près de la rivière aux Sables, tout près de l’usine. Nicolas Tremblay prend plaisir à visiter les rues de la ville où il est né.
Tout comme il s’attarde longuement à la tragédie qui a frappé Saint-Jean-Vianney en 1971, emportant presque tout le village, faisant des dizaines de morts. C’est fascinant de voir que deux écrivains originaires de la région du Saguenay, Larry et Nicolas Tremblay, font référence à cet événement dans leurs romans qui paraissent en même temps. Il faut croire que certains drames marquent les esprits, les écrivains en particulier. Le fameux déluge surgit aussi dans le roman La déesse des mouches à feu de Geneviève Petersen.

BASCULE

Peu à peu, l’étrange ou le fantastique se glisse dans l’histoire de Tremblay. Il y a d’abord Marie qui semble vouloir échapper à la mort par le biais du téléviseur, lance un appel à l’aide. Comme si elle n’était pas morte dans l’accident d’auto.

Le téléviseur avait perdu le signal du câble et émettait un son de friture. Le téléphone était resté muet, hormis le fort grésillement, qui peu à peu cessait par intermittence. Et, soudain, dans une percée silencieuse — avait-je halluciné ? —, l’écho d’une voix venant de très loin, des limbes, celle de ma femme qui m’appelait… Je ne sais trop comment la définir. Était-ce la panique. Puis le grésillement était revenu, plus fort encore. Le phénomène avait été passager. La voix s’était tue, même si j’avais crié, follement désespéré, le nom de Marie, implorant son retour fantastique. (p.29)

Marie devient de plus en plus présente et obsède Philippe. Il s’accroche à des films, des recherches qu’elle effectuait à l’université avec son collègue Louis Humbert. Ils semblent avoir inventé une machine qui élimine les frontières, permet au cerveau de communiquer directement avec un clavier et de traduire les pensées à une vitesse folle. Marie était une sorte de médium qui avait le pouvoir de communiquer par la pensée.
Si j’ai cru au début que je faisais face aux divagations d’un homme qui boit trop, j’ai vite commencé à douter. Plus j’avançais dans ma lecture et plus les événements étranges ont eu le dessus. L’ouvrier trouvé noyé dans le bassin de décantation revient à la vie et répète les discours où Marx s’en prend aux capitalistes. Deux mondes se chevauchent. La fin d’une époque et l’arrivée d’une nouvelle société où le papier perdra son utilité.
Nous avons toujours du mal à saisir notre époque, mais il ne faut pas être devin pour voir que nous plongeons allègrement dans le virtuel, l’immatériel, que nous sommes entourés de gadgets qui nous font oublier notre environnement. Nous écoutons des disques et des musiques d’artistes morts depuis des décennies grâce aux enregistrements audio et visuel. Comme si certains créateurs déjouaient la mort. Nous lisons des textes qui se matérialisent à la surface d’un écran et qui n’ont plus de présence concrète. Nous avons réussi à maîtriser l’espace et le temps en communiquant partout sur la planète grâce à Internet et cela quasi instantanément.

Je découvrirais mieux plus tard la nature fugitive du professeur, avec laquelle ses propres étudiants devaient composer. Louis Humbert avait le don d’apparaître puis de disparaître aussitôt, d’être là sans y être vraiment, y compris dans sa salle de classe, où son corps pouvait se manifester virtuellement par des procédés techniques mystérieux quand il ration son avion ou qu’il était retenu ailleurs. En sa présence, il s’avérait difficile en effet de déterminer si on était réellement avec lui ou si on était plutôt l’objet d’une savante illusion. (p.96)

Nicolas Tremblay nous fait vivre « un glissement de société », une mutation où le papier qui a servi à préserver les connaissances en devenant l’instrument de la mémoire disparaît. Nous voici dans l’éphémère, l’instantané, le mouvant et le changeant, le vrai et le faux, l’immatériel et le réel. Difficile de savoir vraiment où nous en sommes. Que penser devant ces millions de gens qui participent à la chasse aux Pokémons, traquant des êtres virtuels et immatériels qui semblent devenir plus vivants que les voisins ?

RÉFLEXION

Le monde ancien résiste devant une technologie qui demande de changer nos manières de penser et de voir. Nous ne savons plus vraiment ce que peut être le moi, le rôle de l’humain dans cette aventure. Que devient l’individu quand il échappe à l’espace pour se matérialiser un peu partout, quand on peut créer des avatars qui jouent à la place des comédiens au cinéma ? Que devient le soi ou l’être dans l’espace cybernétique ?

Mais là, à vous voir ainsi vieilli devant moi, j’avoue être moi-même surpris parce ce progrès phénoménal. La distorsion temporelle a réussi pour la première fois. Je vous annonce que l’avenir n’appartient plus au futur désormais. C’est prodigieux de contrôler ainsi la temporalité ! Si vous le voulez, nous vous rajeunirons ce soir. Et vous vous retrouvez dans le lit avec votre femme, dans la peau de votre double vidéographique. Vous serez enfin persuadé que je suis un chic type qui ne veut que votre bien. (p.155)

Nous sommes des mutants qui vivent de plus en plus hors de ce que nous avons toujours considéré comme le réel. Tout cela avec une aisance déconcertante, remettant en question des vérités auxquelles nous nous accrochons depuis des millénaires. Que va devenir l’être, l’identité, le corps, l’âme, la pensée devant le temps qui se dédouble, quand nous pourrons nous aventurer dans l’avenir, corriger le  passé ou encore intervenir dans plusieurs lieux à la fois, décuplant ainsi nos façons de nous imposer. Toute la pensée humaniste, les lois qui régissent nos sociétés seront alors obsolètes et archaïques. Ce monde est là, maintenant. Les frontières n’existent plus avec le virtuel. La propriété intellectuelle est devenue une idée ancienne et le savoir humain est stocké dans des nuages insaisissables, pouvant s’effacer peut-être ou disparaître dans une autre dimension.
La vie de l’individu est de plus en plus fragilisée avec toutes les données que nous trouvons sur le web. Notre moi se dilue dans l’espace public et l’intime est une chimère.
Nicolas Tremblay a le grand mérite de nous faire réfléchir à ce qui se passe maintenant. Les connaissances qui se réfugiaient sur le papier depuis des centaines d’années sont en train de glisser dans un ailleurs que nous avons du mal à concevoir. Un monde qui peut faire frémir en ressuscitant les morts et en étouffant les vivants.
L’écrivain est percutant et particulièrement dérangeant. Notre monde peut glisser comme le village de Saint-Jean-Vianney qui a fait basculer toute une population dans l’horreur, démontrant que tout est fragile, changeant et insaisissable. Après avoir terminé ma lecture, je me suis longuement regardé dans le miroir, n’étant plus tout à fait certain de savoir qui était l’individu que j’y voyais.

LA MÉMOIRE DU PAPIER de NICOLAS TREMBLAY est paru chez LÉVESQUE ÉDITEUR.

PROCHAINE CHRONIQUE : RÉNOVATION de RENAUD JEAN publié chez BORÉAL ÉDITEUR.

lundi 29 avril 2013

Nicolas Tremblay bouscule nos façons de voir


Roman d’action, d’intrigues et d’espionnage presque, «L’invention de Louis» de Nicolas Tremblay bouscule nombre de croyances et de certitudes. Une présentation percutante des changements technologiques qui transforment la société. L’auteur analyse dans cet ouvrage des concepts, des façons d’agir, d’étudier, de lire le monde et de l’habiter. J’aime l’audace et la manière de l’écrivain, sa façon d’emprunter des sentiers peu fréquentés.

Nicolas Tremblay, avec ses parutions toujours un peu en marge, ne cesse de jongler avec des problématiques troublantes. Dans un beau mélange de réel et d’actualité, l’auteur n’hésite jamais à plonger dans des œuvres littéraires importantes et à fréquenter les écrivains, à mettre en scène des personnages connus dans les médias. Il ose encore une fois secouer des certitudes avec «L’invention de Louis», un roman d’anticipation.
Je me suis vite retrouvé dans une actualité fantasmée et combien réelle. L’auteur revient sur la construction de l’aéroport de Mirabel, le fiasco du siècle que l’on a inauguré en grandes pompes, le travail des journalistes à Radio-Canada, la poussée irrésistible de l’informatique et la mutation de la pensée que cela entraîne.
Il y a surtout Louis, un avatar de Louis-Philippe Hébert, poète, écrivain et éditeur, un passionné d’informatique qui s’amuse à trafiquer les ordinateurs à une époque où ces machines étaient encore des curiosités pour ne pas dire un fantasme. Louis réussit avant tout le monde à inventer le traitement de texte et à imprimer des documents à très grande vitesse. Cette découverte aura des conséquences importantes et imprévues. Nombre de gens avec l’arrivée des ordinateurs ont perdu leur emploi.
Il y a aussi des entreprises comme IBM qui n’aiment guère qu’un obscur Québécois vienne jouer dans leurs plates-bandes. On ne lésine pas avec ces marginaux qui parlent français en plus. La révolution technologique engendre une véritable guerre de tranchées.
La trame de fond repose sur «La manufacture à machines», un roman de Louis-Philippe Hébert. L’auteur, dans ce livre paru en 2000, imaginait un monde où des appareils effectuaient à peu près tout du travail des humains.

Mutation

Nicolas Tremblay ramène aussi Marshall McLuhan, le penseur devenu célèbre en expliquant, dans une formule-choc, que le médium est le message. Autrement dit, un moyen de communication comme l’ordinateur modifie la pensée des utilisateurs et les réflexes de la société.
L’électricité est devenue le système nerveux de la planète. Elle l’enrobe, la pousse, la stimule et modifie toutes les manières de vivre et de faire. Le roman devient alors une réflexion sur les mutations que le numérique et l’informatique apportent dans notre monde. L’écrivain se réfère à l’invention de l’imprimerie qui a changé l’approche du savoir et la transmission des connaissances.
Une révolution est en cours et nous avons du mal à la comprendre, surtout qu’il est difficile d’en mesurer toutes les conséquences. Les plus résistants à ces changements sont peut-être les intellectuels qui, avec leur savoir encyclopédique qui date de plusieurs siècles, n’arrivent pas à s’adapter. Le savoir maintenant est de connaître les chemins qui permettent d’avoir accès aux serveurs où les données sont stockées. L’information est là au bout du clavier. Alors la culture prend une autre direction. Bien des métiers et des professions sont appelés à disparaître. À la télévision par exemple, les ordinateurs font le travail de dizaines de recherchistes avec beaucoup d’efficacité.
L’enseignement ne peut être ce que nous avons connu avec le Siècle des lumières. Un maître ne peut plus donner son cours devant des étudiants qui prennent des notes et tentent de mémoriser des concepts en vue de réussir l’examen. Les téléphones intelligents, les ordinateurs mobiles et accessibles partout bouleversent les habitudes. Les manières de voir, de dire, de concevoir le monde sont en train de muter et nous résistons, tentons de préserver des approches peut-être complètement obsolètes.
Nicolas Tremblay s’amuse encore une fois à faire des incursions dans le monde de l’actualité et particulièrement à Radio-Canada qui devient un laboratoire. Tous les journalistes ont un double. Bernard Derome est un robot qu’il suffit d’activer. Les journalistes et les animateurs sont-ils devenus interchangeables comme des automates? La question mérite que l’on s’y attarde.
Plus qu’un roman, voilà une belle réflexion qui nous pousse dans le monde actuel et nous permet d’élaborer les scénarios les plus étranges. Notre monde est en mutation et nous oublions de le regarder, avançant le plus souvent comme des aveugles sur une corde raide.

«L’invention de Louis» de Nicolas Tremblay est paru chez Lévesque éditeur.

lundi 20 février 2012

Le «je» est multiple chez Nicolas Tremblay

Dans «Une estafette chez Artaud», Nicolas Tremblay se penche sur ce qui l’a poussé vers la littérature. Au centre, Antonin Artaud, le poète, l’homme de théâtre interné qui a subi de nombreux électrochocs. Artaud le génie, le fou et le mégalomane. Un metteur en scène et un comédien qui prônait le retournement du spectacle traditionnel qui fait en sorte que les comédiens se mettent au service d’un dramaturge. Pour Artaud le comédien est autant le sujet de la représentation que le texte.

Famille

Nicolas Tremblay est né à Kénogami, au Saguenay, dans une famille comme il en existait des centaines à l’époque. Une usine qui a donné naissance à la ville et qui semble vouloir fermer ses portes en 2012. Un univers d’ouvriers, un père qui ne jurait que par la boxe et qui rêvait de voir ses fils remporter les plus grands honneurs.
Le roman devient une quête de ses racines, d’identité à travers le filtre littéraire et familial. Artaud s’est comme réincarné dans son ancêtre qui portait aussi le nom de Nicolas Tremblay. Il est Artaud dans son corps et son esprit. En fait, il est son double. L’un est l’autre.
Un joyeux mélange où la biographie, l’essai, la réflexion, la poésie et le théâtre se bousculent. Tout est dans tout.
«Artaud, qui, dans ses délires, affirme beaucoup de choses, (notamment, dans sa correspondance, que Robert Denoël, assassiné pendant la Libération, éditeur des tristement célèbres pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline, serait du monde de ceux qui ont contribué à son internement, c’est-à-dire les «Initiés», pour ne pas avoir, dans son cas, à payer les droit d’auteur sur une réédition des Nouvelles révélations de l’être et d’Héliogabale), prétend avoir été tué et être rené en 1934.» (p.39)
Dédoublement, mutation, fiction, invention et personnages historiques. Voilà un joyeux cocktail.

Migration

Nicolas Tremblay nous entraîne dans un monde où les idées d’Artaud le parasitent. Une œuvre peut-elle migrer dans un autre cerveau? La culture créerait-elle des poupées gigognes?
Comme si les créateurs échappaient au temps et à l’espace quand des disciples se penchent sur leurs écrits. Artaud prétendait avoir été le Christ, il peut bien se réincarner dans un Saguenéen qui se passionne pour son œuvre.
Tremblay mélange tout, ramène des faits, des éléments biographiques et historiques qu’il manipule à sa façon, des personnages connus comme Sir William Price, le fondateur de Kénogami.
De quoi être constamment déstabilisé, bousculé et déboussolé.

Identité

Voilà un formidable questionnement sur l’identité et l’être? Qui sommes nous? Le résultat de nos passions, de nos recherches livresques et de nos études? Nous finissons par être si peu soi quand nous nous approprions l’œuvre d’un autre. Et il y a notre part féminine qui peut faire surface. Tout se mélange et constitue ce texte particulièrement explosif. Les êtres se défont, se modifient, se transforment selon les passions et les champs d’intérêts. Et y aurait-il une forme de prédestination qui ferait qu’un écrivain trouve un maître qui lui ressemble et qu’il fait revivre en lui?
Un texte fou, halluciné qui questionne qui nous sommes et aussi ce que nous transmettons à d’autres. Le «je» prend le bord et devient une suite de «je» qui se bouscule et se reproduise au cours des âges.
«Le présent engendrerait donc le passé, le récit, l’action racontée. «L’écriture est à la fois un acte copulatoire et spirituel. Les mots, une liqueur séminale. Notre corps, une matrice.» Pas sa double nature, masculine et féminine, Nicolas serait même à l’origine de la genèse du monde, comme expulsé de ses orifices. Plusieurs des textes versent en effet dans la cosmogonie, lorsque la mégalomanie de leur auteur est à son comble.» (p.106)
Un roman qui retourne aux sources de l’écrivain, à ses passions qu’il mélange avec les étapes de sa vie. Une entreprise de fiction et une genèse à nulle autre pareille où il modifie la trajectoire de certains écrivains connus.
Nicolas Tremblay ne cesse de surprendre et de bousculer les habitudes du lecteur. La littérature est là pour se questionner sur l’être, la vie et l’héritage dont l’œuvre se nourrit. Déstabilisant mais fascinant.

«Une estafette chez Artaud» de Nicolas Tremblay est  paru chez Lévesque Éditeur.

dimanche 31 octobre 2010

Nicolas Tremblay mélange le réel et la fiction


«L’esprit en boîte» de Nicolas Tremblay regroupe des nouvelles parues dans «XYZ, la revue de la nouvelle» au fil des ans. Une publication dont il assume la direction littéraire depuis quelques années.
Dix-huit textes, trois sections coiffées de titres évocateurs : Apocalypse, Anticipation et Actualités.
Deux textes couvrent le premier volet. Dans l’un, la  mort est présentée en direct sur une scène. Dans l’autre, une naissance a lieu sur un écran de téléviseur. La mort, la vie, les grands moments de l’existence, se déroulent dans l’indifférence. La vie ou la mort sont désormais un spectacle qui ne suscite aucune réaction. Le ton est donné.
Le monde de Nicolas Tremblay s’effrite. Tout est sale, délabré et ruines. L’écran du téléviseur a tout envahi et ligote les personnages.

Communications

Les outils de communication se multiplient. Les gens utilisent une foule de gadgets qui ne cessent de muter. Le téléphone portable possède une caméra et peut décupler les contacts, diffuser des messages à des milliers de personnes. Cette calamité bouscule le quotidien et hante les lieux publics. Il est fréquent maintenant d’entendre des conversations intimes dans les autobus, les restaurants ou la rue. Nous pouvons vivre l’histoire d’amour d’un parfait inconnu ou encore une rupture en direct. Avec les canaux d’information, l’événement se déroule devant le téléspectateur. Bien plus, il est possible d’intervenir en fournissant des photos ou encore des témoignages. Les télédiffuseurs utilisent de plus en plus les vidéos de ces témoins. On l’a vu lors de la fusillade au collège Dawson. Ainsi le public devient le privé et l’inverse est aussi vrai.
Que dire de ces jeunes qui ont filmé un viol collectif pour le diffuser partout sur la planète. La victime a pu voir son viol et le revivre. Votre vécu vous échappe de plus en plus et tous peuvent capter des «séquences de votre vie». Un événement privé peut facilement devenir public. Il faut aussi parler de dépendance.

Saut en avant

Nicolas Tremblay va plus loin. Le téléspectateur se branche à l’émetteur et les images passent par son cerveau avant de surgir sur l’écran. Des fiches s’enfoncent dans les épaules et le sujet perd la maîtrise de ses pensées et il est totalement dominé par l’appareil. Il se vide de sa pensée et n’a plus de réaction.
Ces machines se nourrissent des influx nerveux de l’homme ou de la femme, parasitent le corps et l’esprit. Le sujet dérive dans une cinquième dimension. La société peut s’écrouler, la vie est ailleurs. Plus besoin de l’autre depuis l’invention de la machine à orgasmer pour les femmes. Jouissance assurée et l’homme aux érections incertaines et variables est désuet.
Tremblay pousse à son paroxysme tout ce qui fait courir notre société dans la troisième partie de son recueil. La frontière entre le privé et le public s’effrite. Il met en scène des journalistes, des animateurs connus de la télévision, des vedettes qui font partie de notre quotidien. Patrice Roy, Patrice L’Écuyer, Bernard Derome et quelques autres deviennent les personnages de ses fictions.
«La boîte du nouvellier» m’a particulièrement interpellé. L’action se déroule au Salon du livre de Montréal. On y croise Monique La Rue, Gilles Archambault et Mathieu Bock-Côté qui pique une véritable crise de folie pendant l’entrevue, insultant tout le monde. Les agents doivent l’éloigner. Vrai ou faux? On ne sait plus. L’esprit est passé dans la boîte, le téléviseur ou l’ordinateur. La réalité a migré dans ces technologies qui contrôlent les cerveaux. Ce qui importe, ce sont les images qui forgent la nouvelle réalité, l’améliore, la défait et la module.
Tous sont les sujets et les objets de ce monde des communications. De plus en plus de gens se nourrissent de fantasmes et de rêves les plus fous à travers cette panoplie d’outils qui donnent l’illusion d’être en contact avec le monde.
Ce qui questionne dans l’ouvrage de Nicolas Tremblay, c’est l’utilisation de vrais personnages. Jusqu’où un écrivain peut aller? Peut-il utiliser des personnages connus? Un nouvellier peut-il s’approprier des vrais personnages et les faire agir dans ses fictions? Le droit à la vie personnelle, l’utilisation de son nom et de son identité sont en question ici. Particulièrement troublant.

«L’esprit en boîte» de Nicolas Tremblay est publié chez Lévesque Éditeur.