Nombre total de pages vues

dimanche 20 janvier 2013

Mélissa Verreault aime bousculer le quotidien


Autant être attentif si vous décidez de vous aventurer dans «Point d’équilibre» de Mélissa Verreault. Une phrase, un mot crée un déséquilibre, provoque l’instant qui ébranle l’être et l’entraîne dans un chemin parallèle. Il faut de l’habileté, du talent pour aborder le pire sans avoir l’air d’y toucher. L’effet alors est décuplé et frappe le lecteur comme un boomerang. Voilà tout l’art de cette écrivaine qui a retenu l’attention avec «Voyage léger».

La première nouvelle a provoqué chez moi un certain malaise. Je ne savais trop quoi penser de Maryse et de ses humeurs. Je retrouvais un peu l’univers de «Voyage léger» où une jeune femme s’embourbe dans les gestes du quotidien, s’exile dans un quartier de Montréal, près de l’aéroport, pour vivre en étrangère. Ici, la danseuse se coupe du monde qui l’a aspirée jusqu’à maintenant. Elle décroche après une fracture à la jambe, comme un wagon largué qui s’immobilise peu à peu.
Heureusement, le second texte m’a happé et j’ai décidé de reprendre depuis le début, pour me rassurer peut-être, comprendre les signaux de l’auteure.

Constance

Tous les personnages de «Point d’équilibre» ont une parenté avec l’héroïne de «Voyage léger» qui débobine son fil pour mieux s’égarer en ayant la certitude de pouvoir revenir. Presque tous les protagonistes de ces nouvelles décrochent et «marchent à côté d’une joie» pour paraphraser le poète Saint-Denys Garneau. Tous deviennent des spectateurs de leur vie à un moment ou à un autre.
«Mon pays était loin, mais plus que cela, le problème, c’était moi. J’étais une terre étrangère. Depuis Barbara, mon corps était une maison vide, et mes mains étaient deux fantômes qui ne pouvaient plus toucher quoi que ce soit. Tout me glissait entre les doigts, me rappelait que j’étais mort.» (p.23)
Un accident, une rencontre, un voyage, une relation amoureuse qui tangue, un imprévu et c’est la glissade. «Étoiles de papier» par exemple. La narratrice apprend qu’elle est enceinte. Des triplets. De quoi s’évanouir ou courir partout pour le crier au monde. Tout bascule alors. Une belle illustration de l’effet domino qui emporte les protagonistes dans des situations imprévues. «Une culbute» à la Paul Auster sans les changements radicaux, sans basculer dans une autre vie.
À Rome, pour faire la connaissance de ses beaux-parents, une jeune femme plonge dans une société différente, une langue qu’elle comprend plus ou moins. Elle ne peut être que témoin de sa vie, se sentant en dehors de tout, une autre dans son corps.
Et cette terrible nouvelle, «Aux épaules d’Atlas», où une femme est sur le point d’éclater. Son mari, à son retour d’Afghanistan, est un étranger. Une querelle, un geste pour bousculer certaines choses et la tragédie se produit.
«Dans la voiture, la querelle se poursuit. Le moteur tourne depuis plusieurs minutes. La porte du garage est fermée. Les vapeurs d’essence saturent tranquillement l’air de la pièce, il devient de plus en plus pénible de respirer. Il fait chaud. Florence retire son foulard et son chapeau. Étrangement, les garçons semblent vouloir se calmer. Leurs cris sont moins insistants, leurs voix ramollissent, tout comme leurs jambes, leurs bras. Confuse, Florence ne fait que répéter sa dernière phrase en boucle.
— Arrêtez de vous chicaner, je vais le dire à maman sinon. Elle l’a dit, c’est comme ça que les guerres commencent.» (p.104)
La chute d’un ouvrier dans le jardin, une fête d’anniversaire, tout peut ébranler cette vie fragile et coriace. Le drame colle à vos pas et il ne faut surtout pas le provoquer. Le pire peut survenir pendant un moment de distraction. Le drame chez Mélissa Verreault se dissimule dans le quotidien. Il suffit d’un moment d’inattention et tout bascule. «Point d’équilibre», le titre est fort pertinent, flirte avec le tragique, l’amour et la mort qui semble toujours prête à sortir les griffes.
L’écrivaine, avec une belle candeur, un humour certain, parfois un peu forcé («Suspendue à dix mille pieds dans les airs, j’avais peur de ne pas être à la hauteur») vous pousse vers le drame et la tragédie.
Mélissa Verreault vous attire dans sa toile telle une araignée. Elle sait vous distraire pour mieux vous surprendre. Juste, étonnant souvent, assez pour vous faire prendre conscience que la vie est capable du pire comme du meilleur. Elle confirme ici son beau talent.

«Point d’équilibre» de Mélissa Verreault est paru aux Éditions de La Peuplade.