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mardi 18 décembre 2018

CHATILLON RACONTE SON ANCÊTRE


PIERRE CHATILLON m’a fait prendre conscience, avec L’homme au regard de lion, que j’ignore tout de mes ancêtres. Cet écrivain prolifique a mis le doigt sur une lacune importante de mon histoire familiale. Je peux évoquer mon grand-père Aurélien du côté paternel ou encore Napoléon Bélanger, le père de ma mère, mais plus loin, c’est le brouillard. Rien. Étrange, moi qui adore l’histoire, je ne me suis jamais intéressé à mon passé, ce qui m’aurait permis de remonter dans le temps et de faire des découvertes fort intéressantes, j’en suis certain.

Pierre Chatillon prend la peine de s’expliquer dans une courte postface. Pour que nous ne fassions pas de faux pas et que nous sachions la direction qu’il a choisie. Pour se souvenir aussi, certainement, et surtout se rapprocher de cet homme qui l’a fait rêver dans son enfance, un héros qui est demeuré présent à son esprit malgré ses nombreuses publications et son travail d’enseignant.

« Frédérick Rolette est mon arrière-arrière-arrière-grand-père. Marin, héros de la guerre de 1812, il fut oublié pendant deux cents ans. Toutefois, il ne le fut jamais dans ma famille puisque nous avons précieusement conservé le sabre d’honneur que la Ville de Québec lui avait remis en 1814. » (p.325)

L’aventure débute en 1786, soit près de trente ans après la bataille des plaines d’Abraham et la défaite du marquis de Montcalm. Un affrontement plutôt bref, une vingtaine de minutes en tout, qui a changé le destin de la population du Canada et coupé l’élan de ces Canadiens qui voyageaient partout en Amérique du Nord et avaient constitué un véritable empire. Le continent américain était alors leur territoire de chasse et d’exploration. Il suffit de se pencher sur une carte de l’Amérique française pour être impressionné par la dimension de ce territoire que les coureurs des bois avaient parcouru.

CONQUÊTE

Le drame est encore tout frais dans la mémoire des personnages de Chatillon qui se font un devoir de ne pas oublier. Plusieurs rêvent de changer les choses comme Victorien, l’oncle d’Yvon, qui aimerait voir Napoléon débarquer au Québec avec son armée pour chasser les Anglais des rives du Saint-Laurent.
La situation est tendue parce que tous ne partagent pas ce désir de renverser l’histoire.
Si plusieurs rêvent de buter l’Anglais hors du pays et de redonner toute la place à la France, d’autres collaborent avec le conquérant, font leur place et ont même adopté la langue anglaise. Cette situation entraîne des prises de bec particulièrement violentes lors des rencontres familiales, surtout quand l’alcool échauffe un peu les esprits.

C’est du monde pour qui la Conquête a été une bénédiction. Elle leur a même permis de monter en grade. Ne voulant rien perdre de leurs privilèges, y se sont empressés de s’assimiler et de nouer des liens d’amitié avec ceux qui venaient de nous bombarder, de brûler nos maisons, de violer nos femmes, de tuer nos miliciens, de nous humilier, et qui souhaitaient nous voir disparaître le plus rapidement possible. (p.198)

Plusieurs francophones sont devenus des collaborateurs et se sont faufilés dans la bourgeoisie dirigeante. D’autres ont baissé la tête, se contentant de travailler sur la ferme ou en usine en maugréant. Pierre Chatillon montre bien le déchirement de la population francophone après 1760, la présence des militaires dans les rues de Québec, la langue anglaise qui s’impose dans les services gouvernementaux et les parvenus qui s’installent dans la haute ville en jouant au conquérant. Une scission qui persistera au cours des siècles et qui existe encore de nos jours avec les fédéralistes et les indépendantistes.
On connaît la suite, les soubresauts de l’histoire, le drame que fut la révolte des patriotes en 1837 et le nationalisme qui a pris un tournant politique depuis la Révolution tranquille.

FICTION

Yvon Beaupré incarne ce héros qui veut vivre l’aventure, échapper à la grisaille des jours, plonger dans des moments exaltants et souder peut-être deux aspects du monde qui ne peuvent l’être. Il refuse la vie des sédentaires qui travaillent souvent dans les usines dirigées par de riches propriétaires anglophones ou vivent à la campagne, sur une ferme, de façon traditionnelle. Deux parcours qui s’opposent et tiraillent les jeunes aventuriers qui n’hésitent pas à partir. Les sédentaires, les campagnards surtout, rongeront leur frein en baissant la tête et en laissant aller leur colère lors de certaines rencontres familiales.
Tout le déchirement de la colonie française est là. Le nomade, l’homme libre qui parcourt l’Amérique, s’ensauvage souvent, crée une nation métisse ou le catholique qui reste sous le joug du clergé dans des paroisses bien circonscrites. Des façons de voir qui s’opposent dans la colonie depuis le début et que l’on retrouve encore dans notre littérature.
Yvon Beaupré a besoin d’espace, des horizons lointains qui ne cessent de reculer. Il sera marin de la marine royale de Sa Majesté, combattra même la flotte française de Napoléon ce qui est une trahison pour bien des membres de sa famille. Après des combats féroces et des aventures au loin, il se retrouvera dans les Pays d’en haut pour vivre la vie des coureurs des bois, mettre les pieds dans les empreintes de son père qui a connu la vie à l’indienne, des amours fugaces et qui a abandonné des petits métis dans des tribus avec qui il faisait le commerce. Un côté de sa vie dont il ne parle jamais, bien sûr. La vie sédentaire a triomphé comme elle s’imposera du côté de son fils.
Yvon et son cousin Xavier s’adaptent rapidement à cette nouvelle vie et connaissent une forme de bonheur, de liberté avec des compagnes indiennes. Même que le cousin Xavier choisit de s’ensauvager comme on disait à l’époque et d’échapper à la vie rigide des gens du Québec.

Rien ne leur était plus naturel que de s’aimer nus dans un tel paradis d’harmonie. Yvon avait compris pour la première fois à quel point l’amour n’avait rien en commun avec la morale et les religions. À quel point l’esprit tordu des humains avait tout compliqué, tout souillé avec ses inventions de culpabilité, de péché. Jamais il n’avait connu une telle béatitude ni un tel sentiment de liberté ! (p.147)

DESROSIERS

Ce passage m’a rappelé le roman Les engagés du Grand-Portage de Léo-Paul Desrosiers que j’ai lu au début du secondaire. Les grands espaces, les lacs sans fin, la vie dans des populations indiennes indépendantes, les voyages et les amours libres. Si Léo-Paul Desrosiers reste plutôt discret sur les relations entre les coureurs des bois et les jeunes Indiennes, Chatillon n’hésite pas à décrire ces contacts et ces coutumes qui pouvaient scandaliser les âmes bien pensantes de l’époque, surtout un clergé qui perdait toute son emprise sur ces rebelles qui disparaissaient dans les forêts et remontaient les rivières jusqu’aux grandes plaines de l’Ouest américain et canadien. Ces trappeurs et commerçants s’inventaient une nouvelle vie et découvraient une liberté qu’ils n’avaient pas dans les villages où la cloche de l’église réglait toutes les vies comme un métronome. 
 Yvon rentre à Québec en abandonnant sa compagne Tallulah de la tribu des Folles-Avoines, une vie de liberté et de découvertes, devient officier de la marine canadienne, épouse Louise d’Argenteuil, une jeune bourgeoise, et oublie la jeune femme qu’il a aimée dans les Pays d’en haut et n’aura plus jamais de ses nouvelles. Ils iront s’installer près des Grands Lacs où la vie de marin est plutôt agréable et paisible jusqu’à ce que la guerre éclate avec les Américains. Tout basculera alors et les hommes en sortiront éclopés, blessés et diminués. Ils devront apprendre à devenir des humains, oublier les exploits du héros sans peur et sans reproche. Ils sont marqués au corps et dans leur esprit. La vie ne peut plus être la même et l’aventure bascule peu à peu du côté des souvenirs.

HISTOIRE

Cette page d’histoire illustre parfaitement les tensions qui ont marqué la société québécoise jusqu’à une époque récente. Bien sûr, il est plutôt rare que l’on cherche de ce côté quand on tente de comprendre les comportements des Québécois de maintenant.
Mais comment oublier que le présent ne trouve son sens que dans les racines du passé et que le futur, quel qu’il soit, ne peut advenir que quand toutes les parties se confondent et se lient.
Ce récit reste étonnamment contemporain et d’actualité. Chatillon sait retourner les racines et expliquer les ramifications de la pensée du francophone d’Amérique.
J’ai aimé cette épopée, parce qu’elle nous connecte à nos sources, à un passé dont on ne parle plus, à des héros qui ont risqué leur vie avant de prendre conscience qu’ils ont été utilisés par les conquérants et que jamais ils n’ont été considérés comme des égaux. Tous sont demeurés des citoyens de seconde zone malgré des exploits remarquables et leur vie qu’ils ont sacrifiée.
Pierre Chatillon a fait un travail de mémoire exceptionnel en proposant un roman qui nous réconcilie avec un passé plutôt méconnu, une époque que le gouvernement de Stephen Harper a tenté de remettre à l’ordre du jour récemment sans vraiment comprendre les tenants et les aboutissements de cette guerre avec nos voisins du Sud. Et quel beau prénom pour un héros ! Il était temps qu’un Yvon secoue les cordages de notre histoire et fasse rêver toute une génération peut-être.



L’HOMME AU REGARD DE LION, roman de PIERRE CHATILLON publié aux Éditions FIDES, 2018, 328 pages, 29,95 $.

http://www.editionsfides.com/fr/product/editions-fides/litterature/romans-recits-nouvelles/lhomme-au-regard-de-lion_804.aspx?id_page_parent=14&prevnext=typemodule%3d1017%26globalitemindex%3d61%26aidcategorie%3d1%26sort%3dDateCreationASC

vendredi 14 décembre 2007

Pierre Chatillon et l'amour de la musique

Souvent, les écrivains, en rédigeant un journal ou un carnet, questionnent jusqu’à l’obsession l’acte d’écrire. Comme s’ils avaient du mal à s’abandonner au plaisir du mot et à la jubilation de la phrase. Ils résistent, jonglent avec cette question et donnent souvent l’impression de tourner le dos à une œuvre importante qui jalonne leur parcours.
Je pense à André Major qui, dans «L’esprit vagabond», retourne cette question dans tous les sens, se nourrissant des réflexions des écrivains qui reprennent le même exercice dans leurs journaux.
Pierre Chatillon dans «Île était une fois», un carnet au nom évocateur, oublie les tourments existentiels et assume pleinement le plaisir de l’écriture. Comme s’il faisait de sa vie un conte pour déjouer le temps en explorant l’imaginaire. Il donne le ton dans une courte présentation.
«J’aime le mot île. Tout petit dans la rivière d’une phrase. Avec son i aussi jaune que celui du mot lumière. Son accent circonflexe évoquant la cime d’un sapin. Son l qui s’élance avec l’élégance d’un peuplier. Son l dont la sonorité s’envole comme celle du mot aile. Son e qui le féminise de telle sorte qu’il pourrait devenir un adorable prénom de femme : Île Beaulac, Île Larivière, Île Desruisseaux ou simplement Îlabelle. Et quelle belle histoire que celle qui débuterait par : « Île était une fois…» Je rêve de l’écrire, cette histoire-là.» (p.11)
Nous n’avons plus qu’à nous abandonner au voyage, à courir dans le temps et l’espace.

La musique

Surtout, Pierre Chatillon a une manière exceptionnelle de nous entraîner dans l’univers des musiciens qui l’ont accompagné depuis son adolescence. Mozart, Debussy, Bach, Beethoven, Schumann et Schubert. Il se faufile dans les poèmes symphoniques, une sonate, un lieder, accroche des mots aux portées musicales, fait vivre un mouvement ou une voix. Magnifique! De quoi retourner à nos disques pour redécouvrir «La mer» de Debussy ou «Le Requiem» de Mozart. La musique devient concrète et palpable.
«Dès le début du premier mouvement intitulé De l’aube à midi sur la mer, le salon de ma maison se remplit d’eau salée sans que j’en souffre le moindrement. Au contraire, j’y respire à l’aise et m’y abandonne avec béatitude. Un vers du Bateau ivre de Rimbaud me revient à la mémoire: «Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème/ De la Mer.» C’est exactement ce que j’éprouve. L’eau est d’une grande limpidité. Ma lourde chaise berceuse en merisier laminé y flotte dans un état d’apesanteur, ainsi que le téléviseur, la lampe sur pied et le divan. Les portraits de musiciens, tantôt suspendus au mur, circulent eux aussi comme des poissons.» (p.12)
Bien plus, certains compositeurs viennent cogner à la porte de son chalet du bord du grand fleuve pour partager avec lui des moments précieux. Il suit Beethoven dans la forêt, nous plonge au cœur de la Symphonie pastorale.
«C’est là que, pour la première fois, j’aperçus Beethoven. Il était facile à reconnaître, marchant les mains derrière le dos, soliloquant à voix haute, griffonnant sur un calepin, secouant avec mécontentement son abondante chevelure en broussaille, frappant parfois dans le vide avec son poing. Il était à peine plus âgé que moi. Ayant constaté que sa surdité croissante allait mettre un terme à sa carrière de virtuose, il venait de rédiger le Testament d’Heiligenstadt et d’échapper de peu au suicide.» (p.103)

Toutes les directions

Des nouvelles, ici et là, renvoient à la fiction. Comme si le réel et l’imaginaire étaient les deux facettes d’une même aventure. Le poète se révèle un amoureux de la vie, des femmes, de la nature et de la poésie. Une ode à l’amour même si le temps se fragmente et se fait plus court à mesure que les années filent.
Chatillon ne cesse de réinventer sa vie dans un carnet époustouflant. Une belle communion avec la poésie et la musique, des poètes qui ont cheminé avec lui pendant des années et qui le remuent encore. Rimbaud, Baudelaire et Shelley particulièrement.
Pour qui aime la poésie et la musique, les plages chaudes du Sud, les endroits sauvages, les couchers de soleil, les amours qui retournent l’être et brûlent l’âme.

«Île était une fois» de Pierre Chatillon est paru chez XYZ Éditeur.