XAVIER LAMBERT, jeune père de famille, tombe amoureux d’Évelyne, une avocate magnifique
qui ne laisse personne indifférent dans Télésérie
de Hugo Léger. La jeune femme connaît des aventures tumultueuses avec un
collègue et n’hésite jamais devant une ligne de cocaïne. Elle vit
dangereusement, intensément. Xavier ne peut s’empêcher de penser à cette femme
qui devient une véritable obsession et qui va gâcher sa vie. Il le sait. Le
problème, Évelyne est l’héroïne d’une nouvelle série à la télévision, le succès
dont tout le monde parle.
La télévision est importante dans la vie de la plupart des gens. On
dit que le Québécois passe environ cinq heures par jour devant cet appareil,
sans compter le cellulaire où il envoie des « j’aime » à une liste d’amis qui
ne cesse de s’allonger. Une grande partie de son temps est happé par ces
médias. Comment lire un roman ou un recueil de nouvelles après ça ? Voilà
peut-être l’explication. Les gens lisent de moins en moins parce qu’ils n’ont plus
le temps et quand ils le font, ce doit être rapide, court, facile, digéré et
mastiqué. Ils ont perdu l’habitude de s’installer avec un roman, un essai ou un
recueil de poésie.
Avec la télévision, un écran de plus en plus impressionnant, les
personnages deviennent des amis, des frères et des sœurs. Je me souviens de ma
mère qui vitupérait contre un certain J. R. Je ne connaissais personne dans la
famille qui répondait à ce nom. J’ai compris un jour qu’il s’agissait d’un
personnage d’une série télévisée qu’elle détestait particulièrement.
La télévision est
là, omniprésente, obsédante avec ses vedettes, ses animateurs qui courent
partout ; des téléséries qui attirent tout le monde comme un aimant. Je ne
regarde guère la télévision. Presque jamais. Je me suis laissé tenter l’an
dernier par la reprise de la série Les
belles histoires des pays d’en haut. Ce ne m’était pas arrivé depuis L’Héritage de Victor-Lévy Beaulieu. Peut-être
parce que le téléroman de Claude-Henri Grignon a marqué mon enfance et que nous
suivions les malheurs de Donalda en famille. D’abord à la radio et ensuite à la
télévision. Ma mère vilipendait Séraphin comme s’il s’était agi d’un voisin et
lui promettait des « poignées de bêtises » quand elle le rencontrerait. Bien
sûr, la nouvelle mouture n’a rien à voir avec l’original. Le curé Labelle, incarné
par Antoine Bertrand, aurait scandalisé ma mère.
RÉALITÉ OU FICTION
Est-il possible de
confondre la réalité et la fiction, de se laisser envoûter par un personnage de fiction ?
Elle, maintenant,
s’appelle Évelyne. Je dirais qu’elle a vingt-huit ans, peut-être vingt-neuf. Je
n’ai jamais su son âge exact. Elle aussi vit à Montréal. Elle est procureure. Elle
est brillante. Belle aussi. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi beau. Mais ce
qui la rend unique et la différencie de toutes les femmes que j’ai connues,
c’est qu’Évelyne n’existe pas. En fait, ce n’est pas aussi simple que ça. Je
vais vous expliquer, ce qui ne veut pas dire que vous allez comprendre. (p.13)
Xavier Lambert soigne
les chiens qui ont des problèmes de comportements. En fait, il s’attarde surtout
aux maîtres qui traumatisent leur animal. Ces bêtes de compagnie bouffent sans
arrêt, jappent pour un rien, deviennent agressives ou encore craignent le
moindre bruit. Le spécialiste peut changer tout ça, « déprogrammer » l’animal
en étudiant les comportements du maître.
Il suit religieusement
la série qui met en vedette une avocate douée. Le personnage s’occupe de son
frère autiste et entretient des relations malsaines avec un collègue. Une femme
libre, sensuelle, un personnage joué par une jeune comédienne qui trouve là le
rôle de sa vie. Margot de Brabant devient la vedette, fait le tour des
émissions où l’on ne reçoit que des stars et fait la une de tous les magazines
où l’on raconte la vie des comédiens, révèlent ce qu’ils mangent, s’ils portent
un pyjama pour dormir ou s’ils avalent un café avant leur rôtie de pain brun.
Leur moindre geste devient public et les admirateurs en redemandent. Ces
personnages sont souvent plus présents dans la vie des téléspectateurs que ceux
qui partagent leur quotidien.
AMOUR
Xavier Lambert ne
pense plus qu’à Évelyne. Elle le hante, l’obsède, devient
ami avec elle sur Facebook, lit les journaux à potins. Tout cela sans rien dire
à sa femme Nadine qui est aussi une fidèle de l’émission.
Je savais bien
qu’Évelyne n’existait pas. Qu’elle n’était qu’un personnage de fiction, une créature
imaginée pour nourrir les fantasmes d’un troupeau de téléspectateurs. Cela dit,
je ne pouvais m’empêcher de penser à elle ; ce n’était pas interdit par la loi,
c’était plus fort que moi, elle correspondait à mon idéal féminin. Je ne la
connaissais que depuis deux heures, mais je la savais libre, indépendante,
éprise de justice, menant sa vie comme on conduit une Ferrari, vite. Et ses
yeux, doux et perçants à la fois… J’avais l’impression qu’elle me regardait.
Pas une autre blonde lambda au regard d’azur ; non, une brune intense,
volcanique. Atypique. Aux formes spectaculaires. Aux cheveux subtilement
ondulés. Elle était tellement différente de la femme qui partageait ma vie,
tellement particulière. Spéciale. (p.46)
Un appel et Xavier
se retrouve dans l’appartement de la comédienne. Son chien a des problèmes de
solitude ou quelque chose du genre. Qui va-t-il soigner ? La pauvre bête ou sa
dépendance envers le personnage d’Évelyne ? Xavier ne peut résister à la belle
Margot qui se révèle instable et imprévisible.
Ce sera la
catastrophe bien sûr. Nadine, son épouse, se rend compte que « celui qui sait
parler aux chiens » a une maîtresse. La vie avec Margot est tout aussi
impossible. Tout bascule quand il apprend qu’il va devenir un personnage de la
télésérie.
J’avais le
tournis. La mise en abyme était vertigineuse. J’aimais un personnage de
télésérie, joué par une comédienne, bien réelle qui avait fait de moi un
personnage de fiction dans la télésérie où elle jouait la femme que j’aimais.
Ce ne pouvait pas être une coïncidence. Margot avait parlé de moi aux auteurs.
Elle leur avait raconté ma vie.
Je me suis senti trahi.
Manipulé. On avait usurpé mon identité. (p.238)
Xavier se retrouve
seul avec un chien drogué. Les deux doivent se désintoxiquer. Le spécialiste pourrait
se recycler en s’occupant des spectateurs qui mélangent le réel et la fiction,
ne savent plus démêler le vrai du faux.
DÉPENDANCE
Hugo Léger aborde
un problème dont on ne parle jamais ou si peu. Toutes les astuces que l’on
développe pour rendre les téléspectateurs dépendants à certaines émissions. Et
que dire des adeptes des médias sociaux qui ne peuvent faire un pas sans regarder
ce petit écran, placer des selfies au
point d’en oublier la réalité. Je pense à la clôture des Jeux olympiques de Rio
où les athlètes ont défilé, cellulaire à la main, multipliant les autoportraits
et regardant l’événement à l’écran au lieu d’être présent, là, tout à la fête. Ils
s’accrochaient à cette petite fenêtre qui les propulsait hors du moment,
devenant des spectateurs de leur vie.
Un roman
intéressant par les problèmes qu’il soulève, un texte surprenant et plein
d’humour. Et que de rebondissements ! Je ne sais pas s’il existe des groupes,
comme ceux qui s’occupent des alcooliques, pour sevrer les gens de la
télévision et des médias sociaux. Il faudra y arriver un jour et le tsunami des
Pokémons n’est pas là pour arranger les choses. Cellulaire au volant, dans les
salles de spectacles, dans la chambre à coucher, il semble que cet appareil
soit maintenant une excroissance du corps humain. Pas étonnant que la fiction se
faufile dans nos vies. Bon ! J’arrête pour soigner ma terrible dépendance aux livres
québécois et à la littérature.
TÉLÉSÉRIE de Hugo Léger est paru chez XYZ ÉDITEUR, 254 pages, 24,95 $.
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117
Nord de
VIRGINIE BLANCHETTE DOUCET paru chez BORÉAL Éditeur.