vendredi 18 mai 2018

ROBERT LÉVESQUE EST UN CURIEUX

ROBERT LÉVESQUE continue son travail infatigable dans Décadrages où il explore cette fois les coulisses du cinéma. Dans Déraillements, il s’attardait aux trains, à certains événements qui ont marqué l’histoire grâce à ce moyen de transport. Il l’a fait aussi avec ses lectures dans La vie livresque et maintenant, voilà qu'il s’attarde aux films qu’il a visionnés dès son adolescence, une passion qu’il n’a cessé d’entretenir jusqu’à maintenant. Les grands classiques du cinéma français, italien, américain et du monde, avec quelques arrêts du côté du Québec. Comment pourrait-il en être autrement ? Robert Lévesque étonne et surprend souvent.

Je m’aventure dans une salle obscure avec toujours un peu de réticence. Je n’aime pas les gens autour de moi, les odeurs de pop corn qui ne manquent jamais quand ce ne sont pas les murmures. Je m’y risque pour voir les productions récentes du cinéma québécois où il n’y a, malheureusement, jamais foule. Ma dernière sortie était pour La Bolduc de François Bouvier que j’ai aimé. Un film honnête, bien mené. Avant, c’était pour Pieds nus dans l’aube de Francis Leclerc qui raconte un moment dans la vie de son père Félix, l’année où il doit quitter sa famille et son village, devenir pensionnaire pour poursuivre des études. Un monde qui ne le quittera jamais et qu’il ne cessera de fréquenter par ses écrits et ses chansons. Cela m’intéressait peut-être parce que j’ai lu le livre de Félix Leclerc alors que j’avais quinze ou seize ans. J’ai réussi, pendant les deux années où j’ai fréquenté l’école de monsieur Baillargeon, à lire le contenu de la petite bibliothèque qui devait comprendre une centaine de titres. J’ai découvert alors à peu près tout ce que Fides publiait dans la belle collection Nénuphar. Je garde des souvenirs particuliers d’Adagio, Allegro et Adante de Félix Leclerc, des Engagés du Grand Portage de Léo-Paul Desrosiers. Ce livre m’a longtemps fait rêver. Et que dire de La minuit de Félix-Antoine Savard ?
Pieds nus dans l’aube m’a rappelé mon enfance, les chevaux et les oncles faiseurs d’histoires. J’avais déjà à cette époque, la plupart du temps, le nez dans un livre au grand dam de ma mère qui me trouvait ennuyeux comme un jour de carême. Oui, je pouvais passer des journées entières à lire quand une histoire me fascinait. J’amorçais une vie de lectures et de découvertes qui n'ont jamais cessé de m’étonner et de m’enchanter. Il y a eu aussi C’est le cœur qui meurt en dernier d’Alexis Durand-Brault pour savoir ce que l’on a fait du très beau roman de Robert Lalonde. Je ne parlerai pas de Hochelaga de François Girard qui m’a laissé avec l’impression que ce film est inachevé. Comme si le réalisateur avait manqué de temps. Et il y a des raccourcis historiques dans ce film qui s’expliquent mal.

RÉPERTOIRE

Tout comme Robert Lévesque, j’ai vu ici et là les films de François Truffaut, Roberto Rossellini, Ingmar Bergman, Wim Wenders et même Alain Tanner. Tout compte fait, j’ai vu pas mal de films même si je ne me considère pas comme un connaisseur. Mon regard se tourne vers la littérature, surtout celle qui se fait au Québec. Tout le contraire de Robert Lévesque qui donne l’impression souvent de vivre en France tellement ses sujets de prédilection sont là-bas. Et tout comme Lévesque, j’adore Buster Keaton. Contrairement à lui cependant, j’ai perdu le goût de suivre Woody Allen. Je n’arrive plus à écouter ce bavard impénitent qui avale les mots sans jamais reprendre son souffle. En fait, je suis incapable de visionner un film où les personnages parlent sans arrêt. Tout comme je fais une indigestion de ces productions américaines où l’on joue à massacrer les gens avec une frénésie et une obsession maladive. On comprend pourquoi notre époque est si violente quand une partie des films que l’on présente un peu partout sont des tueries et des massacres. Combien de victimes fait Rambo dans un film ? Je me suis lassé de compter après 125 assassinats.

TEXTES

Dans de courts textes, Robert Lévesque, souvent des chroniques qu’il a écrites pour les Cahiers du cinéma (des textes rédigés pour le site web de la revue 24 images entièrement revus) ou encore pour un journal, nous entraîne dans les coulisses des films qu’il a vus, s’attarde à la démarche des cinéastes, leurs préoccupations, des rencontres marquantes ou encore des amours. Bien sûr, il a pris le temps de remanier ses textes pour les mettre à jour.

Ce film sur un écrivain qui va mourir, sur le monde qu’il voit courir à sa perte, est sous-estimé, c’est le dernier grand film de Resnais, celui de la grâce lumineuse et crépusculaire, réalisé avant que, passées ses réalisations entrées dans l’histoire (de 1958 à 1977), il se disperse dans le divertissement et quasiment le boulevard, qu’il fasse la guinche dans les bras des scénaristes-acteurs Jaoui et Bacri… ; on fume, on ne fume pas, on n’embrasse pas sur la bouche, on veut renter à la maison, toutes choses filmées sans souci où tout ce qu’il y a à comprendre, c’est que la comédie ne lui va pas ! (p.38)

Des comédiens fascinants, des comédiennes qui ont marqué leur époque et le cinéma. Ava Gardner et Bette Davis sont de celles-là, des hommes aussi, des scénaristes, enfin un peu tous ceux qui s’agitent autour de la machine spectaculaire qui se déploie autour d’un film ou d’une boîte de production. Un monde qui demeure fascinant et étrange avec ses personnages excessifs qui connaissent souvent la déchéance. Je pense à William Faulkner qui a travaillé comme scénariste pendant des années et qui buvait sans reprendre son souffle.
Robert Lévesque nous montre le côté humain des chefs-d’œuvre qui ont marqué leur époque. Des rencontres improbables comme Luis Buñuel et Salvador Dali, des comédiens qui s’aventurent dans la fiction comme dans la vie avec une aisance étonnante. Le chroniqueur fait preuve d’une curiosité insatiable et nous fait voir des films marquants d’un autre angle. Un original qui veut tout savoir du pourquoi et du comment d’un film. Ça nous donne souvent des faits cocasses et étonnants, des éléments biographiques qui permettent de comprendre les idées et l’entreprise d’un réalisateur.

Mizoguchi est né en 1898 dans le quartier le plus pauvre de Tokyo, Asakura, où son père, charpentier jeté au chômage par la crise économique de 1904, était d’une grande violence, battant sa femme, forçant sa sœur à devenir geisha ; Kenji n’eut pas d’enfance, mais il possédait un réel talent pour faire de la peinture sur tissus. À vingt-deux ans, il entra au studio Nikatsu comme acteur, il allait devenir en trois décennies le plus grand cinéaste du Japon, un des maîtres du septième art, sensible au sort des femmes, qu’elles soient impératrices ou prostituées. (pp. 120-121)

Lévesque circule ainsi dans le temps pour saisir des œuvres importantes, s’attardant à toutes les productions qui ont retenu l’attention et qui peuvent encore fasciner les spectateurs. Il ne rate jamais une occasion non plus de passer ses messages et d’égratigner certaines personnes.

Tous les pro-charte duo Marois-Drainville, ceux qui la défendent encore tout en déplorant le triste-épisode-de-la-charte-des-valeurs, les empressés des valeurs québécoises pensais-je alors que j’étais seul dans ma rangée, auraient dû être ici pour entendre cet antique propos élevé et généreux, universaliste et idéal. (p.94)

CURIOSITÉ

J’aime quand il s’attarde à ces films qui n’ont jamais été projetés sur grand écran pour toutes sortes de raisons nébuleuses. Un phénomène plutôt étrange quand on sait les sommes considérables qui sont mobilisées autour d’un tournage. Ou encore des projets de grands cinéastes qui sont demeurés à l’état d’ébauche. Tout s’explique. Le temps, l’argent, un projet trop ambitieux qui demandait des fonds considérables ou encore la maladie. De quoi faire rêver l’amateur de cinéma qu’est Robert Lévesque. Tout comme je rêve parfois à cette biographie que Gabrielle Roy n’a pu terminer, tout comme Gabriel Garcia Marquez qui s’est arrêté dans l’écriture de ses mémoires au moment où Cent ans de solitude devenait enfin un livre.
Des textes qui vont passionner ceux qui ne ratent jamais un film et qui squattaient certaines salles à l’époque où le Festival des films du Monde de Montréal était un événement.
J’ai aimé suivre Robert Lévesque dans les dédales de ce monde un peu étrange, le jeune homme qui se passionnait pour cet art et les vedettes quand il vivait à Rimouski et qui se précipitait quand le cinéma affichait une nouveauté. Je garde un bon souvenir de mes premières expériences au cinéma même si j’ai oublié les films qui étaient à l'affiche. Je me souviens d’avoir vu West Side Story de Jerome Robbins et Robert Wise à Saint-Félicien. Nous étions deux dans la salle.
J’aime particulièrement quand Robert Lévesque s’aventure du côté des écrivains qui ont flirté avec le cinéma. Je pense à Bernanos et Louis-Ferdinand Céline.

Ce qu’il y a de particulier avec l’improbable duo que je convoque, c’est que le chrétien romancier — qui, nuance, n’était pas un romancier chrétien — fut l’un des rares à saluer le génie de cet énergumène qu’était Louis-Ferdinand Céline lorsque celui-ci, qui n’était pas du bâtiment, lança son « ours », fantasque écriture que les bien-pensants reçurent comme un crachat langagier, blasphématoire, un pavé argotique dévergondant la langue française. (pp.218-219)

Le chroniqueur possède l’art de raconter et c’est pourquoi je le suis volontiers dans les coulisses du cinéma et des grandes œuvres de cette expression qui semble en mutation avec l’arrivée d’Internet et de tous les réseaux de diffusion. Un curieux que ce Lévesque, un fouineur qui s’aventure partout où l’humain tente de s’inventer un monde par l'exploration et l’imaginaire. Que ce soit avec les images ou les mots, Robert Lévesque ne cesse de satisfaire sa curiosité et c’est une belle idée que celle de reprendre ces textes qui gardent toute leur actualité et leur pertinence.


DÉCADRAGES de ROBERT LÉVESQUE est une publication des ÉDITIONS DU BORÉAL.