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mardi 14 août 2007

Marguerite Duras continue de fasciner

Dix ans après la mort de Marguerite Duras, survenue le 3 mars 1996, des lecteurs, des amis du Québec et de la France, se souviennent.
Ils sont quinze femmes et dix hommes à jouer le jeu et à écrire une lettre à Marguerite Duras. Certains l’ont côtoyée ou croisée. Un moment qui s’oublie difficilement. D’autres ont fréquenté ses œuvres et ce fut tout aussi marquant.
Le lecteur n’apprendra rien de nouveau après les biographies et les textes qui ont à peu près tout dit des idées et de la façon d’être de Duras, cette écrivaine qui donnait tout à l’écriture et au texte. Une femme entière dans ses exigences, arrivant mal à séparer sa vie de son oeuvre. Pas étonnant que les hommes et les femmes qui l’ont approchée aient été marqués. Yann Andréas, son dernier «disciple», aura eu besoin de dix ans avant de redevenir un vivant à peu près autonome après avoir été subjugué par l’auteure de «L’Amant».

Fascination

Tous ces textes illustrent la fascination que l’écrivaine exerce encore. Elle reste vivante pour ceux qui l’ont entrevue telle une météorite dans la nuit ou été happés par son univers.
La voix de Duras, sa musique particulière, ce chant envoûtant porte peut-être aux confidences et à l’aveu. Duras, c’est le murmure, la petite musique, la voix qui souffle à l’oreille et effleure l’être. Peu d’écrivains peuvent se targuer de marquer les lecteurs de cette façon.
«Et comme pour beaucoup, parler de Marguerite Duras c’est parler de soi, de sa relation – forcément intense - avec elle. J’ai parlé de moi et je m’excuse si je vous ai ennuyée.» (p.51)
André Roy ne peut que le constater dans sa missive.

Magie

Certains semblent incapables de prendre leur distance. Danielle Laurin, par exemple, lui a consacré un livre dont je parlais dans le dernier numéro de «Lettres québécoises».
«Même si vous êtes morte et enterrée depuis dix ans, c’est plus fort que moi, j’ai besoin de vous savoir là. Même disparue, vous êtes encore là pour moi. Ça aussi, je vous l’ai déjà dit. Je crois bien vous avoir tout dit dans la longue lettre que je vous ai écrite il n’y a pas longtemps.» (p.121)
Duras, qu’elle a lue à dix-neuf ans, a donné un ton à son écriture. Comme si elle avait appris la respiration de son modèle et sa distanciation aussi.
«Lettres à Marguerite Duras» est une belle manière de rendre hommage à cette grande dame du cinéma et de la littérature. On se souvient et l’on se souviendra dans vingt ans. Il en est ainsi quand on effleure un mythe.

«Lettres à Marguerite Duras» de Danielle Laurin est paru aux Éditions Varia.

vendredi 13 avril 2007

Pour se défaire du modèle et de l’obsession

Ceux et celles qui rêvent d’écrire se heurtent souvent à un écrivain qui les bouleverse et les subjugue. Cet auteur devient un modèle, pire, une obsession.
Habituellement, le tout passe par une lecture boulimique des œuvres de l’idole. Au pire, on s’y attarde, y revient pour apprendre des extraits de mémoire. Et, si l’écrivain est toujours vivant, on tentera de le croiser lors d’un événement public.
Victor-Lévy Beaulieu a rôdé autour de James Joyce  pendant toute sa vie et cela a donné l’ouvrage bouleversant qu’est «James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots».
Danielle Laurin a découvert Marguerite Duras à dix-neuf ans. Ce fut l’éblouissement. «Un livre fait pour moi, qui me dit moi.» «Le ravissement de Lol. V. Stein» la heurte de plein fouet, comme si un autobus l’avait renversée, rue Saint-Denis, à Montréal.

Passion

Madame Laurin lira tout de Duras, visionnera ses films et arrivera à les connaître image par image, réplique par réplique presque. Marguerite l’obsède et elle cherche par tous les moyens à «entrer» dans sa vie. Elle écrit des lettres sans jamais recevoir de réponse. Duras ignore les missives fort nombreuses de ses admirateurs. Danielle Laurin se rend à Paris pour la rencontrer. La Duras ne reçoit pas. Elle lui parlera au téléphone à quelques reprises tout au plus, même si elle assiège sa résidence. Elle rencontrera son fils, plus ou moins brouillé avec une mère pas comme les autres, Yann Andréa et François Mitterrand. Des manœuvres pour cerner son idole, mieux la comprendre et l’aimer.
Le lecteur, qui a lu la biographie de Laure Adler ou d’Alain Virconcelet, n’apprendra pas de faits nouveaux sur Marguerite Duras. Ce qui importe dans «Duras, l’impossible», c’est ce magnétisme que l’auteure de «L’amant» exerçait sur ses admirateurs. Elle les envoûtait et les retournait corps et âme. Ils étaient des possédés qui vivaient et pensaient comme elle. Yann Andréa et Alain Virconcelet en témoignent. Andréa y a laissé sa vie et sa pensée presque. Danielle Laurin ira jusqu’à arpenter les lieux de «L’amant» au Vietnam pour entendre le souffle et les rires de la jeune Marguerite.

Envoûtement

Madame Laurin se confie à son idole, questionne, raconte sa vie à la manière de l’auteure d’«Un barrage contre le Pacifique» dans «Duras, l’impossible». Un murmure, un souffle pour se libérer de l’envoûtement. Pourtant, l’entreprise s’avère quasi impossible. On n’échappe pas à Marguerite Duras.
«Il est temps pour moi d’en finir avec vous. C’est ce que je voulais vous dire. Impossible, pourtant. Je vous porte en moi, vous êtes encore là. Toujours vivante, pour moi aussi. On y revient toujours à Duras, oui… Ça peut sembler étrange, mais je n’ai pas du tout l’impression d’écrire à une morte. Je voulais que vous le sachiez.» (p.96)
Danielle Laurin se livre avec une franchise totale et ne néglige aucun coin obscur dans ces récits denses, cette confession qui prend le ton d’une suite de lettres à Marguerite. C’est peut-être le miracle Duras qu’elle effleure, cette force mystérieuse qui la pousse à écrire l’inavouable et à plonger dans une forme d’exorcisme.

«Duras, l’impossible» de Danielle Laurin est paru aux Éditions Varia.

lundi 15 décembre 2003

Olga Boutenko est une conteuse née

Olga Boutenko a fait une entrée remarquée en littérature au Québec avec la publication de deux recueils de nouvelles. «On n’en meurt pas», paru en 1985 et «Aélita» en 1992. Elle récidive avec «Moscou-Québec«, trois récits un peu disparates et inégaux.
Le premier texte nous présente l’écrivaine au moment où elle quitte l’URSS. Avec son fils, elle débarque à Vienne, une ville qui devient une fenêtre sur l’autre monde.
«Cette troisième vague nous avait emportés, nous aussi, à un moment où, comme un fait exprès, j’avais accumulé tant de déceptions que l’attente avait perdu tout son sens ; la vie, toute saveur ; le bonheur tout espoir. Et elle nous avait précipités dans la réalité incroyable de l’aéroport de Vienne inondé de soleil.»  (p.7)
Le rêve et l’émerveillement. C’est ce qui fait la beauté du récit intitulé  «Deux sœurs» qui n’est pas sans évoquer Tchekhov. Par les yeux d’Olga Boutenko, j’ai vu une société que je ne sais plus voir tellement elle m’est familière. J’imagine que nous aurions la même surprise en plongeant dans les rues d’une dictature où les gestes et les pensées sont gardés à vue. Boutenko et son fils surveillent les visages, les regards et les sourires.
«Calmement, sans se rendre compte de leurs privilèges, ils se promenaient le dimanche dans les rues – les robes de bain de soleil dévoilant des épaules nues qui n’avaient pas à se protéger -, le long des vitrines qui nous charmaient par la beauté de leurs marchandises. Ils étaient entourés d’une auréole de bonheur et de sérénité et, se rappelant la triste expérience d’Adam et Ève, ils ne faisaient pas attention à nous, évitant le moindre contact, la moindre relation, afin de ne pas refaire la même erreur que nos ancêtres. On aurait dit que nous étions pour eux des êtres invisibles…» (p.10-11)
«Non, le plus étonnant et le plus beau, c’étaient les visages. Les visages des gens du monde libre…» ( p.57)

Hilda et Paula

Il y a Hilda et Paula, deux vieilles dames qui ont quitté leur pays il y a longtemps et qui aident en s’attendrissant sur une vie d’amour et de départs. Des pages de tendresse et de chaleur humaine.
Et puis nous sommes au Québec. Pourquoi? Pourquoi ce bond dans l’espace et le temps? Je m’attendais à vivre l’arrivée en terre d’Amérique. Nous sommes cinq ans, dix ans plus tard, on ne sait trop. Pourtant Olga Boutenko s’installait au Québec en 1978. Il y avait un parti politique au pouvoir qui prônait l’indépendance, le Québec se dirigeait vers un référendum. Déception? Peur, crainte? Elle n’en dit rien.
Nous sommes poussés dans une histoire peu convaincante et mal fignolée. Cafard, peine d’amour, mal du pays? Il y a peut-être des exils inévitables à l’intérieur d’une vie mais... Le texte s’étire et se répète.
Heureusement, «En visite officielle» raccroche le lecteur sur le point d’abandonner. Des Russes, des compatriotes visitent le Québec. Quelques jours en compagnie d’un ministre conscient de son rôle, un forestier sympathique qui ne sait trop pourquoi il est là et un jeune cadre ambitieux. Olga Boutenko les côtoie comme interprète, le temps de la «visite».

Confrontation

Alors les deux vies d’Olga Boutenko se heurtent, se toisent et s’évaluent. Comme si la femme qui a fui son pays se retrouvait devant celle qu’elle aurait pu être en demeurant là-bas. Une vie possible et une vie réelle. Un récit bien mené et précis, une réconciliation entre le soi qu’elle a abandonné et l’autre qu’elle s’est forgé en vivant au Québec. Il lui fallait cette rencontre pour trouver un sens à sa vie.
Olga Boutenko est une écrivaine attentive et sensible. Surtout, elle a un formidable pouvoir d’évocation et reste une conteuse née. Pourtant, il aurait fallu retravailler ce livre, faire un meilleur choix des textes et soigner un peu plus la traduction. Un livre intéressant mais qui aurait gagné en force sans le passage à vide du second récit.

«Moscou-Québec» d’Olga Boutenko est paru aux Éditions Varia.

vendredi 12 décembre 2003

Yves Potvin et les rêves qui fument

Yves Potvin évite la réalité à sa manière. Pourquoi ne pas s’adonner au haschich volontairement, dans une ascèse ou une démarche initiatique qui vous fait vous aventurer dans une autre réalité. L’expérience peut s’avérer intéressante, du moins originale. 
Potvin présente treize histoires dans «Les contes du haschisch». Je ne crois pas que l’on puisse qualifier ces écrits de contes. Parlons d’histoires qui découlent de la consommation de cette substance qui a si mauvaise réputation dans notre société.
«Savais-tu que le haschich illumine l’âme sans causer d’accoutumance comme le ferait la cigarette ou l’alcool? On y revient par conviction, non par esclavage. Le fumeur tente de retrouver un état d’esprit, une façon particulière de voir le monde. Il cherche, et croit trouver, des réponses satisfaisantes aux grandes questions philosophiques.» (p.12)
Bon! Le fumeur de haschich dans l’esprit de Potvin est une sorte d’initié, de «plus que conscient» qui sait le monde et ses réalités comme personne d’autre. Le pauvre buveur de bière ou de vin, celui qui pour le plus grand des malheurs ne s’adonne pas au haschich, reste un être incapable d’élévation et de compréhension du monde.
L’entreprise pourrait être intéressante mais à la condition d’éviter les clichés et les banalités. Yves Potvin s’empêtre dès les premières lignes et déçoit rapidement.
«Je vous fais grâce du libellé exact du refrain que chantaient une grosse truie, une blonde maigrelette, un homme plus âgé, un barbu et un genre de bellâtre qui était là pour ramasser de la chair fraîche. Entre le bellâtre et moi, l’hostilité fut immédiate. Chacun se disait la même chose: «Que l’autre ramasse donc la maigrelette, ou encore la truie, mais qu’il me laisse l’amie Judith.» (p.59)

Au ras du sol

Humour? Mauvais goût plutôt. Là où il devrait s’élever, Potvin rampe, là où il devrait méditer et passer à un degré supérieur de la connaissance, il ne sait qu’ânonner des sarcasmes. C’est ce ton familier, ce tutoiement énervant «ami lecteur et douce amie lectrice» qui agace rapidement. Nous suivons plutôt mal cet impénitent qui ne recule jamais devant les volutes du haschich sans pour autant nous «faire voir» les pays qu’il traverse et explore. Il est tout de même allé en Afghanistan avant la guerre. Fumer du haschich ou s’adonner à l’opium, du moins dans la version potvienne, ferme plus l’esprit qu’elle ne l’ouvre à la réalité. Ce qui devrait être «conscience» devient «enfermement» sur soi. Nous suivons péniblement le radotage d’un impénitent qui ressasse sans cesse ses «exploits».
«Je le devinais. Le haschich m’aidait à ressentir les fantasmes de Neurath. Là, dans une salle remplie de curieux, Neurath et moi formions les deux seules personnes lucides de l’assemblée. Lui, psychiatre surdiplômé ; moi, neché au point de ressentir les effets d’une constante cristallisation de molécules de THC dans le cerveau.» (p.125)
Des histoires qui grincent aux virgules et s’éparpillent. Une écriture mal ramassée et claudicante. Peut-être que j’aurais dû m’adonner aux volutes du One Year avant de plonger dans la prose d’Yves Potvin pour en apprécier toutes les subtilités mais le devoir de lecture a ses limites. Non, les vapeurs du haschich ne font pas un écrivain.

«Les Contes du haschisch» d’Yves Potvin est paru aux Éditions Varia.

mardi 14 août 2001

Le retour du «je» de Claude Péloquin

Claude Péloquin reprend dans «Une plongée dans mon essentiel» un texte paru en 1985 chez Guernica. Les Éditions Varia ont cru bon rééditer l'ouvrage et d'y ajouter quelques inédits. Péloquin tentait dans ce récit autobiographique de cerner ce qui le faisait courir un peu partout en ameutant les foules. Il livrait son art poétique ou sa vision de l'écriture.
Péloquin a choisi un cheminement proche de celui de Kérouac ou de Burroughs. Ces excessifs cherchaient la «sagesse» en se livrant à tous les excès et à tous les dérèglements. Péloquin a bu, couru, baisé tout ce qui portait jupon. Du moins c'est ce qu'il affirme avec une insistance un peu suspecte. Mégalomane, provocateur, ridicule ou flirtant avec la sainteté, il tire sur tout ce qui bouge, gifle et harangue ses contemporains.
Kérouac transformé en loque humaine à peine capable de balbutier devant les caméras décédait très jeune. Serge Gainsbourg a donné aussi cette représentation lamentable dans les dernières années de sa vie. Péloquin a eu la sagesse de se retirer à Eleuthera, une île des Bahamas, pour se refaire une santé. Parce que, peu importe les facéties du «pourfendeur de la mort», la vie demeure fragile et tributaire du temps. On n'abuse pas d'elle sans en payer le prix.
Son écriture témoigne aussi de ces excès parce que Péloquin emprunte toutes les directions, donne un texte qui tient à la fois de la réflexion philosophique, de l'autobiographie, du témoignage, du questionnement ontologique et de la méditation mystique. Pourtant la réflexion tourne souvent aux formules, aux bravades et aux images qui sonnent comme des slogans publicitaires. Jouant les grands initiés, il effleure la réflexion et n'affronte jamais la pensée.

Angoisse

Péloquin livre surtout son angoisse de vivant confronté à la mort. Il y a bien ici et là des éclats qui vous arrêtent mais peut-il en être autrement quand on écrit comme un Rambo qui fonce dans un centre commercial en visant tout ce qui bouge.
«Au Canada français depuis 1963- on a tenté de saboter mon oeuvre en disant que j'étais farfelu / fou / drogué et anti-national. J'ai donc conclu que j'étais effectivement international et visionnaire. Quelques rares esprits ont cependant vu clair - je les en remercie. C'est cette belle certitude que nous nous en allons tous allègrement dans la tombe qui m'a fait consacrer toute ma vie à ouvrir le possible par l'écriture.» (p.69)
Ces textes révèlent surtout un ego démesuré. Le «je» de Péloquin, capable d'avaler la terre, hante toutes les phrases et n'arrête jamais de chanter sa propre gloire. Passons sur les outrances, le sexisme et les mastications mystiques; oublions ce ton suffisant et prétentieux. Péloquin restera un provocateur qui a su particulièrement bien utiliser les médias. Ses textes touffus, bâclés, deviennent vite redondants. Et même s'il a cru bon s'entourer de commentateurs qui font sa louange, «l'essentiel» de Péloquin demeure un texte mineur après quinze ans.

«Une plongée dans mon essentiel» suivi de «Les décavernés» de Claude Péloquin est paru aux Éditions Varia.