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lundi 4 juin 2012

Pauline Harvey se penche sur le monde de l’enfance


J’ai failli abandonner «L’enfance d’un lac» de Pauline Harvey après une vingtaine de pages. Peut-être que j’attendais l’éblouissement, comme ce fut souvent le cas quand je me suis penché sur un livre de cette écrivaine mythique. «Un homme est un valse», paru en 1993, demeure un envoûtement.

Une nouveauté de Pauline Harvey s’avère aussi un événement. Surtout qu’elle n’a pas publié depuis 1996, une éternité.
J’ai pris un certain temps à cerner cette narratrice qui a du vécu et la petite fille qui découvre l’amitié et la lecture. Par cette écriture qui va et vient comme une vague qui ébranle, bouscule et repousse.
«Plus je vieillis, plus je suis un arbre. L’hiver m’a dépouillée, maintenant j’attends tout de la neige. Savez-vous, vous autres humains, comment l’hiver nous embrasse encore? À l’entrecroisement de mes branches, voyez la neige me faire un petit vagin mousseux. Ma poésie est un peu ancienne, car je dois traverser des temps différents, j’ai vu tant d’âges et je sais que je dois conter l’histoire de quelques petites filles, leur joie et leur détresse. Je les ai vues se poser comme des oiseaux sur mes branches. Laissez-moi parler comme un grand orme qui aurait conservé le sens de la vie dans sa sève.» (p.13)
Le texte plonge souvent dans une allégorie un peu difficile à cerner, oscillant entre l’action et la méditation.

Enfance

La fillette découvre les livres, l’amitié et aussi l’univers des grands. Avec toujours cette voix qui vous garde dans un temps indéterminé. Parfois c’est la petite fille, parfois une femme qui semble avoir tout expérimenté qui prend la place.
L’histoire aussi de deux familles qui sont le miroir l’une de l’autre. Pauline Harvey aime les contrastes, les oppositions qui donnent une forte tension à son écriture.
Cette petite fille qui lisait trop, cela aurait pu être le titre, éventre des secrets tout en ayant recours aux philosophes et aux poètes. Le texte prend alors une densité étonnante.
Et j’ai été emporté par la vague, ce ressac où l’amitié, les lectures et les confidences avec la mère et une tante, la mère d’Ethel, sa meilleure amie, se mélangent. Il y a aussi Lenny, la grande sœur qui écrit des histoires, sa petite sœur Anne qui ne supporte pas que l’on chante en sa présence. Une famille un peu folle mais incroyablement sympathique.
«Je continuais à lire comme une hystérique, mais je lui disais que je voulais devenir médecin, comme son père, ce qui était vrai. Je ne lui aurais jamais parlé de mon désir d’écrire, que je savais le laisser aussi indifférent que si je ne l’avais pas eu. De même, la psychologie, l’analyse, la métaphysique demeuraient lettre morte pour lui.» (p.31)

Drame

Le monde politique a des effets étonnants sur la jeune fille. Les parents votent pour Jean Lesage, s’opposant au reste de la famille qui penchait du côté de l’Union nationale. Des ruptures s’imposent et la perte de sa meilleure amie peut-être.
«Il l’a fait sans colère, me fournissant avec ma propre logique cet argument irréfutable. «Les conservateurs avec les conservateurs et les libéraux avec les libéraux. Cette phrase était sans doute destinée à mes parents, à qui je la répèterais, mais elle me haussait aussi au rang d’un libéral.» (p.105)
Voilà comment des murs se dressent.
La petite fille qui lisait trop deviendra écrivaine, fascinée par sa mère, une beauté qui faisait tourner les têtes. Elle verra sa sœur Lenny internée pour schizophrénie, avalée peut-être par les histoires qu’elle n’a cessé de bousculer depuis qu’elle fréquente les mots.
Un roman exigeant, tout en opposition, en contrastes, oscillant entre l’amour et la haine, la colère et la raison.
Pauline Harvey est fascinée par les livres, la réflexion et la philosophie, tout ce qui donne du poids à l’existence. Un ouvrage surprenant, comme tout ce que touche Pauline Harvey. Une excursion dans l’enfance sans se perdre dans l’anecdotique et la futilité, une réflexion sur la création et l’écriture qui plonge dans les racines de l’être. Un roman un peu insolite et fascinant quand on prend la peine de l’apprivoiser.

«L’enfance d’un lac» de Pauline Harvey est paru aux Éditions Les Herbes Rouges.

dimanche 12 décembre 1999

La vie ne serait-elle qu’une terrible fuite?

Une femme, près de son amant alité, plonge en soi et nous dévoile son enfer. L'ennemi la traque du plus loin qu'elle se souvienne, un ennemi qui était là avant et qui s’imposera après. Une introspection qui nous ramène à l'enfance, à ce jeu de cache-cache qu’est devenu la vie. Les poursuites et les cachettes qu'aiment tant les petits garçons et les petites filles ne prendront jamais fin. Le récit de Carole Massé tourne rapidement à l'obsession.
La vie de la narratrice est faite de fuites et de poursuites, de larmes et d'étouffements, de peur et de colère. Rien n'est dit, rien n'est formulé. Qui est l'ennemi? Parfois, on pourrait croire qu'il s'agit d'un homme. Je crois qu’il est surtout la mort qui colle à ceux et celles qui font le métier de vivre. Ce peut-être la nuit qui s'amuse avec des enfants, la lumière au coin d'une fenêtre qui fait osciller un rideau. Qu'importe les étourdissements et les ivresses, l'ennemi est là. Il y a bien l'amour mais la mort est installée et progresse avec chaque battement du coeur.
Avec la narratrice, nous sommes cloués dans une chambre, le souffle court, la sueur au front. L'ennemi vient, il tourne le bouton de la porte. Nous sommes prisonniers d'une toile d'araignée.
«On ne perd pas son âme, son souffle ou son esprit en mourant, on perd son sang. Tout sang répandu, ne fût-ce que de quelques gouttes, nous marque du sceau de la perte : exister, dépossédé de la mer originelle qui nous baigne.» (p.42)
Tant qu'il y a la vie, il y a la mort. L'Ennemi, est-ce la vie ou la mort? On peut choisir, à chacun de formuler sa réponse. Introspection intercalée entre un prologue et un épilogue qui ne sont pas sans rappeler la naissance et la fin, une vie plus simplement ou... un récit.
Carole Massé questionne, dérange et demeure très exigeante avec elle et son lecteur. Le voyage continue même s'il est angoissant et épuisant. Peut-être que la lutte vaut la peine malgré la douleur.
«Mon corps naît au bout des doigts de mon amant. Je suis en exil maintenant et rebrousser chemin est impossible. Je veux m'approcher le plus près de son souffle sans perdre ma propre respiration. Tenir en équilibre sur la frontière entre nos deux corps et m'évanouir dans le plaisir sans rien emprisonner que le vide.» (p.63)

«L'ennemi» de Carole Massé est paru aux Herbes rouges.