Éric Simard vient de lancer Le mouvement naturel des choses. Peu d’écrivains publient leur journal au Québec. Manque d’intérêt du public ou des éditeurs, pas facile de trouver une réponse. Je ne peux m’empêcher de penser à Jean-Pierre Guay qui souhaitait tout dire dans son journal, défaire l’écriture en racontant son quotidien de façon maniaque dans un Québec qui refuse de devenir un pays. Tout le monde du milieu littéraire murmurait même s’il ne se donnait pas la peine de lire cette entreprise particulièrement originale. Nous étions une centaine à l’accompagner dans ce projet pathétique et troublant.
Éric Simard ne s’aventure pas
sur les traces de Jean-Pierre Guay même si l’écrivain dévoile de grands pans de
sa vie. Un pari toujours risqué, qui peut prêter flanc à bien des ragots. Qu’on
le veuille ou non, l’auteur d’un journal s’attarde à des moments où il est
particulièrement vulnérable. Cette démarche me fascine peut-être parce que
j’écris au jour le jour depuis des années en me conformant à cette exigence de
franchise.
Époque
Éric Simard avait vingt ans en
1989, venait de terminer son cégep et cherchait à entrer à l’École nationale de
théâtre pour devenir comédien. Il préparait ses auditions, faisant appel à un
professeur, mais n’a pu réaliser son rêve. Il a dû faire son chemin en
travaillant comme libraire, entrecoupant le tout d’un long séjour en Europe,
vivant des aventures amoureuses fulgurantes qui ont duré le temps des Perséides.
Des éblouissements qui perdent rapidement leur intensité. Éric Simard avoue
franchement son homosexualité, ne dissimule rien de ses émotions, de ses hésitations
et de ses peines aussi.
«Bon, je sens que ma vie va
se compliquer. En plus de P.J., j’ai maintenant en tête Claude, le gars que
j’ai rencontré au Lézard la nuit dernière. Je nous vois et revois danser
ensemble sans qu’on sache encore rien l’un de l’autre. Et la danse est sans
fin. Il y avait tant de promesses dans nos gestes. Je sens encore la douceur de
sa joue contre la mienne. Ce souvenir que je caresse accentue mon désir de le
revoir, de lui faire une petite place auprès de moi, dans mon lit. Je pense
plus à Claude qu’à P.J. Cet aveu est difficile, mais ça servirait à quoi de
faire semblant?» (p.140)
Les amours entre hommes
semblent durer le temps des roses. Pas facile de trouver le compagnon idéal, de
marier les amours et le quotidien.
«C’est peut-être moi le
problème finalement. C’est peut-être moi qui ne m’endure pas. Quand je
rencontre quelqu’un, au début, je fais toujours la gaffe de vouloir être tout
le temps avec lui et je finis par me tanner parce que la solitude me manque. Je
deviens irritable et susceptible comme si c’était la faute de l’autre alors que
j’aurais juste à passer une soirée ou deux seul chez moi.» (p.304)
Lecteur boulimique, passionné
de cinéma, il court d’une salle à l’autre lors du Festival international du
film de Montréal, cherchant à tout voir. Un long parcours qui lui fera s’approcher
du monde du théâtre et de la littérature.
Écriture
Il rêve aussi de devenir
écrivain, mais là encore le chemin sera tortueux. Les refus succèdent aux
refus.
«J’ai finalement eu ma
réponse des éditions du Seuil. Ils ont étudié mon manuscrit. Ils n’ont pas
aimé. Je me console en me disant qu’au moins, ils l’ont lu. Je ne m’attendais
pas à autre chose comme réponse, mais un refus, c’est un refus: ça ne fait
jamais plaisir.» (p.54)
Aspiré par une vie nocturne
trépidante, il se retrouve souvent au bord de l’épuisement.
«Je continue de demander à
mon corps ce qu’il est incapable de me donner. Chaque fois que je devrais me
reposer, je ne m’écoute pas. L’illusion du plaisir a toujours le dessus sur ma
raison. Ce soir en est un bon exemple. Je suis sorti alors que je n’aurais pas
dû et j’ai trop bu. Je ne crois pas que ce soit ça, aller au bout de soi.»
(p.247)
Un témoignage sincère, une
quête d’amour, d’identité, d’affirmation qui décrit bien les turpitudes de la
vie et d’une époque pas très lointaine. J’aime cette entreprise toute simple où
un écrivain prend le risque de tout dire pour le meilleur et le pire. Il faut
une bonne dose de courage pour prendre cette direction et se confier à des
lecteurs.
Le mouvement naturel des choses d’Éric
Simard est paru aux Éditions du Septentrion, collection Hamac.