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dimanche 24 octobre 2010

Agnès Gruda ne rate pas son entrée

Après avoir fait sa place dans le journalisme, Agnès Gruda ne rate pas son entrée en littérature avec «Onze petites trahisons». Un thème, une direction et des personnages s’incrustent dans la réalité de maintenant.
 Tous nous sommes marqués par un événement, une rencontre, un mot qui a changé notre existence. Certaines circonstances font que l’on tourne le dos à des proches ou des intimes. Une hésitation et le geste qu’il aurait fallu poser ne vient pas. Les conséquences sont imprévisibles. C’est toujours le cas quand on donne une autre direction à son quotidien. Migration, maladie, dépression ou séparation deviennent des seuils qui font basculer dans une autre dimension.
La vie alors emprunte de longs chemins de traverse et nous reprend plus tard, plus loin, au moment où on s’y attend le moins. Ce que l’on a voulu biffer de sa mémoire s’impose. Impossible de faire semblant. Un jour ou l’autre, la réalité nous rattrape. 

Des mondes

Une femme a toujours vécu dans l’ombre de son frère qui captait tous les regards et l’attention des parents. La mère va mourir. La grande soeur refuse de prévenir son frère. Elle sera la seule, l’unique pour une fois.
«Mais en attendant, c’est non. Non, je ne te préviendrai pas, Philippe. Pas maintenant. Pas avant. Seulement après. Quand tout sera consommé. Quand il ne restera plus aucun instant à diviser. Quand il n’y aura plus d’éternité. Tu as eu maman pendant toute ta vie. Elle n’aura que moi au moment de mourir. Ce sera votre châtiment à tous les deux.» (p.30)
Une histoire racontée lors d’un repas entre amis provoque la rupture d’un couple et la fin de l’errance chez un solitaire. Les mots peuvent avoir des effets contraires. Dévastateurs pour l’un et bénéfiques pour l’autre.
«Et comment que je m’en rappelais ! Je lui expliquai rapidement l’impact que cette soirée avait eu sur ma vie. Paul me confia que de son côté, peu de temps après, il avait rencontré une femme et que maintenant, eh bien, il croisait les doigts pour que tout continue à bien aller entre eux.» (p.51)
Hélène a une aventure avec un collègue médecin. Elle tombe enceinte volontairement, met au monde une petite fille qu’elle élève seule. Fanny n’a jamais entendu parler de son père jusqu’à l’adolescence. Le désir de le connaître devient obsédant. Elle finit par avoir un rendez-vous, discute, imagine une nouvelle vie. Le père piétine tous ses espoirs en la jetant hors de sa vie.
«Il regrettait, mais ne me laissait aucune chance de le délivrer de ses regrets. Il n’y avait donc aucun espace en creux, aucune place pour moi dans la grande maison en face du parc. D’un trait, il m’avait rayée de son univers, pour s’en aller sauver sa famille et ses petits voyous. Je pliai le foulard qui, par son manque de goût, me réconciliait déjà avec ce rejet. Cela valait-il la peine d’être liée à un homme qui pensait mieux faire passer sa décision en m’offrant un carré de soie impersonnel, ornée d’une mosquée et du mur des Lamentations?» (p.220)

Touchant

Il y a ces occasions ratées, un mot qu’il aurait fallu trouver, un geste qui ne vient pas, une solitude qu’il faut combler, une différence qui pousse dans la marginalité. Et souvent aussi le hasard fait en sorte de détruire une image ou une idée que l’on se fait d’une idole. La rencontre avec Léonard Cohen, le poète et chanteur dans un parc de Montréal, est assez troublante. Pas un mot n’est échangé et tout un univers fantasmagorique s’écroule.
Des nouvelles émouvantes, étonnantes qui soulèvent des questions qui n’ont pas nécessairement de réponses. Des textes inattendus, des moments qui peuvent détruire une vie comme lui donner un autre souffle. Agnès Gruda fascine avec son écriture simple, entraînante, directe et efficace. Un ton toujours juste. Elle provoque un malaise en nous, une hésitation qu’il est difficile d’ignorer. C’est là toute la force de ce recueil de nouvelles.

«Onze petites trahisons» d’Agnès Gruda est publié chez Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/agnes-gruda-1654.html

André Girard explore la belle ville de Moscou

André Girard aime les grandes villes, leur frénésie, l’architecture, les parcs, les musées et ces petits bistrots où la vie devient lente.
«Moscou Cosmos», le second volet de sa suite hôtelière, nous entraîne dans la Russie d’après la perestroïka. Le socialisme marque le paysage même si tous s’appliquent frénétiquement au capitalisme. L’aventure, nous nous en souvenons, a débuté avec «Port-Alfred Plaza». Le couple entraînera le lecteur à Tokyo et Istanbul jure l’auteur.
Étienne donne des cours de français et de culture québécoise à Moscou. Johanna de Port-Alfred étudie les sciences politiques, le droit et le commerce international à Nottingham. Elle participe avec ses collègues à un séminaire à Moscou en compagnie du professeur Chadwick, son mentor. Le couple s’est revu à Prague l’année précédente. Des heures sulfureuses. Ils se promettent tous les excès au grand hôtel Cosmos.

Séjour

Le séjour de Johanna prend une tournure inattendue. La délégation l’occupe et il y a toutes les obligations mondaines. Ils visitent les musées, s’attardent dans des galeries, des bistrots renommés, des restaurants et des sites historiques. Étienne se fait un guide attentif et le désir s’exprime par les regards, des frôlements et des murmures. Ils ne sont jamais seuls. Les conférences, les cocktails empêchent les amants de plonger dans la quintessence de la fête amoureuse. Les séances érotiques, la blouse d’étudiante que l’on découpe avec les gestes du chirurgien, il faut les oublier. Les fantasmes demeurent dans les valises.
Cette situation ne semble pas trop perturber Étienne. Son père, un professeur à la retraite, un marxiste qui a cru au grand soir vient de quitter Moscou. Pour le père et le fils, ce séjour a permis la rencontre. Pour la première fois ils se sont vus en complices et amis.
«C’est qu’au printemps, quand ça s’est concrétisé avec l’achat de son billet d’avion, j’ai pris conscience de l’énormité de la chose. Un beau projet quand on en parle comme ça, mais là, ça devenait réalité. Ce n’était pas la panique, mais j’éprouvais une certaine appréhension à l’idée qu’il allait venir nous encombrer en pleine chaleur du mois de juin. Je me demandais comment mes colocs allaient le prendre. Tu sais, quand mon père part dans ses grandes envolées, il n’est pas toujours reposant.» (p.35)
Étienne permet à Johanna de lire un compte-rendu de la visite de son père. Parce qu’il est l’auteur de «Port-Alfred Plaza» et de «Moscou Cosmos». Les personnages existent dans la vraie vie et dans le roman.

L’ailleurs

Le séjour du paternel a tout changé. Comme s’il fallait aller à l’étranger pour oublier les blocages et vivre la réconciliation. La libido, le désir et l’amour atteignent des sommets inégalés dans les villes lointaines. Il faut être ailleurs semble dire Girard pour dénouer ses problèmes existentiels. Le fils et le père se comprennent pour la première fois. Johanna et Étienne connaissent le meilleur de la passion dans ces rendez-vous. 
«Après avoir versé du rouge, je me suis mis à table : libres tous les deux, chacun ses projets, ne pas connaître l’avenir. Et puis, les études à l’étranger, c’est une belle invention, surtout quand les champs d’actions se situent aux antipodes. En fait, ai-je ajouté, nous avons conclu ce pacte pour garder le contact, et tu lui as précisé que loin d’être astreignant, c’était plutôt stimulant. Laisser venir les choses, s’ajuster en temps et lieu ; ne pas voir trop loin et vivre pleinement ce que nous avons à vivre.» (p.95)
Surtout que le père croise la belle Irina. C’est le coup de foudre. Ils se retrouveront à Paris. La vie est ailleurs. Le père met ses pas dans ceux du fils.

La ville

Moscou, la grande cité avec ses merveilles et ses laideurs, demeure le sujet de ce roman. Les visites de Johanna et du père ne sont qu’un prétexte pour discourir sur cette ville, ses attractions, effleurer une culture fascinante, ses splendeurs et son art de vivre.
André Girard sillonne cette agglomération avec un enthousiasme contagieux. Il donne envie de partir sac au dos. L’art et la littérature devenant le fil conducteur de ce parcours singulier.
Espérons que l’écrivain fera passer ses personnages par Montréal et Québec. Le voyage étant l’art de l’éphémère, ce serait là une belle occasion de donner de l’étoffe à cette Juliette et ce Roméo de notre époque.

« Moscou Cosmos » d’André Girard est publié aux Éditions Québec-Amérique. 
http://www.quebec-amerique.com/auteur-details.php?id=479