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samedi 14 août 2004

Robert Lalonde se confie à son lecteur

Robert Lalonde réussit, à chacun de ses livres, à se renouveler et à surprendre en brouillant les pistes. Romans, essais, chroniques, réflexions, clins d’œil à ses écrivains fétiches, il tâte de tout. Il empoigne les genres avec une originalité déconcertante et une soif qui me laisse pantois à chaque fois.
Avec «Iotékha’», Robert Lalonde nous convie à un festin. Dès les premières lignes, j’ai dû accepter de le suivre dans ses errances et ses grands bouleversements.
Depuis des années, Robert Lalonde traîne des carnets. Il écrit comme il savoure un café, comme il fume une cigarette, comme il parle. Il écrit en asthmatique qui ne saurait se séparer de sa pompe. C’est sa manière de rester vivant dans la fragilité du matin ou le frémissement du couchant. Des milliers de pages qui jettent des ponts entre les jours, cochent le temps comme la trace d’un canif sur l’écorce d’un bouleau blanc. Un genre de Petit Poucet qui jalonne ses courses pour éviter de s’y perdre.
«Quand je n’invente pas, n’écris pas, mon remuement de tous les jours me pèse. J’erre, me cogne partout, oublie ma clé dans la serrure, fait sortir le chien sans qu’il m’ait demandé la porte, allume deux cigarettes à la fois, qui fument toutes seules dans le cendrier et me rient au nez.» (p.13)
Robert Lalonde ouvre ses carnets intimes, convie son père, ses lectures, les écrivains qu’il aime, réfléchit sur son métier de comédien, secoue sa solitude, suit ses chiens et ses chats, une femelle garrot qui n’arrivera pas à bondir de l’autre côté de l’hiver. Des rencontres singulières aussi que la vie invente ici et là lors des nombreux déplacements de ce diable de chercheur. Des textes comme une prière.
«Pas de paix possible sans l’écriture. Ce matin, le réel est inadéquat, indifférent, hostile. Il est de la même étoffe que ces songes impénétrables qui m’ont tiré ici, poussé là, toute la nuit, exigeant de moi que je me comporte en héros, demi-dieu, demi-fou, pour qui l’ennemi, le sang, les conquêtes ne suffisent plus, et qui doit à présent descendre aux enfers affronter des monstres qui le dévisagent avec sa propre face grimaçante.» (p.57)

Tempête

Les mots vont, viennent et s’éloignent, tournent comme des feuilles poussées par la rafale, comme une musique qui frappe au corps et fait chanceler. Robert Lalonde, avec ses grandes échappées farcies de brume et de couchers de soleil, vous ligote du premier mot à la dernière ligne. Je me sens aussi plus vivant à suivre ce détrousseur de questions qui piaffe entre deux projets d’écriture, une aventure théâtrale ou une rencontre un peu étonnante. Les blessures de l’enfance refont surface, les moments où le petit garçon imaginait qu’il pouvait échapper à la lourdeur des jours et nager dans les étoiles, les paroles du père qui ont laissé des cicatrices.
Un livre d’une finesse remarquable, un ouvrage d’une qualité exceptionnelle. L’écrivain se livre comme rarement un écrivain le fait. Comment ligoter la vie et parvenir à savoir pourquoi il n’y a que des questions.
Robert Lalonde se fait encore une fois magicien.
«Lire, écrire, c’est là toute l’omniprésence, toute l’omnipotence  dont je suis capable. Le cœur battant, les yeux ouverts, les oreilles dépliées, le nez bien débouché: voir et surtout faire voir, c’est cela l’ouvrage de l’écrivailleur.»  (p.135 )

«Iotékha’» de Robert Lalond est publié par les Éditions du Boréal.

jeudi 12 août 2004

Aline Apostolska raconte franchement sa vie


«L’homme de ma vie» d’Aline Apostolska, est un récit audacieux. La journaliste et écrivaine a senti le besoin de revenir sur sa vie en regardant son père droit dans les yeux. Les autres hommes aussi, ceux qu’elle a aimés et accompagnés un certain temps. Elle a revu la petite fille qu’elle était, la femme rebelle et aventureuse qui jamais n’a su dire non, cédant à ses coups de cœur comme à ses coups de tête. Il faut du courage pour empoigner tous les bouts de sa vie et les examiner sans complaisance. Il y a toujours un pourquoi aux gestes et aux événements qui nous ont bousculés et profondémment marqués. Il y a aussi une direction même quand nous croyons que tout s’est arrêté et que plus rien ne peut arriver.
Aline Apostolska ne se défile pas. Tout est dit avec une belle intelligence et un bonheur d’écriture. Elle possède l’art de nous pousser dans les grandes tempêtes de sa vie tout en gardant une certaine distance. Elle y parvient par la distanciation, une phrase glanée dans un livre, un poème qui vient colorer l’événement qui nous est présenté. En s’accrochant à des textes, des écrivains, des livres qui sont là comme des bouées, elle apporte un autre éclairage. Cette écriture donne une justesse particulière et un poids à ce récit qui aurait pu basculer dans une suite d’aventures épidermiques plus ou moins épicées. Aline Apostolska évite le piège et garde un niveau réflexif élevé malgré les confidences les plus intimes, les descriptions les plus charnelles.
«J’écris pour ne plus être seule. Et quand je finis un livre, la seule chose que j’espère est que la personne qui va le lire se sente un peu moins seule. Qu’elle se sente importante, démasquée, rejointe, au plus secret d’elle même. Sinon, c’est que j’aurais dupé le lecteur en me dupant moi-même. C’est que je n’aurais pas écrit avec ma chair. Si le papier n’est pas la peau du cœur, la somme des mots gravés là ne fait pas un livre, ou bien ce livre n’est qu’un vulgaire objet.» (p.95 )

Un miroir

Et la voilà qui nous bouscule dans ce que nous avons cru bon de faire de notre vie. Elle dérange, respire et rejette toutes les contraintes. La grande aventure, c’est la vie, l’amour, le désir même au risque de s’y briser. Il ne faut jamais dire non sans avoir expérimenté, sans avoir plongé et connu.
«Rencontrer quelqu’un c’est retrouver la part la plus invisible, la plus inconsciente  de soi-même, à travers l’autre,» (p.171)
De sa naissance à son arrivée à Montréal, d’une aventure amoureuse à une autre, Aline Apostolska se tient sur la corde raide, fidèle à cet instinct qui l’a toujours protégée. Skopje, Montpellier, Madrid, Sydney et Alger. Il y aura aussi Paris, Orléans, Bruxelles et Montréal. Il y a les lieux et des hommes.

L’instinct

Aline Apostolska sent avec son corps, suit ses pulsions et trouve une pensée dans le désir. La rebelle, l’aventurière est une migrante. Elle aurait pu être danseuse, elle écrit. Elle a travaillé dans les médias et est devenue journaliste et éditrice. Elle se croyait arrivée, installée et elle a tout abandonné. La vie est mouvement, la vie est devant.
Bien sûr, elle insiste beaucoup sur la figure du père, l’homme qui a marqué la princesse qu’elle croyait être. Une figure, un modèle, un homme qui l’a poussée hors du nid sans jamais la juger. C’est le plus tendre du récit!
Malgré cette franchise, Aline Apostolska demeure mystérieuse et fascinante. Elle nous retient du début à la fin, nous livre des pages magnifiques sur ses fils qui lui apprennent tout à chaque jour. Elle touche ce qu’il y a de plus important, de plus vrai: l’amour et la vie.
«Qui suis-je finalement, si je ne suis plus la fille, sœur, amante, mère, épouse? Qui est la femme que je suis devenue? Qui est ce moi que je jette en pâture, comme on jette les choses au feu? Moi existe-t-il? Au fond, vous et moi n’avons guère plus d’importance que la feuille qui s’envolera avec le vent d’automne.» ( p.205)
Aline Apostolska est une Shéhérazade qui sait nous en dire juste assez pour nous retenir, qui dévoile presque tout de sa vie tout en préservant des mystères. Des récits captivants, sensuels et vrais.

«L’homme de ma vie» d’Aline Apostolska est paru chez Québec Amérique.