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mercredi 29 mars 2023

DANY LECLAIR TROUVE LES BONS MOTS

LE NOUVEAU ROMAN de Dany Leclair, Ces eaux qui me grugent, se résume à une phrase que l’on peut lire à la page 328. «J’ai survécu à ma nuit, j’ai vaincu la malédiction.» Une fatalité pèse sur les épaules du narrateur, Christian Perrault. «Depuis leur arrivée en terre d’Amérique, aucun de mes ancêtres n’a réussi à franchir la cinquantaine. Neuf générations d’hommes disparus trop tôt.» Des suicides ou une maladie incurable, une sorte d’incapacité à vivre, une forme de karma que les Perrault ne peuvent nier. Le petit Christian sent cette fatalité bien lourde. Aîné de la famille, il devine que le chemin est tracé devant lui par son père et ses prédécesseurs qu’il n’a pas connus et qui restent mystérieux. 

 

Christian va fêter son cinquantième anniversaire de naissance à un moment où tout semble se liguer contre lui. La nature, à La Baie au Saguenay, encore une fois, fait des siennes. La pluie tombe depuis des heures et c’est le déluge près de la rivière à Mars. Cela n’est pas sans évoquer le terrible cataclysme qui a frappé la région en 1996 et a marqué les esprits. Plusieurs inondations, au cours de l’histoire, ont touché cette ville portuaire qui donne sur le fjord. Un endroit où tout peut arriver comme dans les premiers romans d’André Girard. 

Christian vient d’apprendre qu’il a un cancer, mais décide de garder cela pour lui, de ne pas en parler à ses proches, surtout pas à sa femme et ses enfants. Le jour de son anniversaire, de l’âge fatidique, ils doivent abandonner les lieux parce que l’eau ne cesse de gruger les berges. Tous les terrains environnants ont été emportés et la demeure s’accroche à ses fondations pour quelques heures encore. Une nuit, peut-être plus, avant que tout ne bascule dans le gouffre qui a avalé la résidence des voisins. Il veut passer les dernières heures dans sa maison, dans son bureau, pour relire un manuscrit qu’il peaufine depuis des années. Un texte où il tente de démêler le vrai du faux. Quelques heures de sursis pour décider s’il s’abandonne aux flots qui ont ravi plusieurs de ses ancêtres ou bien s’il va se battre et faire face au destin. 

 

«Thomas et Danaé sont en sécurité chez leurs grands-parents. Sarah-Ève s’apprête à partir à son tour. Les dernières heures ont été épuisantes, éreintantes. Nous nous sommes efforcés, ensemble, de sauver ce qui pouvait encore l’être. Nous avons peu dormi. Même si ma parole vaut autant que celle de mon père, j’ai promis à ma blonde d’aller la retrouver plus tard, à l’hôtel où sont hébergés les évacués. J’ai exigé de rester encore un peu. Une dernière nuit seul dans ma maison. Pour arracher encore quelques fragments au désastre, pour réfléchir à ma propre débâcle. Pour défier la mort.» (p.10)

 

Quelques heures, pour choisir entre un pas vers la vie ou la capitulation devant la fatalité. Quelques heures pour décider de s’accrocher ou de tout abandonner. La lecture de son manuscrit devient essentielle. Ces pages rédigées dans la ferveur et l’attente prennent un tout autre sens. Chaque phrase est comme une aspérité à laquelle il s’agrippe. Il retrouve son récit dans la démence et la fureur qui emporte tout, debout, seul face à la mort. Peut-il se redresser grâce aux mots, à cette arme terrible et ultime qu’est l’écriture?

 

TENSION

 

La rivière Saguenay a marqué le destin des Perrault. Son père a plongé au bout du quai avec son auto et son grand-père s’est suicidé dans son bain. L’immense fatalité que porte le fjord dans la littérature du Saguenay atteint ici son paroxysme. Nombre d’écrivains, dont André Girard, Lise Tremblay, Gérard Bouchard, Gil Bluteau et d’autres, associent ce plan d’eau impressionnant à la mort dans leur fiction. Comme si la nature de ce coin de pays prenait un malin plaisir à se venger des gens qui ont transformé le paysage. Oui, la géographie marque les esprits et modèle les humains dans leur façon de voir le monde et de se coltailler avec la réalité.

Tout va se jouer en quelques heures comme dans les tragédies anciennes. Que faire devant la malédiction qui étouffe sa famille et ce cancer qui le touche dans son âme et son corps? Le pays où il a ses racines le trahit encore une fois, s’attaque à tout ce qu’il a pris des années à construire avec patience et obstination pour se faire une petite niche dans l’avenir avec son amoureuse et ses enfants. 

Un roman fort parce qu’il évoque les catastrophes qui ont marqué la région du Saguenay et du Lac-Saint-Jean. Étrange, les méandres de l’histoire. Le feu qui a tout détruit en 1870, le Saguenay maganné à plusieurs reprises par des crues et des déluges qui ont laissé beaucoup de cicatrices. Juste pour cela, Ces eaux qui me grugent de Dany Leclair, est une grande tragédie humaine et environnementale. Le drame est porté par les lieux, les rivières qui se révoltent comme des bêtes sauvages après des années de docilité. J’en aurais pris plus de cette tragédie apocalyptique que l’écrivain décrit si bien au début de son récit où tout est emporté par cette rivière devenue folle. Rien de plus saisissant que de voir des maisons charriées par le courant, des pans de terre s’écrouler et disparaître dans les bourbillons pour aller se déposer dans les abysses du fjord où rôdent peut-être des monstres inconnus. 

 

MANUSCRIT

 

Le manuscrit que Christian relit au cours de ces heures fiévreuses, réfugié dans son lieu de méditation et de vérité, devient une bouée de sauvetage à laquelle il s’accroche. Vivre ou périr par et avec l’écriture. Se donner du temps par les mots, les phrases qui viennent des recoins de l’enfance de ce personnage qui a subi de grandes et terribles épreuves sans jamais vraiment faire confiance à la vie parce que son père, cette figure emblématique et tutélaire, ne l’a jamais poussé dans cette direction. Un texte comme un puzzle que le narrateur tente de placer en ordre. Je ne sais trop pourquoi, j’ai pensé aux cartes de sportifs que le jeune Christian collectionnait. 

Le roman multiplie les courts tableaux qui nous plongent dans les heures heureuses et de candeur ou encore dans des moments qui blessent ce petit garçon trop sensible. Rien de spectaculaire. Il suffit de si peu pour marquer une âme innocente qui ne demande qu’à faire confiance à ses parents. Une fête tourne au tragique, un rêve déçu, un espoir s’évanouit quand ce n’est pas la réalité qui dépite. S’il fantasmait à l’idée d’assister à un match du Canadien de Montréal qu’il vénère avec son père, la partie le laissera indifférent. Tous ces grands et petits moments qui perturbent une existence et surtout son héros, son idole, qu’il voit fléchir et s’écraser un peu plus chaque jour, avalé par la malédiction. C’est peut-être cela le tragique de ce roman. Le père n’arrive jamais à être à la hauteur des promesses qu’il ne cesse de faire miroiter devant les yeux de son fils qui ne demande qu’à le croire. 

 

«Cet homme reste un fantôme pour moi aussi. Mon père n’a jamais pris la peine de me parler de lui, il n’a jamais pensé me transmettre les souvenirs qu’il avait de son propre père. Peut-être parce qu’après tout lui-même le connaissait très mal. Parce qu’il ne le pouvait pas, ou ne le voulait pas.» (p.63)

 

Tragique aussi parce que pour survivre, il faut souvent taire la vérité même si ces secrets de famille étouffent et deviennent lourds à porter. Je n’ai pu m’empêcher d’effectuer un lien avec ce Québec qui souffre d’un manque de mémoire et qui garde, au cours des décennies, les mêmes illusions. Nous enseignons si peu et si maladroitement notre passé. Pour parodier Joséphine Bacon on peut dire : «Nous ne nous connaissons pas.»

Les nouvelles générations ne savent plus grand-chose de leurs ancêtres, des élans et des échecs de ceux et celles qui les ont précédés avec des désirs souvent mal assumés et des réflexes qu’ils ne prennent jamais la peine d’analyser. Christian abandonne la maison après y avoir mis le feu à la toute fin pour contrer son destin. Il serre le manuscrit sur sa poitrine. C’est sa mémoire qu’il emporte, qu’il protège et qui va le faire basculer du côté des vivants.

Un texte touchant et vrai, humain qui nous plonge dans l’univers d’un écrivain et d’un petit garçon qui tente de trouver un sens à sa vie. Une quête d’un père qui lui a fait faux bond et qui l’a abandonné sur les rives d’une rivière devenue folle et dangereuse. L’espoir revient dans les toutes dernières phrases. Il est possible d’échapper aux gouffres de la fatalité en jonglant avec les mots pour le dire, les images qui marquent le rythme des jours. Un magnifique roman.

 

LECLAIR DANYCes eaux qui me grugent, Mains libres Éditeur, Montréal, 336 pages. 

https://www.editionsmainslibres.com/livres/dany-leclair/ces-eaux-qui-me-grugent.html

lundi 19 novembre 2012

Dany Leclair m’a rappelé de beaux souvenirs


«Le Saint-Christophe» de Dany Leclerc m’a fait faire un voyage dans le temps, retourner au début des années soixante-dix. Il m’a rappelé ma solitude aussi quand, jeune campagnard déraciné, je me suis retrouvé dans la grande ville de Montréal, sans repères et sans certitudes. Heureusement, il y avait quelques amis, des migrants venus de mon village, qui permettaient de m’accrocher. Il y avait aussi les livres et la littérature.

Avec Christian Gingras, j’ai connu ces soirées où la fumée était à trancher au couteau, où l’on vidait des bières en s’enivrant de mots, de musique jusqu’à tomber plus mort que vivant sur un matelas de fortune. Avec des gars et des filles, nous avons expérimenté la liberté qui passe par tous les excès. La pauvreté aussi, ayant tout juste assez d’argent pour manger, se payer un taudis où nous nous entassions à plusieurs.
«Le Saint-Christophe» est un appartement du centre-ville de Montréal où les copains se rencontrent pour traquer les filles et renifler tout ce qui peut être reniflé. Un lieu de fêtes perpétuelles où l’on s’initie aux jeux de l’amour sans trop de hasard. Un refuge où les amis ont tous les droits.
Christian a grandi à La Baie, au Saguenay. Il part à Montréal, au début des années 90, pour poursuivre des études et retrouver Sarah, une fille qui l’a viré à l’envers pendant les vacances d’été.
«Du fin fond de ma petite ville tranquille où le monde tournait trop lentement à mon goût, où l’écho des esprits trop étroits résonnait dans des espaces trop vastes, j’avais appris à désirer Montréal. J’avais été envoûté par tous ces appas que je lui avais découverts à travers mes lectures, à travers mes fantasmes. À ma première année de cégep, le hasard m’avait fait découvrir «Vamp» de Christian Mistral. Le style m’avait soufflé, le rythme fiévreux de la ville m’avait séduit. Ce roman avait confirmé ma passion pour la littérature et, pour moi, la littérature c’était désormais Montréal, Montréal l’envoûtante, Montréal la délirante.» (p.16)
La réalité le forcera à descendre au fond de lui-même pour trouver une forme d’équilibre et donner une nouvelle direction à sa vie.

Découverte

Tourmenté, hésitant malgré ses fanfaronnades, déchiré entre la sécurité familiale et son envie de tout bousculer pour écrire, Christian découvre la liberté, l’écriture, la vie dans ce qu’elle a d’excitant et de troublant. L’amour aussi qui le transformera pour le pire ou le meilleur.
 «J’avais été élevé dans un HLM, mes parents avaient enduré des boulots difficiles, précaires et minables pendant toute leur vie pour essayer de nous camoufler autant que possible la pauvreté dans laquelle nous pataugions. Pour moi, les études représentaient la seule façon de ne pas emprunter la même route, la seule promesse d’un avenir meilleur. Je voulais leur fournir une source de fierté qui leur ferait oublier toutes les misères que la vie leur avait imposées, tous les sacrifices auxquels ils avaient consenti pour nous élever.» (p.55)
Le jeune homme devra se constituer une carapace pour survivre dans un monde où il a perdu ses balises, où l’amour peut rimer avec tricherie et manipulation. Heureusement, les livres lui permettent de tenir la désespérance à distance.
«J’écrivais comme je n’étais jamais parvenu à écrire et je sacrifiais, sans aucun regret, presque toutes mes fins de semaine à mes lectures ou à la rédaction de mes travaux de fin de session. Jusque-là, j’avais rêvé d’être un écrivain sans jamais avoir vraiment écrit, j’avais voulu avoir tout lu sans prendre le temps de lire.» (p.163)
Un roman excessif, impulsif comme la jeunesse l’est toujours, mais avec plein de rêves, d’idéaux, de désirs de faire autrement, de se réaliser en risquant tout.
Vivant, plein de rebondissements malgré un narrateur qui se sent un peu coupable de tout, ce roman parle particulièrement à une certaine jeunesse pour qui les études passaient par l’exil. Ce n’est jamais facile d’être migrant dans son propre pays, de tout laisser derrière soi pour s’inventer une autre vie.
Dany Leclair témoigne de cette réalité avec un enthousiasme contagieux. Bien des bravades, des provocations, mais aussi une belle tendresse, une fragilité qui va droit au coeur. Toute la gamme des émotions est au rendez-vous. Un portrait juste et combien humain.

«Le Saint-Christophe» de Dany Leclair est paru aux Éditions Québec-Amérique.