Jacques Girard écrit depuis
toujours, du moins je l’imagine, avec des bouts de crayon qui tiennent tout
juste entre ses doigts. Une écriture qui prend de l’espace sur les pages des
carnets qui ne le quittent guère. Il explore
Roberval et ses environs depuis sa première publication en 1996, à la manière
de son père qui hantait un territoire de chasse dans le secteur de
Sainte-Hedwidge. Sa mère est née dans ces terres, sur une ferme où le jeune
garçon a connu des étés inoubliables.
J’hésite à dire que Jacques
Girard écrit des nouvelles. Il possède l’art de l’esquisse, des grands traits. Tout est matière à écriture pour lui. Il regarde, écoute et un sujet s’impose. Ce qu'il recherche, c’est l’émotion qui affleure et retient le lecteur. Il s’attarde
à son enfance, tourne autour de certains individus que la vie a secoués de bien
des façons.
Famille
Dans «Attendez au moins la
fin de l’histoire», sa famille immédiate devient plus présente. Son épouse
Diane et ses enfants, ses petits-enfants aussi. Avec le temps, un corps qui
connaît des hésitations, l’écrivain est plus sensible aux grandes et petites
joies qui bousculent le quotidien.
«Si vous passez en automne à
La Tuque, ne soyez pas surpris si vous voyez dans le ciel des traînées jaunes
qui volent en forme de U. Ce phénomène m’intriguait. Diane et moi étions en
promenade chez notre fille Renée-Claude et son partenaire de vie, Gilles. Ce
jour-là, Cora-Lee s’amusait avec les voisines, tandis que moi je me promenais
avec Elliot dans le parc voué à la mémoire de Félix Leclerc situé à proximité,
le long de la Saint-Maurice.» (p.75)
Pas d’explications. À nous de
faire le lien.
Ses textes, d’un livre à l’autre,
forment un florilège de portraits assez unique. Guy-Marc Fournier, par exemple,
ce journaliste et romancier qui l’a entraîné dans le monde de la lecture et lui
a fait connaître l’étrange métier de correspondant pour «Le Quotidien» au
Lac-Saint-Jean. Avec ce travail, l’enseignant pouvait vivre les grands
événements de son secteur. La Traversée du lac Saint-Jean à la nage par exemple
dont il rédigera l’histoire. Je n’ai pu qu’en faire un personnage de mon roman
«Le voyage d’Ulysse». À Roberval, Jacques Girard est connu comme Barabbas dans
la passion.
L’auteur n’hésite jamais à
parler de son métier d’enseignant, des rencontres qu’il y a faites, des collègues,
mais aussi des jeunes qui se démarquaient, de certains originaux. Il faut
entendre ses anciens élèves parler de lui pour comprendre qu’il a été un maître
important. Il avait la particularité de circuler dans les couloirs de la
polyvalente de Roberval avec des chariots chargés de romans et de livres de
poésie qu’il distribuait à gauche et à droite. Un genre de colporteur littéraire
qui mettait la lecture en avant de tout. Un passeur exceptionnel. Le plus grand
lecteur que je connaisse. Il a tout lu et possède une mémoire phénoménale. Il
est capable de parler d’un ouvrage qu’il a parcouru il y a des années et vous
avez l’impression qu’il vient à peine de le glisser dans un rayon de sa
bibliothèque.
Le familier de Jacques Girard
retrouve souvent une référence à un écrivain ou une citation dans ses textes. Lire
est aussi une manière d’écrire pour lui.
Le Robervalois possède sa
table au café Yé, boulevard Saint-Joseph, juste à côté de la bibliothèque Georges-Henri-Lévesque
qu’il fréquente. Son bureau qu’il aime à répéter. L’écrivain s’y retrouve tous
les jours quand sa santé le lui permet. Il tente de nous faire croire qu’il
écrit. Je le soupçonne de parler plutôt avec les clients qui défilent. Il est l’auteur de
Roberval et tous ses lecteurs le connaissent. Il va même jusqu’à faire la livraison
d’un exemplaire de son dernier ouvrage à la maison. Trouvez un écrivain qui
fait cela.
«Attendez au moins la fin de
l’histoire» est un autre moment de cette fresque qui ne cesse de prendre de
l’ampleur depuis presque vingt ans. Une œuvre particulière, écrite pour les
gens qu’il aime. «Je suis un écrivain public», répète-t-il. Il est plus que ça.
Jacques Girard est le témoin d’un milieu qu’il ne cesse de réinventer. L’écriture
peut servir aussi à cela. Tous ceux qui le croisent risquent de se retrouver un
jour ou l’autre dans ses croquis. Une preuve de sa générosité et de son
humanisme.
«Attendez au moins la fin de l’histoire» de Jacques
Girard est paru aux Éditions Portes ouvertes.