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vendredi 29 mai 2020

L’AVENTURE DE LA VIE ORDINAIRE

FRANCINE NOËL COMPLÈTE un cycle biographique qui s’est amorcé en 2005 avec La femme de ma vie. L’écrivaine s’attardait alors à sa mère, Jeanne Pelletier, une femme remarquable qui a dû tracer son chemin et subvenir à ses besoins seule. Elle récidivait en 2012 avec Le jardin de ton enfance où elle s’adressait à son petit-fils qui devenait la continuation du monde. Dans L’usage de mes jours, elle tente de s’approcher de ce père qu’elle a si mal connu. Paul Noël est demeuré un véritable fantôme dans la vie de celle qui s’imposera comme enseignante et romancière. 

Le paternel de Francine Noël n’a jamais été présent, restant un étranger qui surgissait de temps en temps, une énigme, un personnage fuyant. Les premières années de la jeune fille se sont construites autour de sa mère, une combative qui a dû jouer tous les rôles, travaillant pour subvenir aux besoins de son enfant unique. Le père s’étant rapidement disqualifié pour ce rôle. 
Si vous ne l’avez pas encore fait, découvrez La femme de ma vie. Jeanne Pelletier est une figure fascinante, un modèle de courage et d’indépendance.
Encore une fois, l’écrivaine revient sur les étapes de ses premières années, les directions qu’elle a prises. Madame Noël s’attarde à certains moments du primaire et après, au fameux cours classique qui était la seule voie pour celui ou celle qui voulaient parfaire ses connaissances à une certaine époque. 
Née en 1945, Francine Noël a vécu la fin d’un Québec où l’église surveillait tous les gestes des femmes et des hommes, guidait les enfants dans l’apprentissage de la vie. Même quand on ne prenait pas très au sérieux les admonestations du clergé, on ne pouvait échapper aux diktats des curés qui se faufilaient dans tous les aspects du quotidien. La distanciation était difficile à respecter à cette époque révolue.
La mère de Francine Noël n’était pas une bigote, mais elle devait se conformer à certaines exigences pour ne pas attirer l’attention. Jeanne ne pouvait compter que sur elle, mère célibataire avant le temps. Paul Noël, le père était occupé à ne rien faire, n’ayant aucun métier à part une certaine passion pour le cinéma. Et la famille Noël semblait cultiver la différence en vivant à l’écart d’un peu tout le monde.

AVENTURE

La fillette se débrouille au primaire malgré certains problèmes de socialisation et après, elle sera pensionnaire, ce qui faisait certainement l’affaire de sa mère qui travaillait du matin au soir. La jeune Francine entreprend sa scolarité chez les sœurs de Sainte-Anne, dans un couvent de Lachine. Une institution marquée par le catholicisme (comment pouvait-il en être autrement), des rituels, des fêtes religieuses, l’éveil aux arts et à la vie de groupe. Un beau vent de liberté surtout, beaucoup de place pour la curiosité et l’expérimentation.

On a dénoncé les mauvais traitements infligés dans les pensionnats à des milliers d’enfants au cours du XXe siècle. Parmi eux, des orphelins et des Autochtones, victimes de sévices corporels et de viols à répétition. Je n’ai rien vu de tel à Lachine. Des vexations morales à l’occasion, jamais de châtiments corporels, pas de harcèlement sexuel et de nombreuses dérogations aux règlements. Des échappées. Des répits. (p.40)


Pas de violences, de gestes déplacés avec ces religieuses. On connaît les débordements de certains ordres d’enseignants avec les jeunes. On l’oublie souvent, mais des sœurs et des frères ont effectué parfaitement leur travail sans être des prédateurs et des agresseurs. J’ai étudié dans un collège dirigé par les frères Maristes et jamais je n’ai eu à me défendre ou à me plaindre de leurs agissements.

LA SCÈNE

La jeune fille s’impose dans les matières qu’elle aime, négligeant ce qui l’intéresse moins, les sciences et les mathématiques, on le devine. Ce sera surtout le théâtre et la littérature qui retiendront son attention. 
Après son cours classique, elle sera comédienne, jouant dans des productions importantes et remarquées. Certaines circonstances feront qu’elle poursuivra sa formation et deviendra enseignante à la nouvelle Université du Québec à Montréal, la tête de pont des constituantes qui transformeront les régions du Québec. 

Notre université s’ouvrait à tous et toutes, de tous les âges et de toutes les strates de la société, y compris les moins nantis et les travailleurs. C’était le mythe de Prométhée à l’œuvre, le savoir serait répandu dans la population et partagé, les étudiants cesseraient d’être de simples consommateurs, ils, elles auraient voix au chapitre sur les contenus des cours et les processus d’apprentissage, il y aurait dialogue, liberté de paroles, liberté. Nous avions l’élan des bâtisseurs et l’optimisme de notre génération de Nord-Américains. (p.132)

Un passage à Paris pour un doctorat, une réflexion portant sur l’œuvre de Samuel Beckett, un homme de théâtre remarquable et un romancier percutant. Un peu étrange comme coïncidence. Beckett me fascinait quand j’ai amorcé des études à l’Université de Montréal où j’ai croisé Francine Noël. Nous étions dans les mêmes salles de cours, c’est certain. Ce qu’elle raconte, je l’ai vécu. Une belle occasion ratée. Je me tenais loin de tous alors et ne fréquentais personne. Beckett me hantait pourtant et j’ai longtemps rêvé d’incarner Vladimir ou Estragon, d’En attendant Godot, ces désespérés de la vie. C’est par le théâtre que je suis arrivé à la littérature tout comme Francine Noël. 
ENSEIGNEMENT

Elle enseignera pendant plus de trente ans, trouvant le moyen de se démarquer avec des publications qui la font connaître d’un large public et en fait une figure importante de la littérature du Québec. Dans Maryse, elle esquisse des personnages attachants que nombre de lecteurs adopteront et reconnaîtront comme des membres de leur famille. Des héroïnes ordinaires qui empruntent le pas des femmes d’alors, vivent une révolution sexuelle, le féminisme qui modifie tous les rapports. 
Francine Noël raconte simplement sa vie, ses études, ses découvertes, ses aventures fort nombreuses, ses ruptures aussi, et des colères qu’elle a du mal à contrôler. Pas question de céder non plus devant les mâles de l’UQAM qui semblent toujours en chasse. 

Tout s’ouvrait devant moi, sauf l’amour. Ce n’était pas faute d’hommes dans mon entourage, le corps professoral étant majoritairement masculin et hétérosexuel. Le Peace and Love triomphait et ces messieurs profs se bousculaient à ma porte, convaincus que je n’attendais que ça, qu’ils me baisent, le mot baise était surutilisé, ils confondaient l’amour libre, la libération des peuples colonisés, le recours aux psychotropes et la révolution culturelle, toutes les révolutions, dont ils se faisaient des hérauts. (p.134)

Le féminisme, elle y a adhéré naturellement et spontanément. Sa mère Jeanne lui avait démontré qu’elle ne devait compter que sur elle pour subvenir à ses besoins et réaliser ses rêves. 
Impulsive, imprévisible souvent, colérique et n’en faisant qu’à sa tête, elle deviendra maman d’un garçon tout en continuant d’enseigner.

Pourtant, je n’aimais pas les enfants, je n’étais pas censée les aimer. Adolescente, j’avais gardé quelquefois des garçonnets gavés de télé et de bonbons, et j’avais hâte qu’ils s’endorment pour retourner à mes livres. Je n’avais jamais pris un bébé dans mes bras et jamais eu la pulsion de le faire, ils étaient de petits paquets hurlants et puants. (p.191)

Son succès suscite l’envie de bien des écrivains connus qui se montrent méprisants, condescendants, cruels même. Elle ne nomme personne, mais j’ai reconnu une figure importante du monde de la littérature. Écrivain, éditeur, il savait être terrible de méchanceté à ses heures. (Il a eu la même attitude avec Danielle Dubé, ma compagne, quand elle a remporté le prix Robert-Cliche avec Les olives noires.
Un témoignage fascinant qui fait revivre le glissement du Québec vers la modernité, nos hésitations identitaires et les abandons des années 2000. Francine Noël nous raconte le parcours d’une résistante, d’une créatrice passionnée qui n’accepte jamais les conventions et les moules. Je n’ai pu lâcher ce gros livre, retrouvant une partie de mon cheminement, suivant cette femme remarquable de la vie ordinaire. 
Et j’émets un regret en terminant. La conjuration des bâtards est un grand roman qui n’a pas connu le succès qu’il aurait dû avoir. Une vision de l’Amérique, des préoccupations écologiques plus importantes que jamais, le Québec d’après les deux référendums et la fuite vers la mondialisation. Une œuvre percutante à retrouver et à méditer, le meilleur peut-être et le plus ambitieux de cette écrivaine qui a marqué l’imaginaire de toute une génération. Un roman mal lu et qui garde toute sa pertinence.

NOËL FRANCINE, L’usage de mes jours, LEMÉAC ÉDITEUR, 400 pages, 34,95 $.

http://www.lemeac.com/auteurs/263-francine-noel.html

samedi 18 mai 2013

Francine Noël pratique l’art d’être grand-mère


Francine Noël, après avoir renoué avec sa mère dans «La femme de ma vie», se tourne du côté de ses petits-enfants dans «Le jardin de ton enfance». On le sait, la famille tient une place importante dans l’œuvre de cette écrivaine. Nous avons là le cœur de ses romans et de son oeuvre.

Le récit s’étire sur une période de sept ans, assez pour qu’Émile, le petit-fils, découvre le monde, s’habitue à sa sœur Élise et vive le divorce de ses parents. Il y a aussi les déménagements de sa grand-mère qui louvoie dans des amours qui s’étiolent avec l’homme invisible et tout ce passé qui l’attend à Cacouna, dans la maison héritée de sa mère.
Si au départ, j’ai craint de m’aventurer dans un récit où une grand-mère s’extasie devant son petit-fils, la dernière merveille du monde, je le sais pour être grand-père, j’ai vite été détrompé.

Découverte

Francine Noël raconte les grands moments de la vie du jeune Émile qui découvre les mots, les joies de la locomotion et du nomadisme, les jeux et les histoires. Elle ne lui cache rien. Pas même la guerre en Afghanistan, Ben Laden le fugitif impossible à trouver, la contestation étudiante où elle va secouer sa casserole à l’occasion.
«Je t’avais caché ça jusqu’à présent, mais à quoi bon, tu le sauras tôt ou tard : nous sommes en guerre. Avec nos voisins, les Uessiens, et d’autres pays copains, nous avons envahi une contrée montagneuse appelée Afghanistan. Nous y pourfendons le Taliban, un énergumène barbu qui déteste la musique, le dessin, les livres, le rire, la danse, les animaux domestiques et les cerfs-volants. Entre autres. Le mot sinistre semble avoir été inventé spécialement pour lui. Est-ce une raison pour envahir le pays qu’il terrorise?» (p.16)
Il y a aussi les pièces de théâtre qu’elle fréquente avec son amie Céline, les contes qu’elle transforme, la vie qui bouscule tout le monde, les jours où la grand-mère est «hors d’usage». Francine Noël profite de la chance qu’elle a de revivre des moments qui sont passés trop rapidement.
«Quand nous jouons avec notre ménagerie et que tu traces sur le tapis des clôtures et des routes fluviales à coups de dominos, je pense toujours au grand-père Aimé. Les dominos sont à lui, je les lui ai chipés lors du partage de nos biens. Il a été mon amoureux après l’époque du grand-père espagnol et avant celle de la solitude. C’est avec lui que j’ai rêvé et fait bâtir la maison de Maricourt. Chaque année, au temps des fêtes, il vient avec la tante Mélissa t’apporter des cadeaux, cette année, il y en aura aussi pour Élise.» (p.35)
Un récit magnifique, intelligent, vrai, sensible que j’ai savouré du début à la fin. Et quelle écriture! Comme quoi il est possible de parler de l’enfance sans s’enfarger dans les clichés et les lieux communs. Un texte qui parle d’amour avec lucidité et un bonheur singulier. Une offrande aussi de la grand-mère qui guide doucement ces jeunes humains dans la fragilité du monde.

«Le jardin de ton enfance» de Francine Noël est paru aux Éditions Leméac.

dimanche 4 janvier 2009

La famille préoccupe toujours les écrivains

On pourrait croire, après ma chronique où je m’attardais aux écrivaines Sophie Bouchard et Anick Fortin que la famille a déserté à jamais le champ littéraire du Québec; que ce sujet n’intéresse plus personne avec les séparations fréquentes et les unions libres qui ont transformé la société en cinquante ans. Même si certains illustrent la solitude et l’incapacité à établir une relation de couple, la famille traditionnelle et reconstituée reste une source d’inspiration pour toutes les générations. 
Marie-Claire Blais, dans ses derniers ouvrages, suit des réseaux qui se nouent et se défont dans une société de plus en plus métissée. Des individus s’aident à vivre ou se perdent dans cette grande fresque qui débutait avec «Soifs» pour déboucher sur la «Naissance de Rebecca à l’ère des tourments». La famille décrite dans «Une saison dans la vie d’Emmanuel» n’est plus qu’un souvenir.
Nous effleurons là un fil conducteur important chez Victor-Lévy Beaulieu. Les relations tordues et incestueuses des enfants de la famille Beauchemin se mélangent dans quasi tous ses ouvrages, donnant une lumière particulière à une œuvre touffue où le pire comme le meilleur surgissent.
De jeunes écrivains s’intéressent à ces liens qui subsistent entre les individus expulsés des familles éclatées. Stéfani Meunier, dans «Et je te demanderai la mer», présente des hommes et des femmes qui se retrouvent, s’aident, créent des liens étonnants et originaux. Avec l’aide des enfants, les adultes oublient leur «moi» et se redressent. Signalons l’univers étrange de Gaétan Soucy dans «La petite fille qui aimait trop les allumettes» et ces figures interchangeables qui scandent leur vie dans «Parents et amis sont invités à y assister» d’Hervé Bouchard. Jocelyne Saucier dans «Les héritiers de la mine» et «Jeanne sur les routes» décrit elle aussi des liens parentaux singuliers. Marie-Sissi Labrèche illustre de façon remarquable une famille dysfonctionnelle dans «Borderline».

Le monde de Maryse

Francine Noël, en 1984, nous entraînait dans l’univers de Maryse O’Sullivan, l’une des figures les plus attachantes de la littérature québécoise. François Ladouceur pensait changer la société en oubliant de le faire dans sa vie privée. Ce roman s’attardait à une réalité nouvelle. La famille contemporaine doit permettre à chacun de s’épanouir. L’autorité matriarcale ou patriarcale qui sévissait depuis des siècles tombait en désuétude, était remplacée par un clan élargi où, malgré la fin des passions amoureuses, des liens résistent.
Francine Noël revient régulièrement à sa tribu depuis «Maryse» qui a connu un beau succès. En 1987, elle ajoutait une page à cette aventure contemporaine dans «Myriam première». Dix ans plus tard, les lecteurs retrouvaient Maryse O’Sullivan dans «La conjuration des bâtards», une plongée au coeur de la question environnementale. Le terrorisme y est illustré de façon dramatique, deux ans avant l’attaque des tours de New York en 2001. Une réalité où des groupuscules transportent la guerre dans les autobus, les trains, les gares ou les quartiers commerciaux pour faire le plus grand nombre de victimes. Dans cette œuvre touffue, ambitieuse et multiforme, Francine Noël aborde ce sujet de façon remarquable et présente les séquelles de cette violence aveugle dans «J’ai l’angoisse légère», le dernier volet de sa saga.
Le clan

Dans cette récente parution de Francine Noël, François Ladouceur est écrivain et vit mal le succès. Maryse O’Sullivan a été tuée dans un attentat terroriste au Mexique, il y a cinq ans. Myriam vit sa vie de comédienne et Marité et Elvire s’occupent des leurs. Tibodo, Félix et Vincent se débattent dans leur quotidien pendant que Garance, une artiste inventive, rôde autour du clan. Elle n’arrive pas à retenir les hommes qu’elle aime et trouve «un peu d’humanité» dans ce réseau qui allège sa solitude. L’esprit de groupe, de partage et d’amitiés constitue l’essence des oeuvres de Francine Noël. Un univers profondément humain qui distille le bonheur malgré les pires épreuves. Ses romans décrivent une nouvelle famille qui ne cesse de changer selon les avatars de la vie. Madame Noël sculpte ses romans avec finesse et elle s’y montre une conteuse remarquable.
Le sujet n’a certainement pas fini d’inspirer les créateurs de tous les âges, autant au cinéma – pensons à C.R.A.Z.Y - qu’en fiction et d’explorer des avenues étonnantes et originales.

«J’ai l’angoisse légère» de Francine Noël est paru chez Leméac Éditeur.

jeudi 2 juin 2005

Francine Noël rend hommage à sa mère


«Maryse» et «Myriam première» de Francine Noël sont de véritables fresques. «La conjuration des bâtards», un roman unique dans la géographie littéraire québécoise, n’a pas eu la reconnaissance qu’il méritait. Les esprits chagrins, qui cherchent la grande oeuvre du Québec, devraient lire cet ouvrage paru en 1999. Un souffle qui questionne la crise de civilisation qui marque les années 2000. Un roman actuel, d’une richesse et d’un foisonnement que peu d’écrivains d’ici ont atteint.

Francine Noël vient de publier «La femme de ma vie», un récit. Au début, on se croirait devant une aquarelle. Des points de repère, une image floue qui devient un portrait de plus en plus précis même s'il reste toujours des coins d'ombre dans ce genre d’écrit.
Francine Noël a eu une mère-célibataire avant que le mot ne devienne familier. Jeanne Pelletier s'est occupée seule de sa fille, a dû gagner sa vie avec une énergie et une volonté remarquables, incapable qu’elle était de compter sur son Paul.
«Officiellement, il habitait avec nous, mais il pouvait s'absenter pendant des semaines. Sans donner de raison. Il parlait peu. Il dormait le jour, et la nuit, il stagnait dans la cuisine devant une tasse de café et une pile de «rouleuses». C'est l'image la plus claire que j'ai de lui. Quand je me levais pour lire, il était là, immobile et silencieux. Rassurant, en un sens.» (p.17)
Une famille pas comme les autres, réduite à une mère besogneuse qui a sa vie, ses secrets et ses passions. Il y a bien la famille élargie, celle qu’elle voit peu et qui habite le pays mythique de Cacouna. Naturellement, l'écrivaine éventre des secrets, ouvre des armoires. C’est le propre et l’exigence du récit.
«Elle avait une voix de soprano léger, agréable mais sans puissance, au registre peu étendu, pas assez pour chanter la plupart des airs d'opéra, ce qu'elle regrettait au point d'en être mortifiée. Elle interprétait tout avec fougue et aimait le mode majeur et les accords vibrants. Elle jouait pour elle-même, par plaisir, pour se perdre. Immobile sur le divan, je laissais sa musique déferler sur moi et me pénétrer.» (p.21)

L'enfant

La petite fille devient adolescente et fouine du côté Pelletier de Cacouna que Jeanne décrit en dissimulant de grands pans de son histoire. Le grand-père Horace commerçait l'alcool et les oncles buvaient à en crever. Des hommes violents, têtus qui échappaient à toutes les règles. Le lecteur accompagne la fille dans sa quête de vérité et d’identité.
«Mais ce qu'elle m'a légué de plus fort, c'est le verbe. J'ai attrapé son amour des histoires. Enfant, j'ai vécu dans les siennes et elles ne m'ont jamais quittée. Je connais des tas de gens dont l'enfance est un trou noir ou une série de secrets non compensés par un roman familial consistant. J'ai pu m'arrimer à celui que ma mère m'a façonné car il était riche.» (p. 162)
Un récit émouvant qui nous décrit une femme qui a emprunté des sentiers peu connus et qui a marqué profondément l'écrivaine qu'est Francine Noël.
Peut-être aussi qu'à la lecture de «La femme de ma vie», on comprend pourquoi Mme Noël s'attache, dans ses romans, aux tribus. Peut-être qu'elle a inventé la famille qu'elle n'a jamais eue avec les mots. En tentant de cerner le visage de sa mère, ce sont de grands espaces de sa vie qu'elle esquisse.
Une narration d'une franchise remarquable, une écriture ajustée au quart de tour, un récit sobre qui donne un éclairage nouveau à une oeuvre romanesque imposante qui a secoué nombre de lecteurs au Québec.

«La femme de ma vie» de Francine Noël est paru aux Éditions Leméac.