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mercredi 8 juin 2022

UN QUÉBEC LIBRE TRÈS DÉPRIMANT

DANS VIES PARALLÈLES, Benoît Côté nous plonge dans une utopie politique fort intéressante. L’écrivain suppose que le oui l’a emporté lors du référendum de 1995 par une faible majorité. Le Québec est devenu un pays. Tout a changé dans la Belle Province pour le pire on dirait, même si j’ai eu du mal à me faire une idée précise de la situation. L’auteur nous plonge dans un monde familier et étrange. Tout ce que nous connaissons du Québec de maintenant s’est désintégré. Ce n’est pas la première fois qu’un romancier se risque dans ce genre d’uchronie. Jean-Michel David, dans Voir Québec et mourir, fonçait dans cette direction et décrivait un nouveau pays qui naissait dans des conditions pénibles. Nous vivions une véritable guerre civile. Une chronique de 2012 s’attarde à ce roman.

 

Le Canada accepte mal que le Québec quitte la fédération. Le contraire me semblerait étonnant. Le gouvernement réagit brutalement en chassant tous les élus québécois des Communes. Jean Chrétien doit rentrer la tête basse dans ce Québec souverain qu’il a combattu avec acharnement. Des centaines de fonctionnaires ont dû prendre la même direction. Les Québécois ne sont plus les bienvenus de l’autre côté de la rivière des Outaouais. 

BBenoît, le narrateur, travaille dans une banque et s’occupe des investisseurs russes. Il croise un certain Vladimir Poutine, un peu baveux et sûr de lui. Côté n’avait pas prévu l’invasion de l’Ukraine, cette guerre intempestive du président russe qui a poussé la Russie hors de toutes les instances internationales.

C’est la grande vie pour Benoît, les voyages, les hôtes de luxe, les rencontres particulières, les beuveries. Comme on s’en doute, son couple claudique. Le banquier tente d’oublier et se laisse porter par l’appât du gain même s’il a du mal à composer avec son passé.

 

INTÉRÊT

 

Ce ne sont pas tellement les déboires sentimentaux et économiques de Benoît qui m’ont intéressé. L’homme s’abandonne aux circonstances et ne décide rien. Peut-être que l’écrivain voulait faire de son homonyme le prototype du Québécois qui pratique «le chialage» en virtuose, mais subit les événements sans jamais rien faire de concret. Il préfère suivre le courant du fleuve et laisser les autres choisir à sa place. Un personnage qui va de mal en pis. Benoît doit revenir sur sa vie, son passé, les idéaux qu’ils partageaient avec des amis et une peine d’amour qui a très mal guéri.

Ce qui m’a captivé surtout, c’est le décor ou le territoire du Québec après la victoire du oui. Côté se contente de grands traits. Jean Chrétien retombe vite sur ses pattes et devient le premier président de la République du Québec. Bien sûr, nous naviguons dans une fiction, mais de vrais individus agissent dans ce roman et l’auteur s’amuse en leur faisant dire des propos particuliers. 

«Et les jours après : d’un bord, l’attente de reconnaissance des autres pays qui   arrivait pas; de l’autre, la réaction du Canada anglais. La déclaration unilatérale, puis la condamnation pour insurrection. Le bannissement de Chrétien, de Charest. La dispute entre Bouchard, Parizeau, Dumont. Les milices dans le West Island, les centaines de barrages routiers devant les réserves. Ça a jamais viré complètement violent, mais la tension était là. Après, les mois, les années de négo, l’embargo sur le pétrole de l’Ouest, la suspension du libre-échange. Tu sais qu’avant de revenir s’installer ici elles sont parties, les usines?» (p.57)

Avec le réchauffement de la planète, ce paysage «industrialisé» n’augure rien de bon. 

 

POLITIQUE

 

Le Québec vit sous un régime présidentiel. On aurait pu croire que Lucien Bouchard en deviendrait le premier président, mais ce n’est pas le cas. Jean Chrétien, chassé d’Ottawa, transfuge et caméléon, capable de porter tous les uniformes, sera le champion des Québécois. 

De quoi frémir!

La situation financière s’est détériorée et la violence a failli s’imposer sans pour autant dégénérer comme dans le roman de Jean-Michel David. 

Tout le tissu social et économique du Québec de maintenant a disparu. «Bien entendu, la vue vers les autres Montérégiennes au loin m’était moins agréable, avec les banlieues sans fin qui se confondent avec les usines de gaz naturel et, finalement, avec les nombreux puits de gaz de schiste de la vallée du Saint-Laurent.» (p.50)

Tout ce sur quoi repose notre fierté ou notre société distincte dans un Canada imprévisible s’est envolé. 

Les Québécois vivent dans un état où le plus fort l’emporte et où les entreprises étrangères s’emparent de tout. Certains en profitent, mais la grande majorité de la population subit un capitalisme pur et dur. Tout le filet social s’est défait. Hydro-Québec est passée aux mains du privé et la Société des alcools également pour satisfaire les exigences du Fonds monétaire international. On extrait le gaz de schiste partout dans la vallée du Saint-Laurent et les éoliennes poussent plus drues que les épinettes qui semblent faire partie du folklore. C’est l’éden de l’exploitation sauvage, des aventuriers et des oligarques russes qui trouvent ici une terre de prédiction pour s’enrichir. 

Le président Roux tente de se maintenir au pouvoir. Une certaine madame Bombardier risque de remporter les élections. Il ouvre la porte aux étrangers fortunés en leur promettant un paradis où ils pourront prospérer sans devoir payer de taxes et voter en débarquant de l’avion.

Le Québec devient le pays idéal pour l’évasion fiscale et le gain rapide. 

La population paraît vivre dans la misère. Les centrales syndicales ne sont plus qu’un souvenir. L’écologie est un mot qui n’existe plus dans la nouvelle république.

 

UN PAYS

 

À vrai dire, je n’aurais pas tellement envie de vivre dans le Québec indépendant de Benoît Côté. Il décrit avec un certain cynisme un monde âpre, sauvage ou des investisseurs sans âme font la loi. 

Pour le reste, l’aventure de Benoît qui se voit forcé d’écrire un texte de fiction sur un Québec qui aurait voté non en 1995 est plus ou moins intéressante. 

Bien sûr, les entrevues avec Jacques Parizeau, Richard Desjardins, Michel Tremblay et Dédé Fortin attirent l’attention. Ces personnages connus agissent dans cette fiction, mais les déboires du narrateur et sa descente aux enfers s’étire un peu trop. Et ce journal intime rédigé en 2002 prend beaucoup trop d’espace.

Reste que c’est intéressant d’imaginer l’avenir en s’appuyant sur la conjoncture économique et la situation dans le monde. Jean-Michel David et Benoît Côté me semblent particulièrement pessimistes. Les deux prévoient la violence et la dégradation des conditions de vie des Québécois, sans parler du saccage écologique et du démantèlement du filet social. 

Étrange que l’on préfère toujours le pire au meilleur.

Le Québec ne parvient jamais à vivre autrement, à utiliser adroitement ses richesses dans ces scénarios. Pourquoi sans cesse la catastrophe

J’aimerais bien qu’un écrivain se risque de ce côté de l’utopie pour nous offrir une situation moins déprimante. Jacques Parizeau ou Lucien Bouchard deviendrait logiquement le premier président de la République. Il pourrait nationaliser la forêt, les ressources minières et l’eau pour s’adonner à une exploitation responsable de l’écosystème. Imaginons un pays vert et accueillant. Et toute une jeunesse qui se consacre à sauver la planète et aide les éclopés du monde pour créer une société différente 

L’uchronie d’un Québec indépendant qui soulève l’enthousiasme reste à inventer. Mais quand on s’attarde à ce qui se concocte dans les partis politiques actuellement, il s’avère difficile de demeurer optimiste et de se comporter comme le Pangloss de Voltaire qui ne voyait que le bon côté des choses?

 

CÔTÉ BENOÎTVies parallèles, Éditions du Boréal, 416 pages, 32,95 $.

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/vies-paralleles-2827.html