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vendredi 14 avril 2000

Marc Boileau abandonne souvent son lecteur

Marc Boileau en prend large avec la réalité et qui peut lui reprocher de tout oser et de tout se permettre. Il le faut quand l'auteur entend mener ses lecteurs par le bout du nez, leur faire emprunter des sentiers nouveaux et inconnus. Dès les premières pages, il nous plonge dans un monde qui tient à la fois du conte fantastique et de la légende. Cette histoire on la croirait pigée dans les contes de la chasse-galerie. Une vraie tempête de neige, un chevreuil magique, des loups qui bondissent dans la poudrerie, les hurlements du vent, le chien qui ne sait plus dans quelle direction bondir.
Marc Boileau nous tient et puis il nous laisse tomber juste avant de nouer tous les fils. Il coupe court, se laisse entraîner par un personnage féminin et s’égare dans son récit. Un peu la caractéristique de ces onze histoires d'ailleurs. L’écrivain a réussi à m’entraîner dans une aventure parfaitement anodine, m’a fait m’avancer sur un fil ou encore m’a poussé au coeur d'une toile d'araignée et puis tout s’est effrité à chaque fois. J’ai perdu pied pour basculer dans l'anodin et le simplisme. Un peu frustrant.
«Elle était d'une beauté éthérée qui paralysait le regard. Son teint de porcelaine était parfait. Un tout petit grain de beauté sous sa lèvre inférieure ajoutait du relief à son visage, et une fine cicatrice sur son front amplifiait la profondeur de son regard. Ses yeux transparents étaient presque irréels. Ils étaient comme une mosaïque de bleu et de vert. De longs cheveux d'un blond sauvage caressaient ses joues. Sa tendresse pouvait se respirer.» (p.36)

Pirouette et cacaouette

Au lieu de creuser son sujet, de foncer dans une direction précise, l'auteur s'en tire par une pirouette. Il rabâche, glose et a réussi à m’énerver à chacun des textes. Toutes les fictions de Marc Boileau auraient eu intérêt à être élagués et ramassés. 
«Finalement, elle se fit prendre à son propre jeu. Elle s'élança pour sauter par-dessus un tronc couché à travers le sentier. Mais, la fatigue jouant contre elle, l'obstacle s'avéra trop haut. En tombant, la femme se brisa quelque chose à la cheville. La blessure se mit instantanément à rugir dans tout son corps pour la paralyser de douleur et de peur. Étourdie, elle leva les yeux et elle vit le fou devant elle. L'homme était dégoûtant. Son sourire graisseux racontait tous les détails de ses appétits sordides,» (p.127)
Que de phrases inutiles, que de détails et d'images forcées. Les maladresses et les incorrections finissent par rebuter. «Anne-Marie accepta l'invitation sans hésiter et avec un sourire qui goûtait bon aux yeux de Morin. Un sourire de désir.», «... entendre ses poumons sur le point de hurler leur mort», «L'image lui glaça le sang d'un seul coup». Je pourrais accumuler quantité de ces phrases qui font hausser les épaules. Marc Boileau devra corriger cette manie et cette quête d'images gonflées aux hormones.
«Entre chien et chat» nous fait sombrer dans le loufoque et l'extravagant. Là, nous atteignons les bas-fond.
Marc Boileau semble capable du pire comme du meilleur. Il devra apprendre à maîtriser ses élans et son enthousiasme, à discipliner son écriture, à choisir le plus simple pour donner toute la place à l'action et aux personnages.
Une langue souvent boiteuse qui gâche vraiment le plaisir. Dommage parce que cet auteur a une façon de transformer la réalité, de jouer avec le possible et l'impossible qui peut étonner.

«Histoires fantastiques du Saguenay» de Marc Boileau est paru aux Éditions JCL.

mercredi 12 avril 2000

Un monde qui a le souffle un peu court

Jean-Paul Filion vient du monde de l'oralité et de la tradition du conte. Ah! ce monde d'avant la télévision où la parole faisait surgir le merveilleux et des personnages qui pouvaient tout dire et tout inventer. Jean-Paul Filion est demeuré fidèle au monde magique des conteurs et des menteurs.
Le hic, c'est qu'il est difficile maintenant de se laisser prendre par cette parole qui a un goût un peu suranné. Jean-Paul Filion, surtout dans «Les conteries de Jean-Bel», ne transcende pas cet univers et se laisse happer par le plaisir d'inventer des images. Jamais il ne se donne le souci de ramener son récit vers notre époque. Nous avons l'impression de fouiller dans un vieux coffre plein de boules à mites. Jamais non plus il ne concède à l'écriture, s'en tenant à l'oralité.  
Il y a bien quelques petites étincelles mais l'intérêt s'émousse très rapidement.
«Comme dev'nues paralysées, les mains de M'sieu Bach ont lâché l'piano. La bouche de M'sieu Bach s'est ouverte sans être capable de parler. Enfin, y m'a r'gardé dans le blanc des yeux. Comme j'me sentais drôlement crinqué pour faire valoir mon violonage à son meilleur, le grand artiste se r'pencha su' ses notes à lui et se mit à m'suivre, d'abord tranquillement, pis... de plus en plus vite, jusqu'à pouvoir r'joindre la frénésie d'mes doigts. Tous les deux, on a fini par s'envoyer un sourire d'enfant à travers les sons dansants, heureux de s'être rencontrés au bour d'la nuit.» (pp. 51 52)
Rencontres

La rencontre avec Jean-Sébastien Bach tourne court. Une belle occasion de ratée. C'est le problème de cette suite de contes qui surgissent comme des bulles mais ne vont nulle part.
Que dire de plus? Le monde magique de Jean-Paul Filion a les ailes roussies. Peut-être aussi que Jean-Bel est un peu fatigué malgré ses prétentions.
«La vie est une respiration qui sait pas s'fatiguer. Avec elle, en vrai migrateur, j'suis donc d'équerre pour toujours me r'commencer.» (p.108)
On voudrait bien y croire...
«Les conteries de Jean-Bel» de Jean-Paul Filion est paru aux Écrits des Hautes-Terres.