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lundi 4 février 2019

FRANÇOIS RICARD FAIT RÉFLÉCHIR

TROP FRÉQUEMMENT, hélas, les essais sur la littérature québécoise misent sur une langue qui m’étourdit et me déroute. Les spécialistes et les théoriciens de l'écrit me perdent et je n’arrive plus à retrouver les œuvres que j’aime dans ces propos. Ces chercheurs, il me semble, ne peuvent échafauder un paragraphe sans multiplier les références à des collègues. L’impression que ces lecteurs écrivent en surveillant les autres et que l’important pour eux est d’être cités dans une prochaine publication. Je m’y attarde cependant, pour voir, pour être surpris. Les propos d'un Gilles Marcotte par exemple. Il m’a étonné et ses conclusions m’ont souvent dérouté. J’ai particulièrement aimé Un roman sans aventure d’Isabelle Daunais, une réflexion qui secoue notre imaginaire et notre monde de fiction avant les années 1970.

François Ricard a le grand mérite, dans La littérature malgré tout, d’écrire dans une langue limpide. Pas besoin de s’arracher les cheveux pour comprendre où le professeur, biographe et essayiste veut aller. C’est simple, précis et il montre bien ses intentions dans une courte présentation.

Il n’est pas impossible que ce livre intéresse quelques spécialistes, chercheurs ou autres professionnels de la littérature. Mais ce n’est pas à eux qu’il s’adresse d’abord. Le lecteur idéal que j’imagine - et dont il doit bien rester quelques spécimens ici et là - n’est pas un savant ni un « littératurologue », mais un individu, homme ou femme, jeune ou vieux, pour qui les œuvres littéraires ne sont pas un objet d’étude mais un art de vivre, une manière de préserver et d’approfondir en nous le petit espace d’humanité et de liberté qui nous reste. (p.7)

Je me suis reconnu dans ce lecteur qui cherche dans le roman « un art de vivre et un espace de liberté ». L’écrivain et enseignant s’attarde à des souvenirs, des rencontres, des découvertes qui l’ont secoué et bouleversé. Un livre peut aider à respirer ou vous étouffer. Quand un auteur vous touche, il devient impossible de s’en éloigner et d’abandonner des personnages plus présents souvent dans votre vie que des proches qui hantent votre quotidien.

AVENTURE

J’ai consacré beaucoup de temps aux livres des autres, à réfléchir à leur démarche et à ce qu’ils dissimulent souvent au coeur de leurs phrases. Bien sûr, j’ai croisé des enchanteurs et aussi des prosateurs à belle réputation qui m’ont ennuyé.
M’attarder à mes aventures de lecteur devient ma façon de préciser ce que j’ai ressenti en parcourant quelques centaines de pages qui sont venues me toucher dans ce que j’ai de plus vrai dans la production québécoise des dernières décennies. J’ai toujours cru que je devais réserver l’espace du journal où je travaillais aux écrivains du Québec. Ce lieu médiatique leur appartient et pas un journaliste ne devrait avoir le droit de les en priver. Avis aux « Indiana Jones » qui ne jurent que par la littérature étrangère.
François Ricard se penche sur un art difficile qui me concerne et me fait hésiter. Il cherche à cerner cette entreprise bizarre qui veut mettre une couche de mots sur les textes de ses collègues. J’ai souvent ressenti un malaise en exerçant ce travail, mais quel apprentissage de la franchise et de l’honnêteté ! Se lancer dans une chronique ou une critique, c’est se tourner vers soi pour dire ce qu'un autre écrivain heurte en vous.

RENCONTRE

Ce travail me tient en éveil depuis une cinquantaine d’années. Un arrêt, un moment de réflexion, une sorte de rencontre où les phrases pèsent de tout leur poids et ne servent jamais à étourdir ou à séduire. Je considère maintenant que cela fait partie de mon métier de souffleur de mots. Me lancer dans des fictions, oui, des récits et des carnets, mais sentir l’obligation de plonger dans le monde de mes contemporains pour voir où ils en sont et pourquoi ils recommencent sans cesse une tâche qui ne peut avoir de fin. Un écrivain qui ne se préoccupe pas du travail des autres me semble un funambule maladroit.
Bien sûr, j’ai changé depuis le premier texte que je signais dans Le Quotidien du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Au début, je pensais devoir agir en magistrat (point de vue de la plupart des chroniqueurs). J’étais celui qui devait séparer les bonnes publications des mauvaises. Mon jugement était sans appel. C’est toujours le cas. La victime (l’écrivain) ne gagne jamais à faire appel et à se plaindre d’une sentence parue dans un média. Le journaliste ou ce qui lui ressemble possède une forme d’immunité même quand il cherche à réécrire tous les livres à sa manière. J’en ai connu plusieurs de ces « justiciers » qui souhaitaient mettre les scribouilleurs au pas et « faire le ménage » dans les publications québécoises. Jean Basile a affirmé une chose semblable dans Le Devoir, il y a des années.

Les véritables critiques, ces lecteurs passionnés qui font pleinement conscience et aux œuvres et à l’expérience à la fois mentale et existentielle que celles-ci leur procurent, force est d’admettre qu’ils sont très rares, et même de plus en plus rares à mesure que la littérature s’efface tout doucement de notre monde et de nos vies. (p.39)

Je veux établir un dialogue, vivre un tête-à-tête particulier, raconter pourquoi un texte (ce peut aussi être de la poésie) touche en moi un quelque chose que je cherche inlassablement à effleurer en écrivant. Une façon d’expliquer ce contact intime, sans déguisement et maquillage. Cette approche exige souvent des efforts terribles et des remises en question. Et quand un récit n’a aucun écho en moi, ça arrive malheureusement, je m’abstiens. La rencontre a échoué à cause d’un style, d’un regard, du propos, d’une manière de dire qui me laisse indifférent. Bref, le dialogue précieux que je souhaite aurait risqué de devenir un monologue sans importance. Beaucoup de chroniqueurs sont tentés par cette forme de parole qui se mord la queue.

RENCONTRE

François Ricard me touche particulièrement quand il s’attarde auprès de Gabrielle Roy, qu’il explique son regard sur une œuvre encore mal vue par nombre de spécialistes et surtout, lorsqu’il réfléchit à son travail de biographe. Il y a longtemps que j’ai compris qu’une telle tâche demande des décennies. C’est certainement pourquoi je me suis toujours tenu loin de ce genre d’entreprise. J’y ai songé, à la mort de mon ami Gilbert Langevin, mais il aurait fallu me faire enquêteur, chercheur, preneur de notes, obsédé qui revient sans cesse aux mêmes textes, provoquer des rencontres et écouter ceux et celles qui ont côtoyé le poète pendant son existence tourmentée. Je n’ai pas eu ce courage ou cette abnégation.
Tout comme monsieur Ricard, je ne lis pas souvent de biographies, mais je n’ai pas pu résister à Pierre Nepveu et à son Gaston Miron, comme je ne pouvais éviter Gérald Nicosia et Jack Kerouac. Bien sûr, l’ouvrage que François Ricard signe pour présenter Gabrielle Roy, la femme, le milieu, la vie de l’écrivaine que nous avons mal aimée, m’a fait vivre des moments inoubliables.

DISPARITION

Les affirmations de François Ricard concernant « la normalisation de la littérature » touchent une corde sensible chez moi. Il ébranle tout ce qui a donné sens à ma vie. Le texte qui avait quelque chose de sacré dans mon enfance serait maintenant un objet obsolète. Et ce même si les livres prolifèrent et vont dans toutes les directions depuis quelques années. Ces propos me ramènent à ceux qui ont commenté la production québécoise et qui ont provoqué souvent ma colère. Ils ont agi comme ces irresponsables qui ont pratiqué la coupe à blanc dans la forêt boréale sans se soucier des lendemains. Ces « lecteurs salariés », comme je les nomme, ont fait des ravages impossibles à oublier. Pendant des décennies, dans les pages des grands médias nationaux, tous les écrivains qui osaient envoyer leurs personnages dans une région ou la campagne, se faisaient lyncher. Il fallait être urbain envers et contre tous pour retenir leur attention, c’est à dire Montréalais. Heureusement, cela a changé, mais les attaques de ces kamikazes ont fait un mal terrible à notre imaginaire. Il y a un essai à inventer sur ceux qui ont brandi la contre-culture à bout de bras quand nous cherchions de peine et de misère à cerner les territoires de notre présence en Amérique. Quelle entreprise suicidaire et irresponsable !

Nous ne le savions pas, eux-mêmes ne le savaient pas, sans doute, mais les missionnaires de la contre-culture et la nouvelle écriture, les dénonciateurs du mensonge et de la vanité littéraires qui s’agitaient parmi nous à la fin des années 1970 auront eu raison. Certes, ce n’était pas leur fait, et ils agissaient moins en assassins qu’en embaumeurs, mais leur campagne de destruction et leurs proclamations apocalyptiques sont bel et bien porté fruit : le temps de la littérature était terminé. (p.191)

Pour employer un mot qui me hérisse, « l’industrie du livre » a bien changé depuis les années 1970. Les écrits existentiels et viscéraux, les textes qui bousculent la place des humains dans la société sont de moins en moins visibles. Les « écrivains de fond » ne retiennent plus l’attention des médias et encore moins celle des organisateurs d’événements qui tournent autour des parutions récentes.
Nous en sommes à l’ère du vedettariat. Il faut être comédien, journaliste vu à la télévision, animateur reconnu ou humoriste pour attirer les regards. Les véritables manieurs de mots, ceux qui vivent et périssent par le verbe comme Nicole Houde, nous les ignorons. Mon amie Nicole qui a écrit toute sa vie pour repousser sa tentation de la mort. Chez elle, la phrase a été une manière de survivre. Ces chercheurs de sens sont maintenant condamnés à travailler dans l’indifférence et les grands prix nationaux font souvent des choix étonnants.
Je crois à la littérature. Et ce malgré tous les excès, les entreprises commerciales et les pirouettes des amuseurs qui s’agitent dans les salons de l’imprimé avec leurs livres jetables. Et comme écrivain, je m’ennuie d’André Vanasse et de ses lectures décapantes. Nous avons fait un bon bout de chemin ensemble. Des conversations précieuses, un même amour pour le mot et le texte.  Oui, il y a encore des éditeurs qui misent sur l’originalité et qui ne se laissent pas impressionner par le curriculum vitae des vedettes qui haranguent les foules. Pas facile dans une époque où tout le monde veut son nom sur la page couverture d’un livre et refuse souvent de lire.
J’aime plus que jamais ces phrases qui font mieux respirer dans un univers en péril. Je trouve toujours des ouvrages qui me coupent le souffle et me permettent de voir autrement ce qui bouge et s’affole autour de moi. Bien sûr, la manière a changé, on n’écrit plus comme Yves Thériault le faisait. La vie fait cela. Les rencontres précieuses sont précieuses et plus nécessaires que jamais. Je pense à ma découverte du roman de Karoline Georges De synthèse, l'année dernière et les réflexions de Mustapha Fahmi. Que dire du plaisir que j’ai à retrouver monsieur Gilles Archambault ? C’est toujours une fête, comme recevoir un ami. Oui, j’aime ces entêtés qui retournent les images, cherchent à voir au-delà du babillage de la télévision et de Twitter.
François Ricard m’a forcé à me pencher sur ce qui a donné sens à mon existence. La lecture d’abord, cette incroyable façon de transformer le quotidien pour cesser d’avoir peur de ses semblables. J’écris pour effleurer des vies, toucher des mains, capter le regard de l’autre en moi. Il me semble que je ne pourrai jamais m’en passer. Peut-être aussi que je suis d’une race en voie de disparition, tout comme monsieur Ricard.


LA LITTÉRATURE MALGRÉ TOUT, essais de FRANÇOIS RICARD, publiés chez BORÉAL ÉDITEUR, 2018, 200 pages, 24,95 $.

  
https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/litterature-malgre-tout-2615.html


lundi 30 janvier 2012

Pas vraiment facile de cerner le roman

Isabelle Daunais
Isabelle Daunais et François Ricard affirment, dans «La Pratique du roman», que les écrivains du Québec s’attardent rarement à réfléchir sur l’art qu’ils pratiquent. Particulièrement en ce qui concerne le roman qui connait un essor considérable depuis des années. C’est un peu négliger la collection «Écrire» des Éditions Trois-Pistoles où des dizaines d’écrivains mettent les cartes sur table.
«Les romanciers parlent volontiers de leur œuvre ou de leurs projets, ou encore de la littérature en général, mais peu de l’art précis qu’ils pratiquent (les poètes, en cela, sont beaucoup plus prolixes). Pourtant, le roman constitue ici comme ailleurs une forme artistique majeure et il n’échappe en rien aux grandes questions- sur sa spécificité, son rôle, ses limites- qui partout se posent à lui.» (p.8)
François Ricard
On pourrait questionner les milliers de membres de l’UNEQ et il y aurait autant de points de vue, il me semble.
Ils sont huit à prendre le temps de réfléchir à la question. Gilles Archambault, Nadine Bismuth, Trevor Ferguson, Dominique Fortier, Louis Hamelin, Suzanne Jacob, Robert Lalonde et Monique La Rue. Quatre femmes et quatre hommes.
Le titre le dit bien. On peut fréquenter le genre en étant écrivain ou encore simplement lecteur. La plupart des auteurs sont l’un et l’autre comme il se doit. L’écriture vient souvent avec la lecture et la lecture pousse vers l’écriture.

Droit au but

Gilles Archambault est peut-être le plus direct. Il y va sans détour. Un roman est «l’écriture de soi», dit-il, empruntant la formule à Jean-Claude Pirotte. S’écrire le plus simplement possible en évitant les prouesses, les effets de style ou les longs détours.
«Ne pas céder à la tentation du divertissement. L’imaginaire a bon dos. Elle recouvre souvent l’inanité du propos. Je n’ai pas en tête quelque recherche de «profondeur». (p.105)
Nadine Bismuth est plus préoccupée par le sort réservé aux écrivains dans les médias. À la télévision, à la radio, dans les revues et les journaux, c’est l’homme qui intéresse, sa vie, ses idées et ses points de vue. Dany Laferrière dit la même chose dans «L’art presque perdu de ne rien faire». Un autre sujet il me semble.

Regards

Dominique Fortier écrit devant une  fenêtre pour voir le monde. Elle peut aussi être vue. Le roman devient une lecture d’un certain univers et le lecteur imagine ce qu’il veut bien en surveillant cette femme. Cela m’a fait penser au dernier roman d’Andrée Laurier. Dans «Avant les sables», tout commence avec Myriam qui, à sa fenêtre, surveille un couple au café. Elle aussi est l’objet de leur attention.
Fortier défend le droit à l’invention et à l’imaginaire même si un certain réalisme n’est pas à dédaigner. Elle hausse les épaules devant les autofictions qui font saliver les foules.
Louis Hamelin s’attarde au roman québécois et américain. Le mythe de la cabane isolée semble récurrent dans notre littérature. Fort intéressant ce qu’il écrit sur Gabrielle Roy. Il aurait pu rôder aussi du côté de Jean Désy.
Monique La Rue et Suzanne Jacob se tournent vers Roland Barthes et Milan Kundera. Ces écrivains ont décortiqué le roman comme une mécanique sans pour autant en percer les secrets. Comment saisir l’émotion qui porte les grandes œuvres? Peut-être qu’il faudrait demander au lecteur. C’est lui qui a toujours le dernier mot. Madame Jacob raconte comment un roman de Pierre Jean Jouve a changé sa vie. Elle a trouvé dans «Hécate» ce qu’elle cherchait. L’écrivain n’a rien eu à dire dans cette illumination. Le lecteur crée son livre en se l’appropriant.

Réflexions

Presque tous sont d’accord. Un roman doit s’inscrire dans l’histoire et être porté par une écriture, un rythme et un souffle. Kundera se montre sévère en affirmant dans «Les testaments trahis» que la production romanesque de maintenant est interchangeable. Difficile de lui donner tord.
Les romanciers travaillent à construire des cathédrales. Chacun a son architecture, son plan et son lieu. Un ouvrage fort pertinent pour ceux et celles qui aiment lire de la fiction. Une manière de réfléchir à ce que l’on recherche dans un livre. Ce pourrait être là le sujet d’un autre essai…

«La Pratique du roman» de Isabelle Daunais et François Ricard est paru aux Éditions du Boréal.