Jacques Cartier, après une longue traversée de l’Atlantique, a cru trouver «la terre que Dieu donna à Caïn» en longeant la Côte-Nord. Un anathème qui colla à cette région jusqu’à une époque récente.
À partir des années soixante, cet immense pays qui s’offre le fleuve Saint-Laurent comme parterre, le golfe et l’estuaire sur une longueur de 1300 kilomètres, avec des milliers de rivières, de lacs et de montagnes en arrière-scène, a été perçu autrement. On parlait d’une région qui saurait apprivoiser l’avenir. Des noms comme Sept-Îles, Port-Cartier, Schefferville et Baie-Comeau devenaient des synonymes de prospérité.
Un pays aux ambassadeurs exceptionnels. Gilles Vigneault a fait connaître Natashquan et ses habitants partout dans la francophonie. Florent Volant a montré l’âme amérindienne dans ses musiques et ses spectacles.
Dire son pays
« Il ne faut jamais laisser aux autres le soin de dire son pays» écrit Serge Bouchard en introduction du «Pays dans le pays». «Le risque est trop grand de subir le regard pressé du passant, de se voir dans un miroir déformant, à la limite de n’être plus que l’ombre de soi-même.» L’anthropologue a appris ce territoire en écoutant Mathieu Mestokosho, un Innu, un héros qui raconte sa vie de chasseur.
Les auteurs Francine Chicoine et Serge Jauvin ont arpenté le littoral qui masque l’arrière-pays, écouté les gens qui habitent ce coin de continent depuis des millénaires. Toujours en se laissant bercer par des paysages qui s’ouvrent sur l’infini, des oiseaux que soufflent la mer, des saisons découpées au compas, des forêts et des rivières que l’on a matées. Une terre marquée par les assauts des vents du large, le froid et les glaces qui bousculent les gestes et les entêtements des humains.
«C’est un pays où l’été s’installe au sud pendant que l’hiver perdure au nord, où fragilité du minuscule et force du grandiose rivalisent de beauté. On y passe des horizons lointains aux ciels dentelés par la tête des épinettes, des paysages marins à ceux de la taïga et de la toundra subarctique. Et toute cette lumière qui coule partout, qui vous imprime la nature au cœur ; puis soudain, ce brouillard qui s’abat sur un pan du décor, effaçant le contour des choses, vous immobilisant sur place.» (p.13)
Découverte
Il y a bien des manières de dire un pays. L’écrivaine et le photographe ont surveillé les oiseaux, la mer qui invente d’immenses fresques sur le sable, les épinettes qui cernent des montagnes pelées, des lacs d’un bleu métallique, des ciels buvant la lumière comme des aquarelles.
Le défi était de demeurer modeste devant ce territoire extravagant sans basculer dans la démesure ou les propos dithyrambiques. Francine Chicoine maîtrise une émotion qui affleure à chaque page et Serge Jauvin laisse parler des photos exceptionnelles, de véritables tableaux. On s’attarde devant un paysage, un arbre gravé sur le sable, un macareux moine qui prend son envol, un castor ou un plat de morue qui devient une nature morte. Les fleurs et les fruits sont des miracles de fragilité avec des noms comme des poèmes: chicouté, sarracénie pourpre, élyme des sables et aconit bicolore. Chacune des images est une histoire ou un voyage qui se renouvelle à chaque fois que l’on se penche sur cet album. «Le pays dans le pays» est un poème en photos et en textes.
Ode à la vie
Il est vrai que l’on a multiplié les beaux livres ces dernières années, faisant découvrir à peu près toutes les régions du Québec. Alain Dumas et Yves Ouellet l’ont fait avec le Saguenay-Lac-Saint-Jean et ils préparent une nouvelle édition. Il est rare pourtant que l’on atteigne l’émotion que l’on trouve dans le «Pays dans le pays». C’est plus qu’un beau livre, c’est une ode à la vie, à une terre aride mais généreuse, aux habitants de la Côte-Nord.
L’album est accompagné d’un CD qui présente les quatre saisons de ce pays exceptionnel.
«Le pays dans le pays» de Francine Chicoine et Serge Jauvin est paru aux Éditions David.