Nombre total de pages vues

jeudi 10 janvier 2008

Voyage inoubliable au pays de la Côte-Nord

Jacques Cartier, après une longue traversée de l’Atlantique, a cru trouver «la terre que Dieu donna à Caïn» en longeant la Côte-Nord. Un anathème qui colla à cette région jusqu’à une époque récente.
À partir des années soixante, cet immense pays qui s’offre le fleuve Saint-Laurent comme parterre, le golfe et l’estuaire sur une longueur de 1300 kilomètres, avec des milliers de rivières, de lacs et de montagnes en arrière-scène, a été perçu autrement. On parlait d’une région qui saurait apprivoiser l’avenir. Des noms comme Sept-Îles, Port-Cartier, Schefferville et Baie-Comeau devenaient des synonymes de prospérité.
Un pays aux ambassadeurs exceptionnels. Gilles Vigneault a fait connaître Natashquan et ses habitants partout dans la francophonie. Florent Volant a montré l’âme amérindienne dans ses musiques et ses spectacles.

Dire son pays

« Il ne faut jamais laisser aux autres le soin de dire son pays» écrit Serge Bouchard en introduction du «Pays dans le pays». «Le risque est trop grand de subir le regard pressé du passant, de se voir dans un miroir déformant, à la limite de n’être plus que l’ombre de soi-même.» L’anthropologue a appris ce territoire en écoutant Mathieu Mestokosho, un Innu, un héros qui raconte sa vie de chasseur.
Les auteurs Francine Chicoine et Serge Jauvin ont arpenté le littoral qui masque l’arrière-pays, écouté les gens qui habitent ce coin de continent depuis des millénaires. Toujours en se laissant bercer par des paysages qui s’ouvrent sur l’infini, des oiseaux que soufflent la mer, des saisons découpées au compas, des forêts et des rivières que l’on a matées. Une terre marquée par les assauts des vents du large, le froid et les glaces qui bousculent les gestes et les entêtements des humains.
«C’est un pays où l’été s’installe au sud pendant que l’hiver perdure au nord, où fragilité du minuscule et force du grandiose rivalisent de beauté. On y passe des horizons lointains aux ciels dentelés par la tête des épinettes, des paysages marins à ceux de la taïga et de la toundra subarctique. Et toute cette lumière qui coule partout, qui vous imprime la nature au cœur ; puis soudain, ce brouillard qui s’abat sur un pan du décor, effaçant le contour des choses, vous immobilisant sur place.» (p.13)

Découverte

Il y a bien des manières de dire un pays. L’écrivaine et le photographe ont surveillé les oiseaux, la mer qui invente d’immenses fresques sur le sable, les épinettes qui cernent des montagnes pelées, des lacs d’un bleu métallique, des ciels buvant la lumière comme des aquarelles.
Le défi était de demeurer modeste devant ce territoire extravagant sans basculer dans la démesure ou les propos dithyrambiques. Francine Chicoine maîtrise une émotion qui affleure à chaque page et Serge Jauvin laisse parler des photos exceptionnelles, de véritables tableaux. On s’attarde devant un paysage, un arbre gravé sur le sable, un macareux moine qui prend son envol, un castor ou un plat de morue qui devient une nature morte. Les fleurs et les fruits sont des miracles de fragilité avec des noms comme des poèmes: chicouté, sarracénie pourpre, élyme des sables et aconit bicolore. Chacune des images est une histoire ou un voyage qui se renouvelle à chaque fois que l’on se penche sur cet album. «Le pays dans le pays» est un poème en photos et en textes.
Ode à la vie

Il est vrai que l’on a multiplié les beaux livres ces dernières années, faisant découvrir à peu près toutes les régions du Québec. Alain Dumas et Yves Ouellet l’ont fait avec le Saguenay-Lac-Saint-Jean et ils préparent une nouvelle édition. Il est rare pourtant que l’on atteigne l’émotion que l’on trouve dans le «Pays dans le pays». C’est plus qu’un beau livre, c’est une ode à la vie, à une terre aride mais généreuse, aux habitants de la Côte-Nord.
L’album est accompagné d’un CD qui présente les quatre saisons de ce pays exceptionnel.

«Le pays dans le pays» de Francine Chicoine et Serge Jauvin est paru aux Éditions David.

lundi 7 janvier 2008

Victor-Lévy Beaulieu transforme Blanche neige

Victor-Lévy Beaulieu souhaitait, sans doute, un peu de répit après sa monumentale somme portant sur James Joyce et le Québec. Quoi de mieux pour se reposer de l’écriture que de plonger dans l’écriture, laisser son imagination bondir sur «les grandes feuilles de notaire» et suivre les méandres d’un conte qui a marqué tous les enfants du monde, «Blanche neige et les sept nains».
La plus belle des princesses devient une grande échalote mince comme un fil avec des cheveux crépus comme la laine d’un petit mouton noir. Son père, conducteur d’un vieux camion Purolator, a ramené Neigenoire du Costa Rica où sa mère est décédée. Le conteur ne s’attarde pas aux amours lointaines du père et des voyages de ce dernier quand il en a assez des bancs de neige.
Et il y a une vieille fille «mal lavée, mal essuyée et mal repassée». Un peu fêlée du chaudron et entraînée par la veine noire de sa destinée, tante Gertrude tricote des tuques à s’en user les pouces. Laide à faire des remèdes, elle garde la petite orpheline de temps en temps, prend un malin plaisir à la contrarier pour ne pas dire autre chose.
La trame de cette histoire nous entraîne au bout d’un rang de Squatec où tout arrive, même le bonheur et le triomphe de la vertu. VLB sait s’adoucir quand son stylo-feutre s’abandonne aux réminiscences de l’enfance.
Un jour donc, alors que le père doit livrer «des messages secrets pour tous ceux que ça pressait d’envoyer quelque chose à un parent, à un ami, à une compagnie avec ou sans numéro de ce bord du monde ou au-delà du miroir où c’est que l’eau est salée et polluée par du pétrole en combustion lente», Neigenoire passe la journée chez cette tante malcommode.
L’obsédée de la maille à l’endroit et à l’envers qui a «l’air d’un clou à tête carrée tellement elle était maigre, avec une face que le nez prenait toute la place et un front si étroit qu’il n’y avait presque pas d’espace entre les cheveux et les sourcils» force l’enfant à tricoter les fameuses tuques qui s’accumulent jusqu’au plafond de sa maison quand elle aimerait mieux dessiner. On a vu des tortures plus raffinées dans Aurore notre enfant prophète et martyre.
Jalouse de la beauté de Neigenoire, tante Gertrude réussit à lui voler son image grâce à la magie d’un miroir. Elle s’accapare les traits de la petite noiraude en forme d’asperge et vice-versa.

Les sept chiens

Neigenoire prend la fuite dans la forêt et, après avoir avalé une poignée de framboises de Squatec qui lui brûle la langue et la bouche, elle bascule dans un trou noir. On pourrait retrouver Lewis Carroll et le lapin d’Alice, mais notre VLB a plus d’une malice dans sa barbe.
La fillette reprend conscience au fond d’une caverne, entourée par sept chiens. Bonhomme et Maman Micropuce ont mis au monde une famille de chiots qui protègent l’enfant éclopé. Snoopy, Fifille, Bidou-Laloge, Sainte-Lucie et Numéro Deux deviennent des complices.
Comme il se doit, la fillette guérira avec l’aide de ses nouveaux amis qui en savent long sur la méchanceté de cette race de monde et leurs habitudes. Ils parviendront même à redonner à Neigenoire sa beauté tout en punissant la méchante Gertrude dans un feu digne de l’enfer qui emporte les tuques de laine. Comme quoi la morale est sauve et la méchante punie.

Plaisir

Un plaisir que l’on peut partager avec les enfants même si l’écrivain de Trois-Pistoles ne peut s’empêcher d’y aller de quelques irrévérences. Un conte qui tient surtout par l’écriture particulière de Victor-Lévy Beaulieu, sans les excès qui sont si coutumiers dans ses romans. Les illustrations de Mylène Henry sont d’une justesse et d’une beauté qui rendent magnifiquement cet univers. Une véritable surprise à chaque page, des petites trouvailles, des clins d’œil à l’actualité et un humour singulier tissent ce petit bijou d’édition qui joue avec les couleurs et bien d’autres astuces. Oui, dans l’art du conte, tout est possible, même d’adoucir notre VLB.

«Neigenoire et les sept chiens» de Victor-Lévy Beaulieu est paru aux Éditions Trois-Pistoles.