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vendredi 18 décembre 2015

Et si Charles Baudelaire avait eu une fille

UN ÉCRIVAIN FAIT SOUVENT tourner les têtes, devient un phare pour ses contemporains. Charles Baudelaire, l’auteur des Fleurs du Mal, est l’un de ceux-là. Les lecteurs ne cessent de se pencher sur son œuvre poétique pour en découvrir des facettes. Sa vie a été marquée par les excès et la syphilis qui finira par l’emporter à l’âge de 46 ans. Gilles Jobidon s’attarde à une courte période de la vie du poète qui est demeurée obscure. Un voyage, quelques semaines mystérieuses, un flou où tout peut arriver. Bernard-Henri Lévy a fait le contraire dans Les derniers jours de Charles Baudelaire où il présente le poète aphasique et délirant à Bruxelles. Que se passe-t-il alors dans sa tête, quels moments s’imposent dans ses éclairs de lucidité ? Deux regards, deux façons de rendre hommage à un artiste qui a marqué son époque et la poésie.

Le jeune Baudelaire s’encanaille dans ce Paris de tous les excès au grand désespoir de sa mère Caroline et de son beau-père, un général aux idées précises. On décide de lui faire voir l’ailleurs. Il part pour les Indes, autant dire l’envers du monde. Le voyageur ne parviendra jamais à destination, faisant escale aux Mascareignes après un naufrage où il échappe de justesse à la mort. Que fait-il alors, qui rencontre-t-il ? Gilles Jobidon décrit un jeune homme capricieux qui ne supporte pas les contradictions. Comme si le monde tournait autour de sa personne et que ses pulsions et ses désirs décidaient de tout. Nous sommes en 1841, loin de la bohème et des prostituées de la Ville lumière, dans une société coloniale tenue en marge du temps. Il a dix-neuf ans et la poésie ne permet pas de gagner sa vie. La situation n’a guère changé. Encore de nos jours, c’est faire vœu de pauvreté. Je pense à Gaston Miron qui, malgré sa notoriété, a toujours eu du mal à s’installer dans la vie. Autrement dit, il faut un vrai métier avant de s’adonner à la poésie.

Par tous les moyens, Aupick essaie de mettre du plomb dans la cervelle de son beau-fils. Il cherche à l’arracher aux liaisons corrosives avec les ivrognes, les drogués, les dandys qu’il fréquente. Il veut le sauver des griffes des prostituées juives et mulâtresses vers qui il pellette l’argent extorqué à sa mère. L’ambition du général est de le soustraire aux cafés, aux bars, à ces égouts fumants où il récite des vers pour une carafe de piquette. (p.26)

Le jeune Baudelaire se dirige vers sa majorité. Il va alors toucher l’héritage de son père, une somme importante. Caroline, sa mère, aimerait bien que son fils retrouve un certain bon sens et ne dilapide pas son argent dans les milieux malfamés qu’il aime particulièrement. Les voyages forment la jeunesse, dit-on, et l’expédier au bout du monde va peut-être lui faire voir les choses d’un autre œil.

RENCONTRE

Le Baudelaire de Jobidon croise une musicienne remarquable qui n’a jamais joué devant un public. (C’est elle qui s’adresse au lecteur au tout début et au jeune Baudelaire.) On comprend qu’elle est Noire. Le racisme permet ce genre de stupidité dans un milieu qui n’a guère évolué. Elle aime cet être entier, amoureux de sa mère et souvent imprévisible.
Il s’installe à l’hôtel le plus dispendieux, se donne des manières et ne sort jamais sans une tenue impeccable. Cette Maah, mère, qui peut aussi s’appeler Maude, Louise, Berthe ou Dorothée, est une prostituée à la retraite qui vit au milieu des esclaves où elle prédit l’avenir. Une sorcière qui sait les choses visibles et invisibles. Ces êtres d’exception ne pouvaient que s’aimer, se heurter et se faire mal.

Tu ne t’es pas encore défait de ton enfance. Tu ne le feras jamais. Tu es aussi esclave que nous l’avons été, à ta manière. Ton arrogance est celle des timides. Des riches. Des nantis. De ceux qui se croient invincibles. De deux qui ont si peur qu’ils prennent toute la place. Quand tu es entré, j’ai songé à ce que ma mère aurait dit en te voyant : « Tiens, v’là l’corbeau. » Je t’ai fait enlever ton chapeau, ta cravate, tes gants et ta redingote, l’attirail de boulevard que tu portes malgré cette chaleur. Tu as vingt ans et tu t’habilles comme un banquier qui court chez les filles à la pause de midi. Les Blancs n’ont pas appris à respirer. (p.14)

Gilles Jobidon imagine une fille à ce couple qui échappe à toutes les normes. La petite B. viendra rejoindre le poète à Paris. D’une beauté remarquable, elle posera pour les peintres. La belle métisse, l’étrangère fascine Baudelaire. Sa relation avec Jeanne Duval, son amante aux bijoux sonores, le démontre amplement.

UNIVERS

Jobidon nous entraîne dans l’univers du poète qui a vécu toutes les expériences et tâté de l’opium. Un monde où l’on cherche à s’ouvrir l’esprit, traque des obsessions où le réel et l’imaginaire se confondent. Il faut cela parfois pour pousser l’art dans une dimension autre et apercevoir peut-être une réalité différente.
Baudelaire aura des amours troubles avec sa fille. Jobidon en dit juste ce qu’il faut pour que nous comprenions. Caroline, la mère de Charles, n’aura pas besoin d’explications quand elle rencontrera Laura et son fils.

Je ne sais pas comment elle réussit à entrer ici, mais elle se trouve face à moi, dans mon salon. Elle semble nerveuse. Elle n’a pas encore ouvert la bouche que j’aperçois un enfant qui se cache derrière ses jupes, un petit garçon. Je crois que je vais défaillir. C’est lui. C’est Charles à son âge. Il a les cheveux bouclés et le teint plus foncé, mais c’est lui, je vous jure, les mêmes traits, les mêmes yeux perçants. La jeune femme commence à déballer sa salade, mais je ne l’écoute pas. J’ai tout compris avant même qu’elle n’ouvre la bouche. Je suis devant mon petit-fils. Je suis fascinée par le garçon qui quitte sa mère pour s’asseoir près de moi, comme s’Il me connaissait depuis toujours. Je fonds en larmes. Ma vie bascule. Seule une mère amputée de son fils peut comprendre ce que je ressens. (p.126)

La jeune femme ira vivre aux États-Unis avec Charlot. Et il y a ce père dont Laura ne parle jamais. On comprend pourquoi.
Un dernier volet californien, dans un pays que Baudelaire connaissait par certains de ses écrivains. L’Amérique où l’on peut réinventer le monde par les arts nouveaux et où tout devient possible. Molly Sin s’affranchit malgré son handicap et son fils, Jesse, vit la solitude et les grands questionnements. 

RISQUE

C’est toujours risqué de s’aventurer dans la vie d’un personnage connu. Les admirateurs peuvent se manifester de façon virulente. Il faut aussi que la vie du personnage permette de greffer notre imaginaire à son réel. Nous voilà dans un monde étrange, fascinant, troublant comme le fut la vie de Charles Baudelaire. L’aventure américaine m’a particulièrement plu. Nous sommes dans l’étrange, le différent qui a toujours attiré le poète. Voir le beau au-delà du mal et du bien, voir autrement la vie qui ne peut que décevoir.

C’est la première épouse  d’un marchand, sa reine captive. Il n’a pas besoin de la séquestrer au faîte de la plus haute tour, elle ne peut pas s’enfuir. Ses pieds sont un désastre. Ils sont bandés lorsqu’elle a quatre ans pour conserver la taille d’un bouton de fleur de lotus. Les orteils sont repliés, ourlés sur eux-mêmes, entourés de bandelettes resserrées un peu plus chaque jour, jusqu’à la fracturation des os. Trois pas sont un supplice, dix une crucifixion. Sa famille la marie en bas âge avec un garçon d’une ville, d’un village éloignés. Il est à peine plus âgé qu’elle. À quinze ans, elle devient sa génisse. Elle n’a que des devoirs, lui, des leçons à lui faire. Quand il s’enrichit, il prend autant de concubines que son banquier le lui permet. Elle ? Elle ne sort presque jamais, elle pond. Elle pond à faire peur. Un jour la Terre s’appellera la Chine. (p.144)

Un roman qui repose sur le détail et la finesse, nous égare volontairement pour nous ramener à des personnages qui bousculent leur société et des manières de voir. Peut-être que Charles Baudelaire avait pressenti que les États-Unis deviendraient la puissance du monde moderne en traduisant Edgar Allen Poe. Geste rare à l’époque.
La France, surtout Paris, se voyait comme le centre mondial de la culture, des arts visuels et de la littérature. On verra nombre d’écrivains américains par la suite vivre en France avant de connaître la célébrité. Je pense à Ernest Hemingway, Gertrude Stein, Henry Miller et même Paul Auster, notre contemporain. James Joyce y fera aussi une escale et y publiera son Ulysse grâce à madame Stein.
Gilles Jobidon est toujours aussi exigeant avec son lecteur qu’il l’est avec lui. Un roman magnifiquement écrit qui mise sur l’ombre et la lumière pour créer une fiction qui ne trahit pas l’auteur des Fleurs du Mal. J’aime les textes qui demandent toute mon attention et qui peuvent parfois me déjouer avec ses multiples narrateurs.
Heureusement, il y a encore des Gilles Jobidon pour faire confiance au lecteur sans jamais faire de compromis. Parce qu’après tout, un roman est l’art du texte et une exploration qui permet de secouer le langage. Jobidon réussit parfaitement l’exploit avec La petite B.

La petite B. de Gilles Jobidon est paru chez Leméac Éditeur, 232 pages, 25,95 $.

vendredi 11 décembre 2015

Frédérick Lavoie montre l’humain derrière l’horreur

L’ACTUALITÉ NE CESSE de nous bousculer et des drames éclatent partout dans le monde. Après les attentats de Paris, un couple tire lors d’une fête en Californie et le nombre de victimes augmente. Terrorisme, dit-on. Nous en sommes à la guerre intime où « les autres » deviennent l’ennemie. L’horreur ne cesse de trouver de nouveaux lieux, d’attirer les regards et de semer la terreur. C’était l’année dernière en Ukraine et pourtant c’est il y a si longtemps. Qui se souvient de l’atroce guerre de Tchétchénie, du commando qui a frappé à Moscou ? J’avais collectionné des centaines de photos alors, étant encore journaliste au journal Le Quotidien. Nous étions envahis par ces scènes de villes dévastées, d’hommes et de femmes qui allaient dans les ruines comme des spectres. Je n’oublierai jamais la photo d’une jeune femme qui transportait des chaudières d’eau dans un camp de réfugiés près de Sleptsovskaya. Elle avait un sourire lumineux, semblait pouvoir survivre à tous les malheurs. J’avais pensé écrire une histoire en m’inspirant de ces « vues » de la guerre.

J’ai suivi les événements en Ukraine, la partition de la Crimée après un référendum rapide, l’intervention des Russes qui prétendaient être neutres, le bras de fer des puissances étrangères et l’appui plutôt hâtif du Canada au nouveau gouvernement. On a appris plus tard que Stephen Harper voulait attiser le conflit entre l’Ukraine et la Russie afin d’exporter le pétrole bitumineux en construisant un oléoduc qui balafrerait le Québec. Comme quoi les conflits les plus lointains ont des incidences sur les décisions de nos gouvernements.
Frédérick Lavoie s’intéresse à cette partie du monde, on le sait depuis la parution de Allers simples : Aventures journalistIques en Post-Soviétie en 2012. Il n’est pas étonnant de le voir retourner en Ukraine qui vient de renverser un gouvernement corrompu et qui n’arrive plus à calmer le jeu.

Ceux qui ont pris le pouvoir à Kiev souffrent du complexe du vainqueur. Ils n’ont pas la tête à négocier avec les forces réfractaires aux changements. Ils ont fait la révolution au prix du sang d’une centaine de martyrs. Ils estiment avoir gagné le droit d’imposer leur vision du pays. C’est aux vaincus de s’adapter, de s’allier aux victorieux, ou de se taire. Un régime corrompu et de plus en plus autoritaire a été renversé ; une vraie démocratie, une Ukraine libre et européenne est sur le point de naître. Il n’y aura pas de compromis avec ces profiteurs qui ont maintenu le pays sous la domination de Moscou et l’on conduit au bord de la faillite. Point final. (p.66)

Heureusement, il existe encore des journalistes indépendants qui vont sur les lieux pour voir pourquoi des populations qui vivaient dans une relative bonne entente depuis des décennies en arrivent à se haïr. Rencontrer des gens, les écouter, discuter avec eux et les accompagner dans ce qu’ils subissent, cela peu être dangereux, téméraire, même quand on ne fait rien pour narguer la mort. Frédérick Lavoie n’est pas un Paul Marchand, heureusement.
Les bombes frappent aveuglément. Pourquoi, à un moment ou un autre, une petite ville, un quartier deviennent une cible ? Des familles se sont levées le matin et se préparaient à une journée comme les autres.
Un missile qui semblait venir de nulle part est tombé sur une maison, tuant un jeune garçon de quatre ans. Un enfant qui n’avait que l’avenir est mort, bouleversant sa famille qui a tout perdu dans l’attaque, même le droit d’espérer. Une histoire qui se répète trop souvent quand les armes parlent.
Pourquoi est mort ce jeune enfant ? Pourquoi a été épargné le voisin ?

COMPRENDRE

Frédérick Lavoie cherche à comprendre et à expliquer aussi, peut-être, à cet enfant pourquoi il est mort. Le journaliste devient un témoin, la narration se fait personnelle et émouvante. Plus question du récit distant lesté de chiffres et de statistiques recensant les rebelles abattus et les soldats sacrifiés. L’empathie est là dès les premières lignes même si nous nous heurtons, nous le devinons, à la folie humaine, un conflit déclenché autour d’un sapin sur une place publique de Kiev. Les guerres commencent souvent par des peccadilles et engendrent les tueries les plus sanglantes.
Le jeune Artyom est mort le 18 janvier 2015 à 8h10 du matin au 5 rue Ilinskaïa de Donetsk. Mort absurde, injustifiée, injustifiable, idiote, déplorable comme toutes les tueries pendant un affrontement où la raison prend congé.
Arriver à dire à cet enfant pourquoi une roquette Grad est tombée sur sa maison quand la journée était à peine entamée, est particulièrement exigeant. Souvent, il faut remonter le temps pour comprendre le présent. Nous l’oublions tellement souvent. Le présent reste la partie visible d’événements qui cachent le pire comme le meilleur.
L’Ukraine possède une longue histoire avec son folklore, ses légendes, ses mythes, dont ceux des Cosaques qui ont enflammé l’esprit de bien des lecteurs. Il y a eu des guerres, des envahisseurs et des familles venues pour travailler et qui ont continué à parler leur langue, dont le russe. Beaucoup se sont regroupés autour des installations minières, particulièrement dans la province du Donbass. La cohabitation des ethnies n’est jamais facile. On l’a vu dans tellement de pays. Il suffit d’une étincelle et tout explose.

PROJET

Le projet du président Viktor Ianoukovitch de rejoindre l’Union européenne suscite espoir et désolation. La Russie tolère mal une perte d’influence sur cette partie du monde. Surtout, un marché rentable pour son pétrole et le gaz naturel est menacé. Le Canada de Harper savait tout cela. Le président fait volte-face pour se tourner vers la Russie qui promet des montagnes d’argent. La situation s’envenime et le gouvernement est renversé à la grande surprise de tout le monde, même des révolutionnaires.
Frédérick Lavoie se rend dans les zones d’affrontements, là où l’armée bombarde les rebelles qui ripostent comme ils peuvent, rencontre la famille du petit Artyom, écoute les parents, assiste aux funérailles et vit un moment surréaliste. Le cercueil blanc repose sur des chevalets avec derrière, tout près, un camion lance-roquettes. Comme si on avait décidé d’exposer l’enfant avec son assassin. Cette photographie fera le tour du monde. Une image qui montre la guerre dans toute sa grossièreté et son indécence. Qui n’a pas été perturbé par la photo du jeune Alyan retrouvé mort sur une plage de Turquie. L’illustration parfaite des dangers qu’affrontent les gens qui fuient leur pays. Un rappel brutal pour nous dire que ces réfugiés risquent leur peau.

HISTOIRE

Frédérick Lavoie tente de démêler les fils, d’expliquer une situation difficile à comprendre, quasi impossible à décrire. Une intrigue pire qu’un roman de James Joyce. Certainement que le petit Artyom aurait préféré s’amuser sur son tricycle plutôt que d’écouter cette trop longue histoire de bombardements, de manifestations et de tirs de missiles. Que peut comprendre un enfant à une suite d’aveuglements, d’obsessions et d’entêtements ? 
Le journaliste croise des militants intelligents, ouverts, capables de discuter des grands problèmes qui déchirent le monde. Il y a de l’espoir…

Ils croient en la justice, l’équité, la démocratie, les libertés individuelles et veulent que chaque Ukrainien puisse en jouir autant qu’eux. Je les écouterais durant des heures discourir et débattre autour d’un verre de vin ou d’une bière, chercher des solutions pour réinventer l’État et le sortir de son marasme postsoviétique. Ils sont l’incarnation de ce que la Révolution de la dignité a apporté de mieux à l’Ukraine. Ils sont l’espoir d’un réel changement et la force vive qui s’affaire à le concrétiser. Et pourtant. Dès que j’aborde avec eux les causes de ta mort, de la guerre dans le Donbass et de la désaffection de ses habitants, ils enfilent des œillères. Ils sont soudainement intransigeants, manichéens, ignorants même. Leur indignation devient sélective. Leurs capacités d’empathie, de discernement et d’autocritique s’arrêtent là où la ligne de front commence, là où l’intégrité territoriale de leur pays est remise en question. (p.219-220)

Frédérick Lavoie arrive à nous passionner pour une situation politique compliquée et raconte surtout le quotidien des victimes, de ceux que l’on classe comme « dommages collatéraux ». Il nous captive, là où les médias nous embrouillent et se contentent de répéter des chiffres et de recenser les morts. Lavoie touche l’humain, la douleur, la compassion, l’amour, ce qui fait que des résistants survivent aux pires situations et finissent par se relever. C’est peut-être là l’avenir du journalisme qui s’essouffle, se contente de se répéter à la télévision ou de montrer des images qui donnent la nausée. Un pan d’humanité malgré la folie, la guerre et les obsessions. Nous en avons bien besoin.
Un récit émouvant qui cerne les humains dans ce qu’ils ont d’admirable et de terrible. Parce que les hommes et les femmes, partout, dans la longue marche de l’humanité ont provoqué les horreurs et démontré une compassion souvent étonnante.

Ukraine à fragmentation de Frédérick Lavoie est paru aux Éditions La Peuplade, 264 pages, 24,95 $.

mercredi 2 décembre 2015

La vie ne cesse d’inventer des histoires

LA VIE EST UNE aventure où des choix sont à faire, des directions à prendre qui nous entraînent parfois dans des lieux et des villes envoûtantes. Nous sommes tous les possibles et des gestes, selon les événements et les circonstances, font que certains individus ne s’éloignent guère des lieux qui ont marqué leur enfance quand d’autres s’exilent à jamais. Qu’aurait été ma vie si, au lieu de m’éloigner à Montréal pour des études, j’étais demeuré dans mon village pour vivre avec la fille qui me coupait le souffle à seize ans ? J’aurais dû travailler à la scierie ou suivre mes frères dans la forêt comme je l’ai souvent fait pendant l’été. Je viens d’une famille de forestiers et de nomades qui se sont aventurés jusqu’au plus loin du Nord. J’ai souvent pensé à un roman où j’inventais les vies qui auraient pu être les miennes. Catherine Leroux répond à cette question en prouvant que la vie se moque du temps et de l’espace.

Un squelette est découvert dans un boisé près de l’hôpital Victoria à Montréal. Il est là depuis un certain temps étant donné son état. Qui est cette femme ? Comment elle est morte? Les policiers tournent en rond. Celle que l’on nomme Madame Victoria restera une énigme et sa mort un cas jamais résolu. Impossible de connaître sa véritable identité et ses origines. Pas possible non plus de remonter le fil de la vie de cette femme qui semble être morte de « sa belle mort ».

Germain, bien qu’on l’interroge quatre fois par jour, n’a pas plus de pistes que les autres. Mais il est hanté par le souvenir du crâne, se maudissant de l’avoir signalé si vite à la police, comme une mère qui aurait laissé son enfant partir sans prendre le temps de le serrer dans ses bras, de lui insuffler ce qu’il faut d’amour pour affronter le monde. Celle qu’on surnomme désormais Madame Victoria s’est éteinte seule, sans les mains compatissantes d’un Germain pour l’accompagner jusqu’au dernier seuil, sans personne pour la pleurer. C’était ça, cette tristesse incommensurable qu’il avait sentie devant le crâne. C’était le poids de cette solitude absolue (p. 11)

Qu’est-ce qui a amené Madame Victoria dans ce boisé, au coeur de la ville, pour mourir loin de tous comme un animal quand ses derniers moments sont venus ? Comment faire pour ne pas laisser de traces ? La mort n’emporte pas le passé, son histoire, ceux qui peuvent se souvenir. Nous laissons toujours des empreintes et des enfants, des amis, des connaissances qui, un soir de nostalgie, se souviennent et rappellent que vous avez été. Je répète souvent que nous survivons dans la mémoire de deux générations, parfois trois. Après, le silence prend tout l’espace. Une nouvelle neige biffe toutes les empreintes et recommence à neuf. Comment effacer son vécu et avancer incognito dans la mort, brouiller les pistes pour ne laisser que des questions sans réponses.
Les enquêteurs sont bien embêtés par ce squelette venu peut-être du bout du monde pour mourir dans la plus belle des discrétions. Je pense à ces histoires de mon coin de pays qui racontent que des Polonais sont tombés dans les barrages lors de la construction des grands ouvrages sur les cours d’eau du Saguenay. Chutes, accidents et ces hommes anonymes sont restés dans leur tombeau de ciment. Des migrants disparus sans rien laisser derrière eux. Des histoires dignes de Samuel Archibald.
J’ai souvent rêvé aussi devant les photos de Lucy, cette ancêtre qui a vécu en Éthiopie il y a trois millions d’années et qui nous en apprend un peu sur nos origines. Que sait-on de son vécu dans les savanes africaines ? Et sa fille Salem… Le corps témoigne, mais garde ses mystères. Elle était de la race des cueilleurs et se déplaçait à la verticale. Autant dire qu’elle respirait.

VISAGE

Madame Victoria ne restera pas cette morte anonyme. Catherine Leroux imagine plusieurs femmes avec des vies particulières. Une seule contrainte : toutes doivent mourir dans ce boisé et ne rien laisser qui permet de les identifier. Nous basculons dans les plus belles fictions. Rapidement, nous oublions Montréal, l’enquête et les policiers. Toutes ont vécu l’amour, la peur, la douleur, l’abandon et la maternité pour certaines. L’écrivaine ne se restreint pas à une époque et présente des tableaux fascinants.

Plus de dix ans après le décès de Madame Victoria, ce sont cette fois ses cheveux qui intéressent les scientifiques. Grâce à de nouvelles techniques, ils parviennent à tirer des robustes filaments ayant échappé à la dégradation une foule de renseignements inédits. Chacun des quarante-trois centimètres des brins analysés révèle un mois des dernières années de la morte anonyme. On apprend alors que Madame Victoria a déménagé sept fois en trois ans, partant du nord de la province pour se déplacer vers le sud. On découvre aussi qu’elle souffrait d’une carence en minéraux pouvait indiquer une grave maladie. (p.13)

L’une est esclave, amoureuse du fils de son maître, une autre est incapable de tolérer la proximité des humains. Une allergie sévère plutôt originale. Une Victoria a été l’objet de certaines expériences médicales qui ont gâché sa vie. Une journaliste a fait son chemin dans la plus terrible des solitudes, un modèle et une féministe d’avant-garde. Une autre a trahi quand elle a lâché la main de son compagnon au moment de sauter de la falaise. Toutes vivront des événements qui les poussent hors de leur milieu, les font basculer dans la détresse et la solitude.
Les Victoria démontrent, peut-être, que la vie est une aventure imprévisible qui peut prendre toutes les directions.

PORTRAITS

Ces femmes doivent surmonter des situations particulières, nous poussent souvent dans des directions étonnantes et montrent tout le talent de cette jeune écrivaine qui a surpris dans La marche en forêt et Le mur mitoyen. Comment faire sa vie quand on est une Noire qui subit les caprices des maîtres ? Plusieurs romans nous racontent les vies horribles des Noirs en Amérique, particulièrement Aminata de Lawrence Hill. L’histoire imaginée par Catherine Leroux ajoute une page douloureuse à l’aventure américaine.
La romancière nous fait oublier rapidement la contrainte de la fin et on s’attache à ces femmes originales et aux personnalités touchantes.

Je m’appelle Victoria, mais ce n’est pas mon vrai nom. Car ceux qu’on me donne sont tous inexacts. Je possède tous les noms du monde, les paroles de tous ceux qui ont vécu avant moi. Je m’appelle mystère, douleur, ou parfois verdict. Je suis une hache, une bombe chargée à bloc, une flèche pointée sur les derniers mots de l’histoire. Je suis courage, je suis vestige, je suis pont. Je suis lumière. Je me nomme victoire comme pour dire  « la dernière ». L’ultime survivante. Je m’appelle amour et guerre. Je m’appelle éon. Je suis une éternité, je suis tout, puis plus rien. (p.196)

Le passé est peut-être la somme de toutes les histoires que l’on n’arrive pas à démêler et qui nous poussent vers un avenir insaisissable. Parce que toutes les aventures se ressemblent et montrent un milieu, une société à un moment précis. Combien de vies reposent en nous et que faudrait-il faire pour les découvrir ?
Un roman écrit dans une langue splendide où un mystère en dissimule toujours un autre. Et ces moments uniques, magnifiques où l’écriture prend toute la place.

Autour de mes chevilles, mes jupes ondoient comme si elles étaient vivantes. Je ne sais pas comment, mais je me retrouve à quelques pouces d’Hector. Dehors, le vent s’en prend au feuillage et les arbres s’ébrouent lentement. À deux mains, je cueille son visage et l’approche du mien. Sa bouche est une chapelle et toute mon âme s’y agenouille. Je ne vois plus rien, mes oreilles sifflent. Quand nous nous détachons et qu’Hector s’en va, la cuisine se vide complètement, il ne reste plus rien. Je me glisse dans ma chambre. Près de mon lit, le mur du poêle est rouge comme les braises. (p.122)

C’est pour ça que j’aime la littérature et que je voudrais lire tous les livres.

Madame Victoria de Catherine Leroux est paru aux Éditions Alto, 208 pages, 22,95 $.

jeudi 26 novembre 2015

Tristan Malavoy nous pousse dans le mystère

CERTAINS ROMANS s’ouvrent de la mauvaise façon, vous repoussent au lieu de vous aspirer. Sergio Kokis s’amuse souvent à compliquer la vie de son lecteur dans les premières pages. « Pour éloigner les mauvais sujets », dit-il en plaisantant. Je crois plutôt qu’il faut l’appâter pour le retenir. Gabriel Garcia Marquez disait que l’amorce d’un roman est comme la pêche à la ligne. Il faut attirer la truite et après, la retenir en lui laissant une liberté de mouvement. Ne jamais faire en sorte que le poisson rompe la ligne et s’échappe. Un art difficile à maîtriser. C’est peut-être pourquoi les plus belles prises réussissent toujours à déjouer le pêcheur.

Tristan Malavoy a pratiqué la poésie, la chanson et le journalisme. Un beau détour pour en arriver au roman. L’émission Bazzo.tv m’a poussé vers Le nid de pierres qui attendait sur ma table depuis plusieurs jours. Les lecteurs ont trouvé que le roman était un peu court. Tous auraient voulu demeurer dans l’environnement de Thomas. J’avais regardé quelques pages comme je le fais toujours avec un nouveau livre. Quelques phrases pour mesurer le ton, l’ambiance et la musique. J’ai su tout de suite que ce roman exigerait des efforts. Des livres s’offrent comme un fruit mûr et d’autres demandent un peu de patience et d’attention. Il suffit de plonger pourtant et la magie opère. Ce sont toujours ces romans qui font hésiter que je préfère.
Malavoy nous entraîne à Saint-Denis-de-Brompton, un village situé dans les environs de Sherbrooke. Le pays d’Alfred Desrochers que je connais mal. Un village avec ses personnages, ses lieux singuliers et ses légendes. Tous les lieux en ont. Celle d’Alice Norton par exemple.  Les Français et les Abénaquis ont réalisé une expédition dans le village de Deerfield au Massachusetts. Massacre et capture de prisonniers et long retour au Canada. Alice perd son fiancé. Mylène Gilbert-Dumas en a fait un roman dans 1705. Une belle histoire d’amour et d’aventure qui passe par ce coin du Québec.
Une légende abénaquise raconte qu’il est possible de communiquer avec les morts ou les ancêtres. Il suffit de trouver les lieux et de connaître certains rituels. Un trou de boue, un œil de bœuf ou une panse de vache comme on disait dans mon enfance suffit pour happer l’esprit. Une fosse qui peut vous aspirer si vous faites preuve d’imprudence.

Je ne sais pas combien de temps ça dure, je me suis perdu dans mes pensées. Si je n’entendais pas intérieurement la voix de ma mère inquiète de savoir où je suis passé, je resterais encore. Ma peur de cet endroit fait place à un sentiment nouveau, comme s’il y avait une sorte d’aimant, là sous la terre, qui voudrait que je ne parte pas. (p. 28)

Le roman creuse le temps et l’espace, tourne sur des lieux précis, secoue des craintes et des fantasmes qui remontent à la nuit des temps. Bien plus, l’auteur se risque dans des histoires parallèles qui vous présentent deux époques. Creuser, plonger dans le monde d’avant l’arrivée des Blancs en Amérique, suivre un jeune autochtone dans sa vie de tous les jours et son monde magique, dire ce qu’il y avait avant et peut-être ce qui subsiste de nos jours est un beau défi.

ACUPUNCTURE

Il y a donc des lieux qui agissent comme des points d’acupuncture. Il suffirait de les trouver et de connaître certaines formules pour entrer en contact avec les grandes forces telluriques de la planète, basculer dans le monde invisible si cher à l’écrivain Alain Gagnon.
Thomas est attiré par un trou de boue tout près du village où il a failli s’enliser avec sa moto. Un gouffre qui aspire tout ce qui s’en approche. Une bouche qui fait passer l’imprudent dans une autre dimension.
Un adolescent disparaît. Tous le connaissent, savent qu’il était un peu lunatique. Yannick reste introuvable même si toute la paroisse est passée au peigne fin. Que s’est-il passé, que lui est-il arrivé ?

Je croyais la page tournée pour de bon. La disparition de notre camarade, en sixième année. La période sombre qui avait suivi. Mais j’aurais dû m’y attendre : tout comme la distance, le temps qui me sépare de cette histoire s’est rétréci comme une peau de chagrin. Le mystère est là, tout près, entier. Je l’entends battre sous mes tempes. On n’a jamais retrouvé Yannick-Lunatique. De locales, les recherches étaient rapidement devenues nationales. Pendant près de deux ans, jusque sur les plus importants plateaux télé, on avait parlé de Yannick Robert, de son inexplicable disparition, de l’absence complète de piste sérieuse, hormis quelques théories abandonnées une à une. (p.54)

Thomas ne peut s’empêcher de penser au trou. Yannick a-t-il été aspiré par la boue ? Il n’osera jamais formuler ce genre d’hypothèse. On ne parle pas de ces choses. La légende abénaquise nous pousse dans cette direction pourtant. Peut-être que pour résoudre les mystères du présent, il faut savoir les légendes du passé. J’aime assez l’idée.
Le retour de Thomas et Laura au village des origines ravive cette histoire. Il est attiré par ce lieu maudit où toutes les craintes peuvent se concrétiser. Et voilà en plus que le vieux Cyriac disparaît. Comme si l’histoire de Yannick se répétait dans un autre temps avec un autre personnage. Thomas devrait comprendre parce qu’il écrit, invente des scénarios et des vies pour la télévision.
 
SILENCE

Nous sommes abandonnés là, près d’un trou de boue dans la forêt. Et c’est à nous lecteur de tirer les fils, d’imaginer ce qui a pu arriver et ce qui peut encore subvenir dans ce coin de forêt où une bouche traverse les époques et les siècles. Les légendes ne doivent jamais trouver d’explication et être réduites à un fait divers. Les fables doivent demeurer du côté des légendes pour survivre. On ne touche pas au mythe parce que ce serait ouvrir la porte au malheur. Du moins, j’aime le croire.
Les lecteurs de Bazzo.tv auraient voulu, je l’ai dit, trouver une explication à cette histoire en deux temps. J’ai ma petite idée, mais pas question de vous la donner. Faites votre travail de lecteur.


Un chasseur caché derrière une grande pierre, qui avait tout vu de la scène et qui me l’a racontée plus tard, a attendu que le soleil se lève et que les cris de l’homme aux manières étranges soient emportés par le vent, puis s’est approché du trou par où Majiskok avait disparu. Mais…
— Mais quoi ? demandent plusieurs voix parmi le cercle.
— Mais il n’y avait pas de trou. Rien. Comme si le serpent géant avait plongé dans un lac et que les eaux avaient aussitôt effacé les traces de sa fuite. Comme si Majiskok s’était engouffré non pas dans le sol, mais dans un liquide.
Nous attendons tous la suite, mais les lèvres de Pannoowau restent closes. Alors, un à un, nous nous levons en silence, la tête encore emplie du serpent millénaire qui habite les bois où nous marchons, et nous entrons dans nos wigwams en sachant très bien que Majiskok nous attend du côté du sommeil. (p.172)

Un récit qui vient vous chercher habilement, vous fait naviguer entre la raison et la déraison, l’imaginaire et la légende. Un texte qui prouve qu’un romancier est un créateur de mondes, d’histoires qui peuvent vous faire douter du réel et du présent. Peut-être même de votre propre existence. C’est pourquoi les livres sont indispensables.

Le nid de pierres de Tristan Malavoy est paru aux Éditions du Boréal, 264 pages, 22,95 $.

vendredi 13 novembre 2015

Jean Désy nous injecte une bonne dose de vie.


Une version de cette chronique
est parue dans Lettres québécoises,
numéro 160.

JEAN DÉSY a beaucoup écrit sur le nord du Québec et ses voyages où il va à la découverte du monde. Ce nomade respire mieux quand l’espace s’ouvre autour de lui et que la vie sauvage se manifeste dans toute sa splendeur et sa dureté. Le nord du Québec se prête bien à ce genre d’expériences où la mort rôde. Il s’est même aventuré au Népal et a failli y laisser sa peau. Il est demeuré beaucoup plus discret cependant sur son travail de médecin qui lui a permis de connaître des gens qui vivent en marge du monde, subissant les ressacs d’une société de consommation et de gaspillage des ressources ; des lieux menacés par un Plan Nord qui va se faire aux dépens des populations autochtones qui ne comptent jamais dans ce genre d’entreprise. Pratiquer la médecine dans ces espaces où il faut se débrouiller avec peu de moyens n’attire pas beaucoup de postulants, on le comprendra.

Jean Désy est un homme de la Côte-Nord du Québec et du Nord, ce pays de rêveries, de dureté où la vie se recroqueville et où la survie exige souvent toutes ses ressources et son imagination. C’est une manière de retrouver la vie des Européens qui sont venus en ne sachant comment survivre sur un continent où des peuples nomades composaient avec les saisons et des déplacements bien définis. Ces arrivants ne pouvaient que bouleverser l’ordre américain. C’est encore ce qui se vit dans le Nord où le quotidien n’est plus le même depuis que les Blancs sont débarqués avec leurs machines et leurs habitudes de conquérants. Nous leur avons légué le pire de notre civilisation.
La quarantaine de courts textes que Jean Désy offre dans L’accoucheur en cuissardes nous transporte sur la Côte-Nord et dans le Grand Nord du Québec, des villages qu’il a visités à de nombreuses reprises. Des pays rudes, peu habités où la nature s’impose, où il faut puiser dans toutes ses ressources pour survivre. C’est peut-être encore l’un des rares endroits au monde où il est possible de se mesurer aux saisons et en réaliser toute la force. Une expérience que la vie en ville a souvent dénaturée. Ce monde fascine Désy depuis toujours et après ses heures de garde dans des dispensaires, il s’évade dans la toundra ou encore va en mer pour taquiner la morue ou l’ombre de l’Arctique. Il aime ces moments où il a l’impression d’être un survivant dans une nature qui l’enveloppe, où il est possible de démêler tout ce qui encombre l’esprit. Ce besoin de solitude, d’être totalement dans son corps, d’habiter ses jours du matin au soir, le fait revenir dans ces lieux peu fréquentés pour comprendre peut-être la nature humaine, son propre regard sur les êtres et les choses.

Une mésange entre et se perche sur la table, comme si elle était une habituée. Rosaire lui tend un morceau de pain qu’elle picore volontiers. Je finis par repartir, mais avec l’idée de revenir pêcher en compagnie du plus vieux de mes garçons, l’autre étant trop jeune, pour jaser encore avec Rosaire à propos d’une existence qui m’a tenté toute ma vie, en plein bois, au cœur des épinettes, des orignaux et des mésanges. (p.57)

Il concilie ainsi la pratique de la médecine, son amour de la nature indomptée, y trouvant matière à ses romans et ses récits, parvenant à aider les Autochtones, les regardant se débattre avec leurs terribles difficultés, la perte d’être qui hante ces gens qui ont perdu leur équilibre, leur pensée et leur regard sur le monde.

L’HUMAIN

Désy nous entraîne ainsi dans des situations amusantes, souvent tragiques, toujours étonnantes où il doit improviser et ignorer souvent les directives des spécialistes du Sud qui ne comprennent pas la situation dans laquelle il se trouve. Il fait savoir que dans ce coin du monde, tout près de nous, la médecine est un sport extrême, celle que les médecins de campagne pratiquaient à l’époque de nos grands-parents, que des hommes et des femmes de notre pays sont aussi différents que ces peuples de Mongolie ou du Tibet. L’étranger vit au Québec depuis toujours.
Dans le Nord, le médecin et le personnel des infirmières affrontent la folie, la démence souvent, les accidents qui arrivent après tous les excès et une terrible violence. En décrivant ses journées de travail, l’auteur fait prendre conscience qu’un médecin agit pour sauver la vie de ses semblables, fait le bon geste devant un être en détresse. Il faut avoir des réflexes et surtout ne jamais perdre son sang-froid devant une femme qui n’arrive pas à accoucher ; un homme incontrôlable après avoir ingurgité une drogue et qui bascule dans le coma. Tous les écrivains qui ont parcouru ce territoire le répètent : le Nord vit un problème d’alcool et de drogues qui détruit la vie sociale et communautaire. Juliana Léveillé-Trudel en parle avec une justesse terrible dans Nirliit, un récit émouvant sur le Nord. Le reportage de Radio-Canada portant sur la situation des femmes autochtones en Abitibi n’est que la pointe d’un iceberg.

Elle ne comprend pas ce qui se passe. Selon elle, c’est à cause de la nouvelle drogue qui est entrée au village, par avion. Bien sûr, tout ce qu’il y a de toxique pénètre ici par la voie des airs. Je me dis qu’un beau jour il faudra absolument s’adonner à une fouille obligatoire des bagages et des colis pour déceler les substances délétères qui empoisonnent le Nord. (p.190)


Le personnel infirmier peut faire des miracles, mais tout est toujours à recommencer. Le mythe de Sisyphe prend un sens singulier quand on pratique la médecine à Salliut ou à Kuujiuaq. Il faut être particulier pour agir dans des conditions où risquer sa vie pour secourir une femme dans la toundra ou aller chercher un blessé dans un blizzard qui efface ciel et terre fait partie du quotidien. Certains n’en reviennent pas, l’avion s’étant écrasé contre le flanc d’une montagne.
Se faire médecin dans ces communautés, c’est changer de siècle, vivre dans un monde autre et apprendre à se débrouiller avec peu de moyens, faire confiance à son instinct et aux autres. Et peut-être aussi renoncer à comprendre devant des problèmes sociaux et humains qui dépassent l’entendement. Certainement que Désy a laissé ses grilles d’évaluation au Sud pour vivre l’expérience du Nord et y trouver des leçons de vie.

HUMANITÉ

Jean Désy est un conteur né, capable aussi de méditer sur ce qu’il vit sans jamais perdre le sourire même s’il devra faire face jour après jour aux mêmes problématiques de violence et d’intoxication.
Des situations qu’il raconte à ses étudiants en médecine de l’Université Laval de Québec pour leur faire comprendre qu’il faut plus que des connaissances techniques pour exercer ce métier pas comme les autres. Un futur médecin doit lire de la fiction et de la poésie pour en savoir plus sur ses semblables, ceux et celles qui se retrouvent devant eux dans un état de détresse. La médecine n’est pas une suite de gestes mécaniques, mais un contact particulier et souvent unique avec un être qui vous confie sa vie. Cela demande beaucoup de générosité, de compréhension et surtout beaucoup d’empathie.
Je me suis consolé en me disant qu’il y a encore des hommes et des femmes qui veulent aider les autres et qui n’empruntent pas les chemins de la politique pour mieux les contrôler. Gaétan Barrette et Philippe Couillard auraient avantage à lire ces récits pour comprendre ce qu’est la vie chez des gens démunis, ou encore délaisser leur limousine pour s’aventurer dans la brousse, circuler sur un tout-terrain et croiser des humains qui ont besoin d’aide. Surtout, j’aime à savoir qu’il y a encore des médecins qui sont des humanistes qui se penchent sur la condition humaine et qui tentent de comprendre la différence. Jacques Ferron se réjouirait, certainement, et peut-être aussi, Normand Béthune.

L’accoucheur en cuissardes est paru chez XYZ Éditeur, 232 pages, 22,95 $. 

mardi 10 novembre 2015

David Bouchet fait redécouvrir le Québec

C’EST INTÉRESSANT de trouver un roman où les personnages arrivent de l’étranger et s’installent pour découvrir nos façons de faire, nos grandes et petites manies. Je pense à Le bonheur a la queue glissante d’Albla Farhoud et aux ouvrages de Daniel Castillo-Durante. Je pourrais m’attarder longuement au travail de Sergio Kokis ou encore Catherine Mavrikakis. L’arrivant a une façon de voir nos habitudes et nos comportements. Pour comprendre ce qu’il ressent, il faut partir en voyage, s’installer dans un village ou un quartier et tenter d’être avec les autres. Nous l’avons fait, ma compagne et moi, en Provence et dans le Gers. Ce fut chaque fois une belle occasion d’avoir un autre regard sur le quotidien et ces petites choses qui meublent les jours.
  
J’étais tellement convaincu que David Bouchet était Sénégalais que je n’ai pas fait le lien, au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, entre le roman et l’homme que j’ai croisé au stand des éditions La Peuplade. Peut-être que le livre est tellement convaincant qu’on ne peut associer l’auteur qu’à un grand Sénégalais qui sourit et porte le soleil en lui. David Bouchet n’a rien d’un Noir. La Peuplade a la bonne idée de ne jamais mettre la photo de l’auteur sur leurs livres. J’aime ça parce qu’il est possible alors d’imaginer l’écrivain et de s’en faire une image. Je me souviens de ma surprise devant la photo d’Henri Miller, la première fois. Je le voyais grand, noir avec une chevelure abondante et l’allure de Clark Gable. Un écrivain projette une image de lui qui ne correspond jamais à la réalité.
Le narrateur de Soleil est un jeune Sénégalais d’une douzaine d’années. Il débarque à Montréal avec sa famille. Les parents et les trois enfants découvrent la réalité d’un pays que tous idéalisent et voient comme un paradis terrestre.
S’installer dans une nouvelle ville n’est jamais facile pourtant et rien n’arrive en claquant des doigts. Il faut du temps avant de créer des habitudes, trouver des repères et vivre comme tout le monde. Plus, le défi est immense quand on est Noir, même quand on parle français. Les différences d’accents et les expressions font en sorte qu’il est souvent difficile de se comprendre. Le pire qui guette le migrant, c’est l’isolement, le repli sur soi. La famille veut s’intégrer aux Québécois, découvrir leurs habitudes et leurs façons d’affronter les saisons. Pas question de s’installer dans un ghetto.

Quand on est arrivés à l’aéroport international Pierre Elliot Trudeau, la première chose qu’un Canadien nous a dit, un policier des frontières, c’est : « Bienvenue dans votre nouveau pays. » On n’était pas encore Canadiens, on était juste Sénégalais, mais ça faisait très plaisir d’entendre ça, parce que c’est vrai, on venait pour longtemps, on avait l’intention de s’installer profondément et de faire des racines ici, dans notre nouveau pays. (p. 24)

Ils viennent d’un pays de soleil, de chaleur et de végétation extravagante. Tout l’envers de ce Québec qui connaît un été torride et le froid, la neige et le dénuement. Tout est une découverte pour les enfants, source de stress et d’angoisse pour les parents qui savent leurs ressources limitées.
Il faut chercher un travail, découvrir l’école et la garderie. Les problèmes domestiques peuvent devenir des obstacles difficiles à franchir. Comment trouver l’appartement qui convient à la famille ? Tout semble beau au téléphone, mais tout change lors des rencontres. Du racisme ? Des préjugés surtout et de la méfiance face à l’étranger.
Un premier appartement miteux d’abord, en attendant. Il y a toujours quelqu’un pour profiter des arrivants.

Mais nous, on était innocents, on ne savait pas encore sur qui on était tombés, si elle était bien ou mauvaise, cette femme, et elle non plus d’ailleurs ne savait pas qui on était, bons ou tordus, ou juste de simples inconnus dont il fallait peut-être se méfier parce qu’on était Africains et que les gens ont toujours des idées mal placées sur l’Afrique et sur les Noirs. Comme quoi on parle fort, qu’on rigole pour tout et n’importe quoi, qu’on casse tout ou qu’on sent mauvais. Et plein d’autres croyances inquiétantes. (p.45)

DIFFICULTÉS

Le père a beau posséder un diplôme en philosophie et avoir vécu mille métiers au Sénégal, il n’arrive pas à dénicher un emploi malgré son optimisme. Il faut un travail régulier, un bon salaire. Après tout, ils sont venus pour cela.
C’est plutôt du côté de la mère que l’espoir luit. Elle trouve un stage dans un centre de jardinage avec possibilité d’embauche. Le père continue sa quête désespérément et bascule dans la dépression. Le rêve menace d’éclater en mille morceaux. C’est déjà difficile pour un Québécois qui vit la même situation. C’est pire pour un émigrant parce qu’il n’a pas de famille pour le soutenir.
Les enfants s’adaptent. Bibi est très sociable et sportif et la sœur de Souleye est encore trop petite pour connaître des problèmes d’intégration. Tout est nouveau et différent, surprise et découverte.
Le jeune garçon fait la connaissance de Charlotte, une voisine qui vit avec sa mère et est responsable de la famille. La mère, une alcoolique, est internée régulièrement pour retrouver ses esprits. Les gens des services sociaux et de la protection de la jeunesse veillent et tout change quand la fillette est mise dans une famille d’accueil. 

Avec les chaînes québécoises, on s’était mis à écouter la télé parce qu’il fallait faire plus d’efforts pour comprendre ce que la télé disait que ce que la télé montrait. Et c’est par la télé qu’on a découvert le Québec et surtout la langue. D’ailleurs, ici, on dit « écouter », « écouter la télé », « écouter un film ». Nous, au Sénégal, on écoute la radio et on regarde la télé. Peut-être qu’ici les oreilles sont prioritaires (p.47)

LE PÈRE

Désespéré, perdu, le père s’enferme dans le sous-sol et entreprend de creuser un trou, de bricoler d’étranges meubles. Une crise, une rage et il est interné. Tout s’est gâché avec le cambriolage de l’appartement et la disparition du disque dur de l’ordinateur où tous les souvenirs de la famille étaient stockés.

Ce disque dur, c’est une mémoire, comme un cerveau qui dort et qui sert de rangement pour toutes les photos, les musiques, les dossiers et les documents de mes parents. C’étaient des affaires très personnelles et familiales. Et là, sans raison, quelqu’un avait volé la mémoire de P’pa. P’pa était assis sur son lit, la tête entre les mains, mais il ne pleurait pas. Et c’était dramatique, parce que c’était vraiment tout, nos photos d’enfance et toutes ses musiques sénégalaises et cubaines, ses vidéos et ses textes. (p.63)

AMITIÉ

La mère et son fils entreprennent le long chemin de l’intégration et aident le père à retrouver sa lucidité. Le jeune garçon s’acharne et parviendra grâce à la générosité de Triple J, un médecin haïtien qui ne peut exercer au Québec, à ramener son père.

C’est comme une récompense, parce qu’avec P’pa à l’hôpital, ça la rassure vraiment. Même si P’pa ne nous coûte rien, parce qu’ici, avec la carte soleil, on s’occupe de toi jusqu’au bout quand tu es malade. Même par temps de neige, il y a la carte soleil. C’est le soleil sur un visage en larmes, il faut reconnaître que c’est une belle générosité du pays. Les Québécois se plaignent souvent de leur hôpital et du système de santé, mais ils ne savent pas. Ils ne savent pas comment sont traités les fous, les malades mentaux ou les dépressifs profonds dans d’autres pays. (p.200)

David Bouchet décrit subtilement nos travers et nos générosités parfois excessives. Ça fait du bien. C’est un grand reset que Souleye nous sert pour mieux nous voir et prendre conscience de notre chance. Bien des gens voudraient venir ici pour partager nos misères souvent imaginaires. Un regard charmant sur le Québec, nos habitudes, nos manies de nous plaindre de tout et de rien. Un véritable vent de fraîcheur, un bonheur de lecture.

Soleil de David Bouchet est paru aux Éditions La Peuplade, 318 pages, 25,95 $.

mardi 20 octobre 2015

L’immortalité serait peut-être un châtiment


Tout récemment, des chercheurs ont greffé les systèmes sanguins de deux souris. Une jeune et une vieille. Le sang de la plus jeune nourrissant les deux organismes. Rapidement, les expériences ont démontré que la plus âgée des rongeurs retrouvait une nouvelle vigueur. Ils en ont conclu que des transfusions sanguines de sang jeune pourraient permettre à l’organisme de se régénérer. La quête de l’éternelle jeunesse continue et elle demeure les assises du monde de la télévision et du cinéma. Le mythe de Faust est plus actuel que jamais. Faut-il pourtant vendre son âme au diable pour y arriver ? L’expression « il faut du sang neuf » prend ici tout son sens.

Daniel Grenier, dans L’année la plus longue, a eu une idée que j’aurais bien aimé avoir pour un roman. Aimé, son personnage naît un 29 février, une année bissextile. Son anniversaire revient au quatre ans. En poussant l’allégorie, on imagine qu’il vieillit d’un an tous les quatre ans. À cent ans, il a l’apparence d’un jeune homme de 25 ans.
Né en 1760, alors que la ville de Québec vient tout juste d’être envahie par les Britanniques, Aimé vivra les grands soubresauts de l’Amérique, particulièrement la guerre de Sécession où il servira sous une fausse identité.

La femme qui a donné naissance à Aimé tard dans la nuit du 29 février était aussi maigre que les autres, et personne ne s’était aperçu de sa grossesse, elle non plus. Ses nausées étaient banales, elle n’avait pas passé une seule journée sans nausée depuis l’âge de dix ans, ses dents étaient décolorées par l’acidité quotidienne des vomissements. Elle portait des vêtements bruns beiges, blanchâtres, comme une seconde peau malade et sale, déchirée aux endroits les plus sensibles. Son regard fuyait aussi vite que des ailes d’oiseau-mouche. (p.122-123)

Plusieurs ouvrages ont tenté de nous faire vivre l’éternelle jeunesse. Bien sûr, il fallait l’intervention de Lucifer et offrir son âme en compensation. Christopher Marlowe et Goethe ont repris le mythe du Docteur Faust. Cette œuvre a inspiré Gounod, Hector Berlioz, Richard Wagner, Gustav Mahler et Igor Stravinsky. La croyance d’une vie après la vie n’est pas loin de ce désir d’échapper à la mort.

QUÊTE

Nous voilà dans l’histoire de trois générations. Thomas que l’on aurait voulu faire naître un 29 février pour qu’il hérite d’un destin fabuleux et Albert, son père, originaire du Québec. Il a épousé Laura, la mère de Thomas, une Américaine rêveuse qui a rompu avec sa famille. Il cherche cet ancêtre qui ne cesse de se dérober et de changer d’identité.

Son accent était si prononcé qu’elle a fait semblant de comprendre en souriant jusqu’à ce qu’elle comprenne quelques secondes plus tard, en analysant les sons, en les décortiquant comme autant de biscuits chinois mal traduits. Son anglais s’améliorerait avec le temps, et son français à elle aussi, elle apprendrait à dire plusieurs phrases consécutives et même à savourer certaines tournures, si proches et si lointaines, grammaticalement et phonétiquement. (p.41)

Tous les autres autour d’Aimé vieillissent, aiment, ont des enfants et disparaissent. Il reste derrière, en retrait et voit la vie comme à travers une fenêtre. Plus j’y pense, plus cette immortalité ressemble à la plus terrible des condamnations. Comment rencontrer une femme, vivre un amour et élever des enfants ? L’immortel est condamné à la plus terrible des solitudes, à fléchir sous le poids d’une mémoire qui s’encombre de plus en plus.

Aimé croise Jeanne Beaudry à Montréal, vit un amour comme on le vit quand on sort à peine de l’adolescence et que l’avenir ouvre tous les chemins. Un amour qui prendra fin brutalement quand Aimé est surpris avec Jeanne par son frère. Il fuit pour sauver sa vie et ne reverra son amoureuse que sur son lit de mort. Les amours d’Aimé ne peuvent qu’être éphémères.
Il croise des personnages étonnants qui marqueront leur époque, se passionne pour des inventions qui changeront peu à peu la vie de tous, réussit à amasser une fortune. Mais est-ce seulement une existence ? Est-ce que l’humain peut résister aux bouleversements des siècles et aux découvertes qui traversent le quotidien ? Le cerveau humain serait-il capable de s’adapter ? Comment vivrait un membre d’équipage de Christophe Colomb à l’ère d’Internet et des réseaux sociaux ?
Aimé emprunte plusieurs identités, brouille les pistes et ne peut s’installer sans faire naître la suspicion chez ses voisins. Il disparaît après la durée normale d’un homme pour vivre sous un autre nom, continuer avec un secret qu’il ne peut partager.

Quand il s’appliquait une crème rajeunissante sur les cernes, Aimé n’était pas inconscient de l’ironie cosmique contenue dans le geste, et dans le souhait qui l’habitait, comme il nous habite tous, de vivre toujours, malgré sa longévité. Il était comme nous et, même s’il était extraordinaire sous bien des aspects, il se comportait normalement la plupart du temps. Cette année-là, à New York ou à San Diego, peu importe où il se trouvait, il avait l’air d’un homme de quarante et un ans, mais ça faisait plus d’un siècle et demi qu’il existait. (p.180)

RETOUR

Thomas se retrouve seul après la mort tragique de sa mère dans un accident d’avion. Albert, son père, est retourné dans sa Gaspésie natale, abandonnant ses recherches et l’espoir de retrouver un ancêtre qui ne cesse de brouiller les pistes. Il s’est rendu compte de sa folie. Thomas décide de migrer au Québec. Les retrouvailles de Thomas et Albert permettront de panser certaines blessures.

Il le regardait de face, de profil, de dos, cet homme qui réparait ses erreurs de la façon la plus lâche et la plus absurde qui soit, en disparaissant, en se sauvant, mais qui décrivait la réflexion derrière ses choix d’une manière si convaincante et si intense, avec dans les yeux une conviction impossible à ignorer. De toutes les facettes d’Albert que Thomas était incapable de mépriser, ou d’écarter comme des lubies, c’était son radicalisme qui l’impressionnait le plus. (p.355)

Un roman captivant qui m’a plongé dans l’histoire américaine. Aimé possède une identité continentale que les Français de la Nouvelle-France ont perdue à la Conquête. Pas pour rien que Daniel Grenier fait naître son personnage en 1760. Thomas grâce à l’ADN d’Aimé, trouvera l’élixir de l’immortalité.
Et peut-être que nous sommes condamnés à ne jamais mourir, voyageant dans le temps et l’espace grâce aux gênes qui passent d’une génération à l’autre. Immortel, oui, mais en naviguant d’un corps à l’autre. La vie serait une course à relais depuis la nuit des temps. Nous sommes à la fois mortels et immortels depuis la naissance d’un ancêtre dont il est impossible d’imaginer le visage.
L’année la plus longue interroge l’histoire, le temps et nous fait réaliser que ce n’est pas la peine de vendre son âme pour la vie éternelle. L’immortalité est le pire des châtiments qu’un homme ou une femme peuvent subir. Du moins, j’aime le croire. Et puis, nous le devenons immortels en prenant le relais des ancêtres pour transmettre le témoin à nos descendants.

Comme le disait souvent Thomas, un sourire au coin des lèvres mais avec tout le sérieux du monde, il fallait bien expliquer aux visiteurs ce que représentait cette nouvelle étape dans la grande aventure de la vie, maintenant qu’on ne mourrait plus. (p.417)

L’année la plus longue de Daniel Grenier est paru aux Éditions Le Quartanier, 432 pages, 27,95 $.