JEAN DÉSY AIME le Nord et
en a souvent parlé dans ses romans et ses récits. Les habitants de ces lieux
qui ont su s’adapter à un climat particulièrement rude le fascinent. Il en a
tiré une manière de vivre, une façon de voir qui lui procurent des « vibrations
d’âme ». Certains lieux vous emportent et permettent, peut-être, d’atteindre
une autre dimension quand le ciel multiplie les étoiles, quand dans le désert
le silence devient palpable. Dans Amériquoisie,
Jean Désy regroupe des textes écrits au fil des ans, réfléchit à l’esprit
nomade, le monde autochtone et métis qui pourrait changer notre regard et nos
façons de vivre en cette terre d’Amérique.
Le terme
Amériquoisie témoigne de la quête du pays « qui n’est toujours pas un pays », d’une
patrie que l’on ne cesse de chercher et d’inventer, de trouver et de perdre, d’une
réalité qui reste au cœur du devenir de tous les résidents du Québec.
L’histoire a cherché de nouveaux qualificatifs pour dire cette terre d’Amérique,
la présence des Européens francophones et des Autochtones. Il y a d’abord eu le
terme canadien qui désignait les premiers Blancs à vivre au Canada. Après la Conquête,
ce fut les Canadiens français pour différencier la présence française de celle
des anglophones. Au début des années soixante, le terme québécois est apparu
pour désigner les habitants du territoire du Québec. Faut-il trouver un autre
nom pour englober les nations indiennes qui vivent ici depuis des millénaires ?
Gilbert Langevin, dès
les années 1970, parlait d’Amériquois
dans sa poésie. Un poème tiré de son anthologie PoéVie témoigne de sa pensée.
Amériquois
avec ou sans
fusil
par gestes et par
cris
plaise à tous que
notre vie
donne aux racines
suprématie
Jean Désy reprend
le terme et en donne une définition qui correspond à cette volonté de dire le
Québec de maintenant dans toutes ses dimensions.
L’Amériquoisie, c’est le pays rassemblant les gens des Premières nations comme
ceux qui vinrent en terre d’Amérique après Christophe Colomb… … On peut
imaginer que l’Amériquoisie pourrait
représenter le territoire de tous les Québécois à travers l’Amérique du Nord.
(p.6)
Une idée inclusive
pour employer un mot à la mode qui englobe tous les résidents du Québec,
surtout les nomades qui parcouraient cette terre du nord au sud, de l’est à
l’ouest, avant l’arrivée des Européens.
Jacques Cartier, dans
son journal, n’arrête pas de baptiser les lieux qu’il découvre en remontant le
fleuve Saint-Laurent. C’est le début de la dépossession pour les Autochtones.
Les Européens feront partout la même chose, en Amérique ou en Asie, convaincus
que le monde leur appartenait.
AUTOCHTONES
Désy est fasciné
par les pays du nord qui ont longtemps été négligés. Ils ont fait fantasmer des
écrivains comme Yves Thériault dans Agaguk,
ou encore Paul Bussières dans Mais qui
donc va consoler Mingo ? Un pays rêvé, un pays qui englobe tous les vivants
de ce territoire qui est le dernier refuge de la vie sauvage.
Le métissage,
c’est l’union physique de deux personnes de groupes ethniques différents qui
permet la venue au monde d’un être neuf, issu de deux univers, mais fraîchement
ouvert à un univers plus large, plus libre, plus aéré. La métisserie, c’est le
métissage, mais culturel, affectif, spirituel, idéel. (p.7)
Ce métissage a été
important au début de la présence française. On encourageait des jeunes à faire
des séjours prolongés dans les tribus indiennes pour y apprendre la langue et pratiquer
le métier de « truchement ». Ce fut la naissance des coureurs des bois qui ont choisi
souvent de vivre à l’indienne, adoptant leurs mœurs et en épousant des autochtones.
Ils devenaient « des ambassadeurs » entre les nombreuses tribus qui se
partageaient le territoire et les Français qui faisaient le commerce des
fourrures. Ils explorèrent l’Amérique du Nord, parcourant les fleuves et les
rivières, étendant les frontières de la Nouvelle-France à la grandeur du
continent.
Le cinéma
américain nous a montré souvent des chariots avançant lentement dans les
plaines de l’Ouest. Les migrants se butent souvent à des tribus indiennes avant de s'approprier leurs terres. On oublie que ces vallées ont été parcourues par les
coureurs des bois francophones, formant une nouvelle société métisse où le
français et les langues indiennes se mélangeaient. Ce personnage du coureur des
bois a été biffé de nos manuels d’histoire, étant mal vu par le clergé qui
imposait la vie sédentaire pour mieux contrôler ses ouailles.
Une époque fascinante
que Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque ont fait revivre dans Elles ont fait l’Amérique ou dans la
série radiophonique De remarquables
oubliés animée par Bouchard. De véritables héros qui ont exploré un
continent. Je pense à Émilie Fortin, originaire d’Alma, et Nolasque Tremblay de
Chicoutimi qui ont marché l’Amérique du Nord. Émilie Fortin a été la première
femme blanche à vivre au Klondike.
MAINTENANT
On peut rêver devant
les exploits des coureurs de bois et des découvreurs, mais qu’en est-il
aujourd’hui ? Un courant de pensée voudrait que le Québec soit une terre
métisse. Des films, des essais tentent de prouver cette réalité. Des regroupements
de métis demandent d’être reconnus par les gouvernements. John Saul, dans ses
ouvrages, tente de démontrer que le Canada a hérité de la pensée indienne par sa
manière de voir la réalité et de régler les conflits. La fameuse pensée
circulaire, une certaine volonté de conciliation et la recherche du consensus. Les
Casques Bleus seraient nés de cet esprit. On peut ajouter au Québec notre désir
de vivre pendant la période d’été près de la nature, notre passion pour la
chasse et la pêche, le goût du voyage qui viendrait de notre héritage nomade.
Je veux bien que
l’on fasse tout pour que les Autochtones retrouvent leur pays, qu’on abolisse
les frontières des réserves et qu’ils deviennent des citoyens de première
instance dans le Plan Nord qui fait saliver les exploiteurs du Sud. Je
m’inquiète cependant. Le Plan Nord risque de détruire un dernier refuge. Les entreprises
vont là pour s’approprier les ressources naturelles, raser les forêts, détruire
souvent l’habitat des autochtones et des animaux. Un plan d’invasion qui va
mener à la destruction de territoires fragiles. Les habitants de ces pays n’ont
pas été consultés, il va sans dire. Comme quoi les erreurs historiques se
répètent.
ESPRIT MÉTIS
Il est vrai que
les Innus s’expriment de plus en plus, particulièrement dans la poésie et la
chanson. Tout comme certains le font dans l’Ouest canadien et en
Colombie-Britannique. Je pense à Thomas King, un romancier et essayiste remarquable,
qui décrit la réalité révoltante des peuples premiers.
Ces voix
autochtones expriment leur réalité et aussi la nôtre, forcément, après plus de
400 ans à vivre sur un même territoire.
Je suis d’une
Amérique poussée vers ses côtes les plus déchiquetées. Cela me force à
travailler dur, à me battre avec mes rêveries les plus bizarres, les plus
délirantes et les plus créatrices. Je rêve d’une métisserie amériquoise. Je
rêve d’une Amériquoisie que j’habiterai avec passion. Et quant à
l’anglo-saxonie mondialisante contemporaine, je me dis qu’avec les amours et
les amis, nous finirons bien par l’amadouer sans y sombrer tout à fait. (p.37)
ESPRIT NOMADE
Jean Désy jongle
avec l’esprit nomade, ce désir de départ, de mouvement qui est la vie. Cette
envie d’aller marcher sur les glaciers, de voir la toundra, de grimper au sommet
des montagnes, de sentir sur sa peau l’air chaud de la Vallée de la Mort, d’écouter
ce pays oublié qui a laissé des traces partout dans l’Ouest américain.
Le ciel des
déserts, qu’ils soient chauds et faits de sable, ou froids, comme la toundra
arctique, invite à la contemplation. Comme si l’aridité des lieux ainsi que
l’absence quasi totale de végétation commandaient un mouvement de repli vers le
« ciel intérieur », pour immédiatement retourner vers le « ciel extérieur »,
les deux « cieux » rassemblés favorisant
la contemplation. Les déserts furent de tout temps des lieux de prédilection
pour les anachorètes. (p.64)
Je me souviens
d’un arrêt à La Grange en Géorgie. Un serveur ne savait pas ce que signifiait
le nom de sa ville. Il était tout étonné d’apprendre que c’était un nom
français et que des Francophones s’étaient installés là avant les Anglophones.
Des noms comme des épitaphes que peu d’Américains savent lire de nos jours.
À vrai dire, je me
méfie un peu de ceux qui se disent métis et réclament des droits. Je me méfie
parce que ce peut être une autre manière de spolier les Autochtones. On connaît
les débats où des métis réclament des territoires de chasse et de pêche,
veulent participer aux négociations avec les Innus dans l’Approche commune. Il
me semble que cela risque de chambouler tout un processus de reconnaissance.
BONHEUR
Jean Désy livre
ici des pages magnifiques sur son bonheur de parcourir le Grand Nord, d’oublier
les frontières sous un ciel qui semble se rapprocher de la terre pour mieux l’envoûter.
Il vibre quand il s’attarde dans les déserts de l’Ouest américain. J’ai connu des
moments fabuleux en Arizona, sur une mesa, ou encore en traversant la Vallée de
la Mort. Nul ne sait ce qu’est le silence, s’il ne s’est pas arrêté au milieu
de cette vallée où le sel fait des plaques blanches sur l’horizon. Un silence
qui envoûte, vous transporte dans une dimension capable de vous effaroucher.
Jean Désy est un
rêveur qui n’aime pas les frontières. Je le comprends parce que j’ai bien du
mal avec les enfermements. L’Amériquoisie
reste à définir. C’est peut-être une étape vers la reconnaissance du pays du
Québec. On peut se sentir chez soi dans l’Ouest américain, mais les coureurs
des bois n’y ont fait que passer, y laissant des noms que peu de gens savent
décrypter maintenant. L’écrivain et poète rêve l’utopie pour qu’elle advienne,
mais c’est une approche individuelle où il trouve sa pleine satisfaction dans
des lieux peu fréquentés, face à une nature qui fait croire qu’il y a peut-être
une autre dimension à la vie.
AMÉRIQUOISIE de JEAN
DÉSY est paru chez MÉMOIRE D’ENCRIER.
PROCHAINE CHRONIQUE :
PASSION
CHRONIQUE de JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU publié aux ÉDITIONS TROIS-PISTOLES.