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jeudi 9 décembre 2021

MARIE-CLAIRE BLAIS A CHANGÉ MON UNIVERS

MARIE-CLAIRE BLAIS est décédée la semaine dernière dans son lointain pays de Kew West à 82 ans. Elle venait de publier un nouveau roman, Un cœur habité de mille voix. Voilà un départ inattendu parce qu’elle avait tout plein de projets comme il se doit. Une commotion pour tous ses lecteurs, même ses proches. Elle était si secrète que ce ne devait pas être facile de savoir si elle avait des problèmes de santé ou des signes inquiétants, toute dévouée qu’elle était à l’écriture et à son œuvre. Et à ses personnages tellement nombreux qui devaient se faufiler dans ses rêves, ces «mille voix» qui la suivaient le jour et la nuit. Beaucoup d’auteurs ont réagi en apprenant ce décès. Tout à fait normal, parce que c’est la plus grande, la plus percutante de notre monde littéraire contemporain. J’ai préféré prendre un peu de temps pour me faire à l’idée qu’elle ne sera plus là, qu’un nouvel ouvrage ne viendra plus, avec des pages qui m’ont toujours emporté dans un tourbillon. Il me reste à la relire pour bien saisir encore une fois toutes les dimensions et la quintessence de cette œuvre unique, de cette écrivaine à nulle autre pareille.  

 


J’ai croisé Marie-Claire Blais à quelques occasions. Au Saguenay d’abord, invitée du Salon du livre où j’ai eu l’honneur de l’accompagner dans différents cégeps, spécialement à Chicoutimi et à Saint-Félicien. Je l’ai déjà raconté, je m’étais préparé tout l’été en relisant ses publications d’alors en commençant par La belle bête. Environ 1200 pages parcourues et méditées pour être à la hauteur de cette écrivaine que je considérais au plus haut point et que je vénère d’une certaine façon. Nous avions eu le bonheur, Danielle et moi, de la recevoir dans notre verrière de Jonquière pour discuter dans l’intimité où elle s’avérait particulièrement chaleureuse et volubile. Après ce fut Paris et Montréal. Toujours un moment de grâce, un contact humain exceptionnel.

Je me répète, bien sûr, en rappelant qu’Une saison dans la vie d’Emmanuel a été mon chemin Damas. Oui, elle a fait tomber les écailles qui recouvraient mes paupières. Elle a été Ananie qui redonne la vue à un futur écrivain qui ne savait pas regarder autour de lui. 

C’était en 1968, trois ans après la parution de son roman. Je lisais ailleurs, Ernest Hemingway, John Steinbeck, Erskine Caldwell, Victor Hugo, Émile Zola, Fiodor Dostoïevsky, Léon Tolstoï, Curzio Malaparte, Knut Hamsun, Louis-Ferdinand Céline, Jean Giono et Henri Bosco. La liste pourrait s’allonger bien sûr. J’étais curieux de tout sauf de ce qui s’écrivait autour de moi. Je courais partout comme un chien fou qui veut s’offrir toutes les odeurs de l’automne.

 

ILLUMINATION

 

La lecture d’Une saison dans la vie d’Emmanuel a été une illumination. J’ai plongé avec crainte d’abord dans l’univers de Jean le Maigre, Pomme, le Septième et de la mystique Éloïse qui finit en odeur de sainteté au bordel. Et avec comme figure centrale cette Grand-mère Antoinette farouche, menaçante, solide, porteuse d’avenir et du passé qui s’impose dans le présent. J’y retrouvais mes grands-mères, Almina et Malvina qui m’inquiétaient tant.

Marie-Claire Blais m’a fait comprendre que c’était possible de raconter des secrets de famille, les drames que l’on osait parfois évoquer quand les esprits s’échauffaient après plusieurs verres. Sans cette lecture, je n’aurais jamais rédigé La mort d’Alexandre et encore moins Les oiseaux de glace où je m’inspire de la vie de deux de mes tantes qui ont vécu un enfer à peine imaginable après avoir accepté la soumission du mariage.

Un univers où Jean Le Maigre se livrait à l’écriture de poèmes sulfureux et différentes expériences avec ses frères qu’il pouvait perdre dans la neige. Il y avait surtout la mère, une bête qui travaille aux champs tout le jour et qui subit les assauts de son mâle de mari la nuit. Toujours enceinte, elle accouche entre deux soupirs, avant de retourner à ses tâches sans jamais ouvrir la bouche. La parole appartient à grand-mère Antoinette, l’oracle par qui la sagesse arrive. C’était comme si le diable s’invitait dans une soirée et qu’on lui permettait de danser avec la plus belle fille du rang. C’était blasphémer plus ou moins, dire ce qui était étouffé et murmuré seulement dans les confessionnaux, pardonné peut-être par des hommes qui possédaient la vérité. Pourtant, j’hésite à croire que les femmes allaient avouer au curé qu’elles étaient violées par leurs maris, un frère ou un cousin, battues et traitées comme du bétail.

Le roman de Marie-Claire Blais a reçu des réactions mitigées au départ. On n’avait encore jamais vu des personnages semblables au Québec. Heureusement, il y a eu l’étranger pour la protéger. Un critique américain a parlé de génie et le prix Médicis en France a fait taire les grognons. Tout comme ceux qui avaient cassé du sucre jadis sur le dos de Louis Hémon après la parution de Maria Chapdelaine. Tous ont dû ravaler après les applaudissements de la France. Même Damase Potvin a dû se ranger et admettre que c’était un grand livre. 

 

SUBVERSIF

 

J’ai lu et relu ce roman, à différentes époques, tout récemment même. Il faut bien voir les tabous que cette histoire secoue. Violence, femmes battues, inceste, viol et abus de toutes sortes par les religieux. Surtout qu’elle évoque l’homosexualité et la prostitution. Jamais les fictions de Germaine Guévremont, Roger Lemelin, Claude-Henri Grignon, Ringuet ou encore Gabrielle Roy n’étaient allées dans cette direction. Elle osait dire tout haut ce que l’on taisait depuis toujours, donnait une voix à ces éclopés largués par une société où les hommes avaient droit de vie et de mort. Grand-mère Antoinette devient la figure de proue de cette volonté de durer et de changer les choses, de faire une place aux femmes dans une époque qui doit muter et qu’elle lègue au dernier-né de la famille de seize enfants. 

C’est sulfureux et subversif à souhait. 

Après cet électrochoc, j’ai commencé à m’intéresser aux écrivains du Québec. Les poètes d’abord avec Paul Chamberland, Gaston Miron, Gilbert Langevin, Yves Préfontaine, Michèle Lalonde et Claude Gauvreau. 

Et Roch Carrier et les nouveaux venus qu’étaient Victor-Lévy Beaulieu et les discrets prédécesseurs comme André Langevin, Gérard Bessette et même Claude Jasmin. Les romans de Marie-Claire Blais venaient drus avec son théâtre. J’ai vu L’exécution à Montréal en 1968 au Rideau vert et ce fut une expérience dérangeante. Une plongée dans le monde familier et dangereux des collèges où l’on trame le pire sans se soucier de Dieu qui savait tout alors.

À chacune de ses publications, j’étais souvent dérouté, mais continuais à la suivre parce qu’elle ouvrait des portes que je n’osais pas encore approcher. Elle était au large, à courir dans la forêt quand je tournais autour des maisons et des granges.

Quel bonheur de me pencher sur Les manuscrits de Pauline Archange et quel étonnement de me buter à ce gros roman qui a troublé le jeune indépendantiste prêt à fonder le pays. Un Joualonais sa Joualonie ébranlait encore une fois mes certitudes et mes croyances. Il y avait de la place pour le doute, le questionnement dans ce pays qui cherchait à secouer ses servitudes et à se libérer de façon souvent bien maladroite.  

 

ÉCRITURE

 

Bien sûr, Marie-Claire Blais a toujours eu une langue particulière qui épousait les méandres et les nombreux détours de la rivière lente qui traverse la plaine en drainant le pays. Une écriture qui progresse en longues reptations et qui perd le lecteur pressé ou distrait. Un travail ciselé comme une pièce d’ébénisterie qui fascine et envoûte. Un souffle je dirais qui vous laisse souvent en apnée. 

Et est arrivé Le sourd dans la ville où Marie-Claire s’éclate, fait voler les rivets et les liens qui maintiennent les carcans. La ponctuation disparaît et la phrase de Marie-Claire Blais mute en paragraphe, plus, en chapitre. Elle s’échappe en traçant de longs cercles pour se moquer des époques et de l’espace, suit une longue spirale qui pivote en entraînant des lieux, mélange les temps et les tragédies humaines qui ne cessent de se répéter. La langue de cette écrivaine se libère de tous les étouffements, de tout ce qui retient et assujetti. 

Les romans de Marie-Claire Blais deviennent alors des territoires qui étourdissent le lecteur avec la multiplication des personnages, la description de leurs drames, de leurs espoirs et de leurs fantasmes. 

Marie-Claire Blais abandonne donc l’ensemble à cordes à son quatorzième livre pour s’approprier la baguette du chef et diriger de grands orchestres avec chœurs. C’est magique, éblouissant et époustouflant. La série Soifs est exceptionnelle dans la francophonie et au Québec par ses dimensions, sa pertinence et cet univers qui est le microcosme d’une humanité qui se débat entre ses rêves et ses préjugés, ses souffrances et l’amour. 

J’ai déjà parlé des fresques de Jérôme Bosch pour qualifier ces romans inclassables. C’est peut-être aussi les immenses tableaux de Jean-Paul Riopelle qui empoigne le cosmos et le traverse avec de vastes traits rayonnants qui vont et viennent comme des météorites. 

Un monde unique, une écriture lumineuse et rebelle, insaisissable et riche de sédiments et de limon. Marie-Claire Blais m’a constamment emporté dans les grandes et terribles tragédies qui frappent partout où les éclopés et les marginaux se regroupent. C’est la détresse qui s’impose dans les pages de Soifs. Toujours ces exclus, ces originaux qui souffrent et sont sacrifiés sur des croix que les bien-pensants de la morale assemblent en souriant. 

Les symphonies de Marie-Claire Blais retentissent dans le vent et l’espace, nous touchent dans ce qu’il y a de plus vrai, de plus juste et d’incroyable, dans ce désir d’être des humains qui se préoccupent de leur environnement et des plus démunis, des déviants qui ne correspondent pas à la norme, mais qui ont droit à l’attention et à l’amour. 

Une œuvre colossale, des romans qui ont transformé la littérature d’ici et certainement celle du monde avec ses nombreuses traductions. Merci Marie-Claire Blais, d’avoir changé ma vie.

 

BLAIS MARIE-CLAIREUn cœur habité de mille voix, Éditions du Boréal, MONTRÉAL, 2021, 29,95 $.

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/marie-claire-blais-11597.html

lundi 22 mars 2021

LA GRANDE ÉCRIVAINE DU QUÉBEC

MARIE-CLAIRE BLAIS A vingt-six ans quand elle publie Une saison dans la vie d’Emmanuel. Ce roman la propulse à l’avant-scène de notre monde littéraire et de la francophonie, lui permet de mettre la main sur le prix Médicis en 1966. L’écrivaine s’est fait remarquer en 1959 avec La belle bête à l’âge de vingt ans, l’année de la mort de Maurice Duplessis. Elle avait attiré l’attention du père Georges-Henri Lévesque qui était alors professeur à l’Université Laval et de Jeanne Lapointe, une enseignante qui a joué un rôle important dans la carrière d’Anne Hébert. Avec ce succès, la jeune femme s’éloigne définitivement de son milieu de Québec, s’installe dans le monde des mots et vivra une grande partie de son temps aux États-Unis, particulièrement à Key West, où elle obtient la citoyenneté américaine.


Au moment de la sortie d’Une saison dans la vie d’Emmanuel, aux Éditions du Jour en 1965, je débarque à Montréal après douze heures de train, avec une petite valise presque vide. Je me terre dans un sous-sol d’Outremont, un véritable taudis, parce que je n’ai que quelques centaines de dollars pour passer l’année. Je réagis comme une bête frileuse qui n’ose plus quitter sa tanière, ayant perdu mes repères et les trottoirs de la ville m’effarouchent. Heureusement, mes cours à l’Université de Montréal me forcent à sortir et à voir des gens. 

Je me réfugie dans les livres, une sorte d’ermite de la littérature, me penche sur Sartre, Camus, Duras, Yourcenar, Hamsun et Faulkner. Je rature les textes qui deviendront L’octobre des Indiens, six ans plus tard. Je peux enfin me livrer à ma grande passion pour les livres et la poésie sans craindre le regard des autres, particulièrement celui de ma mère.

Je découvre Marie-Claire Blais en 1970, un peu méfiant devant les succès qui font les manchettes. Ce fut l’illumination. Je l’ai déjà écrit. Je ne jurais avant que par Tolstoï et Dostoïevski, convaincu que je devais apprendre le russe pour avoir le droit de voir mon nom sur la jaquette d’un livre.

Marie-Claire Blais me redonnait mon village, mon pays de neige, de messes et d’épinettes. Je retrouvais grand-mère Malvina vêtue de noir, les cheveux retenus par des dizaines d’épingles et collés à la peau du crâne. Une femme sèche, brusque, toujours de mauvaise humeur qui sentait le camphre et la boule à mites. Mon autre grand-mère était plus farouche encore. Almina, mettait mari et enfants à la porte au mois d’août, pour sa brosse annuelle. Elle passait des jours à chanter, hurler, boire seule derrière les rideaux tirés. Sa famille vivait dans le hangar en attendant le matin où les fenêtres se dégageaient comme le ciel après l’orage. La maison redevenait accessible.

 

VOISINS

 

Marie-Claire Blais, on aurait dit, avait fréquenté des voisins qui m’intriguaient, ces familles isolées au bout des rangs. Elle me dessillait les yeux. Je voyais pour la première fois ces enfants qui longeaient les murs comme des petits animaux et qui se terraient sous les chaises et les bancs quand la porte s’ouvrait. Des ombres qui pouvaient disparaître dans la neige avec le Septième, ce jeune qui possédait un don, pouvait guérir ou arrêter le sang. Chez Marie-Claire Blais, le Septième résiste à tous les sévices et traverse les épreuves sans trop être amoché. 

Et les hommes, toujours dangereux, vindicatifs et imprévisibles, surtout avec un verre dans le nez. L’un de mes oncles provoquait des tsunamis quand il avait bu. Un Jour de l’An, il a retourné la table lors du repas familial gâchant le festin de ma tante, semant les pleurs et les hurlements. Il ne tolérait aucune contradiction, surtout en politique. C’était un libéral enragé, «teindu», qui n’entendait pas à rire.

Et la petite école, les concours de catéchisme, la strappe tel un châtiment de Dieu. Ça tombait à onze heures pile en matinée et à quinze heures en après-midi. Sur les mains, les dix doigts, jamais moins de cinq coups. Et ces heures, à genoux dans un coin, incapable de se relever. Il fallait dompter les bêtes rétives que nous étions. 

Grand-mère Antoinette décrivait cette mort tellement noire quand elle s’avançait dans les aveuglements de janvier, sur des chemins impraticables où les chevaux s’embourbaient. Je me mordais les lèvres en pensant à la petite voisine qui ne viendrait plus jamais à l’école, à l’imprudent étouffé dans le tunnel qu’il avait creusé dans un banc de neige ou ce cousin emporté par la tuberculose. Je revois encore le cercueil blanc dans l’église avec les reniflements de ma tante qui pleurait à toutes les funérailles. 

 

INSPIRATION

 

Marie-Claire Blais, je l’ai suivie fidèlement à partir de 1970. J’ai eu aussi la chance de la croiser à quelques reprises. Une écrivaine admirable, certainement la plus grande du Québec, la plus percutante et la plus universelle, avec une œuvre à nulle autre comparable par ses dimensions et ses personnages. J’ai même été son chauffeur lors d’un salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Comment oublier sa visite au cégep de Chicoutimi. Le professeur Alain Dassylva, admirateur de madame Blais, l’avait reçue dans sa classe. Pour l’occasion, il avait revêtu un smoking. Ce fut un événement.

Je m’attarde sur l’incipit d’Une saison dans la vie d’Emmanuel et c’est un pur délice. Le détail d’une fresque de Brueghel l’Ancien qui s’anime devant moi.

 

Les pieds de Grand-Mère Antoinette dominaient la chambre. Ils étaient là, tranquilles et sournois comme deux bêtes couchées, frémissant à peine dans leurs bottines noires, toujours prêts à se lever : c’étaient des pieds meurtris par de longues années de travail aux champs (lui qui ouvrait les yeux pour la première fois dans la poussière du matin ne les voyait pas encore, il ne connaissait pas encore la blessure secrète à la jambe, sous le bas de laine, la cheville gonflée sous la prison de lacets et de cuir…) des pieds nobles et pieux (n’allaient-ils pas à l’église chaque matin en hiver?) des pieds vivants qui gravaient pour toujours dans la mémoire de ceux qui les voyaient une seule fois — l’image sombre de l’autorité et de la patience. (p.7)

 

Quelle manière de décrire une vie d’efforts, de prières, de colère et de résignation! C’est déjà un aperçu de l’écriture qui va s’installer comme un continent à la dérive à partir d’Un sourd dans la ville, en 1980, et donner l’incroyable fresque de Soifs.

Et j’entends Rimbaud dans cette phrase qui sonne si bien. «Immense, souveraine, elle semblait diriger le monde de son fauteuil.» Et l’écho dans Les poètes de Sept ans : «Et la mère, fermant le livre du devoir, s’en allait satisfaite et très fière…» 

Jean le Maigre et le Septième lisent dans les bécosses, écrivent des vers tout comme le petit révolté de Rimbaud aime la fraîcheur des latrines où il imagine des romans sur la vie. 

 

MONDE

 

Et l’univers s’ouvre devant ce bébé tout neuf. Le travail qui épuise chaque jour, le sexe imposé par l’homme, l’éloignement des mâles et des femmes (Grand-Mère Antoinette tient tête à son gendre, mais jamais dans la même pièce), les enfants qui tombent du corps des mères comme les pommes à l’automne. La vie, la mort, le froid, la faim et la transgression par les livres et certains attouchements, la religion et la peur d’une vengeance de Dieu qui peut frapper avec le tonnerre et l’éclair. 

Dans mon roman, Le voyage d’Ulysse, les descendants innombrables de grand-mère Allada se battent avec les chiens pour un bout de crêpe. Ils viennent directement d’Une saison dans la vie d’Emmanuel. Avec Père Reproducteur qui passe ses jours et ses semaines à couper les arbres qui repoussent dans la nuit. Tout comme chez Blais, le mâle reste une bête dangereuse et une menace pour les enfants et les femmes.

 

AUDACE

 

Madame Blais effleure tous les tabous. La sexualité de Jean Le Maigre avec ses frères, le mysticisme d’Héloïse qui rêve d’être «ravie» par Dieu et qui finira dans le bordel, le prêtre qui profite de petits festins et de la misère de ses paroissiens, la pédérastie dans les pensionnats, lieu de toutes les agressions et de toutes les perversions qui ont marqué la Grande Noirceur. Il y a aussi l’épouvantable exploitation des enfants qui sortent estropiés des usines et handicapés pour la vie. 

Toute la Révolution tranquille frémit dans les épîtres de Jean Le Maigre qui sonnent comme les trompettes de Jéricho qui appellent à la révolte. Emmanuel sera l’élu. Il ne faut pas oublier qu’en Hébreux ce nom signifie «Dieu est parmi nous». Il est celui qui va bouleverser l’ordre établi, tenir tête aux curés et entendre peut-être les femmes, leur colère muette jusque-là, celles qui n’ont jamais eu le droit de dire non à moins d’atteindre le statut de grand-mère. Jean Le Maigre devient Jean le Baptiste, le précurseur qui secoue le monde par ses prophéties et prépare la venue du sauveur que sera peut-être le petit Emmanuel. 

Ce roman m’a redonné le Québec dans ses misères et ses échecs, ses peurs et ses tremblements, ses révoltes et ses espérances. Des pages époustouflantes comme celles où Antoinette, telle une régente, parle de sa sexualité et de son homme avec une fierté troublante. 

 

Grand-Mère Antoinette nourrissait encore un triomphe secret et amer en songeant que son mari n’avait jamais vu son corps dans la lumière du jour. Il était mort sans l’avoir connue, lui qui avait cherché à la conquérir dans l’épouvante et la tendresse, à travers l’épaisseur raidie de ses jupons, de ses chemises, de mille prisons subtiles qu’elle avait inventées pour se mettre à l’abri des caresses. (p.104)

 

Véritable morceau d’anthologie.

Mes deux grand-mères ont mené un combat similaire. Lors de nos réunions familiales, elles parlaient souvent des «maudits hommes qui ne pensent qu’à la couchette.» J’ai compris bien plus tard ce qu’elles voulaient dire. 

Marie-Claire Blais m’a ouvert la porte de la littérature du Québec et m’a montré l’écriture qui pouvait devenir la mienne. Après cette lecture, je me suis attardé à Roch Carrier, Anne Hébert, Gabrielle Roy pour me reconnaître dans ce pays étranger et familier. Et aussi Yves Thériault, Claire Martin et Suzanne Paradis. 

Cinquante ans plus tard, j’ai ressenti un même frisson en parcourant Une saison dans la vie d’Emmanuel. J’ai retrouvé l’émerveillement qui m’avait secoué en 1970. Oui, Marie-Claire Blais occupe une place unique dans mon cheminement de lecteur avec l’œuvre échevelée de Victor-Lévy Beaulieu.

 

BLAIS MARIE-CLAIRE, Une saison dans la vie d’Emmanuel, Éditions du Boréal, Boréal Compact, Montréal, 168 pages, 1991.

 

Note : Une version de cette chronique est parue dans Lettres québécoises, numéro 180, sous le titre La plus grande écrivaine du Québec, mars 2021.


https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/marie-claire-blais-11597.html

jeudi 16 avril 2020

MARIE-CLAIRE BLAIS FRAPPE FORT

PETITES CENDRES OU LA CAPTURE de Marie-Claire Blais se présente comme un ajout à la fresque unique qu’est la suite des onze volumes de Soifs. Mêmes personnages, mêmes lieux, même manière de plonger dans l’époque contemporaine. Comment ne pas être subjugué par cette écriture qui m'a aspiré tel un fleuve au printemps, fais perdre tous mes repères dans des remous irrésistibles.

L’impression de se retrouver dans un trou noir où tout se compresse et se retourne sur soi, où le temps s’arrête et la lumière implose. Me voici près de Petites cendres qui se dresse devant un policier à cheval. Il veut protéger le vieux Grégoire qui a trop bu et qui laisse aller sa colère face au représentant de l’ordre, sa rage d’Afro-Américain qui a subi tous les sévices dans l’expérience américaine.
Je retiens mon souffle dans ce western, au moment du duel, sur la place désertée. Les trois s’affrontent comme dans les films de Sergio Leone. Je pense au Bon, la brute et le truand où les mercenaires se retrouvent dans le cimetière pendant que la caméra tourbillonne dans une musique de fin du monde.
Un geste, un soupir et tout bascule. 
Ce n’est plus la nuit, pas encore le jour. Les bars ferment, les fêtards rentrent ou s’attardent devant les établissements pendant que les marchands s’installent sur la place publique pour monter leurs étals. 
La ville est sur pause. 
Tout tourne autour de cette confrontation pendant les 200 pages de Marie-Claire Blais qui se dressent comme le mur d’une enceinte.

…Petites Cendres les observait de loin en pensant que de son coté de la rue le ballet que dansaient les ombres de Grégoire, du policier et la sienne glissant à pas feutrés au milieu d’eux, afin que Grégoire se détournât du policier, ne fut pas atteint par lui dans quelque fusillade précipitée, oui, c’était un ballet, une danse plus légère, on eût dit qu’ils dansaient tous les trois, leurs ombres s’effleurant à peine… (p.13)

On connaît la manière de madame Blais. Aucun paragraphe, pas de chapitres pour refaire surface et échapper à cette épouvantable tension. Pas un espace où se défiler. Le texte, véritable plaque tectonique, bouge lentement. Petites Cendres fixe le policier et celui-ci effleure son arme. Tout près, dans l’ombre, deux étudiants, après le bal des finissants, plongent dans la mer, dans un lieu dangereux et interdit. Deux garçons et une fille, des inséparables depuis toujours, s’éloignent sur la plage. Phili et Lou s’accrochent au grand jour. Les deux vont permuter, changer de sexe et s’aimer. Un couple en vacances rentre à l’hôtel en se tenant par la main. Deux amis n’arrivent plus à se tenir debout après la tournée des bars. Un vagabond grogne sous le porche. Mark, prisonnier de son obésité, voit tout, impuissant comme toujours, jamais là où ça compte.
 
DES VIES

Petites Cendres ressasse des souvenirs, ne peut répondre aux appels répétés de Robbie. L’incendie du bar Le fantasque a décimé ses amis. Que de rires pourtant, de plaisirs, de métamorphoses pour oublier la tragédie de soi et des autres. Tous morts d’avoir trop vécu, victimes de la xénophobie et de la haine.

… un gâteau d’anniversaire dont les chandelles flamberaient, le gâteau et ceux qui en soufflent les bougies, d’un seul coup de rage, d’où venait donc cette tempête de haine, nous en avons aperçu l’ombre dans ce garçon au foulard noir s’évadant par l’arrière du bar où l’attendait une voiture, donc il n’était pas seul, il appartient à une assemblée, un groupe, il est sans doute reparti au Moyen-Orient même s’il semblait être un des nôtres, dansant sur nos pistes de danse, flirtant au bar, il était là tel un espion, ayant depuis longtemps renié sa mère, la maltraitant, car ce n’était qu’une femme, c’est cette zone fatidique de la haine que sa mère avait quittée pour éduquer son fils ailleurs, le faire naître parmi nous, se disant que son fils serait un homme droit, pas un meurtrier de sa mère et de ses sœurs, comme l’étaient son mari Mohammed, ses frères, les oncles homicides… (p.37)


Tous rentrent après être aller au bout de soi, de leurs désirs et de leurs pulsions, cherchant l’être enfoui en eux et des instincts refoulés. L’heure où tout bascule. Le mendiant ne survivra pas à la nuit, Love sera violée par ses amis, la dame au bras de son mari a-t-elle renié l’artiste qui voulait s’envoler il y a si longtemps ? Les nageurs téméraires seront broyés par les vagues.

NUIT APOCALYPTIQUE

Marie-Claire Blais nous pousse dans ce plissement du jour, nous fait confronter le regard du policier qui se dresse devant Petites Cendres. Tous secoués par l’arrêt de la planète, culbutés par la passion, des rêves qui ne peuvent germer dans ce monde étouffant. 

… il ne s’agissait que d’un jeu dans la nuit, un jeu pour rire, et s’ils allaient la traîner dans la mer, l’océan, l’oublier là, couverte de sang et de sperme, ainsi ne pourrait-elle pas disparaître et on ne saurait rien de cette nuit de meurtre à deux, rien du tout, les vagues nettoyaient tout, pensait Love, qu’était-ce qu’une jeune femme violée pour deux envahisseurs qui se vantaient de leur crime qu’ils pourraient un jour de beuverie raconter à d’autre étudiants aussi veules… (p.73)

L’univers de Marie-Claire Blais est terrible de racisme, d’homophobie et de machisme. Une société de mâles blancs qui peuvent tout se permettre sans être importunés, un état d’injustice et de sévices chroniques qui frappent ceux qui cherchent à bousculer la norme. 
Humanité incapable de se régénérer et de trouver une manière de juguler le mal qui la ronge et la pousse vers le pire. Ville où l’on cultive le désir du sang et du viol en ingurgitant des drogues. Civilisation où des forces démentes broient ceux et celles qui lèvent la tête. 
Marie-Claire Blais ajoute un volet à la grande tragédie de maintenant. Constat brutal, difficile à accepter. Elle me bouleverse chaque fois, me sidère en heurtant mes croyances et ma sensibilité, l’idéal qui refuse de mourir en moi malgré les horreurs. Le soleil finira bien par s’arracher à l’horizon, je le souhaite, je l’espère et je le veux.

BLAIS MARIE-CLAIRE, Petites cendres ou la capture, Éditions du BORÉAL, 216 pages, 24,95 $.

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/petites-cendres-capture-2729.html

jeudi 5 avril 2018

LE CHAUFFEUR DE MARIE-CLAIRE BLAIS


Une version de cette chronique
est parue dans Lettres québécoises,
Numéro 169, avril 2018,
consacré à Marie-Claire Blais.

Marie-Claire Blais a bousculé ma vie avec Une saison dans la vie d’Emmanuel. Après avoir lu ce roman, plus rien ne pouvait être pareil. Ce fut une sorte d’illumination et ma démarche d’écrivain a pris une autre direction. Je venais de m’installer à Montréal en 1965, pour des études en littérature. J’avais dix-neuf ans et ne lisais que des écrivains d'ailleurs, Dostoïevski et Tolstoï surtout. J’étais convaincu de devoir apprendre la langue russe pour arriver un jour être un écrivain, un vrai. Il faudrait que je migre à Moscou ou Leningrad pour me fasse communiste. Il le faudrait pour vivre au pays de Nikolaï Viktorovich Podgorny, le président alors du Soviet suprême de l’Union soviétique. 
Tout le monde en parlait à l’université, c’était l’événement littéraire de l’année. J’ai lu Une saison dans la vie d’Emmanuel et l’ai relu une fois, deux fois, usant presque les 128 pages du texte, apprenant des phrases par coeur. Je me souviens encore de l’incipit : « Les pieds de Grand-Mère Antoinette dominaient la chambre. » Et de la fin : « Ce sera un beau printemps, disait Grand-Mère Antoinette, mais Jean Le Maigre ne sera pas avec nous cette année. »
Ce fut comme la foudre dans la cheminée, un vent qui fait claquer les fenêtres et déracine les arbres. Comme si Marie-Claire Blais me ramenait dans ma famille en me traînant par l’oreille pour punir l’enfant récalcitrant que j’étais. Grand-Mère Antoinette, c’était ma grand-mère Malvina et Jean le Maigre était un cousin tout croche dans son corps, qui toussait creux la nuit, celui que j’accompagnerais au cimetière au printemps suivant en marchant la tête basse derrière un cercueil d’un blanc aveuglant, n’arrivant pas à éviter les flaques d’eau. Et, tout comme dans le roman de Marie-Claire Blais, mon père pratiquait l’art de disparaître dans les couleurs de l’automne pour ressusciter à la fonte des neiges.
Marie-Claire Blais me donnait le droit de raconter mon village, les histoires de ma famille et tout ce qui avait hanté mon enfance. J’avais le droit de m’attarder aux excès de mes frères, de raconter la réclusion de mes tantes dans leur maison basse, les rages de mes oncles qui fonçaient dans la forêt en blasphémant. Sans Une saison dans la vie d’Emmanuel, je n’aurais jamais écrit La mort d’Alexandre et Les Oiseaux de glace, encore moins Le Violoneux, Les Plus belles années et Le Réflexe d’Adam. En fait, à peu près tout ce que j’ai publié à partir de 1970.
Quand j’ai refermé ce roman, je ne pouvais plus voir les écrivains du Québec d’un même oeil. J’ai commencé à les traquer et à vouloir tout lire. C’était facile en 1965. À peine une trentaine de publications par année. Cela devait changer, bien sûr, avec cette révolution que nous avons vécue sans penser que c’était une révolution.
Rapidement, on a fini par avoir plus d’écrivains que de lecteurs au Québec avec les cours de création littéraire qui se sont multipliés comme des petits Joe-Louis dans les collèges et les universités. C’est ainsi que je suis devenu disciple de Victor-Lévy Beaulieu, mon premier éditeur, de Gilles Archambault, Gabrielle Roy, Jacques Poulin, Suzanne Paradis, Noël Audet, Michel Beaulieu et Paul Villeneuve. Je cherchais une cadence, un rythme pour mes textes qui n’arrivaient jamais à se tenir en équilibre. Je connaissais la destination, mais n’arrivais jamais à trouver le chemin pour m’y rendre. J’étais têtu et patient. J’avais appris à l’église en récitant les litanies jusqu’à ne plus sentir mes genoux pendant le carême.
 
RÊVE

Quand je suis devenu président du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, j’ai pu inviter Marie-Claire Blais. C’était en 1995, trente ans après la parution d’Une saison dans la vie d’Emmanuel. Elle venait de publier Soifs, un texte inquiétant qui constituait les assises d’une fresque unique dans la littérature contemporaine. Le dixième tome de cette suite vient de paraître. Plus de 2000 pages qui vous laissent au bord de la défaillance. 
J’ai posé mes conditions cependant. Je serais le chauffeur attitré de madame Blais pendant son séjour au Saguenay-Lac-Saint-Jean.
J’ai passé mes vacances sur une plage de la pointe Wilson, les orteils dans le sable, sous un grand parasol rouge, à relire l’œuvre de Marie-Claire Blais. De La belle bête paru en 1959 jusqu’à Soifs. Plus ou moins dix-sept livres et 2000 pages de texte. Je lisais devant les mouettes qui se demandaient si je n’étais pas en train de me changer en statue de sel.
J’ai vécu en état de transe pendant juillet et août, me droguant à la prose de Marie-Claire Blais, peu importe les grandes chaleurs, les nuages et les merles, les vents et les grondements du tonnerre, les éclairs qui secouaient les grandes eaux dans l’embouchure de la Péribonka.
Quel bonheur de suivre l’écrivaine dans ses premiers pas, de flâner dans Les manuscrits de Pauline Archange. Je crois bien que c’est là que j’ai commencé à faire de l’arythmie cardiaque. Et que dire de Un joualonais sa Joualonie dont on ne parle jamais. Madame Blais prend position sur la langue du Québec, se moque un peu de la croisade de Gaston Miron, je pense. Un roman abasourdissant qui m’a fait me sentir comme un cabochon qui traînait les pieds sur les trottoirs de la ville et qui commençait à rêver du grand retour dans son village.
Marie-Claire Blais a toujours été courageuse et un peu téméraire ! Il le fallait pour écrire un tel roman en 1973 où elle se moquait des idées que tout le monde partageait alors. Et toutes ses expériences et ses reculs, ses hésitations qui mèneraient à son œuvre la plus importante, cette suite qui s’amorçait avec Soifs, cette grandiose symphonie avec si peu de points et de virgules.
L’écrivaine y fait éclater les corsets de la phrase, rive le clou à la ponctuation et plonge dans les remous de la langue française pour nous emporter dans de grands courants telluriques. Elle se permet toutes les dérives pour se pencher sur les failles de l’Amérique, décrire les souffrances, les errances, les obsessions, les peurs et la décadence peut-être de la plus grande puissance militaire de la planète. Un monde où ses personnages cherchent désespérément une oreille et un peu de compréhension dans les bras d’un semblable. Nous culbutons dans la détresse et l’enchantement. Petites Cendres, Mai, Rébecca et Augustino sont devenus des amis qui m’ont accompagné pendant une vingtaine d’années. Marie-Claire Blais a bâti une cathédrale et elle l’a fait avec une précision et un talent unique.

RENCONTRE

Après avoir survécu à mon marathon de lecture, un peu amaigri, mais bronzé comme une statue de Rodin, j’ai enfilé mon plus beau jean et ma chemise de coton écru pour me présenter devant madame l’écrivaine. C’était un jour de fin septembre avec de la gouache partout dans les arbres. Elle si discrète, si attentive et moi qui parlait comme le moulin à paroles de Robert Lepage pour cacher ma nervosité. On ne rencontre pas son idole sans faire un fou de soi.
Nous avons d’abord pris la direction de Chicoutimi dans ma vieille Toyota. Direction le cégep, classe de français d’Alain Dassylva. Pour la circonstance, mon ami professeur et indomptable lecteur, avait loué un toxedo pour accueillir celle qu’il considérait comme la plus grande écrivaine du Québec. Ce fut mémorable. Comme si Madame Blais faisait son entrée à l’Académie française. Il ne manquait que l’épée, le tricorne et les écrivains qui s’accrochent à leur fauteuil par habitude.
L’écrivaine ne savait trop comment réagir devant ces adulations. Elle a lu un extrait de Soifs, une seule phrase, avant de s’abandonner aux questions des étudiants que l’ami Dassylva menait au doigt et à la baguette. Ce fut un moment de grâce. Le professeur irradiait et j’avais envie de me livrer à la danse du lecteur pour attirer sur elle toutes les reconnaissances et le prix Nobel.

SAINT-FÉLICIEN

Le moment culminant fut la rencontre au collège de Saint-Félicien. Pour s’y rendre, il faut traverser nombre de villages et longer le lac Saint-Jean. Une heure et demie de route pour aller et autant pour revenir. Je frétillais et avais juré de ne pas faire d’excès de vitesse. Faut dire que ma Toyota s’opposait à ce genre de témérité.
J’étais tellement énervé que j’ai parlé sans respirer de Larouche à Roberval. Un record en apnée, certainement. Je sautais d’un roman à l’autre, saluais ses personnages. Pauline Archange était une de mes cousines et je répétais que l’on retrouvait dans ce triptyque tout Michel Tremblay. Je riais avec son poète Papillon et j’étais convaincu d’avoir croisé Mimi, Jean-François et Dany à la taverne Cherrier où j’avais fait de longs stages d’apprentissage pendant ma vie à Montréal.
Elle a été patiente, surprise certainement, effarouchée peut-être devant tant d’exubérance. J’imagine qu’elle avait l’habitude des exaltés qui ne peuvent s’empêcher de jongler avec les mots quand ils s’approchent d’elle.
Je devais retrouver Marie-Claire Blais au Salon du livre de Paris où le Québec était invité d’honneur. Quand je me suis avancé lors d’une cérémonie, tenant une coupe à moitié remplie, elle a penché la tête et m’a présenté comme son chauffeur à une amie. Ce fut mon moment de gloire. J’étais adoubé. Rien qu’à y penser, j’en ai encore des frissons.


CYCLE DE SOIFS (DIX VOLUMES) de MARIE-CLAIRE BLAIS, des publications des ÉDITIONS DU BORÉAL.