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lundi 22 mai 2017

Plamondon plonge dans une histoire troublante


LE GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, en 1981, envoie des forces policières pour saisir les filets de pêche des Mi’gmaq à la réserve Listiguj de Ristigouche. Une intervention policière qui tourne à l’émeute et à la crise sociale. Éric Plamondon nous replonge dans un moment particulièrement tragique que peu de Québécois aiment se rappeler. Le sort des Autochtones refait surface, malheureusement, trop souvent dans l’actualité. Que l’on songe aux événements d’Abitibi ou encore de Uashuat tout près de Sept-Îles. Des femmes agressées, violées par des proches ou qui disparaissent sans laisser de traces.

Le territoire de la réserve mi’gmaq de Listiguj se situe à la frontière du Québec et du Nouveau-Brunswick, le long de la rivière Ristigouche, renommée pour ses nombreux saumons, mais aussi comme du dernier lieu de résistance de la colonie française. Là où s’est scellé le sort des Acadiens et celui des Québécois par ricochet. Un pont lie les deux provinces, une frontière entre le monde autochtone dépossédé de tout et celui des Blancs qui prennent des décisions étranges. Le gouvernement de René Lévesque est au pourvoir à Québec en 1981 et entend tenir tête à Ottawa, oubliant les autochtones et leurs droits. L’intervention policière est brutale. Des arrestations, des blessés, une justice expéditive, une autre étape d’une guerre d’occupation.

OCÉANE

Océane, une jeune mi’gmaq est à l’école ce jour-là. Elle étudie de l’autre côté de la rivière, hors de la réserve. Quand elle tente de rentrer chez elle après sa journée, le pont est bloqué. Elle suit des garçons et réussit à traverser en se glissant dans la structure. La jeune fille est arrêtée, violée par des policiers qui se permettent tout. Je ne peux que penser aux témoignages de ces femmes en Abitibi qui pointent les policiers du doigt. Un geste qui semble fréquent quand il s’agit de jeunes femmes autochtones. Les adolescentes sont traitées comme du bétail et les mâles conquérants s’en servent avant de les rejeter. Des événements similaires ont été racontés maintes fois dans notre littérature. Louis Hamelin dans Cowboy nous fait voir de façon exceptionnelle cette situation dans les réserves. J’ai vécu cette cohabitation difficile alors que je travaillais dans les forêts du nord de l’Abitibi. Le racisme s’y exprimait dans la plus absurde des cruautés. Des hommes n’hésitaient pas, après avoir avalé quelques bières, à faire des raids dans la réserve tout près pour « tasser » les hommes et violer leur femme et leurs filles. Je raconte cela dans La mort d’Alexandre en 1982. Personne n’en a parlé, bien sûr. Lucie Lachapelle s’attarde aussi à cette situation déplorable dans Rivière Mékiskan. La situation ne semble pas vouloir changer malgré de nombreuses dénonciations. David Adam Richards aborde le même événement de façon saisissante dans Enquête dans la réserve paru en 2013.

HISTOIRE

Éric Plamondon a sa façon de nous plonger dans cette page d’histoire. La bataille de la Ristigouche, haut lieu de l’Amérique française, redevient le théâtre d’un affrontement entre Québec et Ottawa. Les nations indiennes, aujourd’hui comme hier, ont souvent été au coeur de ces luttes de pouvoir. Toute la communauté mi’gmaq est traumatisée par l’intervention soudaine des policiers et leur brutalité.

Dany fait ce qu’il peut avec sa jambe de bois. Le policier tire, arrache la chemise, le plaque à terre, un coup de genou dans les côtes l’air de rien, un oing sur la nuque parce qu’il faut qu’il obtempère. La clé de bras disloque l’épaule. Un cri de douleur jaillit, étouffé par un fuck you hargneux. Ils sont maintenant quatre sur le dos de l’homme à terre. Il n’avait qu’à obéir. Refus de se plier aux ordres d’un représentant de l’autorité. Il n’avait qu’à ne pas traîner. Ils lui maintiennent les jambes et lui passent les menottes. Un coup de matraque dans le dos pour finir. Les forces de l’ordre sont en train de sauver le Québec des terribles agissements de ces sauvages qui ne veulent jamais rien entendre. Il faut les discipliner, leur apprendre. On est dans la province de Québec, sur le territoire provincial. Quiconque s’y trouve doit obéir aux lois et aux injonctions venues de la capitale. Le ministre a dit, la police exécute. Elle répand la parole de l’ordre par le bout des fusils, les gaz lacrymogènes et les barreaux de prison. (p.32)

Éric Plamondon raconte l’histoire de façon horizontale et verticale, je dirais. Nous suivons Océane dans les jours qui suivent l’occupation. Il remonte aussi dans le temps pour s’intéresser à la présence autochtone en Gaspésie jusqu’à l’arrivée des premiers migrants sur le continent américain dans un passé très lointain. Autrement dit, nous basculons dans le temps et l’espace, vivons la présence autochtone dans ces lieux où ils chassent et pêchent depuis des milliers d’années. L’arrivée des Européens chambarde tout. Les envahisseurs s’emparent de tout et font fi des droits et des lois. Le non-respect des traités signés avec les premières nations est un exemple désolant de cette manière d’agir. Il suffit de lire Thomas King, particulièrement L’indien malcommode, pour avoir mal à l’âme devant les tractations et les sévices que les Blancs imposent aux premiers occupants. La réalité dépasse toujours la fiction.
Les manœuvres de Pierre Pesant, dans Taqawan, sont particulièrement odieuses. Sous des dehors empathiques, plaidant en faveur des mi’gmaq, il contribue à l’enlèvement des jeunes indiennes pour en faire des prostituées.

AVENTURE

Des morts, des meurtres, des gens qui tuent et s’en tirent sans aucune conséquence. J’ai du mal à prendre au premier degré toutes les tribulations de Leclerc et William, son complice indien, qui se comportent en véritable Rambo. Plamondon caricature la mythologie que le cinéma américain fait de la Conquête de l’Ouest et des affrontements avec les nations indiennes. Océane devient un prétexte entre deux forces qui se confrontent dans la plus terrible des violences.
Yves, un simple garde-pêche tue sans aucune émotion et se débarrasse des corps comme s’il faisait cela tous les jours. La loi du plus fort s’impose et les lois, les édits sont bafoués. C’est gros, c’est énorme, mais il faut voir plus loin, celle d’une dépossession et la poussée implacable de ce que nous nommons la civilisation.

C’est un drôle de concept, la terre natale. Ce sont de drôles de concepts, le territoire, la culture, la langue, la famille. Comment ça fonctionne, dans la tête des humains ? Ils sont les enfants de leurs parents. Ils naissent au sein d’une communauté à un moment précis quelque part. Mais d’où vient cette incroyable force collective qui mène le monde depuis toujours : défendre son territoire, son identité, sa langue ? D’où vient cette nécessité, comme innée, depuis le fond des âges, qui veut que l’espèce humaine se batte et s’entretue au nom d’un lieu, d’une famille, d’une différence irréductible ? Pourquoi mourir pour tout ça ? (p.110)

C’est ce que j’aime chez Éric Plamondon. Il ne se contente pas d’une aventure rocambolesque, mais se questionne sur la nature de l’humain et ses agissements, le milieu, le comportement des saumons par exemple, la nature qui devient agissante. Et nous sommes peut-être seulement des bêtes qui défendent un espace et un lieu pour se nourrir et se reproduire. Notion dépassée ? Peut-être tout simplement que ce désir réside dans notre ADN et nous pousse à protéger un territoire pour soi et sa descendance.

BRUTALITÉ

Nous basculons dans un monde rude où tous agissent sans scrupules, s’approprient des terres, utilisent les femmes comme du bétail. Le vieil indien redresseur de torts et le garde-pêche sont aussi impitoyables et insensibles que les envahisseurs. Bien sûr que les bons vont triompher et qu’Océane sera libérée des mains des exploiteurs. Elle s’exilera dans la ville, étudiera pour s’arracher à la misère et à toutes les humiliations qui écrasent son peuple. C’est le sort des autochtones maintenant. Tous doivent acquérir un savoir et arriver à vivre à la manière de ceux et celles qui se sont approprié leur pays. Ceux qui survivent dans les réserves font face à des problèmes quasi insurmontables de misère et de dépendance.
Éric Plamondon nous plonge dans une actualité dérangeante, ne se tient jamais dans la demi-mesure. Le monde se fait et se défait.
Un livre qui éclaire nos rapports avec des populations qui ont tout perdu et qui survivent sur des réserves trop étroites. Il faut en parler encore et encore dans l’espoir que les choses changent et que des Mi’gmaq, les Innus, les Algonquins ou les Hurons retrouvent leur fierté d’être, arrivent à vivre selon leurs traditions et leur manière de voir le monde. Un roman qui transcende l’action et les agissements des personnages pour nous plonger dans la violence de ceux qui envahissent un espace et en chassent les occupants. C’est toute l’histoire de l’Amérique qui refait surface dans ce roman. Il ne faut pas l’oublier.

TAQAWAN de ÉRIC PLAMONDON, roman paru au QUARTANIER.


PROCHAINE CHRONIQUE : LE PLONGEUR de STÉPHANE LARUE.