GUY LALANCETTE a eu la bonne idée de réunir les textes courts qu’il a écrits et fait paraître dans différentes revues au cours des vingt dernières années. Des récits, des histoires, vingt-neuf en tout, dont plusieurs ont reçu des mentions au concours de nouvelles de Radio-Canada et ont été publiés dans le magazine EnRoute d’Air Canada. Des explorations qui ont souvent été à l’origine d’un roman et qui illustrent parfaitement le parcours de cet écrivain que j’ai lu dès son premier ouvrage étant toujours à l’affût des écrivains et écrivaines du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Un premier contact avec Il ne faudra pas tuer Madeleine encore une fois en 1999, un coup de foudre. Une voix tout à fait audacieuse et singulière s’imposait d’ores et déjà. Un ensemble qui bouscule, étonne, fait sourire ou laisse sur un mot, un bout de phrase, les mains vides en quelque sorte. Étrange que VLB éditeur n’ait pas cru bon de s’attarder à ce florilège si important et révélateur de la démarche de ce romancier et nouvelliste.
Le parcours de Guy Lalancette est très particulier dans le monde des lettres québécoises. Il a soumis des manuscrits pendant une vingtaine d’années avant de recevoir le oui d’un directeur littéraire. C’est dire la ténacité, la patience, la passion qui animait l’homme pendant toutes ces années, le plaisir qu’il ressentait à manier les mots et les phrases. Un amour incontrôlable, un désir plus fort que tout. Bien d’autres se seraient découragés. Preuve que l’écriture pour lui, que raconter des histoires est une façon de vivre, une manière de négocier avec le quotidien. Une sorte d’équilibre nécessaire à son existence qui lui permet de mieux respirer au milieu de ses tâches de professeur.
Il a d’abord enseigné le français au niveau secondaire à l’École La Porte du Nord de Chibougamau et par la suite, il s’est consacré à l’art dramatique, toujours à la même école. Il a créé l’Otobuscolère avant de co-fonder avec des passionnés comme lui Le Théâtre des Épinettes. Une troupe encore active qui prépare un spectacle, faisant tout comme il se doit quand on s’embarque dans une aventure pareille. Le texte avant tout et après les décors sans parler des costumes et des accessoires. Une belle folie qui le tient en contact avec des amis et lui permet de satisfaire le plaisir particulier d’incarner un personnage et de le faire vivre sur scène.
Tout a changé pour lui en 1998, alors qu’il s’apprêtait à partir donner son cours. Un appel. Il n’aime pas le téléphone et ne répond pas d’habitude. Cette fois, il a soulevé le combiné. C’était Jean-Yves Soucy de VLB éditeur. Il acceptait son manuscrit. Guy Lalancette raconte ce moment dans un court texte qui sert d’introduction à Dérives.
« Au bout du fil, une voix calme et un peu rauque de fumeur. J’enregistre le nom : Jean-Yves Soucy, directeur littéraire chez VLB éditeur. À ma montre il est 13 h 59 et 15 secondes. Je sais que quelque chose d’unique est en train de se passer. VLB éditeur tourne comme un moulin emballé dans ma tête. Par-dessus tout cela, la voix continue de remplir mon silence où je distingue des bouts de phrases “… publication de votre manuscrit…” pendant que je cherche à situer ce Soucy-là. Je connais le nom, mais je ne sais plus d’où. Il est maintenant plus de 14 h “… salon du livre de Québec…” ; je comprends que VLB veut publier mon dernier manuscrit. J’ai dû répondre quelque chose entre la félicité et l’urgence. » (p.14)
Tout venait de basculer pour cet auteur exceptionnel. Je devrais écrire plutôt : c’est ainsi que tout a abouti après des décennies de patience, de rêves et de recommencements. C’est aussi comme ça que tout s’est enclenché pour moi en 1970 quand Victor-Lévy Beaulieu m’a appelé pour me dire qu’il allait publier L’octobre des Indiens. Je n’y croyais pas, imaginant un canular, parce que je n’avais soumis aucun texte aux Éditions du Jour. J’ai raconté cela souvent. Une manigance de Gilbert Langevin.
Vingt ans de recherches, d’écriture, d’envois de manuscrits, de refus polis et conventionnels. Et un coup de fil qui change tout, le fait passer du rêve à la réalité. J’y pense et j’en ai des frissons. Comment a-t-il pu ne jamais se décourager pendant cette longue traversée du désert ?
« Un appel que j’attendais depuis vingt ans. Vingt ans de déceptions. Aucun cours, fut-il de théâtre, ne méritait une telle privation. » (p.14)
Je me souviens de ma première rencontre avec Guy Lalancette. Ce devait être en 1999, au Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Je l’avais surpris, il n’y a pas d’autres mots, dans le stand de VLB éditeur comme il se doit, aux côtés de Gérard Bouchard qui venait de publier La nation québécoise au futur et au passé. Guy Lalancette, si je me souviens bien, avait les cheveux orange ou rouge, je ne sais plus trop. J’ai du mal avec les subtilités de la couleur. Le contraste était assez frappant entre l’universitaire toujours bien mis et cravaté et ce nouvel écrivain à l’aspect hétéroclite qui nous arrivait du lointain pays de Chibougamau.
Nous sommes devenus amis spontanément, instantanément. Guy est comme ça. Accueillant, volubile, souriant et blagueur. Surtout qu’il venait de Girardville, qu’il avait de la parenté à La Doré, mon village, et que j’avais aussi un oncle et une tante dans son village, avec des cousines si nombreuses que je mélangeais les prénoms.
INOUBLIABLE
Deux ans plus tard, il publiait Les yeux du père, un roman inoubliable. Un ravissement, un coup de cœur pour moi. Un bouquin marquant. Cet ouvrage aurait dû tout rafler, mais c’est l’histoire de Guy Lalancette. Après avoir connu un long purgatoire, il s’est retrouvé dans la liste courte de plusieurs prix littéraires de prestige, sans jamais remporter les honneurs. Heureusement, le Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean lui a attribué la palme cette année-là. Il a été finaliste également au prix France-Québec. J’ai parcouru ce livre à plusieurs reprises, me laissant prendre par cette narration et ce ton original, cette écriture qui vient vous chercher et surtout cet univers fascinant et cruel de l’enfance.
« Des fois, Jeannette Lechasseur tombe et c’est très drôle parce que, quand elle tombe, on dirait qu’elle a trop de jambes et de bras qui gigotent partout. C’est parce qu’elle est très longue, je pense. On rit beaucoup quand elle essaie de se relever pour courir après Julien. » (p.24)[1]
Ce devait être suivi d’autres ouvrages tout aussi saisissants et magnifiques. Un amour empoulaillé m’a bouleversé avec sa prose envoûtante, unique, si belle, à me rendre jaloux. Un texte qui se démarque et vous emporte comme une musique qui touche l’âme. Là encore, j’ai relu souvent ce roman pour mon plaisir, avec un bonheur incommensurable, pour me recentrer je dirais sur ce que doit être la littérature. Pas étonnant que je lui rende hommage dans Le voyage d’Ulysse où mon personnage se faufile dans ce drame digne de Shakespeare. Une histoire de cruauté et de beauté à nulle autre pareille.
Encore une fois, l’ouvrage s’est retrouvé avec les finalistes du prix du Gouverneur général du Canada sans décrocher la palme en 2005 et au prix France-Québec où il était quasi un habitué. C’est Aki Shimazaki qui l’a remporté avec Hotaru. Il est vrai que Marie-Claire Blais était aussi là avec Augustino et le chœur de la destruction. Une brochette de grands écrivains que j’adore et qui vous emporte dans des mondes qui leur sont propres. Ce ne durent pas être des débats faciles, je le sais pour avoir siégé comme juré à ce prix. Surtout quand les finalistes ont laissé des traces indélébiles derrière eux, que ce sont des gens que l’on admire depuis la première ligne qu’ils ont publiée.
BONHEUR
Quel plaisir de s’aventurer dans ses récits de village où j’ai eu l’impression de revenir dans mon enfance avec ses secrets, ses découvertes, des originaux qui marquent pour la vie. Des individus qui vous influencent et vous poussent peut-être vers ce que vous devez faire ou ce que vous rêvez de devenir quand on se métamorphose enfin un adulte. Guy Lalancette a rencontré un conteur fabuleux et il ne faut pas trop chercher où il a puisé son amour des mots et des histoires. Tout vient de l’oralité, de cette parole vivante et sinueuse que l’on retrouve dans tous ses ouvrages, qui vous berce, vous hypnotise, vous secoue dans ce que vous avez de plus personnel et d’intime.
J’ai plongé dans cet univers dans Les plus belles années, mais de façon bien différente de celle de Guy Lalancette. Nos mondes se rejoignent, mais nous n’avons pas la même voix ni le même instrument.
Des récits qui ravivent des moments d’enfance, dont certains que j’ai pu lire selon les aléas et les parutions d’Un lac un fjord, ce collectif des Écrivains du Saguenay–Lac-Saint-Jean qui a réussi à publier un nombre impressionnant d’auteurs pendant presque vingt ans. Une entreprise unique et particulière au Québec. On parle d’un corpus d’environ 300 textes qui marquent le territoire qu’est le Saguenay et le Lac-Saint-Jean.
Il faudrait bien que j’imite Guy un de ces jours et que je regroupe tous ces textes que j’ai éparpillés un peu partout, même dans XYZ, la revue de la nouvelle, deux numéros réservés aux écrivains du Saguenay et du Lac-Saint-Jean que j’ai eu le bonheur de diriger.
HABILETÉ
Guy Lalancette passe habilement de l’anecdote au désastre. Je pense à mon malaise à la fin de Rouge mustang qui nous abandonne dans une tragédie où le monde s’écroule. Un rebondissement que seul l’auteur de La conscience d’Eliah peut se permettre.
Que dire de cette aventure qui a donné des romans inoubliables ? Je signale Le bruit que fait la mort en tombant. Nous retrouvons la première version dans Dérives, celui qui a donné naissance à ce récit si touchant, si personnel et si troublant. Un écrit tout de dentelle, d’amour, de fidélité et de douleur. Une prière, plutôt, un psaume. Du grand art, une langue magnifique, une musique envoûtante. En fait, pas un texte de Guy Lalancette ne me laisse indifférent. C’est toujours unique, avec un point de vue narratif qui étonne. C’est le propre de la littérature que de bousculer le lecteur, le déranger et le faire sortir de son confort et de ses habitudes.
Je retiens surtout le style de Guy Lalancette, sa prose pleine de méandres et tellement prenante, sa manière de nous enfermer dans un drame tout en se tenant un peu en retrait. Je signale L’amour empoulaillé où c’est le frère de Simon qui raconte l’histoire, y allant de son interprétation et de son regard. Un tour de force et des descriptions qui sont dignes de se retrouver dans une anthologie. Voici un passage que je relis souvent, pour l’enchantement et la beauté qui s’y incarne.
« Elle portait une jupe avec tellement de plis, on aurait dit un abat-jour. C’était une jupe à mi-cuisse — je ne sais pas si ça se dit, mais ça se voit. Il y a des filles qui sont faites pour les jupes, elles ont des jambes, c’est comme les pieds d’une lampe et c’est facile de croire que c’est de là que vient toute la lumière. L’autre mystère venait de sa tête. Quelque chose dans ses yeux peut-être qui réparait son visage assez quelconque. Entre un menton trop pointu, des lèvres trop minces et un front trop haut, elle avait tenté de cacher quelques boutons d’acné sous une pâte chair que nous n’aurions su nommer. Elle avait d’autres énigmes, et un peu plus à la poitrine quelle dissimulait, ne révélant que des formes floues sous une blouse blanche fermée au cou par la large boucle d’un ruban vert, coordonné à sa jupe à plis. » (p.25)[2]
Dérives est un recueil important parce que nous accompagnons un écrivain exceptionnel depuis ses premiers pas jusqu’à maintenant. J’ai particulièrement aimé m’engager dans le monde qu’a constitué le romancier remarquable qu’il est.
J’espère le lire encore et souvent, parce que c’est toujours une aventure que de plonger dans son univers. Une voix ample et multiple qui vous emporte dans les méandres de la vie et des histoires humaines. Surtout, il donne une parole à l’espace d’ici comme peu savent le faire. Un grand qui travaille à son rythme dans la plus belle des discrétions à Chibougamau, se passionnant pour le théâtre, restant fidèle à ses enthousiasmes de jeunesse, adorant le jeu par-dessus tout.
J’aimais la scène aussi, je ne pensais qu’à ça dans mon adolescence et pendant mon secondaire, mais la littérature et la lecture ont pris le dessus. Je manquais d’audace certainement, incapable d’étudier au conservatoire et d’affronter les regards des autres.
Un écrivain exceptionnel, des textes remuants, agréables, étonnants, uniques et un petit monde qui sait devenir fascinant, qu’il faut parcourir avec lenteur pour savourer chaque mot comme un chocolat fondant. On peut rejoindre Guy Lalancette et commander son livre à glalancette @tlb.sympatico.ca. Ça vaut le détour, je vous le garantis.
Lancette Guy, Dérives, Autoédition, Chibougamau, 240 pages.
[2] Lalancette Guy, Un amour empoulaillé, Collection Typo, Montréal, 2009, 270 pages.