Michaël La Chance, avec «Le
cerveau en feu de M. Descartes», propose un livre inclassable que j’ai lu en soupesant
les mots, évaluant les phrases qui ébranlent la vie et les jours, la pensée qui,
souvent, nous pousse dans les plus étranges excitations. Une réflexion comme il
ne s’en fait plus et qui permet de se calmer dans un siècle où l’avalanche d’informations
fait de nous des analphabètes. Une entreprise vivifiante.
René Descartes, le 11
novembre 1619, a fait des rêves singuliers qu’il note dans un petit registre en parchemin. Rappelons pour
la petite histoire que Descartes est soldat et qu’il sert dans les troupes de Maximilien
de Bavière à cette époque.
«L’esprit enflammé par
l’excès de tabac, le jeune philosophe est tombé dans un sommeil profond,
pourtant il se réveille dans son rêve
et interroge celui-ci tout en rêvant. Il interroge cette nouvelle existence
entre la vie et la mort, entre la réalité et l’illusion: son corps entre-deux
n’est qu’un reflet qui glisse parmi les reflets, une incarnation fantomale, qui
tire ses énergies de l’affolement des images.» (p.9)
Deux de ces songes ont été reconstitués
par Adrien Baillet en 1691 dans «Vie de M. Des-Cartes» et un troisième a été
perdu. Une expérience qui a traumatisé le philosophe et changé sa manière de
voir le monde et de l’expliquer.
«Cette nuit de 1619, quelque
chose a été entrevu, que le philosophe n’aura de cesse de refuser; ce refus a
décidé du destin spirituel de l’Occident. Nous voulons le rappeler aujourd’hui,
alors que s’annonce un nouveau tournant et qu’éclôt, par petites éclaircies, le
rêve d’une nouvelle façon d’occuper le monde.» (p.9)
Méditation
Michaël La Chance, avec sa
manière personnelle d’aborder les choses, engage une méditation poétique des
songes de M. Descartes, bouscule le philosophe, tente d’aller plus loin dans la
réflexion, l’illumination qui met «le cerveau en feu» et fait plonger dans un
monde où la raison s’étiole.
Bien plus, l’écrivain imagine
un troisième songe. Une reconstitution en quelque sorte en s’appuyant sur les écrits
de Baillet. Et pourquoi ne pas inventer un quatrième songe?
«Imaginons qu’il ait fait un
quatrième rêve, qu’il ait trépassé d’un excès de fièvre, ou bien encore, qu’il
se soit détourné des sciences pour écrire de la poésie.» (p.10)
Pour terminer, La Chance décrit
un voyage qui s’amorce «par une robuste prise de tabac» dans les forêts de
l’Équateur. Une forme de communion avec la terre, les plantes, les animaux, l’air
et l’eau. Une vision guidée par l’Uwishin, un chaman qui entraîne les curieux dans
des dimensions et des sensations méconnues.
Transformation
René Descartes, après ces illuminations, comment ne pas se tourner
vers Rimbaud, a eu peur et il s’est accroché à la raison. Le «je pense, donc
j’existe» vient de ce refus et explique «Le discours de la méthode». Ce que
l’on nomme logique a pris le dessus sur tout depuis quatre cents ans et a fini
par éliminer toute autre forme d’appréhension du monde. Le cartésianisme,
malgré les séductions de cette réflexion, a fait en sorte d’éliminer toutes les
autres formes de connaissance. La raison imposa sa dictature.
Cette approche nous pousse
maintenant vers une catastrophe planétaire avec la prolifération des machines qui
formatent l’homme. L’informatique étant peut-être le dernier virage de cette conception
binaire de la réalité qui occupe toute la place sans pour autant apporter plus
de liberté, de bonheur ou de temps à l’être humain pour le rêve et l’imaginaire.
«M. Descartes, c’est moi et
c’est vous lorsque je m’accroche à une compréhension désincarnée du monde,
lorsque je ne veux pas quitter une pensée de fer qui fait l’impasse sur une
dimension de folie qui est en reste dans l’humain.» (p109)
À l’heure des changements
climatiques et du réchauffement de la planète qui s’accélère, la consommation
folle d’énergie fossile, il serait peut-être temps, avec M. La Chance, d’explorer
de nouvelles pistes pour surprendre d’autres manières de penser, d’être et de
vivre. Nous voilà devant les abîmes du cartésianisme qui prend le visage, de
plus en plus, d’un délire rationnel et d’une fuite en avant. Une expérience de
lecture assez unique que propose Michaël La Chance, une méditation nécessaire.
Un baume pour ceux et celles qui ont mal à la pensée.
«Le cerveau en feu de monsieur Descartes» de Michaël
La Chance est paru aux Éditions Triptyque.