JE CONSTATE en m’attardant à la biographie de Jean Désy qui apparaît à la fin de Être et n’être pas qu’il y a plusieurs de ses titres que je n’ai pas lus même si j’ai parcouru la plupart de ses romans, ses récits et ses essais avec plaisir. Nos rencontres, toujours intéressantes et fort intenses, permettent de combler mes lacunes. Parce qu’avec Jean Désy, nous allons rapidement à l’essentiel, à ce qui fait que la vie est étourdissante et fascinante. Nous venons de passer un beau moment ensemble. Un groupe d’une dizaine d’écrivains et écrivaines, malgré le smog, a débarqué sur l’île Connelley, l’une des nombreuses îles du lac Saint-Jean, dans le secteur de Saint-Gédéon. Charles Sagalane faisait office de guide. Un endroit où une de ses bibliothèques de survie occupe un lieu de rêve sur une courte plage piquée de pins qui poussent dans le sable, jusqu’à la frange de l’eau.
Jean Désy m’a offert Être et n’être pas, chronique d’une crise nordique que je n’avais pas parcouru lors de sa parution en 2019. Le texte vient d’être réédité par Bibliothèque québécoise dans un format de poche, propre à la lecture nomade comme je le fais souvent dans le parc de la Pointe Taillon par cet été chaud et imprévisible. Un coin à l’ombre devant le lac et un moment de recueillement dans le plus beau des silences.
La page couverture présente nanuq, un ours blanc assis sur sa terre de glace de plus en plus menacée par le réchauffement climatique. Il nous regarde droit dans les yeux. Une bête dangereuse qui semble si douce pourtant. Il incarne bien le Nord du Québec, ce pays magnifique aux humeurs changeantes qui ne font jamais de quartier.
Un livre rédigé pendant ses séjours à Salluit situé au nord du Québec, tout au bord du détroit d’Hudson. Jean Désy, pour ceux qui ne le sauraient pas encore, y travaille comme médecin, effectuant des remplacements pendant de courtes périodes. Des récits écrits entre 2016 et 2018. Il était alors de garde à Salluit, mais devait répondre aux appels qui proviennent de tout le secteur et réagir aux urgences qui ne manquent jamais de survenir, surtout au milieu de la nuit. Beaucoup de consultations par téléphone. Des décisions à prendre rapidement malgré les aléas du climat qui immobilise la communauté pendant des jours quand le vent se met à souffler et paralyse tout dans le pays.
« Dans le cas de ce présent essai, j’ai colligé plusieurs faits et anecdotes qui me sont arrivés dans le Grand Nord, notant ce qui me passionnait, m’émouvait, mais aussi me dérangeait ou me troublait. J’ai voulu plonger dans ces “écrivages” d’abord parce que le Nord avec ses espaces infinis, souvent faits de toundra, m’a toujours puissamment inspiré, tout comme il continue de fournir un sens magnifié à mon existence. » (p.9)
Pratiquer la médecine dans ce coin de pays, c’est faire face à des situations difficiles. Des accidents et contrer si possible les effets de l’alcool et des drogues qui constituent un véritable fléau dans cette partie du Québec. On le sait maintenant. Les Québécois qui ont séjourné dans ce pays ont donné un bon aperçu de la vie des Inuit d’aujourd’hui. Ils sont désorientés, perdus sur un territoire qu’ils avaient pourtant réussi à apprivoiser au cours des siècles. Le Nord va mal. Que ce soit Jean Désy, Juliana Léveillée-Trudel ou Félicia Mihali, tous décrivent une société en proie à des problèmes de violence et un désarroi indicible.
« Que se passe-t-il au Nunavik, particulièrement autour de l’adolescence, pour que ces êtres si naturellement joyeux plongent dans de tels états de détresse, parfois en l’espace de quelques semaines, sombrant dans les innombrables addictions qui deviennent de réelles “antichambres” du suicide ? » (p.31)
Le médecin réagit aux cas les plus urgents, mais il n’a pas beaucoup de ressources pour soigner l’âme de ce peuple qui ne sait plus à quoi s’accrocher. Femmes battues, violées, accidents de VTT, que l’on conduit saoul à une vitesse folle, maladies mentales, alcoolisme qui use rapidement les adultes. Des enfants abandonnés, une détresse qui pousse des jeunes à en finir. En plus, la tuberculose en recrudescence dans ce coin de pays. Un fléau que l’on croyait disparu depuis un moment de la surface du globe.
« Une centaine de cas auraient été diagnostiqués au cours des trois dernières années. J’ai du même coup appris que c’est à partir des “smoke houses” que se déclareraient les principaux foyers. Dans ces petits cabanons à peine chauffés, faits de simples panneaux en contreplaqué, s’entassent des dizaines de jeunes fumeurs de marijuana ou de haschich qui jouent aux cartes en toussant. La consommation de “mari” fait particulièrement tousser. » (p.136)
Jean Désy aime le Nord, les grands espaces, la lumière singulière des jours sans fin, sa splendeur, son calme et aussi ses humeurs. La toundra est devenue nécessaire à cet agité qui se dit nomade et qui est toujours prêt à aller voir ce qu’il y a derrière une colline ou une chaîne de montagnes. Il doit y séjourner plus ou moins souvent pour s’apaiser et se ressourcer, pour sentir « son âme s’envoler ». Parce que l’endroit est propice au recueillement et à la méditation, aux excursions où l’on se retrouve face à soi-même.
RÉFÉRENCES
Bien sûr, le Nord est désemparé et déboussolé. Le peuple inuit a perdu ses ancrages en devenant sédentaire après avoir parcouru ces vastes territoires pendant des millénaires, s’y adaptant parfaitement malgré un climat très rude. Le Nord est malade de tous les maux du Sud. Les jeunes sont branchés sur les réseaux sociaux qui les mettent en contact avec un univers d’abondance et de consommation qui les coupe de leur réalité. Surtout, ce peuple est en voie d’oublier son passé et n’a plus guère d’emprise sur son présent. Une situation tragique qui ne peut laisser indifférent. Jean Désy en est pleinement conscient et il ne peut que se sentir impuissant devant ces hommes et ces femmes qu’il aime par-dessus tout.
PROBLÈMES
Tout au long de ses récits, l’écrivain suggère des solutions qui touchent la configuration des villages par exemple. On a importé la banlieue du Sud dans le Nord sans consulter personne. L’éducation qui est la clef de l’avenir, doit être repensée. Les jeunes finissent rarement leur secondaire et quand ils veulent poursuivre des études, ils doivent s’exiler à Montréal souvent où ils ont beaucoup de mal à s’adapter.
Le médecin connaît bien les problèmes et les ravages causés par l’alcool, mais nul ne peut sauver quelqu’un contre son gré. Ce sont les Inuit qui doivent trouver des manières de se guérir de leurs dépendances et de leur mal-être.
Un récit humain, à la limite du tolérable avec des cas de violence qui vous laissent sans mots. Que dire des suicides qui se font dans l’indifférence presque ? Désy raconte qu’un jeune s’est pendu dans une chambre, pendant que ses amis attendaient dans la pièce d’à côté.
Un livre important pour comprendre les tourments du Nord et les ravages que les Blancs ont causés chez cette population que nous avons infantilisée et rendue dépendante. Une nature dure, époustouflante, fascinante, mais un peuple en plein désarroi qui a peut-être perdu le Nord. Un clin d’œil à Shakespeare, bien sûr avec ce titre, mais il y a pire que la grande question que posait William. Que faire quand on vit, mais qu’on n’est rien, que l’on a égaré son âme, sa culture, son regard sur son environnement et même sa langue ? Des textes perturbants. Jean Désy y dévoile sa sensibilité et son empathie pour ce peuple en plein désarroi. À lire absolument.
DÉSY JEAN, Être et n’être pas, chronique d’une crise nordique, Bibliothèque québécoise, Montréal, 200 pages.
http://www.livres-bq.com/catalogue/355-etre-et-n-etre-pas.html