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lundi 25 mars 2013

Émilie Andrewes cède le pas à son imaginaire


Émilie Andrewes nous a habitués à plus de sobriété dans ses romans. Cette fois, elle laisse la bride à son imaginaire dans «Conspiration autour d’une chanson d’amour» et ne se gêne pas pour multiplier les points de vue qui tournent autour d’un amour perdu. Un roman multipiste, comme ces enregistrements où l’on capte les cordes, les vents, la voix avant de mixer le tout. À retenir pour l’écriture, l’humour, le regard sur la littérature, les secrets qui deviennent matière romanesque et qui surgissent même quand on fait tout pour les masquer.


Un titre plutôt intrigant, une famille où écrire est une tradition, un art de vivre, une façon de tromper les autres et soi-même peut-être. Une manière d’appeler le bonheur afin de l’apprivoiser et le caresser entre les oreilles comme un chien qui se prend pour l’ombre de son maître.
Emmanuelle Archebishop a publié un roman qui n’a pas du tout fonctionné. Un échec pour tout dire. Elle a vécu aussi un mariage qui n’a jamais eu lieu. Son amoureux s’est fait arrêter par les policiers alors qu’ils allaient jurer d’être fidèles jusqu’à la mort dans l’île de Cythère où le monde a peut-être eu l’idée de germer. Le fiancé se livrait au trafic de téléviseurs dans les îles. Un peu étonnant comme activité.
«Emmanuelle était dégoûtée de ne pas avoir été mise au parfum. Ce devait être une journée agréable; ce fut un jour de haute trahison. Dans son corset couleur cristal, une flûte de champagne glacé à la main, elle avait refusé d’embrasser Paris, de lui dire adieu et de lui faire des promesses de visite ou de fidélité. Elle avait refusé toute étreinte.» (p.26)
Elle rentre au Québec, se réfugie à la campagne et se livre à la contrebande de cigarettes à son tour. Elle ira en prison où elle croise des femmes singulières qui la bouleversent. Surtout Fany qui aime Jack un gardien et qui lui demande d’écrire une lettre d’amour. Elle peut avoir signé un roman, elle n’arrive plus à écrire, surtout pas sur l’amour.

Le retour

À sa sortie de prison, un bête accident, un coup à la tête et elle retrouve son amour pour Paris, l’amoureux, le traite, ce fils du roi Priam peut-être, qui n’a pas quitté la Grèce.
Elle décide d’aller le retrouver. Il vit avec Hélène naturellement. Il y aurait un Ulysse que nous n’en serions pas étonnés. Paris anime un cercle littéraire qui ne jure que par Marguerite Duras. Une véritable mystique entoure cette écrivaine. Emmanuelle a lu un ouvrage de cette auteure encensée.
«Ce livre, qui s’intitulait Écrire, l’avait beaucoup perturbée, la conduisant même au saccage d’un bâtiment municipal. Les questions que Duras y posait avaient provoqué en elle des effets mystérieux. Elles l’avaient laissée hagarde, assoiffée, perdue. Elle n’était d’ailleurs pas la seule à réagir aussi fortement. Des portées d’émules avaient vu le jour à la suite de la lecture de livres de Duras. Ils parcouraient les lieux où elle avait vécu, à Paris, rue Saint-Benoît, ou encore à Saigon. Duras attrape tout sur son passage, comme le ferait une flaque de mercure. Quand on referme l’un de ses livres, inévitablement on se demande ce qui vient de se passer. On se met à l’imiter; elle s’est immiscée en nous. Il faut alors lutter contre les mièvreries qui sortent de notre stylo.» (p.10)

Déception

Emmanuelle sera déçue encore une fois. Elle revient au pays parce que cette quête devient inutile.
«Emmanuelle se détourna de Paris, se rendit à la plage, où elle se déchaussa, et entra dans l’eau. Il n’y avait pas de place pour deux amours, celui d’Helena et le sien, il n’y avait pas de place pour la pureté de ses sentiments. Il n’y avait que la fin partout, dans toutes les nuits, dans toutes les tentatives de se réconcilier avec l’autre; l’autre dieu, l’autre homme, l’autre monde. Il y a des mots qui ne se disent pas. Que personne ne veut entendre. Il y a des promesses qu’on se fait à soi, dont on ne sera jamais prêt à se défaire pour personne.» (p.116)
Ce sera alors la vérité qui éclate. Son jeune frère mort noyé et meurtrier, Marthe qui a écrit la vérité sur sa vie de couple dans un livre que tous veulent changer. Le tout finit par s’éclaircir un peu à la fin avec le récit d’Alexandre, le poète.
Je me suis laissé bercer par cette phrase faite de clin d’œil, de petites références qui nous poussent un peu plus loin dans les illusions, les contorsions que l’on fait subir à la vérité par l’écriture. Quel plaisir de plonger dans une histoire qui vous pousse dans le temps et l’espace, fait surgir l’ombre des Grecs et vous entraîne dans les couloirs d’une famille assez tordue. Un monde où toute vérité est mensonge parfait.

«Conspiration autour d’une chanson d’amour» d’Émilie Andrewes est paru chez XYZ Éditeur.

dimanche 5 décembre 2010

Émilie Andrewes ne cesse d’étonner

Émilie Andrewes, dans « Les mouches pauvres d’Ésope » et « Eldon d’or », déroutait le lecteur qui aime retrouver un univers familier quand il suit la démarche d’un écrivain.
Avec « Les cages humaines », l’écrivaine désoriente complètement le familier, le plongeant dans Hong-Kong. Cette ville dont le nom signifie littéralement « port aux parfums » demeure une énigme pour les étrangers. On y trouve un mélange de modernisme et de traditions, une densité de population difficile à imaginer avec plus de sept millions d’habitants. Tous vivent dans des appartements réduits, la pollution et le bruit qui ne se calme jamais.
Lian effectue un travail routinier et peu valorisant. Il fait de la sollicitation téléphonique et s’y livre avec frénésie. Il est un peu dépendant du jeu et partage un appartement avec Fushi, un homosexuel qui a du mal à accepter sa sexualité. Travail, cafés, jeux et visites dans les maisons closes occupent les deux amis. Rien de particulièrement attrayant.

Jeu virtuel

Lian devient rapidement obsédé par un jeu virtuel où une fille se déshabille. Il faut payer pour qu’elle enlève une pièce de ses vêtements, mais jamais il n’arrive à la voir nue. Cette femme semble vivante et devient une véritable hantise.
« Son visage flou a envahi l’écran au complet. Elle avait un visage humain. Un magnifique visage humain. Et j’ai entendu sa voix. Je pouvais presque sentir la douceur de sa peau. Je l’ai entendu parler à quelqu’un, un homme je crois, puis elle s’en est allée, contrariée. J’ai l’impression que ce n’est pas une femme qui est représentée. C’est un millier de femmes. Une usine à femmes. L’usine de destruction des anges. La loi de l’enfant unique. Tous ces bébés de sexe féminin, noyés dans la cuvette, égorgés, abandonnés… Ils sont là. » (p.25)
Le joueur y laisse pratiquement son salaire hebdomadaire. Il a besoin de plus d’argent et il tente de séduire la chance avec les oiseaux. Ces volatiles, dans la tradition chinoise, attirent la fortune quand on trouve l’espèce qui convient.
Dans ses visites dans les maisons particulières, il rencontre Mei, une femme aux cheveux blonds. C’est plutôt rare pour une Chinoise. Il devient amoureux de cette danseuse qui flirte avec la prostitution dès le premier regard. Elle est aussi poursuivie par un médecin canadien qui séjourne à Hong-Kong. Il ne la lâche pas.

La chance

Mei est une fille évanescente, une image qui se dérobe sans cesse. On apprend qu’elle est violoniste. Pourquoi cette plongée dans un monde sordide quand elle a une vie plutôt bien, des parents aimants ? La jeune femme veut retrouver sa virginité par une opération chirurgicale qui s’effectue à Montréal. Ce métier de danseuse est la seule façon d’amasser de l’argent. Jouer du violon aussi pour remporter des concours. Elle s’y livre avec frénésie.
Lian et Mei se retrouveront à Montréal à la fin de l’aventure, exploitant un dépanneur.
Si le lecteur hésite un peu au début, il s’attache rapidement à ces personnages qui donnent du poids à leur vie, finissent par accepter leurs travers. Fushi vivra plus librement son homosexualité et Mei connaît le grand amour avec Lian. Oui, l’amour triomphe chez Émilie Andrewes.
« Mei danse pour Lian. Elle danse incroyablement bien. De ses hanches à ses seins, il voit des courbes profondes à la puissante destinée. Le garçon lui donne beaucoup d’argent. Tout son argent. Quand elle dit qu’elle danserait gratuitement pour lui, ailleurs, à un autre moment, il dit « non, non, non » en riant, ce qui rend Mei triste. » (p.105)
L’univers de ce roman est souvent dur, mais aussi plein de tendresse et de moments magiques. À Hong-Kong tout s’achète, même la virginité. Des personnages obsédés jusqu’à un certain point qui confient leur destin à un oiseau, s’abandonnent à la musique et aux parfums qui enivrent.   
Une fable où les pulsions et les désirs font foi de tout. Il suffit de s’abandonner à cette écriture toute simple et envoûtante. Émilie Andrewes réussit là où plusieurs auraient trébuché. L’amour est possible en autant que l’on brise les barreaux de sa cage et que l’on fait confiance à l’avenir. Tout arrive alors.

« Les cages humaines » d’Émilie Andrewes est publié aux Éditions XYZ.

jeudi 12 octobre 2006

Émilie Andrewes va à la recherche du père

«Les mouches pauvres d’Esope», d’Émilie Andrewes, entraînait le lecteur dans un imaginaire déroutant. Les images fusaient comme des feux d’artifices et crépitaient, empruntant des pistes peu connues. Ce n’était pas sans évoquer «L’écume des jours» de Boris Vian ou «Le souffle de l’Harmattan» de Sylvain Trudel.
Elle revient dans «Eldon d’or», son second roman, avec un long monologue, celui de Gratz qui explique le monde à son petit-fils Eldon. L’aïeul raconte sa vie et s’attarde aux pages familiales. Il a connu une enfance fabuleuse. Les parents aubergistes ne recevaient à peu près jamais de voyageurs, vivaient à la lisière du monde. Le père chassait et transformait les peaux dans une petite cordonnerie, le refuge du jeune Gratz. Un temps qui évoque les coureurs des bois, la nature sauvage et des aventures inquiétantes.
Gratz vivra l’amour total avec Mescée, une jeune voisine qui le quitte quand ses parents doivent partir. On croirait retrouver une chanson de Richard Desjardins.
Le jeune garçon se recroqueville dans une peine vaste comme l’univers. Il lui faudra des années pour cicatriser cette blessure, la rencontre de Flaune qui deviendra sa femme et un meurtre libérateur. Une histoire qui va au-delà de la mort et de la vie. Des passions qui embrasent et retournent l’être comme dans les fables et les contes.

Recherche du père

Le père de Gratz appréciait particulièrement la peau des «lies», un animal fabuleux qui vit au pays des femmes géantes. Gratz tentera de trouver son père disparu sans laisser de traces et apprivoisera ces femmes fascinantes. Il reviendra changé, avec plus de questions que de réponses. C’est le propre du voyage.
«Si j’étais là-bas, c’était pour me battre avec mon père, avec son absence en moi. Et quoi de plus biaisé et épuisant que de se battre contre des souvenirs. Valait mieux aller sur un nouveau territoire, idéalement où je n’avais pas à être, un lieu de son passage, par exemple, et chercher ce que lui, il y avait trouvé. Son absence, incarnée par un hululement, j’entendais un hululement humain, sa voix grave résonant dans le vide qu’il m’avait légué à sa mort.»  (p.70)
Émilie Andrewes ne s’enfarge pas dans le plausible pour mon plus grand plaisir. Elle suit les pulsions qui poussent la vie dans ses derniers retranchements, les élans où tout peut arriver. Une écrivaine qui aime les situations extrêmes, les dangers où un faux pas risque de tout gâcher.
«La réalité se transforma en un bloc opaque, un objet duquel nous étions expulsés. À trop vouloir éloigner la vie de la mort, nous étions en train de la tuer. En voulant contrôler ce qui se dérobait, nous étions sur le point d’incarner ce que nous nous acharnions à vouloir faire disparaître.» (p.33)

Écriture fluide

Si dans «Les mouches pauvres d’Ésope», Émilie Andrewes recherchait un peu trop les effets, dans ce second roman l’écriture devient fluide et plus sobre. Elle contrôle mieux ses élans et laisse l’espace à cet imaginaire qui suffit à dérouter le plus aguerri des lecteurs.
«Autour des poignets et des chevilles, les lies ont des poches de vide, des chambres d’échos. Au cours d’un combat, les fragments d’os brisés s’y accumulent très rapidement. Alors plus l’animal est mal en point, plus la musique s’élève. Quand ils s’assènent des coups, les fractions d’os s’entrechoquent sous la peau, dans ses réservoirs d’air. Ainsi, la mort est proche, la douleur devenant atroce pour eux quand la musique devient trop belle pour nous.» (p.82)
Une écrivaine qui a un ton, une voix, un souffle, une fraîcheur et un imaginaire qui nous entraîne dans un monde onirique, ramène les archétypes et certaines pulsions animales. Un vrai plaisir pour ceux qui ne craignent pas de plonger dans des mondes qui sommeillent en nous, peut-être. Il faut cependant accepter d’abandonner ses balises sinon la lecture devient difficile.
Le plaisir est décuplé quand on lit «Les mouches pauvres d’Esope» et «Eldon d’or» d’Émilie Andrewes, l’un à la suite de l’autre. Un voyage au pays de l’imaginaire.

«Eldon d’or» d’Émilie Andrewes est paru chez XYZ Éditeur.