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mardi 29 décembre 2009

Michel Leblond tord le cou de la vérité

J’adore les contes et trouve toujours le moyen de me régaler quand on publie un nouveau titre chez Planète rebelle ou quand une autre maison d’édition s’y aventure.

Tout le monde en conviendra, le conte doit puiser dans l’actualité pour demeurer pertinent et rejoindre un certain public. Sinon, le conteur risque d’évoquer une société qui n’a guère de références. Surtout que la tradition n’a plus tellement bonne bouche dans un monde de «l’ici maintenant» et du jetable. Et le Diable ne fait plus peur à personne.
On évoque souvent les contes urbains, comme si ceux qui ont défilé au Sergent recruteur de Montréal avaient renouvelé le genre en le sortant des campagnes. Une autre légende sans fondement. Le conte est tout aussi vivant dans les régions que dans les ruelles de la Métropole.
Les héros urbains sont souvent des itinérants qui savent voir les travers de leurs contemporains. On a souvent l’impression que Jean Narrache a eu de nombreux rejetons. Les héros de Montréal sont des cousins de ces quêteux qui ont si longtemps parcouru le Québec en transportant histoires et légendes. Plusieurs conteurs citadins se sont distingués avec des apports originaux et inventifs. Pensons à Jean-Marc Massie et Éric Gauthier. Comment ne pas citer Fred Pellerin? Le conteur de Saint-Élie-de-Caxton a donné un élan extraordinaire au genre en demeurant résolument fidèle à son village.

Imaginaire

Michel Leblond est associé aux Grandes gueules de Trois-Pistoles depuis fort longtemps. Un événement où l’imaginaire a les coudées franches. Un festival où les menteurs et les exagérations prennent toute la place. Dans «La cordeuse de bois», le conteur évoque le Diable, mais sans trop insister.
Dans le conte qui donne son titre au recueil, le démon est de retour et tente de faire des affaires même si les temps sont difficiles. Il a pourtant été bien en avance de son époque le Malin. Dans le bon temps du curé et du goupillon, il avait des succursales dans tous les pays du monde. Une mondialisation avant terme. Il est toujours aux aguets malgré la post-modernité, les I-Pod et l’inflation. Il a peut-être aussi un blogue et bien des amis sur Facebook.
Une femme transige avec lui. Le grand escogriffe s’engage à ranger son bois avant l’hiver. Une âme contre un tas de bois.
«- Une dernière chose. Je peux augmenter le nombre de cordes en tout temps.
- Pourquoi ?
- Tu sais, la cordeuse, avec le réchauffement de la planète, la température peut changer. Si jamais tu manques de bois, ben tu vas avoir froid, pis je veux pas ça. Tu vois, c’est pour toi que je fais ça.» (p.26)
Et comme dans la plus belle des traditions, Belzébuth sera filouté grâce à des jeunes qui vivent d’expédients et découvrent le monde. On dira après que les jeunes ne veulent plus rien savoir.

Exagération
 
Michel Leblond flirte avec la légende ou encore plonge tête première dans les plus belles exagérations. Le grand Ouellet vit une histoire d’amour avec une sirène et capture une baleine en s’adonnant à la pêche blanche.
«Une fois remise de sa surprise, elle m’a décoché un sourire à faire fondre toutes les banquises de la planète. Ça été le coup de foudre. Je l’ai prise dans mes bras pis je l’ai portée dans ma cabane. On a vécu de grands moments heureux. On sortait pus de la cabane, on vivait d’amour et d’éperlans pis le soir, elle chantait avec sa voix de cristal.» (p.48)
Un beau petit livre avec des photographies qui viennent comme ancrer les histoires dans la réalité. Heureusement qu’il y a encore des Michel Leblond qui transcendent notre époque. De quoi faire oublier certains épisodes sordides de l’actualité et la morosité qui colle à la vie publique. La parole y garde toute sa force et ses droits même si l’auteur a tendance à forcer un peu la note en tordant le cou de la langue à l’écrit. Ça peut passer devant un public, un peu moins à la lecture.

«La cordeuse de bois» de Michel Leblond est publié aux Éditions Trois-Pistoles.

dimanche 27 décembre 2009

Martine Desjardins travaille en orfèvre

Martine Desjardins a habitué ses lecteurs à des intrigues insolites. Elle prend plaisir à nous plonger dans des univers inattendus. Comme si l’écrivaine s’inspirait d’un thème ou d’un élément physique pour briser les limites de l’espace et du temps. Pensons à la glace, dans «Le cercle de Clara» qui devient le vrai sujet de ce roman remarquable. Le sel, dans «L’évocation», entraîne le lecteur dans un monde où les légendes et le fantastique se croisent.
Dans «Maleficium», nous pénétrons dans un monde sulfureux, marqué par le froissement des soutanes et les effluves de l’encens. Du moins c’est ce que laisse entendre la mise en garde signée par Antoine Tanguay, l’éditeur.
«De hautes instances religieuses ont déjà essayé, par divers trafics d’influence, d’empêcher la propagation de cet ouvrage et ont même proféré des menaces contre ceux qui en seraient complices. Il y a donc tout lieu de  craindre qu’en ouvrant le « Maleficium », le lecteur s’expose non seulement à la souillure de ces confessions immorales, mais au risque d’encourir l’excommunication. Qu’il se le tienne pour dit.» (p.11)
Le quatrième de couverture évoque un livre de l’abbé Savoie, prêtre sacrilège qui aurait trahi les secrets de la confession. Voilà qui fixe l’époque et l’univers que l’on souhaite évoquer. Pour ce qui est du sacrilège ou de l’excommunication, avouons que ces menaces n’effarouchent plus personne.

Confessions

Madame Desjardins, par le biais de huit confessions, nous entraîne dans des mondes qui présentent plusieurs similitudes. Elle se laisse porter par l’odorat, le goûter, le toucher et la vue. La recherche du produit pur, unique mène aux pires excès, à la folie et à la hantise. Comme si la transgression de certaines règles ne pouvait que provoquer folie et dérèglements du corps. Comme si les personnages de Madame Desjardins étaient punis par où ils pêchent.
«Je fus brutalement tiré de mon ravissement par une sensation de brûlure aux parois nasales. Je me reculai et trouvai l’air frais apaisant, mais d’une fadeur incommensurable. Le safran cramoisi venait de m’ouvrir les portes d’un monde païen que j’avais tout juste commencé à explorer et dans lequel je ne songeais qu’à replonger.» (p. 33)
Pas étonnant de retrouver des personnages en quête d’aromates qui marquent l’histoire occidentale et expliquent plusieurs conflits. La fameuse route des épices a hanté bien des têtes couronnées et permis à nombre d’aventuriers de repousser les frontières. Cette aventure n’est pas étrangère à la découverte de l’Amérique.
Nous voici sur les routes du monde, en Afrique, aux Indes ou en Asie. Les pénitents sont consumés par une passion brûlante et obsédante qui fait perdre la raison. La tentation vient presque toujours d’une femme ayant une certaine malformation des lèvres. Toute une imagerie du mal est explorée comme celui de la sainteté. La démarcation n’est pas très nette. Il faut aussi une bonne connaissance de tous les interdits et rituels de l’Église pour savourer ces histoires.
«Au début, je crus que c’était son sourire qui avait fait naître mon malaise -une grimace plutôt, fendue en plein centre par une cicatrice qui retroussait la lèvre supérieure et lui donnait l’apparence acérée d’un bec de tortue prêt à vous happer le doigt. Or, je m’en serais facilement accommodé, n’eût été la fixité du regard qui accompagnait – un regard scrutateur, impossible à soutenir, qui se fixait sur vous et ne vous quittait plus.» (p.109)
Tous sont punis, défigurés, marqués à jamais dans leur chair pour avoir défié l’entendement.
Martine Desjardins nous permet ne nous initier aux vertus des épices, à la fabrication des tapis d’Orient, à la chasse aux tortues qui procurent les écailles précieuses et tant recherchées qui servent à la fabrication des montures des lunettes entre autres.
L’écrivaine se montre une orfèvre unique. La lecture devient un plaisir d’esthète, une délectation pour ceux et celles qui adorent se lover dans une écriture somptueuse et ample. Peut-être qu’il en faudrait un peu plus parce que nous avons parfois l’impression que le sujet perd de son importance et que le plaisir de l’écriture fait foi de tout.
La romancière n’en demeure pas moins une écrivaine unique que l’on prend plaisir à surprendre et à suivre dans des mondes étranges, révolus  et insolites. Une écriture soignée, précise comme un bijou ciselé à la loupe.

« Maleficium » de Martine Desjardins est publié aux Éditions Alto.
http://www.editionsalto.com/catalogue/maleficium/