Jacques Antonin s’en sort plutôt bien. «Je me serai livré à cet exercice sans trop de bouleversements intérieurs. Moi qui appréhendais de revivre certains passages de ma vie m’ayant que trop peu laissé de bons souvenirs, ça doit être dû à l’âge, je les aurai traversés d’un trait de plume. Du bout des doigts. Et même si parfois j’y suis allé plus en profondeur que prévu, j’aurai réussi à m’épargner dans cette aventure.» (p.476)
Ce Bouchard, dont la famille a vécu à Métabetchouan au Lac-Saint-Jean, a connu un parcours singulier. Comme s’il avait roulé à 500 kilomètres heure pendant toute sa vie, multipliant les expériences, les spectacles, les voyages et les amours. Que de péripéties pour le petit «Bouchard-Ananias» qui a quitté son Lac avec quarante-deux cents en poche pour faire carrière, sans pour autant glaner fortune et gloire.
Difficile chemin
Interprète d’abord, il a glissé vers ses chansons, acquerrant à la dure le titre d’auteur, compositeur et interprète. Il a dit oui à toutes les aventures que la vie lui proposait, connu toutes les scènes de Québec et de Montréal, sans compter celles des régions où il ne refusait jamais de monter. Une sorte d’aventurier de la chanson, de kamikaze, autant dans sa vie personnelle que dans sa carrière. «Un gigoteux», aurait pu dire sa mère Antoinette.
Lire cette autobiographie, c’est vivre de l’intérieur un pan de la chanson populaire contemporaine, bondir dans les textes d’Antonin, le suivre à la trace autant au Québec qu’en France. Il raconte juste ce qu’il faut de sa vie privée sans se complaire dans ses misères.
Oui il a connu à peu près tout le monde, n’hésitant jamais à frapper aux portes et à foncer. «Un front de bœuf», comme il dit. Un homme «de gang», un rassembleur qui attire tout le monde et sait se faire aimer. Généreux, sensible, une vraie dynamo, il était toujours là pour les virées les plus folles ou pour donner un coup de main.
Ses héros
Il garde une tendresse particulière pour Félix Leclerc, son mentor, Léo Ferré, Clairette, Danielle Oderra, Monique Leyrac et Tex Lecors. La liste pourrait s’allonger. Il a connu tous ceux et celles qui tentaient de se faire une place dans ce monde souvent ingrat. Bien sûr, il y a eu des froissements. Il le dit avec franchise sans trop insister. «C’est rare, disait-il lors d’une rencontre au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Je pense avoir acquis la reconnaissance de mes pairs. Ils aimaient ce que je faisais mais le public n’a jamais suivi.» Il constate simplement, sans rancœur, sans amertume.
Que peut-il se reprocher? Il a fait tout ce qui était humainement possible pour réussir. Il dira aussi avec un sourire qui le transforme: «J’ai tellement de beaux souvenirs. C’est formidable!» Le lecteur ne peut que se dire qu’il aurait mérité mieux parce qu’il y a mis toutes ses énergies, hypothéquant même sa santé.
Injustice
Les jeunes qui se lancent dans l’aventure de «Star Académie» et qui rêvent de gloire et de richesse devraient lire l’autobiographie de Jacques Antonin. Il recevrait une belle dose de réalisme.
Un texte touffu comme une talle de chiendent qui se perd parfois pour mieux se rattraper dans le détour. Le lecteur vit une véritable expédition dans le monde de la chanson québécoise des années soixante à nos jours. Et puis, juste le dernier chapitre où Antonin écrit ce qu’il pense de la chanson de maintenant et des vedettes que l’on «programme» comme des ordinateurs vaut le détour. Que c’est bien envoyer! Antonin est d’une franchise rare et il réussit à tout dire avec dignité et générosité. C’est tout à son honneur. Un livre émouvant et touchant, le parcours d’un homme qui n’a cessé de courir derrière «une inaccessible étoile».
«Mes valises, mes albums» de Jacques Antonin est publié aux Éditions SM.