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mardi 23 mai 2023

UN HÉRITAGE QUI N’EST PAS DE TOUT REPOS

IL N’Y A PAS si longtemps, lors du décès d’un proche, tout était réglé au quart de tour. Le cercueil, quelques jours au salon funéraire, l’exposition comme on disait, les obsèques et la rencontre des amis et de toute la parenté. La dépouille se retrouvait au cimetière, dans le lot familial. L’héritage allait au conjoint ou à la conjointe ou encore aux enfants. Ce n’est plus le cas. Les rituels entourant un décès à l’église sont devenus un peu désuets et prennent souvent des tournures étonnantes. Tout varie selon l’officiant ou les demandes des proches. Et il y a l’incinération qui vient compliquer les choses. Que faire des cendres? Où les déposer? Il y a le columbarium, cette forme de HLM qui fait penser aux cases postales. Rien de bien invitant. Que faire maintenant pour vivre pleinement ce moment et surtout quel cérémonial inventer? L’église tente de s’adapter à cette réalité, mais c’est souvent un peu curieux et vétuste. Sans rapport, comme on dit familièrement. La mort étonne, dérange. Que dire de l’aide médicale à mourir qui se faufile de plus en plus dans notre quotidien? Ça me fait étrange d’écrire ça parce que l’un de mes neveux, Dominique, atteint d’un cancer a eu recours à cette aide et a tout planifié avant le grand saut. Exactement comme Jacques Leroy, le père d’Ève.

 

Françoise Cliche dans Cimetière avec vue, quel beau titre, a eu la bonne idée de nous plonger dans le monde de l’héritière de Jacques Leroy! Sa fille doit exécuter certaines choses pour respecter les volontés de son paternel. Un homme directif, qui a tout planifié et tout prévu. Le père, un farceur incorrigible, un humoriste qui a souvent exaspéré sa légataire ne pouvait mourir comme la plupart des gens. Il la surprend comme s’il souhaitait lui faire une dernière blague. 

 

«Bonjour. Mme Ève Leroy, s’il vous plaît.»

Ça ne me plaît pas, mais je réponds tout de même, un peu par ennui, un peu par pitié pour le pauvre gars qui gagne sa vie de si triste façon.

«Oui, c’est moi.

— Mme Leroy, je veux d’abord vous offrir mes plus sincères condoléances, à vous et à toute votre famille. Je vous appelle afin de vous informer que l’urne de votre père est maintenant disponible. La crémation a été effectuée ce matin.» (p.13)

 

Il a bien gardé son secret. Atteint d’un cancer incurable, il a dit à tous ses amis et sa fille qu’il allait passer l’hiver en Floride, sous les rayons chauds et les palmiers, comme nombre de Québécois. Tout le monde le croyait là-bas, les pieds dans le sable, et la tête dans les nuages en train de surveiller le roulis des vagues ou encore le vol un peu lourd des pélicans. Sauf que tout cela était de la fiction. Il avait décidé de recevoir l’aide médicale à mourir dans le plus grand secret, sans prévenir Ève. L’appel maladroit d’un employé de la maison funéraire qui souhaitait se débarrasser des cendres, enfin presque, fait éclater la vérité. Une bien drôle de manière d’apprendre que son père est décédé. 

 

LA SUITE

 

Tout s’enchaîne alors. Le notaire, les conditions à respecter et dicter par Jacques. Ève hérite surtout, c’est une manière étrange de le dire, de son oncle Émile qui vit dans une résidence pour personnes âgées. Il est atteint d’Alzheimer et semble assez bien s’accommoder avec ses pertes de mémoire et ses absences. 

 

«Il m’invite à entrer. C’est l’Émile numéro 2, celui dont m’a parlé mon père, celui qui a remplacé l’Émile qui parlait peu et ne souriait pas. Me reviennent aussitôt en tête les mots que mon paternel a surlignés en jaune dans Les occasions manquées de Lucy Fricke : “Devenir gentil juste avant de mourir, c’est d’une méchanceté!” Mon oncle a sans aucun doute inspiré le choix de papa.» (p.71)

 

Ève, plutôt solitaire et irascible, déteste les surprises, mais le testament de Jacques la pousse dans une suite d’événements et de rencontres qu’elle ne pouvait prévoir. La comptable aime les chiffres et tout ce qui s’équilibre et est clair dans son esprit. Son géniteur a voulu que son départ n’ait rien de simple, de convenu ou encore d’ordinaire. Le notaire lui fait part de ses volontés et il a même des messages enregistrés pour elle. Le mort a décidé de ne pas laisser son héritière en paix et il s’impose, peut-être pour qu’elle lui fasse une petite place dans sa mémoire. 

Il y a des livres aussi avec des phrases soulignées en jaune qui sont de véritables énigmes. En plus des musiques que Jacques Leroy aimait et que sa fille découvre avec plaisir ou avec étonnement. 

 

BOUSCULADES

 

Le quotidien d’Ève change à partir de cet appel et de sa rencontre avec le notaire. Elle doit s’occuper de cet oncle, composer avec la direction de la maison pour personnes âgées, apprivoiser un homme tranquille, lui parler, le visiter régulièrement, combler sa solitude et peu à peu, participer aux grands et petits événements qui marquent la vie des résidents. Il y a aussi les voisins qui intriguent Ève et elle est bien capable de s’inventer des scénarios avec certains. 

 

«Les chaises sont disposées d’étrange façon, certaines en rangées bien ordonnées, certaines disséminées çà et là. Une vision insupportable, je meurs d’envie de tout replacer. L’arrivée des éclopés me fait comprendre les raisons de cet arrangement. Mon aversion pour les marchettes s’explique : je les déteste parce qu’elles engendrent le désordre. Aussi pour le grincement de leurs articulations et le bruit de leurs pattes lorsqu’elles avancent le long d’un interminable corridor. Le son des chaussures qui raclent le plancher ajoute à l’ambiance. Fermez les yeux et écoutez, frissons de peur garantis.» (p.164)

 

Ève sans le savoir reçoit le plus bel héritage qui soit. Elle est forcée de sortir de son petit monde où elle a l’habitude de s’enfermer pour s’ouvrir aux autres, à cet oncle affable et toujours discret d’abord. Et elle croise un préposé aux bénéficiaires comme on dit dans le jargon qui ne la laisse pas indifférente. Je n’irai pas à dire que le fameux père a prévu qu'Ève aurait un pincement au

cœur pour cet homme serviable, particulièrement généreux de son temps et de ses efforts avec les gens âgés. La fille doit devenir altruiste, ressentir de l’empathie pour ses semblables, oublier ses colonnes de chiffres et s’attarder devant ceux qui vivent, souffrent, aiment autour d’elle. Surtout, elle doit maîtriser sa mauvaise humeur et sa tendance à grogner contre tout ce qui vient bousculer ses habitudes, sa vie qu’elle voudrait contrôler comme un bilan d’entreprise. 

Voilà un roman que j’ai parcouru le sourire aux lèvres. On plonge dans un monde plutôt tranquille en apparence, celui des gens âgés, mais il y a une foule de rebondissements, d’événements inattendus et de surprises dans cette histoire ordinaire. Que faire des cendres d’abord? Ève cherche un cimetière agréable, parfait. Est-ce que cela existe? Moi qui aime fréquenter ces lieux, je n’ai pas encore trouvé un endroit où j’aurais envie de m’installer pour l’éternité. 

Voilà surtout un récit humain, tendre qui permet de réfléchir et de combattre des préjugés, de faire face aux contraintes que nous réserve la vie. C’est pour le mieux dans le cas d’Ève. 

 

«De retour à la maison, presque euphorique, je me sens d’humeur pour un bon Johnny Cash, celui classé dans les J; l’autre est un C. Mon père adorait Johnny Cash. Naïvement, je risque une nouvelle phrase jaune, la dernière m’avait beaucoup plu. Pour son adorable titre, je choisis le livre Les cowboys sont fatigués : “Quand le vent froid vous souffle sur la face et déchire vos paupières, qui peut dire d’où viennent les larmes sur votre visage?” Et voici que mon père et Julien Gravelle finissent de bousiller la journée que Francis avait gentiment réparée.» (p.235)

 

Il suffit de se laisser prendre par les aventures d’Ève, ses grognements et ses protestations. On découvre vite, malgré les apparences, que la fille a bon cœur. C’est le plus bel héritage que Jacques pouvait lui faire, la forcer à sortir de ses obsessions et de ses lubies pour se tourner vers les autres, s’oublier en donnant de son temps sans arrière-pensées. 

Et le sens de l’humour assuré de Françoise Cliche, qu’elle manie avec finesse tout au long de son récit, nous porte et nous retient. Curieux, parce que la lecture de ce roman m’a fait vivre un mélange de fiction et de réalité avec la mort de mon neveu. La vie et les livres permettent d’étranges coïncidences parfois. Assez étonnant, troublant.

 

CLICHE FRANÇOISECimetière avec vue, Éditions La Pleine Lune, Montréal, 280 pages.  

https://www.pleinelune.qc.ca/titre/656/cimetiere-avec-vue 

dimanche 28 juin 2009

Un voyage qui tourne au cauchemar

Françoise Cliche présente un premier roman avec «L’arbre qui glapit», un ouvrage qui pourrait très bien être qualifié de récit.Marie et Roméo, une fois à la retraite, décident de séjourner au Guatemala. Lui est plombier et elle infirmière. Ils participeront, avec d’autres coopérants québécois, à la construction d’une école pour les enfants d’un bidonville près de Guatemala Ciudad. Le couple est encore très amoureux après quarante ans de vie commune. Pourtant même si la vie leur a réservé des moments éprouvants, rien n’a pu ébranler leur passion.
Roméo embarque dans l’aventure à reculons. Il déteste les voyages et surtout il a une peur maladive de l’avion. Il accepte cet exil de quelques mois à cause de son épouse. Il la suivrait au sommet de l’Himalaya si elle le lui demandait.
«L’amour me mène par le bout du nez et, parfois, il me mène beaucoup plus loin que je ne le souhaiterais. Ce voyage ne m’inspire rien qui vaille ; je le fais pour Marie un point c’est tout. Pour Marie et pour les quetzals.» (p.17)

Vie de groupe

Autant Marie sait voir les beaux côtés de la vie, autant Roméo est grognon et de mauvaise foi. Heureusement le père Conrad fait l’unanimité. Il a l’art d’amenuiser toutes les difficultés avec son sourire et sa  seule présence. Un véritable héros qui fascine tous les intervenants.
Le séjour s’annonce difficile. Le travail physique met les nerfs à vifs avec la chaleur. Transporter des briques, manier la brouette et jouer aux maçons, épuise les plus résistants. Plus, la promiscuité est peut-être encore plus difficile que ce travail de forçat.
«Pourquoi lui gâcherais-je son plaisir? La réalité la rattrapera bien assez tôt: Marthe et Lise ronflent, Marcel se lève pour un petit pipi aux deux heures et Guy se tourne sans arrêt dans son lit avec une énergie de lutteur en pleine action sur un ring. Ses brusques changements de position s’accompagnent, de surcroît, de bruits de toutes sortes: jappements, raclements de gorge, déglutitions à répétitions, clappements et reniflements.» (p.39)
Le  groupe s’adapte malgré les différences et les manies de chacun.

Escapades

Conrad organise des excursions dans la campagne guatémaltèque. Les coopérants deviennent des touristes qui découvrent des populations qui vivent en marge du monde. Un mélange de modernité et de traditions qui ne changent guère depuis des siècles. Les Québécois plongent dans un pays d’une beauté à couper le souffle.
«La beauté des lieux nous fait oublier quelques minutes de ces ennuyeux ratés mécaniques. À nouveau enivrés par les effluves de citrons, d’oranges et de pommes, la tête dans les fleurs, nous grimpons vers un ciel rose vif avec, en fond sonore, des hymnes à la joie chantés par des milliers d’oiseaux. Mais quels sont donc ces lieux ? Sommes-nous morts d’épuisement et au paradis?» (p.113)
Marie et Roméo sont la cible d’une bande de voyous. Roméo affronte un tueur et y laisse deux doigts. Le jeune Raul, qui fraye avec la racaille, est tué dans l’échauffourée. Roméo a l’impression d’avoir assassiné cet enfant de ses mains. Il s’en remettra difficilement et l’amour qu’il voue à Marie est ébranlé. Tout s’écroule, mais l’adoption de la sœur de Raul, Luisa, change les choses.

Digressions

Un ouvrage  fort sympathique qui aurait eu cependant avantage à être élagué. Madame 
Cliche emprunte bien des méandres qui font décrocher le lecteur. Signalons les longues digressions touchant la mère de Roméo et les fausses couches de Marie qui nous éloignent du récit. Beaucoup de complaisance aussi dans la description de l’interminable séjour de Roméo à l’hôpital. Cet acharnement du narrateur à culpabiliser finit par faire hausser les épaules.Françoise Cliche a un bon sens de la caricature et un humour certain. Elle a juste l’art de forcer la note et de vouloir en mettre plein la vue. Elle aurait avantage à apprendre à contrôler son enthousiasme et à fréquenter la sobriété. Malgré ces petits travers, un ouvrage fort sympathique.

«L’arbre qui glapit» de Suzanne Cliche est publié chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/526.html