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mercredi 12 avril 2006

Quand le plumage masque la maigreur du propos

Dans «Contes de braises et de frimas», Sylvain Rivière ramène les quêteux, les vagabonds qui sèment la parole et les histoires à dormir debout. Des personnages très nombreux dans son théâtre et dont le verbe est la seule richesse. Une entreprise de souvenance qui peut s’avérer fort sympathique.
Les femmes et les hommes de ces contes prédisent les tempêtes, apprennent à voler, forniquent comme ils respirent, cherchent un filon de pays et se transforment plus ou moins en véritable mythe.
Malheureusement, ces contes sont portés par une parodie de langue gaspésienne, une poutine plus ou moins indigeste. Certains ont déjà sorti l’encensoir en parlant de la langue forte et épicée de Sylvain Rivière. Voyons voir…
«À chaque fois, bien inutilement d’ailleurs, monseigneur Roy y allait d’un prône à son égard, question dans un premier temps de conserver son poste face aux autorités archevêchiennes de Gaspé, de voir protéger, dans un second temps, la vertu des filles-fleurs du pays, ces femmes-bonbons sucrées à souhait et collantes à l’excès, ne demandant qu’à fouler le foin aux tasseries des fanis orgasmiens d’un coup de rein bien placé, fleurant bon le mortel péché et le jus de cerises frelaté pour la circonstance, de petites vites en passage de sapin dans la diagonale de la fêlure de l’œuf cosmique en plein jour de fin de mois on ne peut plus critique.» (p.44-45) 
J’avoue, ce verbiage étourdit pour ne pas dire autre chose avec ses effets de jambes et un racolage un peu grossier. Des histoires de cul épicées d’un certain nationalisme, d’une ébauche de pays qui s’aplatit sous les charges langagières du conteur. Un peu triste et dépassé.

«Contes de braises et de frimas» de Sylvain Rivière est paru aux Éditions Humanitas.

mardi 14 décembre 2004

Maugey se complaît dans le romantisme

Axel Maugey regarde derrière son épaule pour retrouver un amour qui a marqué sa vie. Il retourne au pays des origines, ce pays de Provence qu’il a abandonné pour les raisons qui font qu’un homme ou une femme deviennent des migrants. Les chemins du monde sont innombrables et fascinants. Par l’écriture, Maugey esquisse un Saint-Tropez méconnu, ce petit port de mer plein d’odeurs et de parfums étourdissants pour le fixer dans sa mémoire. L’entreprise est séduisante.
«J’invente ma vie à chaque seconde, avec le souvenir de cette femme dans le cœur. J’ai appris très tôt, même entouré et choyé, que l’homme ne se construisait que dans la douleur, le déchirement et la lutte quotidienne. Que de réminiscences, se bousculent aujourd’hui dans mon esprit ! Sans arrêt l’image voluptueuse et trépidante de l’amie brune des premiers jours revient s’inscrire en moi.» (p.16)
Mais les caresses, les baisers qui sentent le thym et la menthe, le ballet des sens qui occupe les nuits du couchant aux premières lueurs du jour finissent par faire un peu sourire.
Axel Maugey ne sait pas éviter la complaisance et la mystification de l’amour. Surtout que son écriture devient très rapidement un peu trop laquée et pompeuse. Et l’amant en érection s’attarde sur des nuits sans fin, ces jours où «la chair exulte» avec les vagues qui usent le sable de la Méditerranée.
«Tes yeux de nymphe, baignés de sources, s’épanouissent, telles des feuilles de menthe, sur le chemin qui monte comme ton rire. Ton rire qui me poursuit sans cesse durant mes rêveries nocturnes pendant lesquelles je t’accueille en t’inventant, ô ma visiteuse !, en train de te faufiler sous les arbres musicaux, la bouche gonflée par une figue fraîchement cueillie, la robe très légère, à la fois nuage et voile, que ton corps épouse au gré du vertige.» (p.71)
Pour les romantiques.

«La Magnifique surface de ta chair» dAxel Maugey est paru aux Éditions Humanitas.

lundi 15 décembre 2003

La complainte de l’homme anti-tout.

Jean Ferguson nous lance ses vérités «dans le blanc des yeux». Une entreprise dangereuse. Une centaine de pages d’aphorismes et de petites sentences montre plus les limites que la grandeur de l’auteur. C’est comme si un écrivain décidait de dresser une carte de son savoir et de ses préjugés. Ici, le jeu devient souvent désolant pour ne pas dire pitoyable. Bien étrange monsieur que ce Jean Ferguson qui a des idées sur tout, pour le meilleur et surtout le pire, qui emprunte toutes les directions en jonglant avec les clichés et les préjugés.
«Un homme qui réussit à ne penser à rien est un génie.» (p.11)
Il est peut-être aussi et surtout un idiot.
«Il y a toujours une différence fondamentale entre le comportement de l’homme et de la femme. Par exemple, une femme n’échappe jamais de sauce quand elle mange de la pizza.» (p.25)
Dès les premières réflexions du genre, j’ai pensé refermer le livre. L’humour, bien sûr, mais y a-t-il matière à livre avec des «idées» du genre? Jean Ferguson effleure Jésus, Marx, Lénine, les politiciens, les élus, les gouvernements, les écrivains et les critiques. Il livre ses obsessions et la redondance ne l’embête guère. Le système capitaliste est pourri, les politiciens sont des voleurs, les impôts une rançon exigée par une mafia. Toute forme de travail est un esclavage et du gaspillage. Vive la liberté errante et irresponsable. La complainte de l’homme anti-tout.
«La démocratie est une idée trop généreuse pour qu’on la laisse aux mains de l’homme ordinaire tout empreint de l’imbécillité des foules.»  (p.52)
Jean Ferguson y va avec beaucoup de sincérité mais ce n’est pas suffisant. Il démontre surtout son peu de jugement et l’étroitesse de sa pensée.
Une lecture pénible, aussi désolante que ces émissions à la radio où des animateurs excités et au bord de l’apoplexie se défoulent et tapent sur tout ce qui bouge. À force de trop dire, on finit par ne rien dire.
Passons sur les trop nombreuses fautes qui pigmentent ces textes, la langue hésitante et souvent imprécise. L’art de la sentence et de l’aphorisme tient du fleuret et de la danse. Jean Ferguson utilise plus souvent qu’autrement la hache.
«Il y a des critiques littéraires qui parlent bien mieux des livres qu’ils n’ont pas lus que de ceux qu’ils ont lus. ( p. 53)
Peut-être que j’aurais mieux fait de m’abstenir de lire «Dans le blanc des yeux» et d’imaginer le livre. Mon propos aurait été plus flatteur.

«Dans les blanc des yeux» de Jean Ferguson est paru aux Éditions Humanitas.         

jeudi 14 août 2003

Gilbert Choquette joue de la dualité

Gilbert Choquette a signé une quinzaine d’ouvrages jusqu’à maintenant, remportant le prix France-Québec en 1985. Une carrière discrète et marquée par la persévérance. Je me souviens pour avoir lu «La mort au verger», un roman d’amour particulièrement dur et violent.
Dans les cinq nouvelles des «Contes de la voix mauve», Monsieur Choquette s’attarde aux forces qui s’affrontent dans une même personne et qui peuvent surgir selon les rencontres et les hasards. Si souvent ces antinomies sont maîtrisées, elles peuvent aussi faire en sorte qu’une femme et un homme mènent une double vie. Qui voit-on dans le miroir?
Dans la première nouvelle, «La voix mauve», la mieux réussie du recueil, Choquette présente deux femmes «identiques». Le problème de la gémellité est bien posé. Le narrateur croise la «copie conforme» de son épouse lors d’un voyage. Deux femmes semblables et différentes.... Comment choisir entre l’épouse légitime et cette psychologue américaine qui fuit un mari écrivain en Italie.
Choquette installe le doute. Peut-être que l’épouse se livre à un jeu pervers et étrange. Aurait-elle décidé de faire subir une épreuve à son mari. Elle doit passer des vacances dans le Maine, mais a-t-elle décidé de changer d’identité et de jouer l’étrangère aux côtés de son philosophe de mari.
L’idée paraît trop belle. Choquette fait mourir l’épouse légitime et la remplace par l’étrangère. Les voyeurs peuvent aller se rhabiller.

Le démon

Valérie, dans «Une fiancée ambiguë», doit affronter le démon qui vit en elle. Le noir et le blanc, le mal et le bien se chevauchant dans un même être. L’histoire ne va nulle part. Ce questionnement qui aurait pu être pertinent dans un monde qui ne jure que par l’image tourne à vide. Qui faut-il choisir dans notre monde? L’ange ou le démon?
Et comment croire à l’époque d’Internet et du terrorisme international aux jeunes filles qui vivent recluses dans leur chambre pour écrire de la poésie en arrosant le papier de leurs larmes? On voudrait imaginer une satire mais Choquette gâche tout avec cette écriture qui sent la boule à mites et la poussière du grenier.
«Allons, il n’est pas trop tard pour aller lécher de mes yeux altérés la flaque immense de la Méditerranée.» (p.11)
De quoi fuir au bout du monde et ne plus jamais s’approcher de «la flaque immense de la Méditerranée».
«Or le philosophe  en moi, rationnel malgré lui et peu enclin à la naïveté, préférait reporter tout son trouble sur l’ignorance où j’avais été de l’existence de la dame en question qui pouvait bien, après tout, revêtir par hasard les traits d’une autre personne sans attenter à la stricte vraisemblance.» (p.18)
Tout est dit. Le problème est là.

«Contes de la voix mauve, Cinq histoires singulières» de Gilbert Choquette est paru aux Éditions Humanitas.

mercredi 8 août 2001

Serge Ouakine n’évite pas tous les pièges

Serge Ouaknine ne s'attarde pas au bonheur de la description dans «Café Prague», l'un des onze récits qui donne le titre à cet ouvrage. Il nous emporte au-delà des mers et des océans, dans plusieurs pays d'Europe, en Amérique du Sud ou, plus simplement, dans un café de Montréal. Pour Ouaknine, le voyage n'est pas qu'un déplacement dans l'espace, une frontière que l'on franchit passeport à la main.
«Le récit de voyage ne peut pas se contenter du portrait du lieu. Le «être là » est un ailleurs indicible qui réclame sa parole. Il renvoie le témoin à lire, comme l'autoportrait, ce que l'altérité opère en lui, l'intervalle entre le désir d'énoncer le propre du miroir, sans le confondre à un épanchement de soi. D'où le piège constant dans lequel se risque le voyageur, entre l'information trop didactique et la confession trop personnelle.» (p.11)
Ouaknine oscille tout au long de ses récits entre ces deux «pièges» et il ne sait pas toujours contourner les dangers. Il plonge aux sources de son peuple, fait jaillir des langues qui reviennent comme des mantras et le font vibrer. Une entreprise qui n'est pas toujours facile pour le lecteur qui ne partage pas son érudition ou ses connaissances.
Ouaknine réussit cependant à nous questionner, à nous faire frémir devant une synagogue, un camp de concentration trop bien pensé. Oui, il y a des lieux magiques, vibratoires, comme des points d'acupuncture sur cette planète. Comme si le temps se superposait et que toutes les époques arrivaient à se confondre. Partout, ici, là, dans une rue de Los Angeles, dans un marché de Jérusalem, dans un avion en route vers Zurich, l'histoire de l'humanité surgit et il faut tendre l'oreille.

Fascinant

Serge Ouaknine devient fascinant quand il s'attarde dans un désert qui évoque un autre espace tout près du mont Sinaï. Et quels moments que cette poussée vers les «grandes salines» de l'Argentine. Dans un vol au-dessus de la vallée de la mort, le voyage devient recueillement, méditation.
«Il fait silence. Je n'avais pas écouté la pulsion sourde, sereine de la paix depuis longtemps. Je « l'enregistre » sur mon walkman pour ma fille. Quinze secondes de silence de la Vallée de la Mort, sur piste, pour qu'elle en reçoive la bénédiction, comme un morceau de Judée. Nous vivons dans l'infortune des bruits. Le désert nous conduit aux murmures de la parole. Peut-être est-ce pour cela que j'ai tant de plaisir dans les cimetières où tout repose, même les sons.» (p.59)
Quand Ouaknine se fait humble, quand il est juste là dans son recueillement, nous connaissons l'enchantement. Dommage que l'écrivain cède trop souvent à la tentation du cérébral.

«Café Prague» de Serge Ouakine est publié aux Éditions Humanitas.