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lundi 21 avril 2014

Maude Veilleux tisse une toile d’araignée

Maude Veilleux, dans Le Vertige des insectes, une histoire en apparence banale, ancrée dans le quotidien, ne semble aller nulle part. Pourtant, un détail, un geste, l’impression qu’un drame couve, que tout va basculer d’un moment à l’autre, vous retient. Un terrible malaise. Les jours emportent Mathilde et nous voilà pris au piège. Les indices, disséminés un peu partout, prennent toute leur importance quand le geste de la jeune femme, à la toute fin, vous éclabousse. Une lente dérive des continents, un piège qui se referme peu à peu et laisse abasourdi.

Certains moments de l’enfance sont impossibles à effacer. Ils sont là, toujours prêts à refaire surface à la moindre occasion. Il suffit souvent d’un regard, d’une rencontre et tout revient, comme si le temps se repliait pour vous ramener à un événement qui a tout bouleversé.
Mathilde vit dans la grande ville avec son amoureuse, poursuit des études et tout semble bien aller dans le meilleur des mondes. Elle partage son appartement avec Jeanne et Thomas, un ami discret, un garçon qui vit des escapades amoureuses à gauche et à droite, dont une avec une voisine.
La grand-mère de Mathilde meurt. Il faut y arriver un jour. Une grand-mère aimée et aimante, toujours présente, capable de l’écouter et de la conseiller. Un choc, une grande peine qui font ressurgir une foule de souvenirs.

Elle se sentait seule, mais surtout étrangère à cet endroit ; des années la séparaient de ses douze ans. Elle aurait voulu porter une casquette encore une fois, remplir son sac de biscuits secs pour se rendre au village, dépenser ses économies en bonbons, jouer avec son frère dans la forêt. Oui, surtout jouer avec Christophe, n’importe où. (p.16)

 La mort de son jeune frère alors qu’elle n’était qu’une fillette la hante même si elle a tout fait pour oublier. Elle se sent responsable de cette tragédie. Le remords la ronge et vient la surprendre, ébranler toutes ses certitudes.

Une assiette apparut devant elle. Elle la repoussa ; une angoisse nauséeuse la tenait. Une gorgée d’eau pour caler le dégueulis des souvenirs. Elle voyait les mêmes visages, treize ans plus tôt. Assis au même endroit, parlant des mêmes choses du monde. La grand-tante venue malgré les neuf heures de voiture qui la séparait du cercueil de Christophe. Mathilde, trop jeune pour comprendre les conversations d’adultes, devant cette presque même salade de macaronis, savait que son enfance était affaire du passé. (p.18)

Le départ de sa copine pour le Yukon la plonge dans une lente dérive où elle n’arrive plus à s’accrocher. En fait, c’est plus compliqué que ça. Mathilde est hantée par le désir d’avoir un enfant, pour réparer peut-être la mort du frère, pour continuer la grand-mère dans sa descendance, maintenir les liens, tendre un fil entre les générations.

Souvenirs

Mathilde aide sa famille à vider la maison de sa grand-mère, fait des boîtes, trouve des objets qui font remonter des souvenirs, découvre aussi des aspects inconnus de cette femme qu’elle aimait tant. Cette grande maison que l’on va mettre en vente, c’est son enfance, sa vie que l’on va brader. Comme si elle faisait l’inventaire de son passé, n’osait se tourner vers l’avenir.

Mathilde aurait aimé tout conserver, acheter la demeure et y vivre comme sa grand-mère l’a fait. Des enfants dans les tiroirs, un chien couché sous la table, un camion stationné dans l’entrée. Elle se lèverait tôt pour préparer les crêpes aux bleuets, guetterait l’autobus scolaire le visage collé à la fenêtre. Elle n’aurait jamais peur la nuit. Elle sortit un pyjama de bébé, caressa le tissu souple au motif de pois. Elle le mit de côté pour l’apporter chez elle. (p.115)

Elle invente les occasions pour séduire Thomas et devenir mère. Malgré plusieurs tentatives où elle pense avoir tout prévu, elle n’y arrive pas. Comme si son corps refusait la maternité.
Tout s’effrite et Mathilde s’enfonce de plus en plus dans le silence, dans cette obsession qui la tourmente du matin au soir. Elle ne s’intéresse plus aux études qu’elle devait poursuivre à l’automne, se perd quand elle veut lire ou s’intéresser aux gens de son entourage. Tout meurt autour d’elle. Son chat et les insectes qu’elle ramasse un peu partout. Même les communications avec Jeanne sont de plus en plus laconiques et insignifiantes. L’univers se replie pour la broyer. Elle perd pied et il y a des images d’une exposition qui ne cessent de s’imposer.

Les images vues au musée ne la quittaient plus. Elle avait abandonné son chandail, parcourait son abdomen, questionnait les masses sous la paroi de chair. Où percer ? Où ouvrir une brèche ? (p.122)

Une forme d’accouchement où l’on s’ouvre le ventre pour en laisser sortir les organes vitaux. Une fascination morbide.
Un roman dense, réussi. Un monde vous aspire et vous broie. Maude Veilleux place les éléments du piège et le lecteur est cerné peu à peu. La fin ébranle, surprend, vous fige. Tout vous poussait vers ce geste et pourtant vous n’avez rien vu. Vous voilà en train de douter de vos capacités à voir les autres, les drames qu’ils peuvent vivre.
Des atmosphères, des déplacements tectoniques qui remuent les profondeurs et broient l’être. Un véritable jeu d’échecs où tous les éléments poussent vers l’inéluctable. Un drame qui donne des frissons dans le dos, écrit avec délicatesse.


Le Vertige des insectes, de Maude Veilleux est paru aux Éditions Hamac, 18,95 $.
http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/vertige-des-insectes-695.html