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mardi 12 septembre 2017

ALEXANDRE Mc CABE REDONNE ESPOIR

ALEXANDRE Mc CABE publie un second roman avec Une vie neuve. On constate rapidement que ce romancier a de la suite dans les idées. Il y est encore question de la famille, c’était le sujet de Chez la reine paru en 2014. On retrouve avec bonheur sa passion pour l’actualité politique et littéraire. Ce que beaucoup d’écrivains préfèrent ignorer. Je garde en mémoire une scène de son roman Chez la reine où l’on assistait à une confrontation épique entre le grand-père indépendantiste et un oncle fédéraliste lors d’une fête familiale. Elle illustre parfaitement le déchirement que les Québécois vivent sans être capables de se brancher. Une magnifique façon d’aborder les grandes questions identitaires sans devenir pédant. Le politique finit toujours par se faufiler dans le privé.

Les trois frères Leduc et leur sœur sont bien installés dans la vie. Tous ont fait leur chemin et chacun a sa conception de la société et de ce que doit être l’avenir du Québec. Ils n’ont plus de liens entre eux et ils sont devenus des étrangers. Philippe est avocat et décide de l’avenir du haut de sa tour, travaille pour une élite qui s’approprie toutes les richesses et tire toutes les ficelles. Il doit céder cependant devant sa belle-fille qui veut la tête d’un jeune contestataire. L’impression de revivre le drame de Judith devant Holopherne. L’ombre de Gabriel Nadeau-Dubois se profile. Inutile de chercher à faire des associations avec des personnages connus. Il faut seulement se laisser porter par le récit. 
Philippe est de ceux qui font en sorte que notre démocratie sert les intérêts d’une clique. Cette première partie fait écho à la contestation étudiante du printemps érable de 2012, aux carrés rouges qui ont fait retenir le son des casseroles partout dans Montréal.

Forts de leur expérience dans les firmes de relations publiques et grâce à une plateforme léchée ainsi qu’à une diffusion facilitée par les contacts dans les salles de presse, ils avaient trouvé écho chez des journalistes complaisants qui prophétisaient l’essor d’une nouvelle garde. On leur avait offert une tribune pour des textes présentés comme polémiques. Ceux que Philippe avait lus lui avaient toutefois paru insipides et l’avaient rendu nostalgique de cette époque où il lisait Cité libre. S’il se réjouissait de voir la prochaine génération, qu’on disait apathique, s’investir dans le débat public, il s’inquiétait de la vacuité de ces jeunes loups plus occupés à briller qu’à penser. (p.19)

Peut-être que Mc Cabe a ressenti un certain malaise devant ce personnage qui me semble loin de ses préoccupations. Les dialogues un peu longs grincent un peu, mais comment incarner des ombres qui mangent à tous les râteliers.

L’ERRANT

Et arrive Benoît. Après une peine d’amour, il choisit de se refaire une santé morale et physique en se lançant sur les chemins de Compostelle. Bien des jeunes retraités entreprennent de parcourir l’Europe à pied pour se retrouver dans leur corps et leur tête. Même Sergio Kokis a succombé aux charmes des randonnées au long court.
Benoît travaille dans les médias et rêve d’accéder aux ligues majeures de la radio et de la télévision à Montréal. Et le voilà qui s’essouffle derrière la belle Clara qu’il suit comme son ombre. Nous plongeons dans un carnet de voyage où les dialogues sont écrits à la manière théâtrale. Des rencontres, des discussions et surtout cette fille comme un soleil. Benoît complète son trajet et tourne les yeux vers une autre femme. C’est ainsi. Notre homme est un amoureux de l’amour comme il dit. Le rythme est soutenu et on s’attache à cet individu qui a du mal à vivre. Il illustre bien une certaine jeunesse qui n’arrive pas à s’installer dans la vie.

VRAI DÉPART

Mc Cabe m’a accroché avec le témoignage de Jean, un sociologue qui a vécu la Révolution tranquille. Il a croisé des êtres d’exceptions et a toujours cru que l’émancipation personnelle ne peut que coïncider avec l’indépendance du Québec. Il livre ses derniers propos, sachant que sa vie en est au dernier tournant. Un penseur qui tente de prévoir comment le Québec va réagir quand il deviendra un pays. Un regard assez percutant sur les hommes politiques qu’ont été René Lévesque, Pierre Bourgault, Jacques Parizeault, Jean Lesage, Georges-Émile Lapalme et le général de Gaulle. Des propos d’une intelligence vive. J’ai ressenti un immense soulagement à lire ces pages, à le voir secouer des lieux communs, bousculer l’histoire contemporaine et notre époque. Sans doute des affirmations que les critiques n’aimeront pas. Les littéraires ont tellement de mal avec les idées au Québec. Longtemps, trous ont condamné les œuvres de fiction qui osaient effleurer la question politique ou encore citer des penseurs et des philosophes. On préférait l’ignorance et le ti-cul qui s’enfarge dans la misère, la drogue et la bière. Alexandre Mc Cabe me rassure. Je répète un peu ce que je disais en parlant de son premier roman. Il est de ces jeunes qui tentent de voir clair dans la situation embrouillée du Québec. Enfin quelqu’un qui échappe au selfie et qui émet des idées. Je suis prêt à pardonner bien des faiblesses pour avoir droit à cette récompense, à des propos qui font du bien à l’être plein de questions que je suis.
MARIE

Enfin Marie, la fille de la famille, est devenue peintre. Ce n’est pas elle qui s’impose comme dans les trois premiers volets d’Une vie neuve. Marie est vue par Charles, un ami de ses enfants, un enseignant et un poète. On découvre une femme fascinante et marginale. Elle a refusé d’emprunter les sentiers de l’art contemporain et croit que l’artiste doit bousculer des croyances et secouer la réalité. La fuite dans l’abstraction, dans des concepts creux, ce n’est pas pour elle.
Charles enseigne la littérature et en parle avec intelligence. Pour lui, un écrivain ne peut que s’ancrer dans sa réalité et son environnement. Sinon, nous avons affaire à un cracheur de feu et à un illusionniste. Malheureusement, ils sont fort nombreux dans notre époque à écrire leurs petits livres au goût du jour, à être de toutes les émissions où l’on n’arrive qu’à parler de soi, qu’à ressasser des opinions et très peu d’idées.
Charles montre le rôle de Miron, son travail et son héritage. La mission que doivent se donner les poètes de maintenant qui ont malheureusement réduit leur art à l’ego-portrait et à une longue liste de petites émotions qui vacillent devant une fenêtre ouverte. La mission de durer, de continuer le travail des prédécesseurs incombe encore et toujours aux poètes et aux écrivains de maintenant.

L’émancipation québécoise est devenue aujourd’hui la pire des abjections. Avant, on la célébrait. C’est désormais la gangrène des croulants qui refusent l’euphorie canadienne. Notre littérature doit s’ouvrir aux autres, délaisser le passé, c’est le mot d’ordre. Je suis bien d’accord, mais est-ce qu’elle doit pour autant arrêter de parler du Québec, de le faire avancer ? Les écrivains allemands, portugais ou américains ne le feront pas pour nous. Quiconque est décomplexé n’a pas honte de se raconter, de se montrer tel qu’il est. Quiconque va au bout de sa langue et de sa culture va au bout de lui-même. (p.155)

Mc Cabe se démarque en effleurant la responsabilité de l’écrivain dans le monde d’aujourd’hui. Il me tend la main et je ne peux que lui dire de continuer, parce que c’est ce que je fais depuis que j’ai publié une première fois en 1970, me lançant dans la poésie comme on se jette dans une rivière aux eaux tumultueuses. Je me nourrissais alors de Langevin, Miron, Préfontaine, Chamberland et Giguère. La poésie telle que je la conçois et comme Mc Cabe semble la considérer, est une corde tendue au-dessus d’un précipice,

Où est passée la fougue homérique de Miron ? Nous avons pourtant son travail à continuer. Nous avons à bâtir sur les charpentes de sa poésie. C’est la suite de L’homme rapaillé qu’il faut écrire. S’il s’est rapaillé lui-même, et le Québécois en lui, il faut empêcher que ces deux-là ne se défassent encore. Je ne dis pas qu’il faille reprendre la manière. Je dis qu’il faut refondre notre art à partir de trois-quatre grandes idées qu’il nous a laissées, la première étant l’impossibilité d’une littérature dans une province anonyme. Notre sort et nos textes doivent se conjuguer de nouveau. Sinon, nos écrivains fabriquent une maison de paille. (p.149)

Voilà une véritable récompense pour le « chroniquer vieillissant ». Je reprends ici la formule de Victor-Lévy Beaulieu.
Les deux derniers textes d’Une vie neuve devraient être lus dans toutes les classes des cégeps et même dans les instances du Parti québécois où l’on effleure toujours du bout des lèvres certaines œuvres de la littérature québécoise. Mc Cabe nous pousse devant une réalité que nous aurons à choisir un jour ou l’autre. Parce qu’à être en n’étant toujours pas, « dans un pays qui n’est toujours pas un pays », (encore Victor-Lévy Beaulieu), on risque de perdre son âme. Alexandre Mc Cabe croit en l’avenir. Il me dit de continuer à parler des écrivains du Québec, envers et contre tous, pour répéter encore et encore que nous avons une présence et une voix. Et cet écrivain justifie la toute dernière phrase de mon prochain roman : « Il y a encore de l’espoir. »



UNE VIE NEUVE d’ALEXANDRE Mc CABE est une publication des ÉDITIONS de LA PEUPLADE.

mercredi 2 avril 2014

Alexandre Mc Cabe nous fait du bien

Étonnant et rassurant de découvrir un jeune écrivain et de trouver en lui une pensée qui fait écho à ce que l’on a toujours défendu dans ses fictions. L’impression de rencontrer un jeune frère en lisant Chez la reine d’Alexandre Mc Cabe. Voilà une entrée en littérature qui démarque un territoire, plonge dans l’enfance qui décide de tout, on le sait. Des modèles : un grand-père austère, un peu bougon, convaincu qui a fasciné le jeune garçon. Son décès fait basculer tout un pan de vie, évoque des rituels où l’amour, l’amitié et la solidarité familiale prenaient toute la place. Des personnages fascinants d’hommes et de femmes, un témoignage qui m’a ravi.

Le grand-père est atteint d’un cancer qui va le gruger peu à peu, l’aspirer pour ne laisser qu’une ombre. Un homme sévère, têtu, un peu grognon qui a marqué sa famille et les gens autour de lui. Le petit-fils, après des nuits de veille à l’hôpital, va se reposer chez sa tante, à la campagne. Une grande demeure qui a été le cœur de toutes les rencontres et de toutes les fêtes familiales. Particulièrement pendant la période de Noël et du Jour de l’An où la tribu se retrouvait pour festoyer, s’amuser, manger jusqu’en avoir mal au ventre. Toute la mythologie des fêtes y passe. Les décorations, les petites ampoules qui illuminaient la maison, l’arbre de Noël que l’on décorait avec plaisir, les cadeaux, la messe de Minuit où tout le monde se retrouvait malgré la place de plus en plus diffuse de la religion. On le faisait pour faire plaisir à la grand-mère, pour suivre la tradition, pour retrouver peut-être cette magie qui fait écarquiller les yeux de l’enfant.
Des personnages défilent, viennent surprendre comme dans toutes les familles. Proteau qui s’annonçait un matin, un rieur, un beau parleur, un amuseur à son meilleur quand il pouvait échapper aux regards de son épouse. Ou encore Pierre qui débarquait à l’improviste. Un personnage coloré, un peu bohème, ivrogne sur les bords, mais possédant des qualités étonnantes. Il aimait la musique et l’a fait découvrir au jeune garçon sensible qui ira étudier la littérature à l’université.

Retour

Un retour sur soi pour savoir d’où l’on vient, la route parcourue par ceux et celles qui ont ouvert le chemin de la modernité.
Chez la reine porte un monde qui s’est dilué avec la Révolution tranquille ; un monde traditionnel que le grand-père et la grand-mère illustraient, marqué par les rituels, les rencontres, des fêtes, de chaleureuses amitiés qu’il fallait entretenir et cultiver. Une pensée tribale je dirais comme il en existait partout au Québec à l’époque des grandes familles de mon enfance. Un monde ponctué par la nature, les cycles des saisons et les intempéries ; un monde magique pour le jeune garçon qui surveillait son grand-père, écoutait ses propos, les retournait pour en extraire toute la saveur.
La rencontre du grand-père, un nationaliste convaincu, grand partisan de l’indépendance avec un oncle, organisateur libéral et fédéraliste, est une pièce d’anthologie. Des points de vue irréconciliables. Quelle dignité du grand-père, quelle grandeur ! Absolument magnifique.
Il y a aussi la mort de Jérémie à l’hôpital. Toute la famille l’accompagne jusqu’au dernier souffle. Un moment formidable, d’une justesse et d’une force singulière que l’on ne retrouve guère chez les jeunes littérateurs.
Le tout se termine en France. Un voyage pour rencontrer la fille d’Albert Camus, écrivain sur lequel il a rédigé une thèse. Une rencontre brève qui fait prendre conscience au narrateur qu’il a tout croche, tout de travers. Un voyage pour retrouver sa ferveur, la fierté d’être Québécois lors d’une nuit bien arrosée, une fête où l’on parle de ce Québec possible et imaginaire. L’espoir luit.

Société

Un roman étonnant, que l’on n’attend pas du côté de quelqu’un qui fait ses premiers pas en littérature. Les nouveaux écrivains nous plongent souvent dans des univers sordides, désespérants, surtout du côté des garçons. Ils suivent des héros à la dérive, qui n’arrivent pas à s’accrocher à quoi que ce soit. Comme si le monde s’effritait et que la vie n’avait plus aucun sens. Alexandre Mc Cabe parle du clan, du bonheur de son enfance, des personnages qui l’on marqué, de ses grands-parents qui lui ont montré un chemin à suivre et à explorer.
Voilà un roman qui fait du bien, donne de l’espoir en cette période morose, cette fin de campagne électorale qui fait ressortir les peurs et toutes les aliénations. C’est vivifiant de lire un roman comme ça. De quoi faire oublier le cynisme qui nous étouffe de plus en plus.

Chez la reine d’Alexandre Mc Cabe est paru aux Éditions La Peuplade, 20,95 $.

Ce qu’il a écrit :

Une suite d’images avait défilé dans mon esprit. Je m’étais rappelé une date : le 25 juin 1999. C’était le jour où j’avais appris que mon grand-père était malade et qu’il allait bientôt mourir. Le même jour, quelques heures plus tôt, j’avais perdu ma virginité. (p.18)
.
Pendant que j’observais des écureuils s’affairant à subtiliser les graines de tournesol destinées aux oiseaux dans les cabanes accrochées aux érables, grand-père fixait le lointain. Je me demandais à quoi il pouvait réfléchir en regardant cet arbre, ce champ, cet oiseau ou ce ciel. Était-il possible de se réjouir à la vue de ce royaume qui avait été si longtemps pour lui le lieu du labeur et de la pauvreté ? (p.51)
.
Concentré sur les êtres plutôt que sur leur statut, il jaugeait les femmes et les hommes à la qualité de leur intelligence et de leur cœur. Il était exceptionnel à force d’humilité. Il n’avait pas cette grandeur qui écrase, mais plutôt celle, inverse, qui appelle la grandeur insoupçonnée des autres. Toutes ces qualités m’avaient convaincu très tôt de l’élire comme modèle. (p.82)
.
— Tu sais, elle est bien belle la France, mais parfois elle est morose. C’est pour ça qu’on a toujours adoré le Québec. Vous avez cette joie de vivre… André, tu peux me passer ce crayon. On te donne notre adresse. Quand tu te seras pris pour Camus et que tu auras écrit un livre, on voudrait que tu nous l’envoies. On aura l’impression de tenir un petit bout du Québec dans nos mains. (p.149)
.
Ce n’est pas tout d’écrire. Ce n’est pas tout de raconter de belles histoires. Ce n’est pas tout de parler de soi. Il faut savoir se situer. Se placer là où on doit être. Au péril de la littérature, s’il le faut.
Écrire un roman ? Jérémie ?
Si j’écris, ce ne sera pas de la nostalgie, mais de la fidélité.