La mère prend de plus en
plus de place dans notre littérature. Je pense à Francine Noël qui a raconté la
vie de sa mère dans La femme de ma vie.
Robert Lalonde dresse un portrait saisissant d’une femme qui l’a marqué dans C’est le cœur qui meurt en dernier. Et
que dire de Louise Dupré et de L’album
multicolore ? Un témoignage saisissant. Au tour d’Hélène Dorion de
s’approcher du lit où sa mère est en train de rendre l’âme. La mort a beau être
douce, prévisible, elle reste saisissante et un point d’interrogation. Peut-on
s’habituer à elle ? Y a-t-il une réponse que l’on peut murmurer à l’oreille d’un
proche qui voit l’univers se réduire à un lit d’hôpital, à une fenêtre où se profile
un espace qu’il ne pourra plus jamais parcourir ?
— Comment meurt-on ? demande la mère d’Hélène Dorion.
L’écrivaine tente des réponses, mais elle n’est sûre de rien. Que dire ? Aucun manuel
n’explique comment réussir sa mort et vivre celles des autres.
La
poétesse ressent un immense chagrin, sent que sa vie glisse. Le départ d’une
femme qui nous accompagne depuis notre premier souffle laisse un vide
vertigineux. L’écrivaine ne s’attarde pas à son immense peine pourtant. Elle se
tourne vers la nouvelle liberté que sa mère lui donne. Comme si une amarre se
rompait et qu’elle devenait soi, une femme autonome qui ne peut compter que sur
elle.
Ainsi ma mère m’invitait-elle,
par sa mort, à remonter vers ma propre source, au-delà même de notre lien
physique qui se rompait - jamais plus son visage au creux de ma main, jamais
plus son visage. Elle ouvrait la fenêtre de l’automne qui allait souffler sur
le passé, égoutter une à une les feuilles jaunies pour que l’hiver, et pour que
le printemps adviennent. (p.15)
Un
autre soi doit s’affirmer et personne n’est là pour la guider, l’aider à vivre
ses expériences. Libre, mais incroyablement isolée. Le corps rejeté ou lancé
dans une autre dimension, seul maître de ses désirs, ses peines et ses joies.
Héritage
Le
décès d’un proche est un temps pour faire le point, regarder ce qui a été et
peut-être ce qui reste à parcourir. L’enfance et l’adolescence reviennent à la
surface, des affrontements et des querelles. Il faut tenir tête à ses parents
pour devenir adulte, semble-t-il. La jeune Hélène a tenté de réconcilier un
couple qui se heurtait souvent, de protéger la paix qu’elle souhaitait. Cette
quête sera l’entreprise de sa vie.
L’écriture
deviendra une manière de faire la paix autour et en elle. Elle se penchera sur des
études de philosophie et des textes sacrés. Et il y aura la poésie et la
littérature. L’histoire de l’humanité est une chronique de questions et de
tentatives de réponses. Où vis-je, où vais-je, qui suis-je ? Que dire à
quelqu’un qui vous regarde dans les yeux et dit que sa vie dépend de votre
réponse ?
La philosophie m’a peu à peu
ouvert un chemin vers la littérature. Par le biais de penseurs qui, de diverses
façons, cherchaient à englober les multiples aspects de l’existence humaine et
ouvraient en même temps à la dimension charnelle de l’être, aux sensations et
aux émotions au cœur desquelles se jouent nos existences, la littérature est
entrée dans ma vie. Soudain, le langage disait autre chose de lui-même, je le
voyais mettre en mouvement des formes qui généraient du sens. (p.29)
L’écrivaine
jongle, tente des réponses, souvent maladroites. Hélène Dorion pense effleurer
quelques certitudes quand tout lui échappe. Et il faut recommencer, vivre
l’aventure d’un nouveau livre, la vie, des événements qui la pousseront encore
une fois dans une direction imprévue.
Rompre
La
mort de la mère est un vent qui nous pousse vers le large. Hélène Dorion vit aussi
la fin d’un amour, d’une paix qu’elle croyait acquise. Elle se réfugie dans une
île, loin, pour trier le vrai du faux peut-être. Nous ne faisons que cela,
toujours, du matin au soir.
Un
refuge ravagé par une tornade. Quand elle y retourne, quelques années plus
tard, elle constate qu’une catastrophe permet la régénérescence. Il faut la cassure
pour que la vie s’impose. Et toutes ces petites morts poussent vers une autre
liberté et une meilleure façon d’être.
On ne peut rien retenir, on le
sait, mais cette expérience est souvent si douloureuse qu’on la refuse, et l’on
reste face à ce qui s’est défait devant soi, impuissant, stupéfait par ce qui
s’est transformé à notre insu, est passé du printemps à l’hiver et nous laisse
maintenant au milieu de cette dévastation. Et si l’on demeure attaché à ce
paysage de ruines, on empêche alors le feu de renaître. (p.56)
Hélène
Dorion écrit, lit surtout. L’un ne va pas sans l’autre. Il faut la paix, le
calme, s’éloigner des agitations pour se donner une manière de respirer, de vivre
sa liberté sans se nier. Il faut une longue course pour y arriver, avant la chambre
où on va se demander comment il est possible de mourir. La réussite d’une vie exige
toute une vie.
Recommencements
La
poétesse sait que les recommencements font s’épanouir l’être, même si cela
arrive souvent dans la douleur. Que de patience il faut pour se secouer et
devenir l’âme que nous devons être. Parce que nous serons dépourvus un matin,
un soir ou au milieu de la nuit, quand les questions referont surface. Toutes
les distractions et les affolements ne compteront plus. Il n’y aura que l’être,
la façon de voir et de respirer qui fera goûter peut-être ce dernier moment,
affirmer que nous avons eu une vie. Tout le reste, on le sait, est futilité.
Dans cette chambre où la vie
venait de se fondre dans la mort, je ne tenais qu’à quelques visages aimés, à
la splendeur lumineuse que déployait l’horizon, alors même que se refermait
celui de ma mère, je ne tenais qu’à si peu, entre ces murs blancs où soufflait
le divin et où, comme jamais auparavant, je me savais unie à l’univers, et
sentais déjà la vie qui en moi entamait un autre cycle. (p.130)
Recommencements, le titre le
dit, est peut-être l’essence de la vie. Il faut toujours reprendre, revenir sur
ses pas pour avancer. Ce questionnement commence avant sa naissance et subsiste
d’une génération à l’autre. Nous sommes un héritage de faiblesses, de qualités
et de bonnes intentions. Les nombreux livres de cette écrivaine sont des pistes
qui mènent à ces questionnements qui ne demandent pas de réponses.
Madame
Dorion est d’une honnêteté de tous les instants dans son exploration. Une quête
que l’écriture permet de cerner. Plus qu’un livre, mais une recherche qui donne
du sens à la drôle d’aventure qui s’étire entre le cri de la naissance et le
soupir qui ouvre la porte de la mort. Une méditation qui fait oublier le temps
et l’espace.
Recommencements d’Hélène Dorion est paru chez Druide Éditeur, 264 pages,
23,95 $.