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mercredi 10 décembre 2025

RUBA GHAZAL RACONTE SON ODYSSÉE

RUBA GHAZAL a eu la bonne idée de raconter son histoire à Sandrine Bourque, qui a mis le tout en forme pour donner «Les gens du pays viennent aussi d’ailleurs», un récit où elle parle de ses origines palestiniennes et des tribulations de sa famille avant d’atterrir à Montréal. Son père, comptable, a fui Beyrouth à cause de l’éternel conflit entre la Palestine et Israël. Les Ghazal se demandaient quel avenir ils avaient dans une communauté où la guerre sévissait en permanence. Le Canada s’est imposé comme destination parce qu’ils avaient des connaissances à Toronto. Pourtant, ils ont abouti à Montréal d’une bien curieuse façon. Quand les formulaires ont été remplis, les parents ont demandé à leurs enfants l’endroit qu’ils préféraient : Montréal ou Toronto? Ce fut Montréal. Ruba avait dix ans et la logique aurait voulu qu’ils atterrissent à Toronto où ils auraient pu avoir le réconfort et l’aide d’amis. Néanmoins, tous se sont retrouvés à l’aéroport de Mirabel pour amorcer l’aventure de la migration, pour se familiariser avec un nouveau milieu et surtout pour apprivoiser une autre langue.

 

Personne ne parlait français chez les Ghazal lorsqu’ils ont posé le pied sur le sol québécois. Un environnement étranger et différent de tout ce que la famille connaissait. À l’époque, en 1988, il y avait des organismes au Québec qui accompagnaient les arrivants et qui les aidaient dans les petites choses du quotidien qui peuvent être tellement compliquées quand on se retrouve en terre inconnue. Se trouver un logis, acheter les objets nécessaires pour s’installer, aller à l’épicerie ou à la pharmacie. Tout cela est particulièrement difficile, surtout si on ne parle pas la langue du pays. Et que dire de tous les formulaires à remplir, la ville à apprivoiser, l’école pour les enfants et l’entreprise toujours éprouvante de dompter une autre langue. Toutes ces tâches épuisent et deviennent une question de survie. 

Les parents, comme les enfants, doivent se familiariser avec les habitudes de leur nouveau monde. L’apprentissage du français demeurant la principale occupation pour se doter d’un outil de communication avec leurs nouveaux concitoyens.

 

«Comme tous les immigrants à la fin des années 1980, mon père s’inscrit au Centre d’orientation et de francisation des immigrants (COFI) près de chez nous. Le COFI, c’est la caverne d’Ali-Baba pour les nouveaux arrivants. Le réseau créé en 1969 et implanté partout au Québec a l’avantage immense de rassembler dans un seul endroit tous les outils nécessaires pour s’intégrer à la société québécoise. C’est là que sont offerts les cours de francisation, mais aussi des ateliers d’initiation à la culture québécoise. Plusieurs groupes communautaires travaillent en partenariat avec les COFI pour aiguiller les immigrants dans leurs recherches de logement et d’emploi. Plus qu’un “guichet unique” de francisation, c’est tout un écosystème qui se développe autour du réseau des COFI. C’est une institution bien rodée.» (p.46)

 

Les COFI ont été abolis par Lucien Bouchard en 2000. On peut se demander pourquoi, surtout quand le Québec a tant besoin des arrivants, il faut le répéter. Une décision étonnante, sauf si l’on porte les lunettes du comptable. 

Que se passe-t-il de nos jours? Pour avoir des proches dans le milieu de l’éducation, je sais que les enseignants voient des jeunes aboutir dans leurs classes comme s’ils tombaient d’une autre planète à chaque début d’année. Ces enfants ne comprennent rien à leur environnement et sont souvent laissés à eux-mêmes parce que les instituteurs n’ont pas le temps ni la formation pour accueillir ces étudiants qui exigent beaucoup d’attention et des méthodes d’apprentissages adaptées pour arriver à les insérer tout doucement dans leur nouveau milieu. Je m’imagine dans un milieu arabe sans posséder un mot de la langue et devoir me débrouiller. Seulement penser à ça me donne des frissons. Ça demande un effort surhumain pour réussir à se faire une vie à peu près normale dans de telles conditions. 

 

AVENTURE

 

La jeune Ruba fait sa place et se sent à l’aise dans son nouveau milieu. Elle aura surtout la chance de se retrouver dans une classe où l’on accueille les arrivants et où on leur permet d’atterrir tout doucement dans un lieu qui leur est totalement inconnu.

 

«En apprenant la langue de Molière, j’ai découvert les chansons de Félix Leclerc, Passe-Partout, la Chasse-galerie, tous les livres de la Courte échelle et mon nouveau temple, le Salon du livre. J’ai découvert l’existence de l’Halloween — qui n’existait pas dans les pays arabes à l’époque où j’y vivais —, de Pâques et de l’Action de grâce. J’ai découvert La guerre des tuques et les “Contes pour tous”. Tous ces morceaux de culture qui m’ont été offerts ont marqué mon imaginaire. J’ai dévoré ces nouveautés insolites et formidables, elles m’ont avalée aussi. Je me suis fondue dans ce nouveau décor, je m’y suis reconnue et, grâce à Monsieur Gilles, j’ai acquis la certitude que cette société, traversée par le Saint-Laurent, était aussi enthousiaste à l’idée d’être transformée par la présence des déroutants Ghazal, qui pratiquent le ramadan au lieu du carême.» (p.56)

 

Bien sûr, comme tous les immigrants, la question de l’indépendance du Québec s’est imposée, surtout au début des années 1990. L’approche du deuxième référendum avait tout pour effaroucher les nouveaux venus. Ruba Ghazal observe d’abord, reste un moment en retrait, fascinée (surtout à partir du cégep) par cette question de souveraineté à laquelle elle adhère rapidement. Si les Palestiniens réclament une Palestine bien à eux, pourquoi les Québécois n’auraient pas leur pays? Tout cela au grand dam de ses parents qui se méfient de la politique et de ces idées associées à la violence dans leur esprit. 

 

«De Palestiniens chassés de leur terre lors de la Nakba, de réfugiés ayant fui la guerre civile au Liban, de travailleurs étrangers aux Émirats arabes unis ayant émigré au Canada juste avant l’éclatement de la guerre du Golfe, voilà que mes parents passent au statut d’immigrants dans un pays au bord de la sécession. Ils n’aspirent qu’à une chose : vivre en paix, sans déranger personne. Voilà ce que devrait être le Canada : un pays où il ne se passe jamais rien. Une terre sans conflit. Un fleuve tranquille. Un lieu de répit pour se mettre à l’abri des tumultes de l’histoire.» (p.84)

 

La jeune Ruba s’intéresse aux luttes de Françoise David pour la place des femmes dans la société du Québec, qui la mènera à fonder un mouvement politique qui donnera naissance à Québec solidaire. L’étudiante s’engage d’abord dans «Option citoyenne», qui deviendra le parti que nous connaissons. Si on lui avait dit alors qu’elle en serait la porte-parole, elle aurait certainement éclaté d’un grand rire. 

 

ENGAGEMENT

 

Ruba Ghazal s’attarde aux grands remous qui ont secoué le Québec depuis le référendum de 1995. J’ai l’impression de marcher sur un fil en abordant ce sujet et de ne pas dire tout ce que j’aimerais dire. Surtout en ce qui concerne le «nationalisme identitaire». Ruba Ghazal trace une sorte de nomenclature de cette question à partir de la fameuse déclaration de Jacques Parizeau le soir du référendum de 1995, où elle s’est sentie exclue et repoussée hors de son Québec. Depuis ce soir historique, le Québec aurait lentement dérivé vers un «nationalisme identitaire» qui rejette les arrivants et qui se replie sur le noyau francophone. Je ne crois pas qu’il y ait au Québec une formation politique qui prône une idéologie nette et précise qui voudrait donner toute la place aux francophones blancs de souche. Oui, il y a des déclarations malheureuses, des maladresses, des affirmations partisanes à courte vue et électoraliste, mais pas l’idée installée aux États-Unis de faire du pays du Québec le royaume des francophones et de voir dans les immigrants des ennemis. C’est pousser pas mal fort sur le bouchon. Le Québec que j’habite depuis huit décennies n’est pas ça. Bien sûr, il y a les dérives. On entend surtout cela sur les réseaux sociaux, mais une grande majorité de Québécois ne pense pas comme ça. Jouer avec de tels propos est dangereux. La porte-parole de Québec solidaire est mieux placée que quiconque pour le savoir. 

Je suis un peu désolé de dire ça parce que la citoyenne Ghazal est touchante et sincère, je crois. Nous pouvons débattre longuement de la question des accommodements raisonnables, de la charte des droits et aussi de la loi sur la laïcité encore mal digérée par une partie des nouveaux arrivants. Les propos du premier ministre François Legault n’arrangent rien. La crise du logement, le déclin du français, les soins de santé fragilisés et un indéniable chaos dans le monde de l’éducation ne sont pas causés par les nouveaux venus. Le bouc émissaire sert les dirigeants depuis des siècles. Bien sûr, il faut en discuter. Combien d’immigrants une société peut-elle recevoir? Un pays est une éponge qui absorbe une certaine quantité d’eau avant de régurgiter. On peut en parler sans brandir le racisme et toutes les épithètes qui pleuvent trop souvent dans les interventions des politiciens et des «opinionistes» à tout crin qui squattent les réseaux sociaux.

 

RÉALITÉ

 

Il ne faut pas oublier que nous lisons Ruba Ghazal, la porte-parole féminine de Québec solidaire, et que la politique n’est jamais loin. Elle enfile des oeillères comme tous les chefs et doit suivre une ligne de parti. Je n’aime pas cet acharnement de Ruba Ghazal à parler de «nationalisme identitaire» où elle accuse les formations politiques autres que le sien de vouloir ostraciser les immigrants pour protéger les Québécois francophones de souches. La moutarde est un peu forte, tout comme on doit faire preuve de prudence avec les insinuations de racisme. C’est jouer avec le feu que de brandir ces mots sans trop se soucier de leur portée. Ruba Ghazal décrit une dérive totalitaire… Qu’est-ce que ça signifie dans la réalité? La laïcité de l’État avec ses controverses sur le port des signes religieux est-elle un repli identitaire?

J’en doute.

«Les gens du pays viennent aussi d’ailleurs» demeure un récit intéressant qui raconte la démarche exemplaire d’une arrivante qui s’est plongée dans la culture du Québec et qui l’a faite sienne. J’ai des amis qui ont fait le même parcours avec bonheur. C’était peut-être plus facile d’y parvenir dans les années 1980 que maintenant, j’en conviens. Voilà un livre chaleureux qui nous présente une femme ouverte, franche, prête au dialogue, capable d’argumenter, de discuter et de le faire dans le plus grand des respects et l’écoute. 

Je venais tout juste de refermer le récit de madame Ghazal lorsque j’ai eu la surprise de voir «la parodie» publiée par Québec solidaire, qui reprend la page couverture du volume de Ruba Ghazal pour y accoler le nom de Paul Saint-Pierre Plamondon. Le titre a été trafiqué pour devenir : «Les gens d’ailleurs ne devraient pas être ici». J’ai pensé d’abord qu’elle ne devait pas être au courant, qu’elle ne pouvait avoir consenti à cette manœuvre, à cette attaque cheap. Et quand elle a présenté ses excuses, j’ai compris qu’elle savait. Quelle déception! Ce n’est pas l’image que j’avais d’elle en parcourant son témoignage. La citoyenne ouverte, consciente, ne peut avoir adhéré à ce coup en bas de la ceinture. 

Je préfère de loin la femme du récit à la politicienne partisane. Malgré tout ça, il faut lire «Les gens du pays viennent aussi d’ailleurs» pour comprendre les immigrants, les nouveaux venus qui doivent faire face à de terribles embûches. Heureusement, la plupart trouvent leur lieu, font de la politique et aussi des gaffes, comme tous les politiciens québécois qui parlent beaucoup trop et ne réfléchissent jamais assez.

 

GHAZAL RUBA : «Les gens du pays viennent aussi d’ailleurs», Éditions Lux, Montréal, 2025, 192 pages, 26,95 $.

https://luxediteur.com/catalogue/les-gens-du-pays-viennent-aussi-dailleurs/

mercredi 19 novembre 2025

QUEL AVENIR ATTEND LES HUMAINS

MATHIEU BÉLISLE raconte qu’un soir, entre amis, on discutait des changements climatiques. Nous étions en été et les feux de forêt inquiétaient. Rappelez-vous la fumée qui bouchait le ciel et qui donnait l’impression qu’un épais nuage s’était installé en permanence sur le Québec en 2023. Ça sentait la fumée partout. Un invité lança en se tournant vers les filles de Bélisle : «Tout va brûler les filles, dans dix ans, vingt ans, tout va brûler». Comment réagir? Avant de se coucher, la plus jeune demanda : «C’est vrai que tout va brûler papa.» Que dire sinon les formules éculées qui ne rassurent jamais? Il décida alors d’écrire «Une brève histoire de l’espoir». Et après des années de réflexion et de lectures, il ne sait toujours pas s’il y a une réponse à cette question. Le monde va-t-il brûler? Peut-on miser sur l’espoir d’un réveil planétaire, d’une mutation chez les humains qui ferait qu’ils entreprennent de réparer la Terre dans une incroyable corvée? Il faudrait une révolution des esprits pour que cela advienne parce que l’humain a tout fait pour la détruire cette Terre depuis des millénaires. Est-il raisonnable de garder espoir?

 

Mathieu Bélisle raconte d’abord une histoire connue de tous. Zeus offre une jarre à Pandore en lui disant qu’il ne doit jamais l’ouvrir parce que tous les malheurs vont pleuvoir sur la tête des hommes. Bien sûr, Pandore étant ce qu’il est, un éternel curieux, ouvre le récipient. Alors, les fléaux se répandent dans le monde. La maladie, la vieillesse, la misère, la famine, la folie, le vice, la passion, la cruauté. La liste pourrait presque s’allonger indéfiniment. La même chose s’est produite, semble-t-il, après qu’Adam et Ève eurent croqué la fameuse pomme. Il y a encore quelque chose pourtant au fond de la jarre : l’espoir. 

Mathieu Bélisle a bien raison de se demander pourquoi ce mot est demeuré collé au fond du récipient.

 

«Pourquoi l’espoir seul est-il resté prisonnier de la jarre de Pandore? Quel étrange théâtre se joue là? Sur cette question, les innombrables commentaires entourant le mythe ne s’entendent pas. Les plus pessimistes croient que le monde, en plus d’être accablé par tous les malheurs, a été privé d’espoir — que cette absence est donc un malheur supplémentaire. D’autres, plus cyniques, estiment qu’étant demeuré dans la jarre, l’espoir est une calamité dont l’humanité a été heureusement préservée (car, croient-ils, rien n’est plus futile que de s’attendre à mieux). Les optimistes, enfin, pensent que les dieux ont voulu offrir une consolation aux humains en plaçant l’espoir en réserve, comme leur seul et unique bien.» (p.12)

 

La question peut sembler étrange, mais elle marque l’histoire de l’humanité. Une idée qui penche parfois du côté des pessimistes ou encore du côté des optimistes. Une interrogation fondamentale qui guide nos pas et peut aussi distiller les pires aveuglements. «Être ou ne pas être optimiste», pourrions-nous affirmer en parodiant le grand Will. Cette question a traversé les millénaires et s’impose plus que jamais à nous qui vivons sur une planète qui connaît des hoquets.

 

«Voilà pourquoi l’espoir est si difficile à penser, et pourquoi les philosophes s’en sont toujours méfiés. Dès qu’on cherche à le nommer, il n’est plus tout à fait là, n’est plus tout à fait ce qu’il devrait être, menace de se muer en son contraire.» (p.21)

 

Mathieu Bélisle entreprend de suivre cette idée comme s’il tirait sur un fil qui ne cesse de ramener à lui des propos étonnants. Que serait la vie sans l’espoir, sans un avenir différent et meilleur? Je signale l’aventure du Nouveau Monde où l’on croyait pouvoir réinventer la vie en société avec les résultats que nous connaissons. L’espoir, il me semble, fait partie intégrante de la pensée humaine. Il en constitue le moteur.

 

«C’est la découverte de l’horizon qui a permis à l’hominidé de prévoir et d’anticiper, de saisir l’étendue du monde qui s’offrait à lui, de repérer une nouvelle forêt…» (p.26)

 

Et Bélisle d’ajouter : «Oui, c’est l’espoir qui a fait marcher l’humanité, qui l’a fait passer du confort du monde connu à l’inconfort du monde inconnu.» Et nous voilà chevauchant les siècles et les civilisations avec cette question qui traîne au fond d’une jarre qui a pris de l’âge, que l’on secoue et qui fait jongler les intellectuels jusqu’à l’arrivée de Jésus, qui va transformer notre rapport au réel et créer des turbulences.

 

«En imaginant une fin du monde en forme d’apothéose, où le Royaume des cieux triompherait enfin, où il n’y aurait plus ni homme ni femme, ni Juif ni Grec, ni maître ni esclave, un monde où le Christ reviendrait sur terre pour y régner éternellement, dans la gloire et la paix, le christianisme ne se contente pas de faire sortir l’espoir de la jarre où Pandore l’avait tenu caché; il en fait la condition même de l’aventure humaine.» (p.49)

 

Alors que faire de la réalité, de cette vie terrestre quand un monde meilleur et un futur de paix et d’amour vous attend au-delà de la mort. Faut-il disparaître pour ressusciter et connaître la vie éternelle, celle où nous avons dompté toutes les malédictions qui se sont échappées de la fameuse cruche et que nous pourrons enfermer dans un nuage numérique?

 

«Si le christianisme est une religion révolutionnaire, c’est dans cette simple idée : ce qui a eu lieu ne suffit plus pour comprendre le monde dans lequel nous vivons; c’est l’avenir qui confère un sens au présent, c’est même l’avenir qui accomplit le passé et lui donne sa valeur. Adam ne se comprend pas sans David, ni David sans Jésus, qui est leur héritier, à la fois le premier homme et le dernier.» (p.50)

 

Plusieurs ont cru qu’il fallait créer le chaos, tout raser pour plonger le plus rapidement possible dans cette nouvelle vie, dans un passé magnifié qui s’impose dans un avenir parfait. Comment ne pas penser à Donald Trump, qui ne fait que provoquer le chaos pour rétablir un passé qui ne peut plus être? Les États-Unis, selon lui, ne seront grands qu’en retournant dans le passé et en détruisant tout ce qui a causé nos maux et nos dérives.

 

«Dans la modernité, ce n’est plus la nature qui dicte son rythme, mais les actionnaires, qui exigent un rendement toujours plus élevé, une disponibilité de tous les instants. La vieille humanité, forgée par la lenteur des siècles anciens, est vouée à disparaître. Un monde nouveau réclame une humanité nouvelle, libérée de ses failles et tournée vers l’avenir, quelque chose comme un Homo mobilis, individu infiniment mobile, sans famille, ni attaches, dont l’esprit peut être reprogrammé à volonté, comme on met à jour un logiciel.» (p.123) 


RÉFLEXION


Un essai fascinant qui nous fait traverser différentes étapes de la course de l’humanité avec ses réflexions, ses certitudes, ses pas de côté, ses obsessions et ses folies souvent destructrices. Tout le parcours de l’humain qui ne cesse de s’enfermer dans des scénarios étranges qui provoquent les pires catastrophes. 

Mathieu Bélisle ne répondra jamais à la question de sa fille, même en lisant et en écrivant pendant des années pour en arriver à la conclusion qu’il n’en sait trop rien. Cette question engendre des affirmations qu’il faut toujours reprendre et modifier avec les époques et les évolutions de la pensée. C’est l’une des caractéristiques de l’humain que de chercher des vérités qui demeurent aussi mouvantes et changeantes que les formes de vie sur la planète qu’il habite. 

C’est bon de le rappeler dans une ère qui fait défiler des «prophètes» qui prétendent tout savoir et qui n’hésitent pas à proclamer des dogmes dans les médias. Nous sommes dans un temps de faux mages, de fabulateurs et de manipulateurs qui s’arrogent le pouvoir pour nous plonger dans le chaos. Il faut toujours se dire qu’il n’y a pas de vérité immuable. La seule certitude que l’on peut répéter est celle de ne pas savoir. 

Cette «brève histoire de l’espoir» est une réflexion précieuse, fascinante, qui nous permet de garder l’espoir sur le réchaud et peut-être de mieux comprendre notre présent, tout en imaginant l’avenir avec circonspection. Et je ne sais pas après cette lecture si je me situe du côté des optimistes ou des pessimistes. À voir aller l’humain, il faut faire preuve de prudence. Si le passé est garant de l’avenir, il y a de quoi être sombre et inquiet.

 

BÉLISLE MATHIEU : «Une brève histoire de l’espoir». Lux Éditeur, Montréal, 2025, 184 pages, 24,95 $

 https://luxediteur.com/catalogue/une-breve-histoire-de-lespoir/

jeudi 13 mars 2025

UN CARNET TOUT À FAIT REMARQUABLE

JE NE SAVAIS rien de Dionne Brand, une écrivaine canadienne née à Guayaguayare, à Trinité-et-Tobago, une île située dans la mer des Caraïbes, tout près des côtes du Venezuela. Elle est arrivée au Canada dans les années 1970 pour études universitaires à Toronto. Une auteure qui s’intéresse à la condition des esclaves, à leur perception de l’identité, à leur concept de l’histoire, du temps et du territoire qui se réduit souvent à l’espace de leur corps. Elle raconte sa propre aventure, puisqu’elle est de cette population qui a migré de force pour servir de main-d’œuvre dans les grandes plantations du Sud des États-Unis et ailleurs en Amérique. En franchissant La Porte du non-retour, en montant dans un bateau négrier, tous perdaient leur qualité d’humain. Ils ne seraient plus jamais des hommes et des femmes, mais des travailleurs et du bétail. L’Afrique s’estompe rapidement et devient un pays mythique et rêvé, flou et transformé. La mémoire des lieux d’origine s’efface, du peuple dont ils sont issus aussi. Ils sont alors d’une propriété ou d’une exploitation agricole, d’un enclos, presque après avoir été d’un continent. Une fois en Amérique, ils ne seront plus que des corps, que des gestes et une tâche. Dionne Brand nous plonge dans une réflexion singulière. 

 

J’adore les carnets d’écrivains et c’est ce qui a attiré mon attention. Avec le titre bien sûr : Cartographie de la Porte du non-retour avec comme ajout, «carnets d’appartenance». Et je ne fus pas déçu. Quel livre saisissant, intelligent, perturbant qui nous entraîne dans des dérives de l’histoire de l’Amérique et du monde, les pages les plus horribles de l’humanité! Et le présent n’est pas là pour nous rassurer. 

Nous venons de plonger dans l’ère de l’égoïsme et de la déraison. Le grand rêve de fraternité, d’égalité et de partage a pris toute une débarque avec les dernières élections aux États-Unis.

Dionne Brand s’attarde à cette fameuse porte que des populations capturées en Afrique franchissaient pour monter dans les bateaux qui les transportaient en Amérique.

Un pas terrible pour ces hommes et ces femmes que l’on privait du titre d’humain alors pour devenir l’objet d’un commerce à peine imaginable. On les forçait à partir, enchaînés. Tous comprenaient qu’il n’y aurait jamais de retour, que l’histoire ne fait jamais marche arrière. 

 

SITUATION

 

Bien plus, ce passage faisait en sorte qu’ils quittaient l’état d’humain pour devenir une marchandise que l’on pouvait vendre, échanger, éliminer quand ils n’étaient plus «bons à rien» sur les grandes plantations du sud des États-Unis et dans tous les pays que l’on a appelés le Nouveau Monde. C’était une terrible régression pour ces femmes et ces hommes qui perdaient leur qualité humaine, leur histoire, leurs rêves et l’idée même d’un avenir. Ils étaient enchaînés dans le présent et des tâches abrutissantes qui les laissaient épuisés jour après jour. C’est à peine imaginable toute la désespérance qui a dû habiter ces populations menées au fouet.

Nous avons beau lire sur le sujet, tenter d’ouvrir nos esprits de toutes les manières possibles, ça reste difficile à concevoir, à réaliser concrètement ce que cela signifiait pour ces gens entassés dans les cales des navires. Comment penser une telle horreur avec nos yeux de contemporains, leur désarroi et leur douleur?

 

«La catastrophe du capitalisme façonne notre époque. Ma tâche dans Cartographie de la Porte du non-retour était de tricoter le discontinu, de recouvrer l’histoire et le temps vécu; de les arracher à la catastrophe qui codifie la vie comme accessoire de la catastrophe, qui fait de nous des automates de l’économie de la catastrophe. Écrire est une reconstruction du temps, par laquelle des événements disparus/occultés par l’inertie du temps capitaliste arrivent.» (p.10)

 

Nous avons la direction et surtout l’intention de l’auteure. Voir, tenter de comprendre, dire la catastrophe, les effets à long terme sur des humains réduits à l’état de bétail et de travailleurs sans droits ni recours. L’esclavagisme a eu pour conséquence de couper ces gens de leur histoire et de les priver de futur, de les enchaîner à un désespoir quotidien, répétitif, où ils n’étaient que des gestes, un travail épuisant, pour lequel ils ne retiraient aucun avantage, aucune expectative d’améliorer leur sort et d’avoir une vie qui leur est propre. Comme si les propriétaires de ces grands domaines les enfermaient dans le présent, un lieu où il n’y avait plus de passé et encore moins d’avenir.

 

«Mon grand-père disait qu’il savait de quel peuple nous venions. J’ai énuméré tous les noms que je connaissais. Yoruba? Igbo? Ashanti? Malinké? Il disait non à chacun, ajoutant qu’il reconnaîtrait le nom s’il l’entendait. J’avais treize ans. J’avais très hâte qu’il se le rappelle.» (p.15)

 

La petite fille curieuse n’aura jamais de réponse de son grand-père. Il ne se souvenait pas. Tout comme il avait du mal à imaginer qui il était dans son île à la frontière de l’Amérique, dans cet avant-poste qui montait le guet face à la mer océane et qui se berçait dans les rumeurs du continent lointain. 

C’est terrible de ne pas savoir d’où l’on vient et qui nous sommes. J’ai beau ne pas être curieux de mes ancêtres français, je sais quand même qu’ils étaient d’une certaine région et que je n’ai qu’à faire un effort pour retracer le parcours de ceux qui étaient là avant moi. Ce n’est pas le cas pour ces descendants d’esclaves. Il n’y a aucun souvenir, aucunes archives, aucun nom à qui s’accrocher. Ils sont réduits à la dimension de leur mémoire individuelle, repoussés dans leur corps, leur seul pays.

 

IDENTITÉ

 

Voilà une réflexion importante sur ce qu’est l’identité et le territoire. Tous les descendants d’esclaves en Amérique sont privés de passé, de celui qu’ils ont abandonné en franchissant cette fameuse porte à l’île de Gorée ou ailleurs. Comme ils ne peuvent se référer à ce territoire où ils ont été transplantés et qui ne sera jamais le leur, ce lieu de leur malheur, de leurs conditions de bête au service d’un maître jamais bienveillant. Tous dépossédés de leurs enfants à la naissance la plupart du temps. 


«Notre héritage à nous, membres de la diaspora, est de vivre dans cet espace inexplicable. Cet espace est la mesure de la foulée de nos ancêtres depuis la porte jusqu’au navire. On est coincés dans les quelques mètres qui séparent les deux. Le cadre de la porte est l’unique espace d’existence véritable.» (p.31)

 

Pourtant, le Noir s’imposera dans l’imaginaire de notre société et deviendra une sorte de fantasme. Nous n’avons qu’à songer à la place prépondérante qu’ils occupent dans les sports. Le football américain, entre autres, où ils sont dominants, ou encore en athlétisme aux Olympiques, où les grands champions coureurs, sprinteurs, sauteurs sont souvent des Noirs ou des métis. 

 

«Le corps noir est culturellement codifié en tant que prouesse physique, fantasme sexuel, transgression morale, violence, talent musical magique. Ces attributions sont à portée de main et peuvent être utilisées quotidiennement. De la même façon qu’on utilise un outil ou un instrument pour exécuter une tâche liée à un besoin ou à un désir.» (p.46)

 

Voilà un carnet précieux qui nous entraîne dans un pendant peu reluisant de notre histoire récente, qui nous plonge dans une société que nous avons encore peine à cerner et que les Noirs ne savent trop comment regarder. L’utopie africaine demeure, mais elle est toujours insaisissable et ne correspond à rien de réel. Le désir du retour pour certains s’est très mal vécu parce que l’Afrique ne collait pas à l’image et au rêve qu’ils en avaient dans le Nouveau Monde.

Une réflexion saisissante, des pages d’une beauté époustouflante et d’une remarquable intelligence qu’il faut lire et relire parce qu’elle nous concerne, qu’elle fait partie de notre passé. Elle est aussi là dans notre imaginaire, qu’on le veuille ou non, avec la présence autochtone que l’on a trop longtemps occultée. 

 

«Je voulais être libre. Je voulais avoir l’impression que l’histoire n’est pas le destin. Je voulais être soulagée des barrières de la Porte du non-retour. C’est tout. Mais non, j’avais été frappée en pleine poitrine et mon corps avait été vidé de tout air. Tout ce que je pouvais faire pour m’accrocher à ma raison, c’était me fier à l’écoulement ordonné des minutes et à l’idée que le soleil se lève quand le jour paraît et qu’il se couche quand vient la nuit.» (p.189)

 

Un livre remarquable en tout point, nécessaire, troublant, magique en quelque sorte. De quoi ébranler toutes nos certitudes et nous ouvrir l’esprit sur une réalité historique encore bien présente dans nos sociétés.

 

BRAND DIONNE : Cartographie de la Porte du non-retour, Éditions Lux, Montréal, 232 pages.

https://luxediteur.com/catalogue/cartographie-de-la-porte-du-non-retour/

vendredi 8 novembre 2024

COMMENT SAUVER NOTRE BELLE PLANÈTE

NOUS LE SAVONSla planète va très mal. Nous n’avons qu’à lire les journaux ou encore à écouter les informations pour découvrir ses malaises. Ouragans, inondations, sécheresses, feux de forêt partout, vents fous qui ravagent la Floride et les états de l’Est américain, pluies diluviennes en Espagne et au Portugal et des orages jamais vus à Montréal. Le niveau des océans ne cesse de monter avec la fonte des glaciers et le pergélisol libère des gaz toxiques. Et que dire des démences des autocrates avec leurs desseins sur l’Ukraine, la bande de Gaza, le Liban et ailleurs? Des nations entières sont forcées de migrer, créant des perturbations dans les pays d’accueil que nous avons du mal à évaluer. Il serait 150 millions d’hommes, de femmes et d’enfants de par le monde à rechercher un refuge où vivre normalement. Et comment oublier les dérives et les bêtises d’un illuminé qui a réussi à redevenir président des États-Unis? La plus grande catastrophe peut-être des temps présents.

 

Alain Deneault, philosophe reconnu pour ses prises de paroles senties et ses idées arrêtées, récidive. Il sonne l’alarme devant les changements climatiques tout en gardant espoir dans ce récent ouvrage. Dans la première partie de Faire que, l’engagement politique à l’ère de l’inouï, il effectue un survol de notre planète, ébranle certains mythes et leurres, toujours en ayant l’impression de prêcher dans le désert, j’imagine. Les sourds et les aveugles des réseaux sociaux ne le liront jamais et ils s’abreuvent des propos des nouveaux prophètes, les «influenceurs» qui se font un devoir d’ignorer ces avertissements. Ces gourous colportent la colère et la rage en secouant des faussetés et des contre-vérités. Les bobards et les mensonges sont malheureusement plus faciles à répéter que les informations scientifiques et les données inquiétantes. Donald Trump est l’un de ces augures maudits qui s’impose par la tromperie, la diffamation et la vulgarité. Et que dire d’un réseau comme Fox News, aux États-Unis, qui se spécialise dans les nouvelles fallacieuses et qui laisse toute la place aux farfelus? Les Américains vivent les conséquences de cette désinformation qui les détourne de la réalité et des gestes responsables.

 

ANGOISSE

 

Les populations des pays occidentaux, particulièrement, ne savent où donner de la tête devant des phénomènes climatiques de plus en plus violents et destructeurs. Du jamais vu, et une fréquence qui ne cesse de s’accélérer. Tous, nous en sommes conscients, même si plusieurs s’acharnent toujours à le nier, que les travaux humains doivent être pointés du doigt. 

 

«Ce sont 80 pour cent des espèces terrestres qui sont menacées par l’activité industrielle. Un million d’entre elles sont concernées : des grands mammifères, des insectes, des pollinisateurs, des plantes, etc. Parmi elles, une forte proportion d’individus est déjà disparue — plus de la moitié des oiseaux champêtres d’Amérique, 40 pour cent des colonies d’abeilles en Europe… Et ça progresse. C’est littéralement incroyable, une telle extinction de masse. On n’a rien vu de tel depuis la disparition de dinosaures il y a 65 millions d’années.» (p.17)

 

Pourtant, une grande partie de la population ferme les yeux et se comporte comme si tout cela n’était pas réel. Je pense à l’attitude du gouvernement du Québec devant le caribou forestier. Laisser disparaître une espèce animale sans tenter de la protéger, c’est mettre l’humanité en danger. Qu’on se le dise et qu’on le répète!

Pendant ce temps, la Terre perd les pédales et plus un lieu n’est épargné. Tous à la merci de tornades, de pluies diluviennes et de feux qui rasent des territoires immenses. 

Nous le savons et nous avons le pouvoir d’agir en diminuant la production de CO2, en faisant face au problème des véhicules qui utilisent des moteurs à combustion et qui accélèrent ces mutations de concert avec les industries polluantes. Pourtant, malgré les propos et les promesses de nos dirigeants politiques et économiques, peu de gestes significatifs sont posés pour contrer ces phénomènes et apporter des solutions. 

 

BATTERIES

 

Le gouvernement Legault a fait beaucoup de bruit autour de la production de batteries au Québec avec le projet de Northvolt. Les milliards ont plu à gauche et à droite, mais après la griserie des conférences de presse et les palabres sur la prospérité et le virage vert, nous apprenons maintenant que tout cela était peut-être un dirigeable qui se dégonfle de plus en plus rapidement. Surtout quand le sorcier en chef, Pierre Fitzgibbon, qui nous a vendu cette idée unique et historique, vient de s’éclipser pour regagner ses terres. Le plus grand projet jamais entrepris au Québec, chantaient les choristes Fitzgibbon et François-Philippe Champagne dans une harmonie rarement vue entre Québec et Ottawa. 

Enfin, la planète pouvait respirer.

Pourtant, faut-il croire que changer la source d’énergie va régler la question de l’automobiletout en construisant de nouvelles unités électriques et en augmentant les véhicules dans les villes et sur les voies rapides? On va s’en sortir avec le solaire, affirment d’autres «développeurs», en créant des parcs d’éoliennes qui vont balafrer le paysage et modifier notre rapport à la nature.

 

«Les tours éoliennes sont largement constituées de néodyme, un minerai rare dont le processus d’extraction est très polluant; elles ont une durée de vie de quelques décennies seulement, sont composées d’alliages qui ne sont pas recyclables et doivent être éventuellement enfouies on ne sait où après leur vie utile.» (p.27)

 

De quoi calmer notre ardeur et faire réfléchir. Il en est de même avec les métaux qu’il faut pour les fameuses batteries. L’extraction du lithium, par exemple, demande beaucoup d’énergie sans compter les dégâts de ces sites d’exploitations. Je frémis juste à penser aux lieux où l’on va puiser ce métal précieux dans le nord du Québec, un élément nécessaire à la fabrication de ces «piles de l’avenir». 

 

SOLUTION

 

Dans un deuxième temps, Alain Deneault pose la question : que faire devant cette menace qui risque de mettre fin à l’aventure humaine? Comment contrer «cette fatalité» et surtout changer nos manières de faire et de penser la communauté et le vivre ensemble?

Son diagnostic est simple : les empires politiques n’arrivent plus à modifier les façons de faire, à utiliser les ressources sans tout piller et mettre la vie des espèces animales et humaines en danger. Quand le profit est la valeur dominante, l’écosystème est saccagé. Les grandes entreprises ont démontré leur manque de volonté à chercher des voies plus naturelles et écologiques. Les pays gigantesques que sont La Chine, les États-Unis ou encore le Canada sont incontrôlables et la machine administrative tourne à vide la plupart du temps. Il faut changer des manières de faire et agir dans de petits ensembles, répète l’essayiste. J’ai songé à Small is Beautiful d’Ernst Friedrich Schumacher, qui a fait beaucoup de bruit dans les années 1970. L’intellectuel affirmait déjà que les empires économiques et industriels ne pouvaient servir les gens et les nations. Il y parlait d’entreprises qui respectaient l’environnement et les populations. La solution était intéressante, claire et nette, il y a cinquante ans. Barbara Stiegler résume très bien la situation dans son essai Que faire? que cite Alain Deneault.

 

 «Pour faire quelque chose, il faut d’abord penser ce qu’on fait là où l’on est, là où l’on se trouve.» Elle insiste : «Là où on est. Là où de fait on vit. Là où on passe son temps. C’est là où il faut penser ce qu’on fait. Et au moment où on parle, c’est-à-dire maintenant.» Et derechef : «Très concrètement, qu’est-ce qu’on peut faire là où on est, ici et maintenant, dans un environnement aussi destructeur, aussi toxique?»  (p.145)

 

Nous devons oublier alors les agglomérats mondiaux, les fameuses multinationales, les GAFAM, revenir à une dimension que la géographie impose. Une vallée, une plaine, les abords d’une rivière ou encore un lac créent un espace où les habitants peuvent agir en toute conscience. Penser région, sans négliger les contacts avec les autres bien sûr, les éloignés comme les plus proches. Le concept de «bio-région» est repris par Alain Deneault, cet espace naturel où un groupe d’humains peut s’épanouir tout en maîtrisant les effets négatifs de leurs gestes sur le milieu. Ça semble une utopie quand on voit des potentats bombardés les pays voisins pour faire renaître des empires qui se sont écroulés en implosant. Quand allons-nous comprendre

J’ai du mal à demeurer optimiste.

Faire que! l’engagement politique à l’ère de l’inouï donne espoir pourtant en proposant des solutions simples et accessibles. Il suffirait de se prendre en main pour travailler dans de petits ensembles, être responsable de notre milieu et choisir toujours le mieux pour tous. Ce qui n’est pas le cas maintenant. Les décrets concernant la gestion de mon lac viennent d’Australie et les décideurs n’ont jamais visité le Lac-Saint-Jean, ne connaissent pas les métamorphoses que les gens subissent depuis des années avec l’érosion des berges et les rechargements des plages, une véritable catastrophe écologique. 

C’est là tout le problème. 

Redonner au milieu, aux régions, la capacité d’agir et de choisir pour et par elles-mêmes. Mais cela, aucun élu ne le veut pour le moment au Québec et la décentralisation demeure une fiction. Ce ne sont que des fables que les dirigeants secouent pour attirer les citoyens. Et il faut savoir, je crois, que le véritable pouvoir de décider n’appartient plus aux politiciens ni aux gouvernements dans le monde de maintenant. Ou si peu.

 

DENEAULT ALAIN : Faire que! L’engagement politique à l’ère de l’inouï, Lux Éditeur, Montréal, 216 pages.