Daniel Poliquin, écrivain et traducteur, publie depuis 1982. Traductions de Jack Kerouac, Matt Cohen, et Mordecai Richler que les Québécois ont aimé détester. Il a mis en français «L’Evangile selon Sabbitha» de David Homel, un autre que plusieurs ont conspué récemment pour ses propos sur la littérature québécoise. Ce Franco-Ontarien semble avoir un faible pour ceux qui prennent le Québec pour cible.
Daniel Poliquin a chargé le nationalisme québécois lors du référendum de 1995 sur la souveraineté. Dans «Le roman colonial», paru en 2000, il fustige tous les indépendantistes, surtout René Lévesque et Lucien Bouchard, fouille le passé de Lionel Groulx pour jongler avec des effluves d’antisémitisme. Beaucoup de mauvaise foi, même s’il soulève des aspects que je partage quand il parle des colonisés. Daniel Poliquin semble surtout avoir du mal à assumer son statut de francophone né hors Québec.
Grande noirceur
«La kermesse», son récent roman, plonge dans la «grande noirceur». Lusignan, fils de Canadien français, on disait cela à l’époque, s’en tire bien à la guerre de 14-18. Il ramasse les cadavres après les affrontements, raconte des histoires pour passer le temps. Son père est menuisier et charpentier comme le célèbre Joseph de la Bible, sa mère Marie, une mystique qu’on finira par enfermer. Lusignan a étudié juste assez pour être écrivain, journaliste, fonctionnaire, propagandiste de l’armée et imposteur. À son retour au pays, il s’approprie le titre de vétéran, se noie dans l’alcool et les hallucinations. Il sera itinérant à Hull et Ottawa, sauvé par Concorde, une rescapée du village de Nazareth, où l’on pratiquait l’inceste et le viol héréditairement.
«Quand mes trois petites sœurs sont mortes de la grippe espagnole, ma mère s’est tuée en se jetant dans le puits. C’est comme ça chez nous: les hommes se pendent dans la grange ou se pètent la cervelle d’un coup de fusil de chasse dans la bouche; les femmes se jettent dans le puits ou la rivière. Mais c’est moins compliqué de les repêcher dans le puits que dans la rivière. Mon père s’est pas suicidé. Il est mort du cancer du rectum; ça faisait trente ans qu’il était assis dessus, tu comprends… » (p.145)
Histoire
Daniel Poliquin réussit à rendre vivant ces personnages qui endossent des concepts qui ont secoué le Québec au cours de son histoire. La religiosité obsessive, la nostalgie de la France, les dérives étranges et l’«appel de la race». Le parcours de Lusignan épouse les soubresauts du Québec et ses idéologies marquantes. Misères à la petite semaine, migration aux États-Unis, participation à la guerre, retour et errance avant de rentrer au village pour rattraper les gestes d’un père quasi muet. À retenir la description de la belle société d’Ottawa, le monde d’Amanda Driscoll qui rêve de bals et de grandes épousailles.
Les personnages se noient dans leurs rêves, trichent, mentent, manipulent, usurpent des identités, perdent contact avec la réalité et finissent fous ou obsédés. Ils sont avalés par des tares héréditaires, rongés par une forme de cancer impossible à déjouer. Ses personnages illustrent les idées âpres et peu subtiles de Poliquin.
On peut sourire devant cette fresque si on ne connaît pas la hargne de Poliquin envers le nationalisme québécois. Étonnant que les médias négligent le côté acrimonieux de cet écrivain, préférant jongler avec des clichés et oublier les assises de ses romans.
Une charge qui passe grâce à l’écriture, une forme d’humour qui grince aux encoignures et grossit le trait comme dans «L’homme de paille». Le lecteur peut garder ses distances, mais cette prose laisse un goût un peu amer.
Malgré son amour pour les empoignades et les raccourcis, Daniel Poliquin demeure un formidable conteur. Je ne peux m’empêcher de croire qu’il dilapide un immense talent en se complaisant dans cette «rage antinationaliste» qu’il ravive de roman en roman.
«La Kermesse» de Daniel Poliquin est paru aux Éditions du Boréal.