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mercredi 19 novembre 2025

QUEL AVENIR ATTEND LES HUMAINS

MATHIEU BÉLISLE raconte qu’un soir, entre amis, on discutait des changements climatiques. Nous étions en été et les feux de forêt inquiétaient. Rappelez-vous la fumée qui bouchait le ciel et qui donnait l’impression qu’un épais nuage s’était installé en permanence sur le Québec en 2023. Ça sentait la fumée partout. Un invité lança en se tournant vers les filles de Bélisle : «Tout va brûler les filles, dans dix ans, vingt ans, tout va brûler». Comment réagir? Avant de se coucher, la plus jeune demanda : «C’est vrai que tout va brûler papa.» Que dire sinon les formules éculées qui ne rassurent jamais? Il décida alors d’écrire «Une brève histoire de l’espoir». Et après des années de réflexion et de lectures, il ne sait toujours pas s’il y a une réponse à cette question. Le monde va-t-il brûler? Peut-on miser sur l’espoir d’un réveil planétaire, d’une mutation chez les humains qui ferait qu’ils entreprennent de réparer la Terre dans une incroyable corvée? Il faudrait une révolution des esprits pour que cela advienne parce que l’humain a tout fait pour la détruire cette Terre depuis des millénaires. Est-il raisonnable de garder espoir?

 

Mathieu Bélisle raconte d’abord une histoire connue de tous. Zeus offre une jarre à Pandore en lui disant qu’il ne doit jamais l’ouvrir parce que tous les malheurs vont pleuvoir sur la tête des hommes. Bien sûr, Pandore étant ce qu’il est, un éternel curieux, ouvre le récipient. Alors, les fléaux se répandent dans le monde. La maladie, la vieillesse, la misère, la famine, la folie, le vice, la passion, la cruauté. La liste pourrait presque s’allonger indéfiniment. La même chose s’est produite, semble-t-il, après qu’Adam et Ève eurent croqué la fameuse pomme. Il y a encore quelque chose pourtant au fond de la jarre : l’espoir. 

Mathieu Bélisle a bien raison de se demander pourquoi ce mot est demeuré collé au fond du récipient.

 

«Pourquoi l’espoir seul est-il resté prisonnier de la jarre de Pandore? Quel étrange théâtre se joue là? Sur cette question, les innombrables commentaires entourant le mythe ne s’entendent pas. Les plus pessimistes croient que le monde, en plus d’être accablé par tous les malheurs, a été privé d’espoir — que cette absence est donc un malheur supplémentaire. D’autres, plus cyniques, estiment qu’étant demeuré dans la jarre, l’espoir est une calamité dont l’humanité a été heureusement préservée (car, croient-ils, rien n’est plus futile que de s’attendre à mieux). Les optimistes, enfin, pensent que les dieux ont voulu offrir une consolation aux humains en plaçant l’espoir en réserve, comme leur seul et unique bien.» (p.12)

 

La question peut sembler étrange, mais elle marque l’histoire de l’humanité. Une idée qui penche parfois du côté des pessimistes ou encore du côté des optimistes. Une interrogation fondamentale qui guide nos pas et peut aussi distiller les pires aveuglements. «Être ou ne pas être optimiste», pourrions-nous affirmer en parodiant le grand Will. Cette question a traversé les millénaires et s’impose plus que jamais à nous qui vivons sur une planète qui connaît des hoquets.

 

«Voilà pourquoi l’espoir est si difficile à penser, et pourquoi les philosophes s’en sont toujours méfiés. Dès qu’on cherche à le nommer, il n’est plus tout à fait là, n’est plus tout à fait ce qu’il devrait être, menace de se muer en son contraire.» (p.21)

 

Mathieu Bélisle entreprend de suivre cette idée comme s’il tirait sur un fil qui ne cesse de ramener à lui des propos étonnants. Que serait la vie sans l’espoir, sans un avenir différent et meilleur? Je signale l’aventure du Nouveau Monde où l’on croyait pouvoir réinventer la vie en société avec les résultats que nous connaissons. L’espoir, il me semble, fait partie intégrante de la pensée humaine. Il en constitue le moteur.

 

«C’est la découverte de l’horizon qui a permis à l’hominidé de prévoir et d’anticiper, de saisir l’étendue du monde qui s’offrait à lui, de repérer une nouvelle forêt…» (p.26)

 

Et Bélisle d’ajouter : «Oui, c’est l’espoir qui a fait marcher l’humanité, qui l’a fait passer du confort du monde connu à l’inconfort du monde inconnu.» Et nous voilà chevauchant les siècles et les civilisations avec cette question qui traîne au fond d’une jarre qui a pris de l’âge, que l’on secoue et qui fait jongler les intellectuels jusqu’à l’arrivée de Jésus, qui va transformer notre rapport au réel et créer des turbulences.

 

«En imaginant une fin du monde en forme d’apothéose, où le Royaume des cieux triompherait enfin, où il n’y aurait plus ni homme ni femme, ni Juif ni Grec, ni maître ni esclave, un monde où le Christ reviendrait sur terre pour y régner éternellement, dans la gloire et la paix, le christianisme ne se contente pas de faire sortir l’espoir de la jarre où Pandore l’avait tenu caché; il en fait la condition même de l’aventure humaine.» (p.49)

 

Alors que faire de la réalité, de cette vie terrestre quand un monde meilleur et un futur de paix et d’amour vous attend au-delà de la mort. Faut-il disparaître pour ressusciter et connaître la vie éternelle, celle où nous avons dompté toutes les malédictions qui se sont échappées de la fameuse cruche et que nous pourrons enfermer dans un nuage numérique?

 

«Si le christianisme est une religion révolutionnaire, c’est dans cette simple idée : ce qui a eu lieu ne suffit plus pour comprendre le monde dans lequel nous vivons; c’est l’avenir qui confère un sens au présent, c’est même l’avenir qui accomplit le passé et lui donne sa valeur. Adam ne se comprend pas sans David, ni David sans Jésus, qui est leur héritier, à la fois le premier homme et le dernier.» (p.50)

 

Plusieurs ont cru qu’il fallait créer le chaos, tout raser pour plonger le plus rapidement possible dans cette nouvelle vie, dans un passé magnifié qui s’impose dans un avenir parfait. Comment ne pas penser à Donald Trump, qui ne fait que provoquer le chaos pour rétablir un passé qui ne peut plus être? Les États-Unis, selon lui, ne seront grands qu’en retournant dans le passé et en détruisant tout ce qui a causé nos maux et nos dérives.

 

«Dans la modernité, ce n’est plus la nature qui dicte son rythme, mais les actionnaires, qui exigent un rendement toujours plus élevé, une disponibilité de tous les instants. La vieille humanité, forgée par la lenteur des siècles anciens, est vouée à disparaître. Un monde nouveau réclame une humanité nouvelle, libérée de ses failles et tournée vers l’avenir, quelque chose comme un Homo mobilis, individu infiniment mobile, sans famille, ni attaches, dont l’esprit peut être reprogrammé à volonté, comme on met à jour un logiciel.» (p.123) 


RÉFLEXION


Un essai fascinant qui nous fait traverser différentes étapes de la course de l’humanité avec ses réflexions, ses certitudes, ses pas de côté, ses obsessions et ses folies souvent destructrices. Tout le parcours de l’humain qui ne cesse de s’enfermer dans des scénarios étranges qui provoquent les pires catastrophes. 

Mathieu Bélisle ne répondra jamais à la question de sa fille, même en lisant et en écrivant pendant des années pour en arriver à la conclusion qu’il n’en sait trop rien. Cette question engendre des affirmations qu’il faut toujours reprendre et modifier avec les époques et les évolutions de la pensée. C’est l’une des caractéristiques de l’humain que de chercher des vérités qui demeurent aussi mouvantes et changeantes que les formes de vie sur la planète qu’il habite. 

C’est bon de le rappeler dans une ère qui fait défiler des «prophètes» qui prétendent tout savoir et qui n’hésitent pas à proclamer des dogmes dans les médias. Nous sommes dans un temps de faux mages, de fabulateurs et de manipulateurs qui s’arrogent le pouvoir pour nous plonger dans le chaos. Il faut toujours se dire qu’il n’y a pas de vérité immuable. La seule certitude que l’on peut répéter est celle de ne pas savoir. 

Cette «brève histoire de l’espoir» est une réflexion précieuse, fascinante, qui nous permet de garder l’espoir sur le réchaud et peut-être de mieux comprendre notre présent, tout en imaginant l’avenir avec circonspection. Et je ne sais pas après cette lecture si je me situe du côté des optimistes ou des pessimistes. À voir aller l’humain, il faut faire preuve de prudence. Si le passé est garant de l’avenir, il y a de quoi être sombre et inquiet.

 

BÉLISLE MATHIEU : «Une brève histoire de l’espoir». Lux Éditeur, Montréal, 2025, 184 pages, 24,95 $

 https://luxediteur.com/catalogue/une-breve-histoire-de-lespoir/

jeudi 13 novembre 2025

COMMENT DÉCRIRE CE QU’EST LA RÉALITÉ

QUEL DÉBUT DE ROMAN singulier que celui de Martha Baillie! Dans «Seule la peur est bleue», tout tourne autour du décès de sa mère, qui touchait presque ses cent ans. L’auteure s’attarde à la longue agonie de celle-ci, aux derniers moments et surtout aux préparatifs pour faire un masque funéraire, une cérémonie qui n’existe plus. Un usage qui vient des Égyptiens et qui est devenu populaire à partir du XVe siècle en Europe. Le masque funéraire était censé accompagner le mort vers une autre vie et fixer l’âme errante. Il permettait ainsi la renaissance du disparu dans un monde bien différent de celui qu’il quittait. En Europe, cette tradition servait surtout à garder un souvenir du défunt. Est-ce une illustration du travail de l’écrivaine qui tente de reproduire exactement, avec ses mots, le parcours de sa mère et de sa sœur qui a eu une existence chaotique (elle souffrait de schizophrénie et peut-être aussi d’une forme d’autisme), jusqu’à ce qu’elle mette fin à ses jours? Il fallait l’exorcisme de l’écriture pour s’ajuster à son passé et s’installer dans le présent sans se sentir coupable ou encore étouffé par les regrets.

 

L’enfance de Martha Baillie a été marquée par les agissements de sa sœur Christina, qui a pour ainsi dire dirigé la famille par son comportement, ses sautes d’humeur, ses ruptures et ses demandes d’aide sans cesse renouvelées. Elle voulait son autonomie sans jamais pouvoir régler ses grands et petits problèmes. 

Martha, après le décès de sa mère, tente de comprendre sa relation avec cette sœur énigmatique, ses affirmations, ses décisions impulsives, sa réclusion en s’adonnant à son art dans des œuvres étranges et fascinantes qui ont fini par encombrer la maison et tout son environnement. Une originale qui, après avoir vécu une aventure amoureuse platonique à Victoria, en Colombie-Britannique, est revenue s’installer à Toronto, sa ville d’enfance. 

Elle ne supportait pas la présence des autres, même si elle avait recours à sa sœur et sa mère pour régler tous les petits problèmes de son quotidien. Un fardeau pour Martha, qui doit accourir au moindre appel de sa sœur. D’autant plus que Christina était imprévisible et susceptible. Leurs rencontres se terminaient souvent mal et par des ruptures. Un mot interprété de travers suffisait pour que le drame éclate. Une originale pour ne pas dire autre chose qui écrivait sur les murs de la maison familiale créait des œuvres avec des matériaux trouvés un peu partout dans la ville. Elle vivait dans un capharnaüm et après plusieurs tentatives de suicide, elle a réussi à en finir après avoir rédigé un court texte, une énigme ou une charade qui explique tout et rien. Une femme imprévisible et fascinante qui se servait des autres, comme les rebuts qu’elle récoltait pour ses sculptures.

 

«Dans sa chambre, en paroles sur le mur, et dans la cuisine, en peinture sur les toiles, c’était à elle-même qu’elle parlait, à ses multiples identités d’âges et de genres différents, tu peux dire adieu : c’est ainsi qu’une ou plusieurs d’entre elles rassuraient les autres. Tu as le droit de t’en aller. Elle s’adressait peut-être aussi à moi, sa sœur qui trouverait sûrement son corps. À part elle, j’étais la seule à posséder une clé de la maison. Quand je me suis convaincue que ces trois lignes me visaient, j’ai senti remuer la lame de sa colère. Me visant, tu peux dire adieu : devenait un ordre.» (p.56)

 

Martha ne sait jamais comment interpréter les messages de Christina, ses écrits et ses réflexions. C’est l’histoire de sa vie et de sa mère qui a protégé sa fille en la devinant instable émotionnellement et terriblement vulnérable. 

 

UN ART

 

Christina avait l’art de semer le doute chez les autres, vivant dans une dimension où un rien devenait une tragédie avec cris et déchirements. C’était un fardeau pour sa mère et sa sœur, une responsabilité aussi parce qu’il y avait toujours la menace d’un suicide et la culpabilité de ne pas en faire assez pour elle. 

Martha tente de comprendre le mal qui hantait sa sœur et qui a bouleversé les jours de sa famille. Elle avait l’art de blesser, d’égratigner l’âme et de déstabiliser. Christina jurait que son père l’avait agressée sexuellement, bien que cela fut peu probable. Elle avait surtout un don pour semer le doute chez ses proches. L’incertitude était la pire conséquence de ses divagations. Elle naviguait entre la fabulation et la réalité. 

 

«Non seulement ma sœur avait soif de logique et de cohérence en toute chose, y compris les êtres humains, mais elle considérait que ma mère lui avait fait des promesses qu’elle n’avait pu tenir au fil du temps : d’exclusivité, de complicité sans failles, d’un lien privilégié entre elles deux.» (p.98)

 

Un quotidien où le délire et le réel se confondent. Tout tournait autour de Christina, qui était d’une intransigeance terrible envers tous, ne tolérant pas un mot et un geste qui pouvaient lui déplaire. La tornade n’était jamais loin avec de grandes tirades existentielles.

 

AVENTURE

 

Martha a dû faire abstraction de sa personnalité, de ses idées et de ses propres besoins pour satisfaire les moindres caprices de sa sœur tout en marchant sur des œufs pour ne pas provoquer sa colère. L’écrivaine ne savait jamais à quoi s’attendre. Christina se permettait de couper tous les ponts et de ne voir personne pendant un temps. C’était ce qu’il y avait de plus difficile avec elle : l’incertitude et la peur de soulever son courroux.

 

«Notre désaccord à propos de la maison — son désir de se l’arroger, ma résistance à cette appropriation — se résume en partie à une lutte pour savoir lequel de nos deux récits l’emporteraient. Laquelle de nos deux versions du passé dominerait l’avenir. Chaque demeure contient des souvenirs, une histoire. En nous querellant à son sujet, nous cherchions à déterminer si le Conte du genévrier dépeignait avec justesse ou fausseté nos enfances inextricables.» (p.122)

 

Parce qu’il y a ces assertions de Christina où elle affirme avoir été agressée par son père, un fasciste selon elle. Bien plus, elle répétera que ses parents faisaient partie d’un réseau de pédophiles et que sa mère la torturait. Tout cela dans la tête d’une femme qui entretenait une fixation pour la langue et qui entendait des voix. Pour tout dire, elle discutait avec elle-même tout le temps. 

Un récit extrêmement troublant où l’on ne sait jamais sur quel pied danser. C’est le drame de Martha qui a toujours été déstabilisée par cette sœur qui la fascinait autant par ses sculptures que ses écrits énigmatiques. 

 

«Elle avait une expérience quantique de notre univers humain, composé de mots, et trouvait une certaine détente dans Finnegans Wake de James Joyce, où elle se sentait délivrée de la fausse rigidité qu’imposait au langage la majeure partie de son espèce.» (p.138)

 

Martha Baillie parvient à nous faire douter de tout. Il y a toujours plusieurs facettes dans le vécu d’une famille, des mots et des images qui ont des sens différents selon les jours et les circonstances. La vie est mouvante, changeante, prend toutes les teintes du regard et des heures. 

Un récit fascinant, plein d’avancées et de reculs, d’affirmations qui deviennent des flottements. Une relation entre deux sœurs qui s’aiment, mais ne peuvent se rejoindre parce qu’elles n’utilisent jamais les mêmes mots pour dire leur réalité. Un roman lesté de questions et surtout une réflexion de ce que peut être l’existence, l’œuvre d’art, les mots et les idées qui ne sont jamais immuables. La vie est un mouvement perpétuel, un flottement, une chose et son contraire. 

La traduction de Sophie Voillot de «Seule la peur est bleue» de l’écrivaine d’origine torontoise est formidable. Elle a su épouser les circonvolutions du témoignage de Martha, qui se débat dans un tricot terrible où le moindre fil qu’elle tire peut tout défaire autour d’elle.

 

BAILLIE MARTHA : «Seule la peur est bleue», Éditions Alto, Québec, 2025, 216 pages, 26,95 $.

https://editionsalto.com/collaborateur/martha-baillie/

jeudi 6 novembre 2025

SYLVAIN GAUDREAULT DESSINE L’AVENIR

LA PLANÈTE va plutôt mal. Multiplication des catastrophes comme le dernier ouragan Mélissa qui a ravagé la Jamaïque et les pays voisins. Feux de forêt impossible à contrôler, pluies diluviennes et épidémies d’insectes avec de terribles sécheresses. Que dire des canicules qui rendent les villes étouffantes? Tout le monde le vit, mais qui est prêt à changer ses habitudes? Nous savons ce qu’il faut faire pourtant. Comment expliquer alors qu’à peu près tous les élus abordent le sujet du bout des lèvres et répètent les mêmes rengaines à propos de la richesse et de l’économie, c’est-à-dire de continuer à polluer et à accélérer le réchauffement de la planète? Sylvain Gaudreault, ex-politicien et député de Jonquière, ministre dans le gouvernement Marois et chef du Parti québécois par intérim, directeur général du Cégep de Jonquière maintenant, mène une croisade depuis quelques années. Il publiait «Pragmatique» en 2021 et il récidive avec «Ruptures et révolution», un essai où il propose de renouveler nos façons de faire et de voir. Un changement de cap pour faire face aux bouleversements climatiques, ramener les pendules à l’heure en tenant compte de certains événements qui ont secoué le monde, soit l’épidémie de COVID-19 et les conflits armés. De véritables sonnettes d’alarme.

 

Sylvain Gaudreault, dans cet essai simple, clair et accessible, aborde les grands défis que représentent les changements climatiques. Impossible de fermer les yeux et de le nier : les catastrophes ne cessent de se multiplier et de détruire des villes et des pays entiers. Tout politicien conscient et responsable ne peut rester indifférent devant ces cataclysmes planétaires. Parce que, après tout, tout homme ou femme qui sont élus lors de scrutins libres a le devoir d’assurer la sécurité sur son territoire et l’avenir des jeunes générations. Alors, comment contrer la montée des intégrismes, la dévastation orchestrée de Gaza, la guerre en Ukraine et la croisade des dirigeants des États-Unis pour faire régresser l’humanité?

Sylvain Gaudreault met cartes sur table rapidement et nous indique sur quoi il va insister.

 

«J’ai retenu trois événements qui nous font réaliser que cette idée de liberté et d’insouciance, que cette ère des utopies, était bien superficielle :

    1. La crise climatique;

    2. La pandémie de COVID-19;

    3. Le retour des guerres en Ukraine et au Proche-Orient.

Nous pourrions en ajouter plusieurs autres. Je pense notamment aux attentats terroristes du 11 septembre 2001, à l’invasion des réseaux sociaux dans nos vies, à la révolution de l’intelligence artificielle, à la réélection de Donald Trump, à la fin de la domination occidentale sur les affaires du monde et à l’émergence de la Chine comme acteur de premier plan en ce domaine, etc.» (p.20)

 

«Rupture et révolution» propose une action qui se déploie sur trois grands axes : climat, pandémie qui a paralysé la planète pendant des mois et ces guerres de plus en plus violentes qui rendent la situation mondiale inquiétante. Personne ne peut demeurer indifférent devant ces conflits où des femmes, des enfants et des gens âgés crèvent sous les bombes ou encore n’arrivent plus à se nourrir. Des décisions difficiles et exigeantes s’imposent pour faire face aux dégâts de l’économie de marché et aux manœuvres des multinationales qui échappent à toutes les lois et qui accumulent des profits sans jamais payer leur juste part aux sociétés.

 

«Je crois que la période actuelle s’apparente à une crise dans laquelle le vieux monde se meurt et le nouveau qui le remplacera tarde à apparaître. Nous sommes dans la période transitoire, comme entre deux chaises, laissant place à l’incertitude et à la montée des leaders négatifs qui occupent le vide avant la prochaine période stable.» (p.24)

 

Autrement dit, faire en sorte de domestiquer l’économie pour qu’elle profite aux populations et non pas à quelques privilégiés, protéger l’environnement, remettre le «nous» à l’avant-scène et calmer la frénésie du «je» qui se livre au saccage et trouve, dans les médias sociaux, un canal parfait pour répandre la haine et la zizanie. Agir afin de ralentir le réchauffement de la planète et d’amoindrir les phénomènes climatiques et les catastrophes qui obligent des peuples à migrer dans des pays d’accueil qui deviennent de plus en plus hermétiques. Un travail titanesque, Sylvain Gaudreault en convient. 

 

TRANSITION

 

Les élus doivent planifier la transition entre une logistique de gaspillage et de consommation boulimique vers une économie responsable qui ne largue personne en chemin. Comment revoir l’exploitation des ressources naturelles, régénérer des régions dévastées, oublier les énergies fossiles pour des énergies propres, repenser l’agriculture industrielle qui tue les sols, la forêt surexploitée et ravagée par des feux incontrôlables, l’eau potable de plus en plus rare et réduire une pollution galopante? Autrement dit, il faut entreprendre une «vraie révolution», muter dans nos têtes et dans nos habitudes. 

Pour y arriver, Sylvain Gaudreault propose de reformater l’État-nation. C’est le seul organisme ou gouvernement qui peut répondre rapidement aux besoins d’une population sur un territoire précis. L’État-nation peut parvenir à éliminer la pauvreté et l’indigence, mieux redistribuer les richesses entre tous et rendre les services aux gens efficaces. Pour cela, il faut mettre un frein au capitalisme sauvage et domestiquer les multinationales qui pillent les ressources naturelles. Surtout ces prédateurs du numérique qui échappent à toutes les lois et toutes les obligations.

 

«L’administration publique québécoise n’est pas adaptée à l’urgence climatique. Les mesures gouvernementales sont encore très fragmentées, alors que l’action climatique commande des politiques transversales. Les ministères et les organismes publics sont comme les tuyaux d’un grand orgue : ils sont séparés l’un de l’autre et ne communiquent pas entre eux. Le climat, en revanche, a un impact sur l’environnement, bien sûr, mais aussi sur la santé, l’énergie, les transports, les ressources naturelles, les affaires municipales, les finances, l’économie, l’agriculture… L’action climatique exige de briser les tuyaux du grand orgue.» (p.53)

 

C’est un vaste programme qui nécessite une véritable mutation de nos façons de faire, de penser et d’agir. Un défi terrible! Quoi de plus emballant pourtant que de travailler à sauver notre planète et à assurer l’avenir de tous?

 

DEVOIR


Ce projet de Sylvain Gaudreault est devenu nécessaire avec les avertissements que la Terre nous sert depuis des décennies. Des mesures urgentes doivent être prises parce que les spécialistes le répètent : les humains jouent avec le feu depuis trop longtemps. Même qu’un environnementaliste comme David Suzuki croit qu’il est trop tard et que nous avons franchi la ligne du non-retour. 

Sylvain Gaudreault ne se tourne pas vers le passé. Il se concentre sur le présent pour atténuer les bouleversements à venir et assurer un meilleur partage des ressources.

La prudence et une pensée politique responsable, une vision globale qui repose sur les États-nations qui peuvent modifier le cours des événements? Et, faut-il le répéter, nous avons une seule planète où vivre et nous n’en trouverons pas d’autres où migrer. Le bon sens veut que nous fassions tout pour protéger notre demeure. 

 

TRAVAUX

 

De grands chantiers se dessinent dans l’esprit de Sylvain Gaudreault. Des questions doivent nous hanter. Comment accueillir les réfugiés climatiques de plus en plus nombreux au cours des années à venir; comment mettre fin aux guerres et aux génocides, aux folies meurtrières des fanatiques religieux et à la course aux armements? Étrange d’investir dans les bombes quand des populations entières ne mangent pas à leur faim. 

Tous, collectivement, nous avons ce devoir et cette obligation de réagir afin que l’avenir soit possible pour tous. Le temps de l’insouciance et de la consommation effrénée est terminé. Le temps de la responsabilité vient de sonner.

 

«L’être humain a une grande capacité d’adaptation. L’histoire universelle l’a démontré. La question réside davantage dans notre capacité à sortir de notre paradigme confortable pour saisir le contexte actuel — qui n’est pas que conjoncturel mais bien structurel — afin de changer notre mode de vie. Cela est tout un chantier, j’en conviens!» (p.115)

 

Voilà un manifeste que le Parti québécois devrait faire sien pour proposer un vrai projet de pays qui se tourne vers l’avenir et qui peut être un chef de file qui œuvre à rendre la planète plus habitable et juste pour tous. 

Un essai important, lucide, qui devrait nous faire réfléchir, surtout les leaders politiques qui se contentent trop souvent de ressasser des formules creuses ou de semer le chaos comme on le voit chez nos voisins du Sud. 

Après avoir rêvé les grands échanges internationaux, nous devons revenir au plus proche, à des territoires naturels où les populations se sentent responsables et concernées. C’est pourquoi l’indépendance du Québec trouve sa place dans les questionnements de Sylvain Gaudreault. Des états forts pour changer son espace et par ricochet le monde.

Un manifeste nécessaire, un programme politique ambitieux, une voix qu’il faut écouter dans la cacophonie médiatique où tous critiquent sans jamais fournir de solutions. Sylvain Gaudreault propose une révolution pour assurer l’avenir et certainement permettre la survie des humains. Si la planète peut continuer sans nous, les humains ne le peuvent pas. La Terre est notre seul lieu. 

 

SYLVAIN GAUDREAULT : «Rupture et révolution», Éditions Somme toute, Montréal, 2025, 136 pages, 19,95 $.

  https://editionssommetoute.com/auteur/sylvain-gaudreault/

jeudi 30 octobre 2025

VÉRONIQUE MARCOTTE FRAPPE TRÈS FORT

UN TOUR DE FORCE que «Je n’ai personne à qui dire que j’ai peur» de Véronique Marcotte. L'auteure parvient à lier étroitement un drame personnel à un fait divers scabreux qui n’est pas sans rappeler l’incroyable histoire de Gisèle Pelicot qui a fait les manchettes en France et révolter le monde entier. Rachel, la narratrice, a subi un viol à dix ans et après, plus tard, une relation toxique avec un homme qui l’a dominée et entraînée dans les illusions de la drogue et de l’alcool. Des moments qu’elle a refoulés au plus profond de son être avec bien des victimes. Elle se réfugie dans une cabane au fond des bois pour écrire, retrouver qui elle est, respirer et parvenir peut-être à être enfin en paix avec son passé. Rien n’arrive comme elle l’avait souhaité. Elle est entraînée dans une affaire de meurtres où elle fera face à ses colères, ses drames et des blessures qu’elle croyait guéries. Tout revient à la surface quand une femme et un jeune garçon débarquent dans sa vie.

 

Véronique Marcotte mène habilement une enquête de Josée Lefèvre et son complice François Bertrand. Deux policiers qui pensaient en avoir terminé avec les événements sordides en se faisant muter à la campagne après avoir connu «le travail trépidant» de la grande ville. Le roman oscille entre Rachel, la narratrice, une écrivaine qui voulait prendre congé du monde et qui ne sait plus comment réagir devant une situation qui la dépasse et qui chamboule ses projets. 

On devine une conspiration dans le village de Lac du Reflet. Les dizaines d’hommes qui fréquentaient les Fortin (les jumeaux trouvés morts avec un stylet dans le cœur) répètent la même chose. Mot à mot. Et cette femme et son fils qui sont arrivés dans le refuge de Rachel en pleine nuit et qui semblaient la chercher. 

Tout est en place pour une enquête policière étonnante, mais aussi pour des tsunamis qui vont secouer Rachel et la forcer à revenir sur des drames qu’elle a refoulés au plus profond d’elle-même. 

 

«Je ne suis pas venue ici pour écrire d’autres histoires que la mienne, je suis enfermée dans le bois pour me soustraire à mon besoin d’écouter les histoires des autres. À force, je me suis éloignée de moi. Ne plus rien ressentir ce qui provenait de moi était si délicieux, si facile, que j’ai tout étouffé de mes nombreuses collisions dans les illusions, les paillettes, en essayant de fabriquer du fabuleux avec un calvaire. Pourtant, j’aurais dû y aller; j’avais matière à écrire, mais comment envisager la détresse, comment plonger dans une crevasse qui sent la mort et le sexe brûlé sans que ce soit douloureux? Et qui suis-je pour faire de mes échaudures un sujet intéressant? Personne. Je ne suis personne.» (p.23)

 

Rachel, avec l’arrivée de Jade et de Clarence, est emportée dans une histoire qui pourrait être la sienne. Elle le sait. Elle n’a plus la force de se raconter des fables et ne désire surtout plus s’étourdir dans la drogue ou vider une bouteille de vin pour noyer sa colère et sa douleur, comme elle l’a fait trop souvent.

Parce que c’est terrible ce que Rachel a vécu avec un homme qui l’a traitée comme une esclave et un objet. Elle s’est sentie avilie, une moins que rien. Elle s’en veut surtout d’avoir permis cela, de ne pas avoir réagi, de s’être tue en se réfugiant dans la drogue.

 

«J’allais vite entendre le discours péremptoire, misogyne et narcissique de celui qui se croyait tout permis. D. me faisait faire tout ce qu’il voulait : garder son fils, aller lui chercher des cigarettes, passer au resto prendre de sushis, le sucer dans la voiture avant une réunion, sortir de la maison à la dernière minute pour me pavaner avec lui lors d’une première, aller chercher ses bottes à l’hôtel durant une répétition générale, passer prendre un ami pour qu’il vienne le réconforter en pleine chute de dope la nuit, lui ramener une connaissance à moi pour un trip à trois, organiser de soupers pour lui présenter des filles en faisant croire que le grandiloquent qu’il était pouvait contribuer à leur carrière, flipper les burgers pour tout le monde durant ses partys de vedettes tout en gardant un œil sur son enfant, casser un party qui avait eu lieu chez moi parce qu’il ne voulait pas rentrer chez lui tout seul, relever mon chandail à toute heure pour lui montrer mes seins et puis tout ça, encore et encore.» (p.41)

 

Je suis tenté de dire le drame de Véronique, tellement cette histoire sonne juste, tellement le personnage crie de vérité. Surtout, il y a des éléments qui correspondent au parcours de la romancière. Je le sais pour l’avoir côtoyée avec bonheur pendant un temps. Rachel évoque sa terrible échouerie dans l’univers du spectacle et de la télévision. Elle y a échappé par une sorte de miracle, par l’écriture certainement, qui devient souvent une forme de thérapie qui permet de se retrouver et de respirer mieux. 

 

ENQUÊTE


En parallèle, le duo de policiers ne sait trop par où commencer dans cette affaire de meurtre des jumeaux Fortin. Et comment tirer sur le bon fil pour comprendre ce qui s’est passé dans le sous-sol de leur résidence? Le nombre effarant d’empreintes dans la maison prouve que les frères recevaient beaucoup de gens, des hommes uniquement. Tous dans le village répètent qu’ils allaient là pour les jeux de société. Un jeu de société effectivement auquel ils participaient, mais pas celui que l’on imagine.

Et il y a les indices trouvés sur les lieux, dont les livres de Marie Darrieussecq et de Martine Delvaux, qui semblent contenir la clef de cette histoire sordide. C’est plus qu’un drame intime dans lequel nous plongeons, mais une carence de la société qui se déploie devant nos yeux. 

 

« … Marie Darrieussecq a confié que Truismes avait été inspiré de son expérience d’abus masculins sur sa personne. Plus tard, jeune écrivaine, moi aussi j’ai été plaquée contre un mur rue de Rennes par un “grand écrivain”, moi aussi on m’a embrassée de force entre deux bacs à fleurs devant le Dôme, comme c’est chic, et pas si grave. Mais la gravité de ce qui arrive à d’autres me concerne directement et je les remercie de ce courage de parler et je pense à celles qui ne peuvent pas parler. J’avais balancé mes porcs avec Truismes.» (p.128)

 

Rachel est entraînée dans une spirale, le drame qui touche toutes les femmes. Elle se retient de pousser des cris avec celles qui pointent les agresseurs sur les réseaux sociaux ou qui portent des accusations devant le tribunal malgré les embûches et toutes les humiliations. 

 

ENQUÊTE

 

Véronique Marcotte nous tient en haleine pendant près de 400 pages avec sa narratrice, qui tente de garder la tête hors de l’eau et qui est happée par le drame de Jade Grenier et son fils Clarence. 

Le privé devient public et vice versa. Sans compter nos policiers dépassés par ce qu’ils découvrent.

Une tragédie qui fait douter de l’intelligence des hommes, une guerre de tous les instants que mènent les femmes pour se protéger des mâles toujours en érection. Tous les personnages féminins de Véronique Marcotte ont subi des agressions et elles ne peuvent être que solidaires entre elles. Le viol de l’une est celui de toutes les autres. Même Josée la policière a vécu les pires outrages en fêtant la fin de ses études avec ses collègues, qui sont les gardiens de la loi maintenant. Les propos de Nancy Huston dans «Les Indicibles» deviennent plus pertinents que jamais en lisant Véronique Marcotte. 

 

«Josée comprend très bien Jade Grenier. Se faire justice. Utiliser des moyens alternatifs pour reprendre notre vie en main. Jade Grenier a subi de la soumission chimique par son mari, pour le moment on parle de trente-huit agresseurs, et de quatre-vingt-huit viols perpétrés juste dans la dernière année. Comment a-t-elle su ce que les jumeaux lui faisaient subir? se demande Lefèvre en plongeant son visage en sueur dans ses mains.» (p.353)

 

L’écrivaine, dans ce roman de révolte, de colère, de rage et d’amour, atteint un nouveau sommet. Elle prend le parti des femmes, comment pourrait-elle faire autrement? Elle marche à leurs côtés et, surtout, elle tente d’effacer ses propres traumatismes et de guérir ses blessures. Toutes font face à la dictature du pénis à un moment ou un autre, toutes sont des victimes et des écorchées. 

Un roman terrible qui oscille entre un fait scabreux qui touche tout un milieu social, raconte les assauts subis dans le quotidien par des femmes qui doivent toujours être aux aguets. Une histoire qui fait mal et broie le corps et l’âme. On ne peut qu’emboîter le pas de Rachel et Josée qui font éclater la vérité en éclaboussant tout un village. «Est-ce ainsi que les hommes vivent», que je me suis demandé en répétant le fameux vers de Louis Aragon.

À donner froid dans le dos, mais surtout un texte d’amour et de chaleur humaine malgré tout, d’empathie et de résilience. De l’horreur peut germer la joie et un bonheur apaisé. Véronique Marcotte le démontre magnifiquement dans cet ouvrage qui ne laissera personne indifférent.

 

MARCOTTE VÉRONIQUE. Je n’ai personne à qui dire que j’ai peur, Éditions Québec Amérique, Montréal, 2025, 392 pages, 32,95 $.

https://www.quebec-amerique.com/collections/adulte/litterature/litterature-amerique/je-nai-personne-a-qui-dire-que-jai-peur-10812