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jeudi 7 décembre 2023

FRÉDÉRICK LAVOIE SE QUESTIONNE

FRÉDÉRICK LAVOIE a reçu une bourse de la Fondation Aga Khan Canada pour effectuer une série de reportages portant sur le problème de l’eau au Bangladesh. Les experts prévoient, avec les changements climatiques, que ce pays situé au niveau de la mer presque pourrait perdre cinquante pour cent de ses terres avec la hausse du niveau de l’océan et provoquer un mouvement migratoire intense et rarement vu. Rendre compte de cette situation dans une société dont on ne possède pas la langue, n’est pas une tâche facile pour un journaliste même si Frédérick Lavoie a l’habitude des pays étrangers. On a connu son audace où, se fiant à son instinct et au hasard, il s’est retrouvé en prison dans l’ex-empire soviétique. Il a raconté cette expérience dans Allers simples, aventures journalistiques en Post-Soviétie. Cette fois, il a dû faire appel à un interprète, un «truchement» comme on disait à l’époque des coureurs des bois. Il le devait pour expliquer sa présence aux Bangladais qui se demandaient qui était cet étranger qui posait tant de questions. Lavoie a dû faire confiance totalement à cet interprète. Ça complique drôlement les choses. Et traduire, c’est souvent aussi un peu trahir. Le voilà donc dans ce vaste pays où l’on parle le bengali avec un horaire serré. Il croise des gens lors de ses déplacements, n’est pas trop certain qu’ils comprennent ses préoccupations et surtout s’ils lui disent toute la vérité. 


Le Bangladesh est un pays fragile qui se retrouve à la merci des changements climatiques avec la mousson qui crée des inondations de plus en plus importantes, noyant terres et villages, ravageant les récoltes et contaminant les puits. Des conditions de vie difficiles et il semble que les paysans et les pêcheurs, doivent toujours recommencer ce que la nature et les activités de certains humains prennent un malin plaisir à dévaster. 

 

«Et c’était tout le cœur de mon problème avec Dompter les eaux : je n’arrivais même pas à déterminer ce qui me permettrait de prétendre avoir été juste à l’égard de ces gens, et donc d’avoir été à la hauteur de mes principes. Leur univers m’était demeuré trop opaque pour que j’ose y plaquer mes interprétations avec une quelconque confiance.» (p.47)

 

Bien plus, le journaliste a l’impression que les hommes et les femmes avec qui il discute ne sont pas du tout intéressés par les sujets qu’il aborde. Cela crée un malaise chez le manieur de questions, on le comprend. Voilà donc de sérieuses difficultés de communications et la certitude qu’il passe trop vite dans les villages, ne consacre pas assez de temps à ses interlocuteurs pour leur rendre justice dans ses comptes rendus. Comment parler de la survie, du pays qui se défait et mute devant une crise planétaire pendant une escale de quelques heures tout au plus? Un danger qui touche tous les scribes, peu importe l’endroit où ils se trouvent. Tous doivent faire rapidement, résumer en quelques minutes pour un court récit à la radio ou à la télévision. Pas le temps de s’attarder, de réfléchir, de sentir les soucis des gens. 

Gros problème de conscience pour le journaliste. 

Le reporter, après un séjour trop bref dans un patelin, doit donner l’impression lors du compte rendu de tout savoir et de tout comprendre. Il y a là, certainement, une forme d’imposture sinon un malaise que j’ai maintes fois ressenti dans ce travail où il faut surprendre l’être vivant derrière l’événement. C’est peut-être aussi pourquoi j’ai toujours gardé un pied dans le récit et le roman pour arriver à cerner des sujets et des personnages. Encore cette terrible impression de rester à la surface quand on fait le métier de cueilleur de nouvelles et de peintre en humanité. 

 

PROBLÈMES

 

Bien sûr, Frédérick Lavoie a le sentiment de se comporter souvent en abeille butineuse, d’effleurer les conséquences des changements climatiques sur le quotidien des populations. Il y a aussi la pollution qu’il voit autour de lui, poussée à un point qui donne le vertige. Surtout celle provoquée par les tanneries qui souillent les rivières et empoisonnent tout ce qui y vit. Alors, que peuvent les pêcheurs devant un tel désastre? Et les produits utilisés dans ces entreprises sont extrêmement dangereux et néfastes pour les ouvriers. Conséquences de tout ça. L’eau de surface n’est plus propre à la consommation. 

Le gouvernement a fait creuser des puits artésiens, pour puiser l’eau plus profondément dans le sol. Tout semblait réglé dans un premier temps. Les paysans et la population avaient retrouvé de l’eau et certaines maladies, surtout infantiles, ont disparu presque. Et un peu plus tard, on a constaté que l’eau contenait de l’arsenic à un taux inquiétant, que cette eau si vitale était, encore une fois, un danger. Creuser plus profondément, s’enfoncer dans la nappe phréatique? Et en forant, est-ce que l’on contamine cette nappe d’eau si précieuse? Les autorités du Bangladesh font face à un problème insoluble, semble-t-il. 

 

«Selon les estimations, entre 20 et 77 millions de Bangladais-es et plusieurs millions de personnes au Bengale-Occidental risquaient une mort prématurée en raison de cet empoisonnement à l’arsenic, appelé arsenicose.» (p.95)

 

Frédérick Lavoie, avec son guide et son interprète, se rendent dans les îles, croisent des gens, posent des questions, reçoivent des réponses et le journaliste écrit des reportages pour Le Devoir entre autres, mais il reste sur sa faim, a toujours l’impression de passer comme une bourrasque qui se calme tout de suite après une dernière salutation. Il n’en a pas fini avec le Bangladesh, ce pays où les problèmes de la planète semblent converger. 

Il veut avant tout raconter ces hommes et ces femmes, les entendre pour de vrai, comprendre leurs propos et montrer ce qu’ils sont dans leur vie de tous les jours. Mais comment parler de ces gens sans les trahir, sans en faire une sorte de caricature bien involontairement quand on soulève de la poussière dans un village qui retombe trop rapidement?

 

«Les inspirations qui m’ont aidé à me sortir de mes impasses sont multiples. Elles me sont arrivées de domaines variés, de la philosophie à l’éthologie, en passant par la science-fiction, la poésie, la psychologie ou encore la traductologie. C’est cependant dans les débats qui ont cours en anthropologie que j’ai trouvé le plus naturellement matière à réflexion. Cela n’est pas tout à fait surprenant, compte tenu de la parenté entre cette discipline et le journalisme, et particulièrement le journalisme international.» (p.284)

 

Chose certaine, un tel travail n’est jamais facile. Comment rencontrer l’autre, écouter, regarder et surtout montrer ce qu’il est dans son quotidien? Avec la barrière de la langue, c’est encore plus difficile. Le pire ennemi du journaliste est le temps. Il doit courir, toujours, aller rapidement, et c’est souvent pourquoi les reporteurs restent à la surface. Même que maintenant, on leur demande d’être des voyants et de prévoir ce qui peut se produire. Ce qui est tout à fait contraire à cette profession.

Troubler les eaux est un livre franc, honnête d’un journaliste qui se questionne et qui veut entrer en contact avec son lecteur, avec les gens qu’il rencontre dans ses enquêtes pour rendre compte de leurs grandes et petites misères. Rien n’est jamais sûr dans ce travail étrange où l’on devient pêcheur qui jette sa ligne à l’eau et qui attend que le poisson vienne à lui. Pour cela, il faut de la patience et un certain savoir-faire. Parfois, la pêche sera bonne et souvent, le journaliste revient avec les mains à peu près vides. Et ce métier veut que l’on relate quelque chose quand même, toujours. J’ai passé ma vie de journaliste à me questionner et à tenter de trouver des manières d’entrer en contact avec les gens pour les dire le mieux possible. Même raconter un événement, un spectacle, une conférence, demande une terrible attention et aussi une capacité à saisir et traduire ce que l’on entend. Les récits Le tour du lac en 21 jours et Le bonheur est dans le fjord, répondent à cette nécessité. Cela m’a permis de reprendre tout ça dans une fiction : Le voyage d’Ulysse.

J’ai aimé le questionnement de Frédérick Lavoie, mais une petite chose m’a dérangé dans cette quête du journaliste qui tente de trouver une forme de certitude. L’utilisation de l’écriture inclusive m’a empêché de savourer pleinement sa pensée. Pourquoi employer un tel langage? Un idiome qui veut personnifier tout le monde finit par ne représenter personne. Qui peut prétendre englober tous les humains? Les celleux et les toustes ne font pas partie du vocabulaire des journalistes, pas encore du moins, je l’espère. Une autre matière à réflexion pour Frédérick Lavoie. Je pense, sincèrement, que ce n’est pas très heureux malgré les bonnes intentions de l’auteur, je n’en doute pas. 

 

LAVOIE FRÉDÉRICK : Troubler les eaux, Éditions La Peuplade, Chicoutimi, 360 pages. 

https://lapeuplade.com/archives/livres/troubler-les-eaux

vendredi 11 décembre 2015

Frédérick Lavoie montre l’humain derrière l’horreur

L’ACTUALITÉ NE CESSE de nous bousculer et des drames éclatent partout dans le monde. Après les attentats de Paris, un couple tire lors d’une fête en Californie et le nombre de victimes augmente. Terrorisme, dit-on. Nous en sommes à la guerre intime où « les autres » deviennent l’ennemie. L’horreur ne cesse de trouver de nouveaux lieux, d’attirer les regards et de semer la terreur. C’était l’année dernière en Ukraine et pourtant c’est il y a si longtemps. Qui se souvient de l’atroce guerre de Tchétchénie, du commando qui a frappé à Moscou ? J’avais collectionné des centaines de photos alors, étant encore journaliste au journal Le Quotidien. Nous étions envahis par ces scènes de villes dévastées, d’hommes et de femmes qui allaient dans les ruines comme des spectres. Je n’oublierai jamais la photo d’une jeune femme qui transportait des chaudières d’eau dans un camp de réfugiés près de Sleptsovskaya. Elle avait un sourire lumineux, semblait pouvoir survivre à tous les malheurs. J’avais pensé écrire une histoire en m’inspirant de ces « vues » de la guerre.

J’ai suivi les événements en Ukraine, la partition de la Crimée après un référendum rapide, l’intervention des Russes qui prétendaient être neutres, le bras de fer des puissances étrangères et l’appui plutôt hâtif du Canada au nouveau gouvernement. On a appris plus tard que Stephen Harper voulait attiser le conflit entre l’Ukraine et la Russie afin d’exporter le pétrole bitumineux en construisant un oléoduc qui balafrerait le Québec. Comme quoi les conflits les plus lointains ont des incidences sur les décisions de nos gouvernements.
Frédérick Lavoie s’intéresse à cette partie du monde, on le sait depuis la parution de Allers simples : Aventures journalistIques en Post-Soviétie en 2012. Il n’est pas étonnant de le voir retourner en Ukraine qui vient de renverser un gouvernement corrompu et qui n’arrive plus à calmer le jeu.

Ceux qui ont pris le pouvoir à Kiev souffrent du complexe du vainqueur. Ils n’ont pas la tête à négocier avec les forces réfractaires aux changements. Ils ont fait la révolution au prix du sang d’une centaine de martyrs. Ils estiment avoir gagné le droit d’imposer leur vision du pays. C’est aux vaincus de s’adapter, de s’allier aux victorieux, ou de se taire. Un régime corrompu et de plus en plus autoritaire a été renversé ; une vraie démocratie, une Ukraine libre et européenne est sur le point de naître. Il n’y aura pas de compromis avec ces profiteurs qui ont maintenu le pays sous la domination de Moscou et l’on conduit au bord de la faillite. Point final. (p.66)

Heureusement, il existe encore des journalistes indépendants qui vont sur les lieux pour voir pourquoi des populations qui vivaient dans une relative bonne entente depuis des décennies en arrivent à se haïr. Rencontrer des gens, les écouter, discuter avec eux et les accompagner dans ce qu’ils subissent, cela peu être dangereux, téméraire, même quand on ne fait rien pour narguer la mort. Frédérick Lavoie n’est pas un Paul Marchand, heureusement.
Les bombes frappent aveuglément. Pourquoi, à un moment ou un autre, une petite ville, un quartier deviennent une cible ? Des familles se sont levées le matin et se préparaient à une journée comme les autres.
Un missile qui semblait venir de nulle part est tombé sur une maison, tuant un jeune garçon de quatre ans. Un enfant qui n’avait que l’avenir est mort, bouleversant sa famille qui a tout perdu dans l’attaque, même le droit d’espérer. Une histoire qui se répète trop souvent quand les armes parlent.
Pourquoi est mort ce jeune enfant ? Pourquoi a été épargné le voisin ?

COMPRENDRE

Frédérick Lavoie cherche à comprendre et à expliquer aussi, peut-être, à cet enfant pourquoi il est mort. Le journaliste devient un témoin, la narration se fait personnelle et émouvante. Plus question du récit distant lesté de chiffres et de statistiques recensant les rebelles abattus et les soldats sacrifiés. L’empathie est là dès les premières lignes même si nous nous heurtons, nous le devinons, à la folie humaine, un conflit déclenché autour d’un sapin sur une place publique de Kiev. Les guerres commencent souvent par des peccadilles et engendrent les tueries les plus sanglantes.
Le jeune Artyom est mort le 18 janvier 2015 à 8h10 du matin au 5 rue Ilinskaïa de Donetsk. Mort absurde, injustifiée, injustifiable, idiote, déplorable comme toutes les tueries pendant un affrontement où la raison prend congé.
Arriver à dire à cet enfant pourquoi une roquette Grad est tombée sur sa maison quand la journée était à peine entamée, est particulièrement exigeant. Souvent, il faut remonter le temps pour comprendre le présent. Nous l’oublions tellement souvent. Le présent reste la partie visible d’événements qui cachent le pire comme le meilleur.
L’Ukraine possède une longue histoire avec son folklore, ses légendes, ses mythes, dont ceux des Cosaques qui ont enflammé l’esprit de bien des lecteurs. Il y a eu des guerres, des envahisseurs et des familles venues pour travailler et qui ont continué à parler leur langue, dont le russe. Beaucoup se sont regroupés autour des installations minières, particulièrement dans la province du Donbass. La cohabitation des ethnies n’est jamais facile. On l’a vu dans tellement de pays. Il suffit d’une étincelle et tout explose.

PROJET

Le projet du président Viktor Ianoukovitch de rejoindre l’Union européenne suscite espoir et désolation. La Russie tolère mal une perte d’influence sur cette partie du monde. Surtout, un marché rentable pour son pétrole et le gaz naturel est menacé. Le Canada de Harper savait tout cela. Le président fait volte-face pour se tourner vers la Russie qui promet des montagnes d’argent. La situation s’envenime et le gouvernement est renversé à la grande surprise de tout le monde, même des révolutionnaires.
Frédérick Lavoie se rend dans les zones d’affrontements, là où l’armée bombarde les rebelles qui ripostent comme ils peuvent, rencontre la famille du petit Artyom, écoute les parents, assiste aux funérailles et vit un moment surréaliste. Le cercueil blanc repose sur des chevalets avec derrière, tout près, un camion lance-roquettes. Comme si on avait décidé d’exposer l’enfant avec son assassin. Cette photographie fera le tour du monde. Une image qui montre la guerre dans toute sa grossièreté et son indécence. Qui n’a pas été perturbé par la photo du jeune Alyan retrouvé mort sur une plage de Turquie. L’illustration parfaite des dangers qu’affrontent les gens qui fuient leur pays. Un rappel brutal pour nous dire que ces réfugiés risquent leur peau.

HISTOIRE

Frédérick Lavoie tente de démêler les fils, d’expliquer une situation difficile à comprendre, quasi impossible à décrire. Une intrigue pire qu’un roman de James Joyce. Certainement que le petit Artyom aurait préféré s’amuser sur son tricycle plutôt que d’écouter cette trop longue histoire de bombardements, de manifestations et de tirs de missiles. Que peut comprendre un enfant à une suite d’aveuglements, d’obsessions et d’entêtements ? 
Le journaliste croise des militants intelligents, ouverts, capables de discuter des grands problèmes qui déchirent le monde. Il y a de l’espoir…

Ils croient en la justice, l’équité, la démocratie, les libertés individuelles et veulent que chaque Ukrainien puisse en jouir autant qu’eux. Je les écouterais durant des heures discourir et débattre autour d’un verre de vin ou d’une bière, chercher des solutions pour réinventer l’État et le sortir de son marasme postsoviétique. Ils sont l’incarnation de ce que la Révolution de la dignité a apporté de mieux à l’Ukraine. Ils sont l’espoir d’un réel changement et la force vive qui s’affaire à le concrétiser. Et pourtant. Dès que j’aborde avec eux les causes de ta mort, de la guerre dans le Donbass et de la désaffection de ses habitants, ils enfilent des œillères. Ils sont soudainement intransigeants, manichéens, ignorants même. Leur indignation devient sélective. Leurs capacités d’empathie, de discernement et d’autocritique s’arrêtent là où la ligne de front commence, là où l’intégrité territoriale de leur pays est remise en question. (p.219-220)

Frédérick Lavoie arrive à nous passionner pour une situation politique compliquée et raconte surtout le quotidien des victimes, de ceux que l’on classe comme « dommages collatéraux ». Il nous captive, là où les médias nous embrouillent et se contentent de répéter des chiffres et de recenser les morts. Lavoie touche l’humain, la douleur, la compassion, l’amour, ce qui fait que des résistants survivent aux pires situations et finissent par se relever. C’est peut-être là l’avenir du journalisme qui s’essouffle, se contente de se répéter à la télévision ou de montrer des images qui donnent la nausée. Un pan d’humanité malgré la folie, la guerre et les obsessions. Nous en avons bien besoin.
Un récit émouvant qui cerne les humains dans ce qu’ils ont d’admirable et de terrible. Parce que les hommes et les femmes, partout, dans la longue marche de l’humanité ont provoqué les horreurs et démontré une compassion souvent étonnante.

Ukraine à fragmentation de Frédérick Lavoie est paru aux Éditions La Peuplade, 264 pages, 24,95 $.

vendredi 22 février 2013

Frédérick Lavoie visite l’envers du monde


 Frédérick Lavoie a fait les manchettes en 2006 en étant arrêté lors d’une manifestation à Minsk, en Biélorussie. Le jeune journaliste est devenu une célébrité en passant quinze jours derrière les barreaux. Dans «Allers simples, aventures journalistiques en Post-Soviétie», le globe-trotter raconte ce moment difficile, mais aussi ses pérégrinations dans l’ex-empire de l’Union soviétique qui a implosé en 1991. 

L’immense pays s’est fragmenté en de multiples républiques où des illuminés, des parvenus, tous issus de l’ancien appareil étatique communiste, ont imposé leurs lubies. La Lettonie, l’Estonie et la Lituanie, étrangement, ont tourné le dos aux régimes totalitaires pour adopter le modèle européen.
Frédérick Lavoie, après avoir perfectionné le russe à Moscou pendant un an, voyage dans ce monde qui n’arrive pas à trouver les chemins de la liberté et de la stabilité. Parfois, il se déplace en toute légalité, souvent il emprunte les chemins de la clandestinité et risque le tout pour le tout. Les affrontements et la répression sévissent dans à peu près tous les états.
«Le Turkménistan est l’un des pays les plus fermés de cette planète. Il est sous l’emprise d’une dictature aussi loufoque que cruelle. Les journalistes n’y ont pratiquement jamais accès, hormis pour des conférences sur l’industrie pétrolière et gazière. Je dois jouer au touriste naïf. Je veux mettre toutes les chances de mon côté pour obtenir un laissez-passer vers la «Corée du Nord d’Asie centrale». (p.138)
Il passe des jours en train dans le mythique Transsibérien avant d’atteindre l’Asie. À Vladivostok, les Russes et les Chinois se côtoient pour le meilleur et le pire.
Partout, des potentats prennent leurs fantasmes pour la réalité ; partout, il verra la misère des hommes et des femmes, l’avenir se replier devant des jeunes qui souhaiteraient changer des choses.

Le journaliste s’attarde auprès des étudiants, des révolutionnaires, des chauffeurs de taxi et… des militaires. Il préfère ceux qui luttent pour un morceau de pain, les vieilles femmes qui réussissent à garder une certaine cohésion dans des pays qui s’effritent.

Délire

Le président du Turkménistan a érigé des statues en or le représentant partout sur le territoire qu’il contrôle. Ce mégalomane a écrit un livre que le peuple doit mémoriser pour travailler, se procurer un permis de conduire ou un passeport. Le seul livre que l’on offre dans les librairies du pays.
Tous ne sont pas aussi dérangés, heureusement, mais tous pourchassent l’opposition, truquent les élections, jouent le jeu de la démocratie pour soutirer de l’aide financière aux Occidentaux. La Tchétchénie a connue une révolution et une répression sanglante. Que dire du Kazakhstan qui a vécu des expériences nucléaires pendant des années sous le régime soviétique ? Toute une population touchée et tenue dans l’ignorance. L’horreur dont on ne parle jamais à la télévision.
D’autres dangers pointent avec la multiplication des croyances qui remplace les diktats du communisme. L’intégrisme islamiste surtout.
Frédérick Lavoie montre la face cachée du monde. Un récit fascinant. J’ai lu Allers simples comme un roman d’aventures. Une belle façon d’échapper aux formatages des médias pour nous montrer des gens qui vivent, souffrent, rêvent, se débattent pour un avenir meilleur même quand tous les horizons sont cousus de barbelés. À parier qu’il saura nous surprendre avec son regard sur l’Inde puisqu’il vient d’y migrer.

«Allers simples, aventures journalistiques en Post-Soviétie» de Frédérick Lavoie est paru aux Éditions La Peuplade.

lundi 10 septembre 2012

Frédérick Lavoie, l’aventurier des temps modernes


Frédérick Lavoie, journaliste, a fait les manchettes en 2006 en étant arrêté lors d’une manifestation à Minsk, en Biélorussie. Il est devenu une célébrité du monde journalistique en passant quinze jours derrière les barreaux. Dans «Allers simples, aventures journalistiques en Post-Soviétie», il raconte cette période mouvementée et ses pérégrinations dans l’ex-empire de l’Union soviétique.

Qu’est-ce qui pousse un homme ou une femme à partir au bout du monde pour plonger dans des guerres, des conflits qui précipitent les humains dans le plus terrible des drames?
Danielle Laurin, dans «Promets-moi que tu reviendras vivant», a questionné ces guerriers de l’information qui mettent souvent leur vie en danger pour être sur place, là où ça se passe.
Frédérick Lavoie raconte ses déplacements dans l’ex-empire de l’URSS, refusant tous les privilèges que peut lui accorder le statut de journaliste. Il préfère vivre avec les victimes, les déportés, des réfugiés qui subissent les révolutions ou qui s’accommodent de la dictature et de la répression.
Avec le démantèlement de l’URSS en 1991, une foule de républiques, après l’occupation russe qui a marqué profondément les mentalités, se sont retrouvées désorientées. L’occasion était trop belle pour les mégalomanes, tous issus de l’ancien appareil communiste étatique, de s’approprier le pouvoir et d’imposer une dictature aveugle. Il n’y a que les pays baltes, la Lettonie, l’Estonie et la Lituanie qui ont tourné le dos aux régimes totalitaires pour adopter le modèle européen.

Voyages

Frédérick Lavoie, après avoir étudié le russe à Moscou, voyage pendant quelques années dans un monde qui n’arrive pas à trouver la direction de la liberté. Il a dû repousser ses craintes et ses angoisses pour aller au-delà de soi et témoigner. De l’Europe jusqu’en Asie, partout sur ces territoires immenses, il a vu des potentats prendre leurs fantasmes pour la réalité, la misère et la soumission.
Le journaliste s’est attardé auprès des étudiants, des révolutionnaires, des chauffeurs de taxi et parfois des militaires. Rarement des représentants de l’appareil étatique. Il préfère les gens ordinaires, ceux qui luttent pour un morceau de pain tous les jours.
Voyage en Biélorussie, en Tchétchénie qui a connue une révolution et une répression sanglante, en Ossétie et jusqu’à la frontière de la Chine, à Vladivostok, où Russes et Chinois se côtoient pour le meilleur et le pire. Que dire de ce séjour au Kazakhstan, chez des martyrs radiés par les expériences nucléaires qui ont duré des années. Toute une population tenue dans l’ignorance. Une situation horrible et révoltante.
Le pire ennemi dans ces dictatures? Les fonctionnaires bêtes, têtus, ignorants, intransigeants, bornés et imbus de leur pouvoir. Heureusement, partout il y a des femmes et des hommes qui luttent pour la liberté, un certain répit dans leur quotidien. De quoi bousculer toutes les certitudes.

Délire

Le président du Turkménistan a fait ériger des statues en or le représentant partout sur le territoire qu’il contrôle pour faire de lui un héros national. Un mégalomane qui a écrit un livre que le peuple doit apprendre par cœur pour travailler, se procurer un permis de conduire ou un passeport. Le seul livre que l’on offre dans les librairies du pays. Le rêve de tout écrivain en mal de succès?
Tous ne sont pas aussi détraqués, heureusement, mais tous pourchassent l’opposition, truquent les élections, jouent le jeu de la démocratie pour soutirer de l’aide financière aux Occidentaux.
Vladimir Poutine et tous les potentats de son espèce se partagent les richesses d’un empire qui n’arrive pas à retrouver sa cohésion depuis une vingtaine d’années. D’autres dangers pointent avec la multiplication des croyances qui remplace les diktats du communisme. L’intégrisme islamiste surtout.
Frédérick Lavoie est un aventurier moderne qui montre la face cachée du monde. Un récit fascinant, vivant et dérangeant. J’ai lu cela comme un roman d’aventures. L’auteur se trouve une petite place dans des taxis, les trains pour de longues excursions dans des pays abandonnés à des illuminés, faisant face à des policiers qui ne répondent à aucune loi. Une façon nouvelle d’échapper aux formatages des médias pour nous montrer des gens qui vivent, souffrent, rêvent, se débattent pour un avenir meilleur même quand tous les horizons sont cousus de barbelés. Des récits touchants, souvent émouvants et fascinants.
Un style direct, alerte, parsemé de petites réflexions sur la vie, la liberté, le goût du risque qui le fait courir au-devant de tous les dangers. J’en suis sorti secoué et un peu troublé. Frédérick Lavoie m’a fait comprendre que je connais bien mal cette planète même si j’ai toujours le nez dans les journaux.

«Allers simples, aventures journalistiques en Post-Soviétie» de Frédéric Lavoie est paru aux Éditions La Peuplade.