jeudi 23 avril 2020

CE PAYS QU’IL FAUT RÉINVENTER

J’HÉSITE TOUJOURS DEVANT UN RECUEIL de poésie et retarde souvent le moment de m’y aventurer. La plupart du temps, après avoir pris une grande inspiration, je me lance et… c’est la déception. La poésie est rarement au rendez-vous. Je me bute à de la prose égrenée qui finit rapidement par me lasser. Quelques images ici et là me font penser à ces photos que l’on multiplie et que l’on ne regarde jamais. Pourtant, la poésie permet la mise en joue de l’univers, un affrontement et une remise en question de soi devant les autres, une manière de forer des trous dans les murs du silence. Une respiration aussi, un cri qui permet le retour à la vie. « L’art est une façon d’éclairer les contours du monde qui restent flous », écrit Hélène Dorion dans : Pas même le bruit d’un fleuve.

Kristina Gauthier-Landry est née à Natashquan, un bien lourd héritage après le grand monsieur Gilles Vigneault. Ce pays mythique, elle l’a quitté pour de bonnes ou mauvaises raisons. L’exil reste toujours une perte de ses lieux d’ancrages. La poète veut secouer ses balises par l’évocation, une forme de prière qui permet un retour à soi, de retrouver tout ce qui a été abandonné, repoussé dans un recoin de l’esprit. Les départs ressemblent souvent aux remous qui suivent un navire. Des vagues si lourdes d’abord qui, rapidement, deviennent un fil sur l’eau et puis plus rien. C’est certainement pour oublier cette distance, que les écrivains tirent sur ce filin invisible, tente de ramener l’enfance, les lieux où l’on se sent parfaitement en harmonie avec soi et les environs. 

Retourner au début
retrouver les entrailles
pour qu’un jour bien droites
telles des épinettes nous puissions dire

c’est ici que nous sommes nées (p.7)

Nommer la Côte-Nord, la dire dans sa réalité physique et dans sa mémoire, la faire respirer par les mots, la marcher comme aux premiers instants de ses émerveillements.
Kristina Gauthier-Landry s’investit dans une entreprise qui demande souvent toute une vie d’efforts et de patience. Comment saisir le pays, l’entendre dans sa tête, le voir comme s’il était en soi et hors de soi ? La poète s’accroche aux pierres, aux flancs des montagnes aplaties qui longent la côte, aux épinettes malmenées par les saisons pour retrouver ce temps d’avant. Elle respire avec les gonflements du fleuve qui portent les baleines, leurs souffles au large.

Mais où est la maison
j’étais pourtant certaine de l’avoir
laissée là (p.19)

S’abandonner et s’apercevoir que plus rien ne peut être pareil. Tout change et se modifie. Le pays déserté n’est jamais celui que l’on retrouve. Le lieu quitté se recroqueville dans un temps que seule l’artiste fréquente. Entreprise impossible et nécessaire qui fixe les contours de sa géographie. Sans cette quête, il n’y aurait plus de littérature et encore moins de poésie, pas l’œuvre de Gilbert Langevin, de Paul-Marie Lapointe, de Gaston Miron, Yves Préfontaine et Marie-Andrée Gill. 

Tu me berces toujours salée
avec tes chansons bleues de mer
les rideaux lourds font des vagues
qui ressemblent au temps
égrené au large (p.62)

Travail nécessaire pour vivifier la mémoire, retrouver la paix dans sa tête et son corps. Tâche exigeante que de retourner chaque pierre, de longer les caps, les pics, s’attarder devant des bouquets d’épinettes, ces témoins des siècles avec les oiseaux porteurs de messages, de souvenirs qui roulent dans les gonflements de la vague.

PRIÈRE

J’aime cette voix qui tient du murmure et de l’incantation, ce poème comme un caillou poli par des siècles de patience, ces images chaudes dans la rondeur de la main. 

Sur le chemin du ruisseau
devant la maison bleue
la mousse m’indique le nord
et les outardes aussi il me semble
murmurent ton nom (p.108)

Chant, poésie sensible, belle comme une larme ou une fleur de chicouté qui devient miracle dans un rond de la savane. Méditation devant les écritures gravées dans le granite, l’empreinte d’une sterne à l’ourlet du fleuve. J’aime cette respiration, ce sourire quasi effacé dans une photo jaunie. Ça sent la terre, la comptonie voyageuse, la mousse de caribou et les jours qui grésillent parfois en juillet. 
Et l’exilée se grise des appels des outardes quand elles reviennent dans les poussées du printemps. Prendre racine comme les épinettes qui retiennent les souffles du large dans leurs branches, s’installer dans toutes les dimensions de son être. Voilà la folle et belle entreprise de Kristina Gauthier-Landry.

En haut de la côte du morne
ça respire large
le fleuve en feu

toutes les beautés nous hurlent
torrentielles

je bouche mon nez mes yeux
du silence
au fond des choses (p.114)

Un appel, je l’ai déjà dit, une évocation qui permet de s’ancrer dans le présent, de faire la paix avec son passé et peut-être son présent.

GAUTHIER-LANDRY KRISTINA, Et arrivées au bout nous prendrons racine, Éditions LA PEUPLADE, 128 pages, 19,95 $.