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dimanche 26 janvier 2014

Que vont devenir ces jeunes sans avenir ?


Un écrivain inconnu, des nouvelles signées Renaud Jean. Un premier livre. À quoi s’attendre ? Une voix originale, un monde singulier, un regard sur la vie, une écriture qui accroche. Un quelque chose aussi qui retient, permet de lui faire un peu de place dans votre bibliothèque. Il faut cet étonnement même si vous connaissez l’écrivain et ses livres. Je cherche l’éblouissement, une respiration jusqu’au bout de la dernière phrase. Les écrivains qui vous renversent dès les premières lignes sont rares. Hervé Bouchard est peut-être le dernier à avoir réussi l’exploit avec moi.

Retraite. Neuf nouvelles pour un écrivain de 32 ans qui a fréquenté l’Université de Montréal, fait une maîtrise en Études françaises. Étrange titre pour un auteur qui amorce sa carrière. Peut-on commencer par la fin ? Un mot qui a fait rêver bien des hommes et des femmes de ma génération. Ce n’est pas la vie rêvée, les voyages, la découverte avec Renaud Jean.
Une station perdue dans un lieu désert. Un film de Sergio Leone peut-être qui montre la désolation, l’isolement, l’attente. Un endroit où le temps dort dans un tas de poussière. Qui sait ? Un lieu où plus rien n’arrive. Est-ce seulement imaginable ? Si c’était le cas, le rêve se transformerait vite en cauchemar.

On m’a affecté à la station de la Grande Aventure il y a maintenant dix ans. (p.9)
Située en rase campagne, la station est isolée de la ville la plus proche par plusieurs dizaines de kilomètres. (p.9)
Il faut dire que le trajet se fait obligatoirement à pied, aucune route ne menant jusqu’ici. (p.10)

Des hommes et des femmes viennent, montent dans un train et partent pour la Grande Aventure. Et tout recommence. Allégorie de la vie, de la course vers la mort… On ne sait trop. Le gardien de la station raconte son quotidien, le seul à avoir un peu de consistance. Un exécutant qui évite les questions, se contente de sa vie toujours semblable, un peu absurde. Une solitude existentielle, qui s’incruste dans l’être. L’ambiance des romans catastrophiques comme dirait Samuel Archibald.
Second texte, une thématique qui se déploie en trois mouvements. Un petit-fils rencontre son grand-père dans un foyer pour personnes âgées. Un jeune homme retourne chez ses parents partis en voyage pour s’occuper du chien. Regard sur son passé, l’enfant détestable qu’il était. Enfin un couple visite un loft pour s’y installer, imaginer l’avenir peut-être. Pour Véronique oui, pas pour l’homme.
Belle description de la vie d’un homme dans un foyer pour retraités qui égrène les jours comme un chapelet dans le premier tableau. L’avenir s’est retourné devant. La mort peut venir, il l’attend, la recevra en silence, résigné devant ce petit-fils qui ne songe qu’à s’éloigner. Le temps s’étire. Quelques minutes deviennent une éternité dans ces chambres qui ressemblent à des cages. Une vie recroquevillée dans le présent, sans espoir, sans même le plaisir de réinventer le passé en jonglant avec des histoires. Très bon texte.

J’ai observé la chambre. Elle était petite. Des objets que j’avais toujours connus dans la maison de mon grand-père me paraissaient incongrus dans cette pièce anonyme. Ses choses se réduisaient désormais à bien peu, et ce peu néanmoins détonnait, ce peu était comme de trop. Mon grand-père a croisé et décroisé les jambes. (p.23)

L’impression que même le grand-père est de trop dans cette chambre. 
Avec Sous le pôle, Renaud Jean aborde une thématique qui le suivra dans plusieurs de ses nouvelles. Ses personnages détestent leur travail et plus rien n’arrive à les stimuler. Ils survivent, incapables de secouer leurs habitudes, de se donner un élan. S’ils agissent, c’est pour faire du sabotage, mais sans idéologie révolutionnaire. Ils sont des pions qui n’ont aucun espoir de véritable changement. Peut-être aussi que cette dimension de la vie, le rêve n’existe plus. Ils sont des perdants dans un monde dur, hostile. Des êtres qui ne cherchent qu’à se recroqueviller et ne plus bouger, ne plus penser, ne plus avoir à prendre de décisions. Un rêve absurde et cauchemardesque.
Je sortais d’une période difficile — à vrai dire, je n’en sortais pas —, et la perspective de quitter ma chambre, de m’exposer au-dehors, ne serait-ce qu’un après-midi, ne me disait rien. (p.71)

Accablé par ma famille, blessé par mes amis, j’avais décidé de ne plus voir personne. (p.84)

Renaud Jean décrit un jeune homme déçu, déprimé, sans volonté, sans idéal. Des mollusques qui souhaitent s’enfermer dans une chambre, attendre sur un lit en examinant le plafond. Lire un peu parfois. Un désir peut-être : celui de se changer en amibe et d’épingler le temps au mur.

Pourquoi les choses doivent-elles changer ? (p.113)

Pas même le désir d’en finir. Un état d’inertie pathétique.

Je préférais me tenir à la lisière du monde, en retrait de l’action. (p.117)

Quelques-uns rêvent de tout faire sauter. Ce geste leur permettra de devenir une chose parmi les choses.
Aucune relation ne peut s’établir avec les femmes qui restent animées, volontaires, curieuses, vivantes et belles de projets. Les couples ne peuvent durer avec ces hommes qui ne souhaitent rien, surtout pas faire des enfants. J’ai songé à Jérôme Borromée de Guillaume Bourque. Sans être aussi passif, Jérôme est incapable de décider quoi que ce soi. Il tente de s’en sortir, mais reste un faible que la vie bouscule. Là aussi les femmes sont les meneuses et les agissantes.
Chez Guillaume Bourque et Renaud Jean, même chez Fred Dompierre, les adultes mâles sont des êtres éteints. Si ces personnages reflètent les jeunes de maintenant, il n’est pas étonnant de voir les filles mieux réussir à l’école. Ces garçons viennent me chercher. Des indifférents ou des délinquants qui ne pensent qu’à détruire. Mort à tout idéal. Vraiment dérangeant.

J’avais éprouvé un étonnement considérable à cette annonce de notre rupture, me demandant ce qui justifiait un tel bouleversement de notre existence. La question, toutefois, ne parvenant pas à s'exprimer, était restée en suspens. Je n’avais su qu’acquiescer à Catherine, avant de me replier dans un silence confus. Les semaines suivantes, après son départ, ayant comme perdu toute aptitude au travail, j’avais glissé dans un désœuvrement complet. (p.181)
La lecture devient une forme d’autodéfense contre le gouffre qui aspire les personnages masculins de Renaud Jean. Un monde cruel, sans espoir où les hommes et les femmes ne peuvent penser à l’avenir. J’avoue en être sorti perturbé. Un univers où le lecteur que je suis a eu bien du mal à s’accrocher. Je ne suis pas du côté de la désespérance du monde. Il faut du rêve, de l’utopie sinon la vie est absurde. Le pouvoir de rêver est peut-être ce qui rend l’existence acceptable.

Retraite de Renaud Jean est paru aux Éditions du Boréal, 200 pages, 19,95 $.