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lundi 19 mars 2012

Une enfance belle d’odeurs et de couleurs


Michèle Constantineau, dans «L’épingle à chapeau», m’a un peu dérouté au début, il faut le dire. Simone, une adolescente, part pour une fin de semaine à Val-David avec des amis. Elle quitte ses parents pour la première fois, rencontre son amoureux et puis quelques pages plus loin, le personnage semble s’être évanoui. Il m’a fallu un certain temps pour comprendre que j’avais affaire à la même personne. La narratrice raconte sa vie en faisant des bonds dans le temps et l’espace. Une fois le fil retrouvé, j’ai suivi l’interlocutrice avec plaisir.
Comment ne pas apprécier ces moments de vie qui se moquent de toute chronologie? Après tout, la mémoire est rarement linéaire et souvent elle se permet des sauts en avant et en arrière.
Il reste ces traces indélébiles, ces nœuds qui échappent à tous les glissements et créent un récit qui, parfois, peut prendre des directions étonnantes.

Un album

Michèle Constantineau jongle avec des souvenirs, des moments qui s’animent au fil des pages. Un périple plein de bonheur et de tendresse.
«Marie-Ange n’est plus. La cuisine des jeudis a disparu. Mais les images demeurent. Comme une danse entre le comptoir et le four, une symphonie chimique se transposant en odeurs, en couleurs, en chaleur.» (p.27)
On retrouve la petite Simone à l’école primaire, avec ses amies et un petit garçon solitaire. Des vacances dans la région de Rawdon avec une grand-mère sévère et aimante à sa manière, des tantes solitaires qui la gâtent. Des secrets à peine effleurés pour préserver le charme et l’aura du mystère.
«Son col monte jusqu’à son cou et doit se fermer derrière, sous son chignon gris, car je ne vois nulle attache. Aucune dentelle nulle part. Tout chez elle est sombre. Cela ne m’effraie pas, j’y suis habituée. Ne bougent dans le soleil que ses mains aux longs doigts. Avec son petit couteau, grand-mère gratte la pelure effilochée des grelots nouveaux. Sur ses mains, des taches brunes. Brunes comme les patates que gratte grand-mère dès que la lumière d’été commence à décliner.» (p.40)
Des amours, des amitiés, des moments de pur bonheur dans une campagne qui distille les odeurs et les saveurs. Les différends des parents aussi, une mère que l’on sent malheureuse, un père qui, malgré certains efforts, reste prisonnier peut-être des toiles qu’il peint jour après jour. Madame Constantineau préfère souvent laisser le lecteur deviner. Elle préfère aussi demeurer fidèle à la petite fille de l’époque. Rarement elle laisse la parole à l’adulte qui pourrait expliquer bien des choses et piétinerait le mystère.

Pudeur

«À certaines minutes, je ferme les yeux et j’inspire, essayant de départager les sensations qui m’enveloppent. Dans un élan de camaraderie, j’essaie de donner à chacune un nom, j’échoue, puis, comme ça ne change rien, j’éclate alors de rire en rouvrant les yeux. Dans cette île de foin, de lumière, de chaleur et d’odeurs, à bras ouverts je vis l’été, je suis l’été.» (p.59)
Michèle Constantineau raconte en souriant tout ce qui fait la vie, ce qui demeure quand on se retrouve avec plus de passé que d’avenir.
«Alors la lune est venue vers Simone la vieille, comme elle était venue vers Simone bébé. Elle entre par une fenêtre ouverte, par le trou de la serrure ou, comme ce soir, se faufile à travers les rideaux qu’une main impatiente a tirés pour qu’enfin Simone dorme. Et Simone sourit. Elle reconnaît son amie. Se rappelle aussi combien elle avait été heureuse de la retrouver, il y a si longtemps, dans son premier livre de lecture: la la la… lu, lu, lu… la lune.» (p.131)
Une manière impressionniste d’écrire qui convoque tous les sens.
Une sorte d’album de photographies qui vibrent quand l’auteure les effleure du bout de la mémoire. Des confidences, des propos qui font du bien et qui démontrent un bel appétit pour la vie dans ce qu’elle a de plus tendre et de plus marquant. Récits pleins de finesse. Une écriture que l’on savoure comme une orange juteuse dans le plus chaud et le plus beau du jour.

«L’épingle à chapeau» de Michèle Constantineau est paru aux Éditions de la Pleine lune.