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mercredi 2 mars 2011

Marie-Renée Lavoie croit au bonheur

Des personnages attachants, un milieu de vie qui collectionne les originaux, de l’empathie et de l’humour. Voilà qui explique peut-être le succès de  «La petite et le vieux» de Marie-Renée Lavoie.
Hélène veut être un garçon et il faut l’appeler Jo. Elle a la tête bourrée d’histoires et son héroïne préférée, à la télévision, affronte le monde l’épée à la main. Une fille que l’on prend pour un homme et qui ne recule devant rien.
Le père de Jo enseigne et tente d’oublier sa vie terne et ennuyante. Il boit à en perdre la raison parfois. La mère dirige ses filles au doigt et à l’oeil, met un terme à toutes les discussions par un «c’est toute». Après cette sentence, tous savent à quoi s’en tenir. 
«Je n’avais pas peur de ma mère, je savais seulement qu’il n’était pas possible de tailler, ne serait-ce qu’une toute petite brèche, dans son imprenable personnage. Pas la peine de se plaindre, de chialer, d’argumenter, de se monter un plaidoyer. Insister ne pouvait que condamner à une abdication des plus humiliantes. Je le savais pour m’être quelques fois frottée à son opiniâtreté.» (p.26)
Le quotidien est réglé au quart de tour. Les repas de la famille sont programmés selon les jours et reviennent avec les semaines et les saisons. Quelques petites douceurs ici et là brisent la routine.

Le voisin

Roger aménage dans la maison voisine. Il ne peut ouvrir la bouche sans se répandre en sacres et blasphèmes. Sa principale occupation consiste à surveiller la rue et à vider les bières qu’il achète au dépanneur du coin. Malgré les apparences, c’est un cœur d’or qui trouve une solution à tous les problèmes.
«Ses dons de chaman avaient d’ailleurs rapidement fait le tour du quartier, et d’aucuns faisaient maintenant des petits détours par notre rue pour une consultation rapide qu’ils se faisaient le devoir de récompenser par de menues nécessités : bière, tabac, casquette des Expos pour les intempéries, etc. J’apprenais.» (p.35)
Il vivra une belle amitié avec la jeune fille.

Travail

La famille arrive mal à joindre les deux bouts et Jo, inspirée par son modèle télévisuel, tente de venir en aide à tout le monde. Les vrais héros combattent injustice et misère. Elle triche sur son âge, livre le journal à cinq heures du matin, hante les rues et croise d’étranges personnages. Elle peut ainsi glisser des billets dans le portefeuille familial pour arrondir les fins de mois et soulager sa mère. Une agression mettra fin à cette aventure. 
Elle deviendra serveuse au bingo. Un travail qui lui permettra d’amasser les dollars et de travailler dans un restaurant plus tard.
Pendant tout ce temps, la vie se plaît à compliquer les choses et à malmener les gens du voisinage. Tous affrontent leurs lots de difficultés, surtout les dépourvus assez nombreux dans le quartier. Un accident immobilise sa petite sœur. Même Roger qui a des remèdes à tout, ne peut contrer une crise cardiaque.
 
Apprentissage

«La petite et le vieux»  est un long apprentissage de la vie. Jo finit par devenir une fille même si l’un de ses seins tarde à se pointer.
«- Non. Commence pas avec ça. Il va pas dégonfler non plus. Au contraire, il va continuer à pousser, pis c’est ben correct de même. Tu vas être ben contente qu’il pousse même. Pis l’autre aussi va se mettre à pousser à un moment donné. On va même souhaiter qu’il devienne à peu près aussi gros que l’autre. Là, il retarde juste un peu, pour une raison qu’on connaît pas, pis c’est juste pour ça qu’on va aller voir le médecin.» (p.202)
Hélène prend conscience des injustices, de la dureté du monde, du vide que la mort laisse auprès des survivants. Un personnage d’enfant qui rehausse l’univers romanesque du Québec déjà assez bien pourvu dans le genre. Hélène peut regarder Monsieur Émile droit dans les yeux.
Un vrai plaisir pour le lecteur. C’est frais, étonnant et immensément sympathique. Toujours juste et bien maîtrisé. Un roman qui fait croire que la vie et le bonheur sont possibles, malgré les embûches et les mauvaises surprises. 

«La petite et le vieux» de Marie-Renée Lavoie est publié chez XYZ Éditeur.

dimanche 27 février 2011

Gilles Archambault et le blues de la vie

La constance de Gilles Archambault a quelque chose d’admirable. Quand on sait que «À voix basse» a été  publié en 1963, il faut parler d’un véritable engagement. L’écriture est certainement existentielle chez lui. Il a toute mon admiration pour cette longue carrière qui le propulse rarement à l’avant-scène.
«Un promeneur en novembre» regroupe dix-sept nouvelles d’une dizaine de pages. Un titre évocateur parce que les héros d’Archambault sont souvent des flâneurs qui ne s’attardent guère aux êtres et aux choses même s’ils demeurent conscients et attentifs. Un peu distants aussi, mais en éveil, avec une petite agitation intérieure qu’ils n’arrivent jamais à apaiser.
La manière de l’écrivain est là, inimitable. Il est question de solitude, du vieillissement, sans basculer dans la nostalgie ou cette colère qui habite souvent ceux et celles qui avancent en âge. Ses personnages sont au-delà de la frénésie et des grandes agitations amoureuses. Des solitaires qui tournent dans leurs habitudes, oubliant un peu leurs amis et la famille. Ils sont des témoins qui vont sans vraiment juger, sans jamais se culpabiliser, sans pouvoir se livrer non plus.
«Comment lui dire que c’est plutôt le silence de ma fille qui me pose problème ? Je ne vois Cléa qu’une fois par an à peu près. A chaque occasion, elle me paraît distante. Je l’invite au restaurant. Nous parlons peu. À peu près jamais de choses que j’ai à cœur.» (p. 11)

Constance

Des personnages qui ont de la difficulté à communiquer même s’ils écrivent. Peut-être que tous les mots ont été dits, que tout verbiage est futile. Ils se croisent, se rencontrent par habitude, par obligation presque.
«Depuis la mort de Claire, je ne reçois personne. Il arrive même que la présence de mon fils m’incommode. Quant à ma fille, il y a bien sept ans que nous sommes l’un pour l’autre de parfaits inconnus. Le regrette-t-elle ? Je l’ignore. Moi je ne sais plus.» (p.48)
Parce qu’avec le temps, les liens se défont. Il ne reste qu’un appartement, des tournées qui ressemblent à celles que les trappeurs exécutaient machinalement dans la forêt. Une manière de vivre où les attentes se diluent, les désirs se taisent. Reste l’empathie envers les proches, une générosité même. Ils peuvent aider un voisin, une connaissance sans pour autant se compromettre.
«Une fragile immortalité, c’était notre état, après tout. Toute bringuebalante qu’elle était, notre espérance valait bien la fausse sérénité qui était maintenant la nôtre. J’ai déjà eu vingt ans. Tout aussi malheureux que je le suis à soixante, je tenais au moins pour éloignée la présence de la mort. La perspective du néant se dessinait à peine.» (p. 53)
Les personnages d’Archambault ne changent guère en avançant dans la vie. Ils ont toujours été mal à l’aise en société, sans jamais pousser de cris, malgré une inquiétude toujours présente. Ils sont de la couleur des jours de novembre qui jettent l’ancre quand toutes les extravagances de l’automne ne sont que souvenirs. Ils vont, saluent un passant, empruntent une direction qui n’a pas d’importance et pratiquent une suprême discrétion. Des solitaires que la vie a en quelque sorte un peu anesthésié. Ils continuent avec ce petit tremblement qui secoue la morosité des jours.
Que dire quand la mort se profile et que la maladie vous malmène...
«Quand je suis monté dans le taxi tout à l’heure, j’ai pensé une fois de plus à ce que Janine était pour moi. À l’heure présente, Claude est peut-être mort. Un vieillard penché sur sa canne me dit que nous connaissons un automne exceptionnel. Je ne le démens pas. Encore une fois refaire mon parcours, puis j’entrerai à l’hôpital.» (p.231)
La vie est un lent dépouillement, une promenade qui finit toujours par un arrêt. Les nouvelles de Gilles Archambault s’installent comme une petite musique qui ne vous lâche pas. C’est là toute la magie de cet écrivain. Ses textes sont une confidence, un murmure qui vous suit à quelques pas derrière, dans une inquiétante discrétion.

« Un promeneur en novembre » de Gilles Archambault est publié aux Éditions du Boréal. 
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/gilles-archambault-148.html