ALEXANDRE Mc CABE publie un second roman avec Une
vie neuve. On constate rapidement que ce romancier a de la suite dans les
idées. Il y est encore question de la famille, c’était le sujet de Chez la reine paru en 2014. On retrouve avec
bonheur sa passion pour l’actualité politique et littéraire. Ce que beaucoup
d’écrivains préfèrent ignorer. Je garde en mémoire une scène de son roman Chez la reine où l’on assistait à une
confrontation épique entre le grand-père indépendantiste et un oncle
fédéraliste lors d’une fête familiale. Elle illustre parfaitement le
déchirement que les Québécois vivent sans être capables de se brancher. Une
magnifique façon d’aborder les grandes questions identitaires sans devenir
pédant. Le politique finit toujours par se faufiler dans le privé.
Les trois frères Leduc et leur sœur sont bien installés dans la vie.
Tous ont fait leur chemin et chacun a sa conception de la société et de ce que
doit être l’avenir du Québec. Ils n’ont plus de liens entre eux et ils sont
devenus des étrangers. Philippe est avocat et décide de l’avenir du haut de sa
tour, travaille pour une élite qui s’approprie toutes les richesses et tire
toutes les ficelles. Il doit céder cependant devant sa belle-fille qui veut la tête
d’un jeune contestataire. L’impression de revivre le drame de Judith devant
Holopherne. L’ombre de Gabriel Nadeau-Dubois se profile. Inutile de chercher à faire des associations avec des personnages connus. Il faut seulement se laisser porter par le récit.
Philippe est de ceux qui font en sorte que notre démocratie sert les intérêts d’une clique. Cette première partie fait écho à la contestation étudiante du printemps érable de 2012, aux carrés rouges qui ont fait retenir le son des casseroles partout dans Montréal.
Philippe est de ceux qui font en sorte que notre démocratie sert les intérêts d’une clique. Cette première partie fait écho à la contestation étudiante du printemps érable de 2012, aux carrés rouges qui ont fait retenir le son des casseroles partout dans Montréal.
Forts de leur expérience dans les firmes de relations publiques
et grâce à une plateforme léchée ainsi qu’à une diffusion facilitée par les
contacts dans les salles de presse, ils avaient trouvé écho chez des
journalistes complaisants qui prophétisaient l’essor d’une nouvelle garde. On
leur avait offert une tribune pour des textes présentés comme polémiques. Ceux
que Philippe avait lus lui avaient toutefois paru insipides et l’avaient rendu
nostalgique de cette époque où il lisait Cité
libre. S’il se réjouissait de voir la prochaine génération, qu’on disait
apathique, s’investir dans le débat public, il s’inquiétait de la vacuité de
ces jeunes loups plus occupés à briller qu’à penser. (p.19)
Peut-être que Mc Cabe a ressenti un certain malaise devant ce
personnage qui me semble loin de ses préoccupations. Les dialogues un peu longs
grincent un peu, mais comment incarner des ombres qui mangent à tous les râteliers.
L’ERRANT
Et arrive Benoît. Après une peine d’amour, il choisit de se refaire
une santé morale et physique en se lançant sur les chemins de Compostelle. Bien
des jeunes retraités entreprennent de parcourir l’Europe à pied pour se
retrouver dans leur corps et leur tête. Même Sergio Kokis a succombé aux
charmes des randonnées au long court.
Benoît travaille dans les médias et rêve d’accéder aux ligues
majeures de la radio et de la télévision à Montréal. Et le voilà qui s’essouffle
derrière la belle Clara qu’il suit comme son ombre. Nous plongeons dans un
carnet de voyage où les dialogues sont écrits à la manière théâtrale. Des
rencontres, des discussions et surtout cette fille comme un soleil. Benoît
complète son trajet et tourne les yeux vers une autre femme. C’est ainsi. Notre
homme est un amoureux de l’amour comme il dit. Le rythme est soutenu et on
s’attache à cet individu qui a du mal à vivre. Il illustre bien une certaine
jeunesse qui n’arrive pas à s’installer dans la vie.
VRAI
DÉPART
Mc Cabe m’a accroché avec le témoignage de Jean, un sociologue qui
a vécu la Révolution tranquille. Il a croisé des êtres d’exceptions et a
toujours cru que l’émancipation personnelle ne peut que coïncider avec l’indépendance
du Québec. Il livre ses derniers propos, sachant que sa vie en est au dernier
tournant. Un penseur qui tente de prévoir comment le Québec va réagir quand il
deviendra un pays. Un regard assez percutant sur les hommes politiques qu’ont
été René Lévesque, Pierre Bourgault, Jacques Parizeault, Jean Lesage, Georges-Émile
Lapalme et le général de Gaulle. Des propos d’une intelligence vive. J’ai
ressenti un immense soulagement à lire ces pages, à le voir secouer des lieux
communs, bousculer l’histoire contemporaine et notre époque. Sans doute des
affirmations que les critiques n’aimeront pas. Les littéraires ont tellement de mal
avec les idées au Québec. Longtemps, trous ont condamné les œuvres de fiction
qui osaient effleurer la question politique ou encore citer des penseurs et des
philosophes. On préférait l’ignorance et le ti-cul qui s’enfarge dans la
misère, la drogue et la bière. Alexandre Mc Cabe me rassure. Je répète un peu
ce que je disais en parlant de son premier roman. Il est de ces jeunes qui
tentent de voir clair dans la situation embrouillée du Québec. Enfin quelqu’un
qui échappe au selfie et qui émet des
idées. Je suis prêt à pardonner bien des faiblesses pour avoir droit à cette
récompense, à des propos qui font du bien à l’être plein de questions que je
suis.
MARIE
Enfin Marie, la fille de la famille, est devenue peintre. Ce n’est
pas elle qui s’impose comme dans les trois premiers volets d’Une vie neuve. Marie est vue par
Charles, un ami de ses enfants, un enseignant et un poète. On découvre une
femme fascinante et marginale. Elle a refusé d’emprunter les sentiers de l’art
contemporain et croit que l’artiste doit bousculer des croyances et secouer la
réalité. La fuite dans l’abstraction, dans des concepts creux, ce n’est pas
pour elle.
Charles enseigne la littérature et en parle avec intelligence. Pour
lui, un écrivain ne peut que s’ancrer dans sa réalité et son environnement. Sinon,
nous avons affaire à un cracheur de feu et à un illusionniste. Malheureusement,
ils sont fort nombreux dans notre époque à écrire leurs petits livres au goût
du jour, à être de toutes les émissions où l’on n’arrive qu’à parler de soi,
qu’à ressasser des opinions et très peu d’idées.
Charles montre le rôle de Miron, son travail et son héritage. La
mission que doivent se donner les poètes de maintenant qui ont malheureusement
réduit leur art à l’ego-portrait et à une longue liste de petites émotions qui
vacillent devant une fenêtre ouverte. La mission de durer, de continuer le
travail des prédécesseurs incombe encore et toujours aux poètes et aux
écrivains de maintenant.
L’émancipation québécoise est devenue aujourd’hui la pire des
abjections. Avant, on la célébrait. C’est désormais la gangrène des croulants
qui refusent l’euphorie canadienne. Notre littérature doit s’ouvrir aux autres,
délaisser le passé, c’est le mot d’ordre. Je suis bien d’accord, mais est-ce
qu’elle doit pour autant arrêter de parler du Québec, de le faire avancer ? Les
écrivains allemands, portugais ou américains ne le feront pas pour nous. Quiconque
est décomplexé n’a pas honte de se raconter, de se montrer tel qu’il est.
Quiconque va au bout de sa langue et de sa culture va au bout de lui-même.
(p.155)
Mc Cabe se démarque en effleurant la responsabilité de l’écrivain
dans le monde d’aujourd’hui. Il me tend la main et je ne peux que lui dire de
continuer, parce que c’est ce que je fais depuis que j’ai publié une première
fois en 1970, me lançant dans la poésie comme on se jette dans une rivière aux
eaux tumultueuses. Je me nourrissais alors de Langevin, Miron, Préfontaine,
Chamberland et Giguère. La poésie telle que je la conçois et comme Mc Cabe
semble la considérer, est une corde tendue au-dessus d’un précipice,
Où est passée la fougue homérique de Miron ? Nous avons pourtant
son travail à continuer. Nous avons à bâtir sur les charpentes de sa poésie.
C’est la suite de L’homme rapaillé
qu’il faut écrire. S’il s’est rapaillé lui-même, et le Québécois en lui, il
faut empêcher que ces deux-là ne se défassent encore. Je ne dis pas qu’il faille
reprendre la manière. Je dis qu’il faut refondre notre art à partir de
trois-quatre grandes idées qu’il nous a laissées, la première étant
l’impossibilité d’une littérature dans une province anonyme. Notre sort et nos
textes doivent se conjuguer de nouveau. Sinon, nos écrivains fabriquent une
maison de paille. (p.149)
Voilà une véritable récompense pour le « chroniquer vieillissant ».
Je reprends ici la formule de Victor-Lévy Beaulieu.
Les deux derniers textes d’Une
vie neuve devraient être lus dans toutes les classes des cégeps et même dans les instances du Parti québécois où l’on effleure toujours du bout des lèvres certaines œuvres de la littérature québécoise. Mc Cabe nous
pousse devant une réalité que nous aurons à choisir un jour ou l’autre. Parce
qu’à être en n’étant toujours pas, « dans un pays qui n’est toujours pas un
pays », (encore Victor-Lévy Beaulieu), on risque de perdre son âme. Alexandre
Mc Cabe croit en l’avenir. Il me dit de continuer à parler des écrivains du
Québec, envers et contre tous, pour répéter encore et encore que nous avons une présence et une
voix. Et cet écrivain justifie la toute dernière phrase de mon prochain
roman : « Il y a encore de l’espoir. »
UNE VIE NEUVE
d’ALEXANDRE Mc CABE est
une publication des ÉDITIONS
de LA PEUPLADE.