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jeudi 8 mars 2007

Jean Désy fait de sa vie une aventure

Jean Désy, médecin et romancier originaire de Kénogami, sillonne le Nord du Québec depuis des décennies. Un pays de neige et de froid que la plupart des Québécois méconnaissent.
Dans les nouvelles télévisées, à part la météo, on parle du Nunavik pour montrer des jeunes qui inhalent des vapeurs d’essence ou des drogues. Les suicides aussi font les manchettes. Pour beaucoup, ce territoire n’est que rivières qui servent à produire de l’électricité. Un espace à peu près vierge que des exploitants peu scrupuleux transforment en dépotoir. On a vu des images révoltantes à Radio-Canada. Des entreprises minières ont tout saccagé, y laissant la désolation après leur passage.
Territoires des Cris, des Inuits, des aurores boréales et des ours polaires que la fonte de la banquise menace; pays où se heurtent la modernité et les traditions. La sédentarisation a fait perdre pied à ces nomades qui cherchent des balises.
«Un jour que je lui rendais visite, madame Annanack me dit: «Il faudrait qu’ils retournent dans la toundra.» Elle pensait à ses petits-enfants, à deux de ses petits-fils qui s’étaient pendus trois mois plus tôt, à quelques jours d’intervalle, le premier après une peine d’amour, le second à cause du suicide de son frère.» (p.112)

Fascination

Jean Désy, dans plusieurs de ses ouvrages, décrit ces espaces où il a œuvré comme médecin dans des conditions de travail à faire frémir. Il nous entraîne aussi dans des expéditions où la moindre erreur peut coûter la vie. Désy ne maquille rien de ce pays aux humeurs climatiques imprévisibles et à la beauté époustouflante.
«Un jour, je mourrai dans la toundra. Je ne veux pas mourir dans un hôpital, jamais ! Je passe ma vie à l’hôpital, auprès des malades, convaincu que ce n’est pas là qu’il faut mourir : trop de soignants épuisés, trop de microbes, trop de tristesse entre les murs défraîchis. J’ai dit à Samuel que je n’en pouvais plus d’entendre les cris d’Akinésie ou des autres malades chroniques. Et cette histoire sordide de petite fille violée… Soigner les femmes enceintes, les bébés, les vieillards, ça me va. C’est pour ça que j’ai été formé. Mais endurer les cris des malades d’Alzheimer, leurs odeurs…  Endurer la folie des autres…» (p.75)

Là où tout est possible

Dans «Au nord de nos vies», Jean Désy reprend neuf textes qu’il a publiés dans «Médecin du Québec». Julien, son héros, avec quelques infirmières, tente de sauver des vies, se questionne devant les jeunes qui jouent avec des armes et se blessent, les viols d’enfants qui arrivent quand l’alcool et la drogue tuent la raison. Il parcourt ce pays vaste comme un continent, déchiré entre le Nord et le Sud, tente d’échapper, peut-être, au vertige de la civilisation. Il est lui aussi un nomade que le monde étouffe, semblable aux Inuits «tués dans leur esprit» par la quincaillerie de la consommation.
Plusieurs époques se heurtent dans ces villages cernés par le blizzard, où les hommes et les femmes sont minés par tout ce que les avions apportent à chaque semaine du Sud.
Que ce soit dans «Au nord de nos vies» ou «L’île de Tayara», Jean Désy sait ressusciter des désirs que nos vies parfaitement organisées ont étouffés. Il insuffle l’envie de se surpasser et de faire de nos jours une véritable aventure. Cet écrivain unique est un souffleur de rêves qui fait de ses jours une fiction et de ses romans, une quête. Un humaniste qui témoigne d’une grande compassion envers les hommes et les femmes du Nord.
On devrait lire «Le coureur de froid», «L’île de Tayara», «Carnets de l’Ungava», et «Au nord de nos vies», dans les écoles. Les jeunes apprendraient que l’aventure existe près de la baie d’Hudson, dans un pays où tout échappe au rationnel. Il suffit de lever la tête et l’espace est là, hypnotisant et dangereux. Un pays où la quête va de soi, où l’on peut aller au-delà du quotidien pour effleurer, peut-être, une forme de sagesse. L’ailleurs est ici. Là, tout près, dans une immensité qui change ceux et celles qui ont le bonheur d’y vivre et d’y croiser des êtres exceptionnels.

«Au nord de nos vies» de Jean Désy est publié chez XYZ Éditeur.