Le frère Marie-Victorin est bien connu pour son travail
scientifique et particulièrement pour La
flore laurentienne qui fait encore autorité même si l’ouvrage a été publié
pour une première fois en 1935. Je garde précieusement ses Récits laurentiens parus en 1919 dans une édition qui ne se fait
plus et qui demeure un objet précieux. Une pièce d’anthologie, je crois. C’est
à lui aussi que nous devons Le Jardin
botanique de Montréal qui a été érigé à partir de 1931, surtout de l’avoir voulu
dans l’est de la ville malgré un tollé de protestations de la part des biens
nantis de l’Ouest. Ce lieu tient tellement de place dans l’œuvre romanesque de
Nicole Houde qu’il faudrait songer peut-être à y signaler sa présence dans un
petit espace, tout près des magnolias, qu’elle aimait tant. Ce que le public
connaît moins du frère Marie-Victorin, c’est la grande amitié qui l’a uni à
Marcelle Gauvreau pendant des années. Une collaboratrice, une curieuse, une
histoire d’amour certainement malgré les croyances religieuses de l’homme et de
la femme.
Le frère des Écoles chrétiennes, connu
surtout sous le nom de Marie-Victorin, était reconnu comme biologiste. Il a eu
une vie publique importante et était une figure marquante du monde scientifique
de son époque. Il était une sorte de phénomène et de vedette avant même la
dictature de l’image et des médias sociaux.
Nous savons qu’il s’intéressait aux
plantes, à la flore, mais moins que les relations sexuelles le fascinaient. Au point
d’y consacrer une partie importante de sa vie à la décrire et l’étudier. Il s’est
penché sur cette question d’une façon plutôt originale, malgré son statut de
religieux. Ce fut le sujet d’un échange épistolaire suivi avec Marcelle
Gauvreau, une scientifique qui avait un esprit particulièrement libre et
audacieux. Leurs lettres se suivront pendant une décennie.
Pas question d’allégories ou de métaphores
pour parler de la sexualité entre l’homme et la femme. Le frère Marie-Victorin y
va directement et tente de décrire le tout avec précision pour cerner des faits
et comprendre ce qui se passe physiologiquement dans l’acte qui permet depuis
toujours aux humains de se reproduire et de perpétuer l’espèce.
Mon père était un homme puissamment
sexué. C’est un trait des Kirouac qui ont tous d’énormes familles. Chez nous,
onze enfants, les cinq filles toutes vivantes. Des six garçons, je suis le seul
survivant, et vous le savez, combien difficilement ! Gène létal sur le
chromosome X probablement. Il est clair pour moi que mon père, très amoureux de
sa femme, la plus belle fille de
Saint-Norbert, ai-je toujours entendu dire là-bas, dut lui faire partager une
vie génitale très chargée. (p.58)
Le frère n’hésite jamais à parler de ces
choses en des termes précis et simples, ce qui n’était guère la norme de son
époque.
Marcelle est devenue son alliée dans
cette recherche et une précieuse collaboratrice parce qu’elle lui donnait le
point de vue de la femme. Il pouvait ainsi étudier les deux côtés de la
médaille.
CORRESPONDANCES
Des lettres étonnantes où les amis
s’attardent à décrire la sexualité et ses manifestations (dommage que l’on
n’ait pas les lettres de Marcelle Gauvreau) lors des ébats amoureux ou des
manifestations du désir et de l’attirance sexuelle. Marie-Victorin étudie
particulièrement les organes féminins et ses réactions physiques lors de
l’excitation sexuelle. Il interroge son amie sur le sujet et ils s’attardent à
décrire leurs sensations devant cette stimulation qui mobilise tout le corps.
C’est le smegma clitoridis qui est surtout la source de l’odeur génitale
féminine, l’odor di femina avec
toutes ses nuances personnelles et ses demi-tons, avec son attrait pour le sexe
mâle, lorsque le smegma est sécrété en quantités limitées. Mais la sécrétion
est exagérée (elle l’est si elle devient visible à l’oeil nu), l’odeur par
fermentation devient désagréable et même… pire, surtout s’il y a d’autres
sécrétions surajoutées : urines, menstrues, etc. Vous savez beaucoup mieux
que moi, sans doute, quels sont les soins de propreté à apporter en cette
matière. (p.69)
Les deux restent des observateurs méticuleux
et cherchent à comprendre ce qui entre en interaction chez la femme et l’homme
lors des approches sexuelles. Le frère force Marcelle à être plus précise et
l’encourage à être attentive lors de certaines expérimentations. Les deux font
fi des tabous qui faisaient que les religieux parlaient peu de ce sujet et
utilisaient souvent un langage allégorique quand ils abordaient la question. La
sexualité étant réduite souvent à l’acte qui permettait la reproduction et rien
d’autre.
Je n’ai jamais vu ou assisté à des
marques d’affection entre mon père et ma mère. Jamais mes parents n’ont
manifesté leur attirance ou le plaisir devant nous les enfants. Pourtant, ils
ont eu une famille nombreuse. Toute leur sexualité est demeurée secrète et
discrète. Un sujet tabou. Cet aspect de la vie prenait parfois des allures démentes
chez certains hommes de la paroisse, allant jusqu’à l’agression et le viol. La
littérature nous raconte souvent des histoires horribles et j’ai affronté ce secret dans Les Oiseaux de glace où je raconte le calvaire d’une de mes tantes,
battue et violée par son mari, avec la complicité du curé et de tout le monde
qui fermait les yeux.
Je ne sais pas si vous avez besoin de
ce que je vais vous dire. Peut-être ! C’est vous qui savez si cette nécessaire
manipulation du clitoris causera érection et peut-être orgasme et décharge.
Mais le bon sens, d’accord avec la théologie, indique que, le but de la manipulation
étant légitime, les effets secondaires sont légitimes aussi. Il ne faut dont
pas se troubler ni hésiter. Ni l’érection ni l’orgasme ne sont d’ailleurs des
maux, ce sont des actes naturels dont on peut abuser, voilà tout. (p.92)
Le frère Marie-Victorin fait preuve d’une
ouverture d’esprit remarquable et trouve ces plaisirs normaux et sains. Il se marginalise
du milieu religieux et de ses confrères même si jamais il interroge sa foi.
Cette correspondance lui permet d’aller très loin dans cette recherche et
surtout dans la compréhension des contacts entre l’homme et la femme.
CUBA
Le religieux, lors de ses séjours à Cuba,
rencontre des prostituées et observe leurs comportements lors de leurs sessions de travail. Il reste celui qui
regarde et étudie l’orgasme de quelques filles. C’est un peu troublant, surtout
quand on apprend que l’une des filles était sans doute d’âge mineur. Il raconte
ces séances d’observations à Marcelle dans le moindre détail.
Et maintenant, une troisième femme.
Lydia, courtisane. Je vous ai dit déjà que je pense que rien de ce qui est
humain n’est interdit à la curiosité scientifique, et que j’assisterais en
toute tranquillité de conscience à un coït si l’occasion m’en était donnée sans
scandale. Cette occasion s’est présentée, et j’ai fait, en même temps que des
observations biologiques de très grand intérêt pour moi, une grande expérience
humaine qui m’a ouvert les yeux et m’a rendu encore plus bienveillant, s’il
était possible. (p.147)
Il ne faut surtout pas se scandaliser
même si notre époque veut que l’on brise toutes les statues en se penchant sur
la vie et les agissements de ceux qui ont fait l’histoire. Le frère
Marie-Victorin n’avait rien d’un prédateur et d’un pédéraste. Il reste le
témoin et n’ira jamais jusqu’à expérimenter l’acte sexuel, même par esprit
scientifique.
Une attitude originale dans une société
pudibonde qui faisait tout pour dissimuler cet aspect de la vie même si elle était
omniprésente dans les nombreuses familles.
Malgré tout, le frère prouve qu’il est
bien un homme de son époque dans certains aspects de la vie. Il aura de la
difficulté à comprendre et accepter l’homosexualité.
C’est une terrible histoire que vous
me racontez là au sujet de ce prêtre homosexuel ! Mon Dieu, vous avec de la
déveine, dans votre famille. Je n’oublie pas l’assaut que vous avez subi de la
part du vieillard lubrique (que j’ai vu et entendu à l’hôtel Pennsylvania !),
du vieux cochon de la Rivière-Beaudette, etc. L’homosexualité poussée à ce
point est une véritable maladie, qui déshonore le monde des intellectuels. Il
faut pardonner au prêtre qui, en un jour d’égarement, cède à son tempérament et
goûte de la femme, fruit défendu pour lui. Il faut plaindre l’homosexuel emporté
par une tendance biologique anormale dont il n’est pas entièrement responsable.
Mais le ménage à trois, combinant toutes les turpitudes, est quelle chose
d’innommable, quoique pas nouveau. Mais retenez bien que les pervertis ont
l’horreur de la femme. (p.136)
Tout comme il écrit des généralités sur
les Noirs qui peuvent faire sourciller. Certains commentaires aussi sur la
sexualité féminine démontrent qu’il était très bien intégré à la société
patriarcale et à la mentalité religieuse qui régnait sans partage alors sur le
Québec.
Une correspondance étonnante, des propos
qui ne disent pas tout et qui laissent des questions sans réponses. Chose
certaine, le frère Marie-Victorin avait une moralité et une pensée qui se
distinguaient de la norme de son temps. Une approche ouverte et permissive qui
donne un portrait tout à fait différent de ce que nous entendons normalement de
la Grande Noirceur où nous avons l’impression que tout était interdit, surtout
en ce qui concerne la sexualité.
Un livre qui fait du bien et qui montre
que la pensée avait sa place même dans un milieu social où tout était contrôlé par
la confrérie religieuse qui avait tendance à voir le mal dans tous les agissements
des femmes et des hommes.
LETTRES BIOLOGIQUES
du Frère MARIE-VICTORIN est une publication des ÉDITIONS du
BORÉAL.