Marc Forget signe avec «Versicolor» un premier roman remarquable. Ce jeune médecin a connu la Course destination monde et partage maintenant son temps entre le Grand Nord et des missions humanitaires. Peut-être l’écriture depuis peu.
«J’errais de promesses en promesses, jusqu’à ce que Marianna me glisse qu’elle était fatiguée et malheureuse. Qu’elle ne passerait pas sa vie à m’attendre. Que derrière chacune de mes nouvelles lubies (nous élèveronsMarianna, après bien des promesses et des attentes, décide de rompre avec son amoureux. Elle n’en peut plus des atermoiements et des fuites de David. «Tu m’aimes quand je suis loin», dit-elle.
David a toujours été ailleurs, incapable de vivre auprès de cette femme qu’il aime pourtant. C’est un torturé, un déchiré qui a du mal à s’engager dans une relation sérieuse. des enfants sur un voilier ! On ouvrira une micro-brasserie aux Iles-de-la-Madeleine ! Je vais faire des meubles ! On va écrire une bande dessinée avec une héroïne qui s’appellera Simone !) se cachait un rêveur frustré dont les accomplissements réels ne reflétaient qu’un minuscule centième de ses désirs. Qui ne pense qu’à lui. Un égocentrique.» (p.17-18)
Cette séparation qu’il a cherchée par son indécision, son éloignement et ses promesses jamais tenues, le bouleverse.
Départ
Pour s’oublier peut-être, David part en mission au Soudan. Il sera confronté à la maladie et la misère, devra improviser et se débrouiller avec les moyens du bord.
«Crever les abcès, nettoyer des ulcères tropicaux qui évoluent depuis des mois et qui puent la nécrose. Amputer des doigts rongés par la gangrène. Faire des lambeaux de peau pour couvrir le moignon, à partir de l’illustration d’un livre que Paula, ma collègue australienne, tient dans ses mains. Retirer par dizaines les asticots qui se sont multipliés dans l’oreille d’un enfant. Si loin qu’il n’y a plus de tympan ni d’osselets ni rien d’autre. Seulement une grosse cavité où grouillent des vers blancs. Un endroit si profond que je me demande si on peut encore appeler ça une oreille.» (p.50)
Ces travailleurs ont un petit quelque chose de singulier. Plusieurs ont fui leur pays, leur milieu, des conditions de travail qui n’ont rien à voir avec ce qu’ils doivent confronter à tous les jours. De quoi oublier ses problèmes de cœur et son spleen. Tous sont en processus de guérison en quelque sorte.
David attrape une étrange maladie qui le plongera dans le coma. Il sera rapatrié plus mort que vivant. Il a eu le temps de croiser Érika, de vivre le début d’un grand amour. Il entreprend le long retour vers la santé. Il peut compter sur sa sœur Ariane et son ami Loïc, un cinéaste. Érika viendra le rejoindre et on le croit sur le bon chemin. Surtout qu’il s’occupe au film de son ami et que sa fougueuse copine se retrouve enceinte.
Il tente de s’accrocher, mais quand le corps flanche, que faire… La maladie l’avale peu à peu. Il aura eu la chance de vivre l’illumination de l’amour, de compter sur des amis indéfectibles, de savoir qu’il aura un fils.
Confrontation
«Versicolor» devient une quête de sens, le témoignage d’une vie trop courte. Ici comme au bout du monde, les humains doivent confronter la vie et la mort.
«Avant de partir, je le serrais dans mes bras. Ses doigts gourds ne me lâchaient plus. J’étais convaincu du bien-fondé de ma démarche. Je me disais que le problème, c’était la vérité. Souvent, elle est trop fade. Les fictions, on les remplit comme on veut. Elles contiennent plus de vérité et sont plus pertinentes que la vérité elle-même.» (p.236)
Marc Forget effleure l’essentiel, confronte l’amour, la passion, l’amitié, la vie dans ce qu’elle a de plus simple et de plus difficile. Son roman est souvent touchant, émouvant même. Tout est poussé à son paroxysme. L’amour comme la douleur, la passion comme l’amitié. Les survivants en ressortent ébranlés dans leur âme et leur corps. La vie est impitoyable dans sa beauté et sa cruauté.
Un texte senti, puissant qui dit ce que l’humain tente de fuir et doit confronter à un moment ou l’autre. Le lecteur en sort ébranlé.
« Versicolor » de Marc Forget est paru aux Éditions XYZ.