Jean Paré, ex-journaliste et directeur du magazine L’actualité, conseille à son lecteur de «ne pas lire d’un trait» Le calepin d’Érasme. Sage recommandation.
Il faut du temps et de la lenteur pour savourer ses propos, s’imprégner de ces
fragments qui vont un peu dans toutes les directions. Un livre qu’il faut
fréquenter avec modération, en se moquant du temps. Pour tout dire, un livre
pour flâner, où piger une idée, une phrase que l’on retourne dans sa tête
pendant des heures.
Jean Paré va d’un mot à
l’autre, d’une expression à une formule, s’attarde à des sujets de l’actualité
et des lectures, la plupart assez anciennes. Il faut préciser qu’il a suivi
scrupuleusement les directives d’Érasme qui écrivait en 1512.
«Annotez vos livres, notez
les mots qui vous frappent, les nouvelles idées, les éclairs de style, les
exemples, les adages, les brèves remarques qu’il vaut la peine de mémoriser (…)
Gardez un petit carnet, divisé par matières de façon à pouvoir copier, chaque
fois que vous tombez sur quelque chose qui vous semble valoir la peine, ou
noter les gloses qui viennent à l’esprit à la lecture.» (p.5)
Comme quoi certains propos savent
s’arracher au temps et aux modes. C’est peut-être ce que nous tentons tous de
faire quand nous avons réussi à déjouer les carcans du travail et les horaires
qui décident de vos journées.
Préoccupations
Peu à peu nous découvrons les
préoccupations du journaliste qui ne dédaigne pas la polémique. C’est tout à
son honneur en cette époque où l’art de la communication a développé jusqu’au
vertige les formules qui masquent la réalité, où l’opinion fleurit sur les
médias sociaux faute d’avoir des idées.
Le pays rêvé qu’est le
Québec, le Canada de Stephen Harper, certaines émissions à la télévision et la
langue des Québécois. Voilà qui fait le charme de ce carnet qui met souvent le
doigt sur des sujets qu’il ne faut jamais perdre de vue. La société change,
mais des questions demeurent.
«Les hoquets des économies et
du système financier de l’Occident ne sont pas dus à l’amateurisme des
timoniers, mais l’absence de morale, c’est-à-dire de culture. Le culte de
l’image n’autorise qu’une valeur, le succès, et qu’une mesure, l’argent.» (p.7)
Les témoignages à La
Commission Charbonneau donnent entièrement raison à Jean Paré. Que dire de ces
témoins qui se vantent d’avoir filouté l’état et les citoyens, de fréquenter
des bandits sans pour autant être importunés? Absence de morale. Une seule loi:
les profits et l’enrichissement personnel.
«Il ne faut pas se laisser
déposséder de sa propre vie, car on ne peut rien pour autrui si l’on n’est pas
d’abord maître de soi.» (p.23)
Bien sûr, Paré m’a fait
tiquer un peu en s’attardant à la langue des Québécois. C’est vrai que beaucoup
d’animateurs à la radio et à la télévision se gargarisent de vulgarités et de
stupidités. La dictature du rire à tout pris fait des ravages. Malgré tout, je
ne suis guère nostalgique des années cinquante, des « r » que l’on roulait à
une vitesse vertigineuse à Radio-Canada. Il y a un juste milieu à trouver et ce
n’est pas du côté des puristes ou des nostalgiques que l’on trouvera cet
équilibre.
Pertinence
Il vise juste cependant quand
il parle des humoristes, de l’enseignement et des contorsions de l’art
contemporain où l’idée prend le pas sur l’objet ou la réalisation.
«C’est sa culture qui fait
d’une population un peuple, et ce sont les moyens qu’il se donne pour protéger
cette identité qui font d’un peuple une nation. Et ses velléités qui en font
une vieille histoire.» (p.51)
Les membres du gouvernement
et les élus de l’Opposition à l’Assemblée nationale devraient lire cette phrase
avant d’amorcer leurs débats. Peut-être que l’on éviterait les dérapages et les
propos farfelus sur la dette, le déficit zéro et certains délires sur la charte
de la laïcité.
J’ai adoré aller comme ça d’un
sujet à l’autre, suivre la pensée de cet homme qui surprend et étonne par sa
justesse et son à-propos. Un genre de réflexion nécessaire, qui fait du bien.
Le calepin d’Érasme de Jean
Paré est paru chez Leméac Éditeur.