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vendredi 16 septembre 2022

LA GRANDE QUÊTE DE CLAUDINE POTVIN

L’HUMAIN cherche à s'arranger avec la réalité dans des activités qui permettent de se moquer du temps et de glisser dans une autre dimension. La peinture, la musique, l’écriture, la sculpture, la danse et la réflexion offrent l’occasion d’éviter les pièges du matériel et de s’aventurer dans des mondes où tout devient possible. Comme si nous cherchions dans l’image et la représentation à fuir notre condition de vivant et de mortel. Claudine Potvin, dans dix-neuf nouvelles, tente de cerner une forme de permanence en se mesurant à un tableau ou une photo. Voilà une chance de s’inventer un espace et de donner à sa vie une autre dimension. Corps imaginaires nous entraîne dans le milieu du fantasme et dans un réel renouvelé.

 

L’art permet d’échapper à l’enfermement, de se moquer des incertitudes pour toucher une immanence qui mise sur la durée et la possibilité de muter. Atteindre si l’on veut la part de soi mouvante qui cherche une manière de se dire et d’exister. L’écrivaine propose un dialogue fort et intense avec certains créateurs, provoque de nouvelles sensations, des idées que le quotidien ausculte ou néglige.

«Nous y sommes, non pas en chair et en os, mais représentés, multipliés dans la glace, saisis, captifs de l’image que nous projetons ou que nous désirons. Assemblés, démontés dans l’œil de la peintre, ces effets d’étalages bariolés, de bric-à-brac, nous renvoient à la suite du monde. Il faut lire la citation de l’artiste en bas de la note biographique : “L’Apocalypse est essentiellement politique, car elle a le pouvoir de transformation […] c’est un avertissement, un appel pour le présent.» (p.15)

Voir la vie autrement, telle qu’elle est ou comme nous souhaitons qu’elle soit. Défaire le réel pour le réinventer.

 

QUÊTE

 

L’humain, depuis la nuit des temps, ressent la nécessité de la représentation pour calmer ses peurs et ses angoisses. Les fables, les mythologies, les contes font fi de la dure réalité et se moque de notre finitude. Toutes les civilisations ont inventé des dieux et des légendes pour donner une autre portée aux gestes de tous les jours, pour échapper au vieillissement et aux frontières de l’espace. Comme si nous avions besoin d’une dimension rêvée ou imaginaire pour faire contrepoids à notre condition de mortel. 

«Je te riposte que chez Dante, la luxure est le moins lourd des péchés. Tu en doutes. Nous allongeons le temps, redoublons d’efforts, commentons le dernier épisode, évitant de nous cogner sur les murs, tentant de nous dérober au parcours établi d’avance. Toute cette beauté m’agace, me tourmente. J’aimerais la travailler, la pétrir à ma manière, l’éroder, l’écorcher vive. Comment me projeter dans toute cette grâce passée? Comment ignorer le siècle qui vient? Comment refondre l’espace qui s’étire telle une plage de sables dormants? Malgré tout, la sueur de la ville nous/me retient.» (p.25)

Les mythes changent avec le temps. Nous avons repoussé le sacré et le religieux, du moins dans certains pays occidentaux, pour faire confiance à la science. Une approche qui permet d’exploiter les ressources de la planète sans se soucier du lendemain. Le savoir colmatera les brèches tôt ou tard. Pourquoi se préoccuper de l’avenir quand la médecine peut nous rendre immortels?

 

TOILES

 

Claudine Potvin se mesure aux tableaux, à des fantasmes, des glissements et des appropriations du réel, de soi et de l’autre. Le regard transformé par la photographie, ou encore la représentation. 

«Au départ, Cindy Sherman, je ne la connaissais pas beaucoup. Louis m’a convaincue qu’il ne fallait pas manquer cette exposition. “C’est un génie, elle est célèbre, reconnue dans le monde entier, originale, unique”, m’a-t-il dit, ce que je savais. Ce que je ne savais pas, c’est que Louis pouvait s’intéresser à ce genre de photographie, à une femme artiste de cette envergure. Je ne pouvais prévoir que je serais complètement transformée par la photographe, bouleversée par ses photos/performances au point de repenser le sexe, ma sexualité, mon sexe, au point de vouloir devenir Louis. Je ne savais pas que Juliette accepterait de devenir moi, qu’elle deviendrait l’amante.» (p.52)

L’œuvre bouscule, permet d’échapper à son moi, de se soustraire aux limites de ses sens. L'écrivaine appuie sur des glissements qui viennent perturber l’être et le poussent dans une autre dimension. L’itinérance par exemple qui gomme l’individualité. 

«Tous les jours, je croise un être “perdu, évanoui, en allé […] disparu, péri, rompu”. Michel ou Mike, c’est son nom de ville, n’a pas de véritable histoire. C’est un être déchu, maigre, sombre, vieux de n’avoir pas vieilli normalement, d’une violence intérieure réprimée à coups de discours, ceux de la famille et de l’État. Je le connais, enfin je connais son existence. Je suis pour lui une sorte d’intervenante.» (p.139)

Singulière entreprise où l’écrivaine cherche une forme de certitude qui fuit en se modifiant constamment. Reste le réel qu’il faut lire correctement.

«La terre est un musée. Musée de pierres et de glaciers, de sable et de geysers, musée de peuples autochtones trahis par l’Histoire, de langues et de cultures mortes, musée de verre, transparent, de lumières éclatées. Et tout autour, des mines d’or, d’argent, de fer, de cuivre et de diamants. Au milieu, des villes accablées par la chaleur et la puanteur des déchets. Et logées dans des salles obscures, toutes ces œuvres d’art évocatrices de civilisations anciennes, racontant des légendes d’autant de pays conquis, détruits, massacrés au cours de l’Histoire.» (p.63)

Fascinants textes qui font perdre pied et nous laissent entre deux gestes, comme si nous venions d’effleurer un moment d’éternité. 

Des nouvelles nécessaires, troublantes qui démontrent le pouvoir subversif de l’art et de la littérature. Les sens permettent d’appréhender le monde ambiant, mais il y a la pensée qui demande sa part et arrive toujours à vous transformer. Claudine Potvin nous invite aux plus incroyables des voyages où l’on risque de changer de vie. Il suffit d’être curieux et de ne jamais hésiter à s’éloigner des balises. 

 

POTVIN CLAUDINECorps imaginaires, Lévesque Éditeur, Montréal, 200 pages. 

https://levesqueediteur.com/livre/corps-imaginaires/